TA Versailles, 25/04/2024, n°2203272


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 26 avril 2022, la société à responsabilité limitée Nagla peinture, représentée par Me Evrard, demande au tribunal :

1°) de condamner la commune des Ulis à lui restituer la somme de 8 750 euros, assortie des intérêts à taux légal ;

2°) de mettre à la charge de la commune des Ulis la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le titre de recette n°2105 du 30 juillet 2020 émis à son encontre, d'un montant de 8 750 euros, ne lui a jamais été notifié ;

- elle n'est pas redevable des pénalités de retard qui lui sont opposées dès lors qu'elle n'est pas responsable des retards d'exécution constatés par la commune des Ulis ;

- cette somme de 8 750 euros a été prélevée par compensation légale sur le solde d'une facture de 12 964,20 euros correspondant à l'exécution d'un marché distinct alors même que la créance n'est pas certaine, liquide et exigible.

Par un mémoire enregistré le 6 décembre 2023, le directeur départemental des finances publiques de l'Essonne conclut à ce que le comptable public soit mis hors de cause.

Il soutient que ce litige intéresse seulement la société Nagla et la commune des Ulis.

Par un mémoire enregistré le 8 janvier 2024, la commune des Ulis, représentée par son maire en exercice, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Nagla la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision d'appliquer des pénalités de retard à la société Nagla peinture est fondée en droit et en fait ;

- la décision repose sur les stipulations du cahier des clauses administratives particulières relatives aux pénalités de retard ;

- le retard dans l'exécution du marché en question est effectif et bien imputable à la société Nagla peinture.

Par une ordonnance du 8 janvier 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 janvier 2024.

Des pièces complémentaires, produites par la commune des Ulis, ont été enregistrées le 26 février 2024 et le 15 mars 2024 et ont été communiquées.

Des pièces complémentaires, produites par la société Nagla, ont été enregistrées le 27 février 2024 et ont été communiquées.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Perez,

- les conclusions de Mme Céline Chong-Thierry, rapporteure publique,

- et les observations de Mmes A et Chaperot, représentant la commune des Ulis.

Considérant ce qui suit :

1. La société à responsabilité limitée Nagla peinture a conclu avec la commune des Ulis un marché public n°18-051 portant, pour son lot n°8, sur la peinture, lors de la réhabilitation du centre Jacques Prévert avec création d'une salle de cinéma. L'acte d'engagement a été conclu le 11 juillet 2018, pour un montant de 56 450,15 euros TTC. Les factures liées à l'exécution de ce marché ont été intégralement payées par la commune des Ulis, le solde ayant été réglé le 27 juillet 2020. A l'occasion du règlement d'une facture d'un montant de 12 964,20 euros TTC, liée à une autre commande passée par la commune des Ulis à la société Nagla le 2 octobre 2019 ayant pour objet le nettoyage et la peinture sur support métallique avant la pose de nouvelles enseignes pour le centre Jacques Prévert, la commune a procédé à un prélèvement par compensation de 8 750 euros au titre des pénalités de retard applicables au marché conclu par l'acte d'engagement du 11 juillet 2018. La société Nagla peinture conteste le bien-fondé des pénalités qui lui ont été ainsi appliquées et les conclusions de la requête qu'elle présente tendent seulement à ce que la commune des Ulis soit condamnée à lui restituer la somme de 8 750 euros, somme assortie des intérêts à taux légal.

Sur les conclusions à fin de restitution de la somme de 8 750 euros :

2. En premier lieu, si la société Nagla soutient, sans être contestée, que la commune ne lui a pas notifié le titre de recette émis le 30 juillet 2020 et correspondant à la somme de 8 750 euros liée aux pénalités du marché n°18-051, une telle absence de notification est sans incidence sur le bien-fondé de la créance litigieuse.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4.3 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) : " Par dérogation à l'article 20.1 du CCAG Travaux, lorsque le délai contractuel est dépassé, le titulaire encourt, sans mise en demeure préalable, une pénalité journalière de retard de 250 euros par jour calendaire de retard. ".

4. Il résulte de l'instruction que, par un ordre de service n°3 du 6 septembre 2019, une prolongation de durée du chantier a été accordée à l'entreprise Nagla peinture, le délai de fin des travaux étant décalé au 10 octobre 2019. Par un courriel du 30 septembre 2019, la responsable du service bâtiment de la commune des Ulis a rappelé à la société Nagla peinture ainsi qu'à l'ensemble des entreprises que la fin des travaux intervenait le 10 octobre 2019 et que, faute de respecter ce délai, des pénalités de retard seraient appliquées. Par un procès-verbal du 2 décembre 2019, les opérations préalables à la réception des travaux ont été menées et les travaux ont été reçus à cette même date. Le maître d'œuvre, M. B, a considéré qu'en ne retenant que les jours travaillés entre le 10 octobre et le 2 décembre 2019, un retard de 35 jours dans la livraison des travaux devait être constaté. Ces 35 jours de retard, conduisant à l'application de pénalités pour un montant global de 8 750 euros, ont été inscrits dans l'état de solde et le décompte général établis le 16 juin 2020 par le maître d'œuvre, dans le certificat administratif établi le 29 juin 2020 par la commune des Ulis, puis dans le décompte général récapitulatif notifié à la société Nagla peinture le 24 septembre 2020. La société Nagla peinture soutient que ce retard de 35 jours ne lui est pas imputable, mais qu'il est imputable aux autres corps d'état, et cela est effectivement le cas s'agissant des travaux de peinture. En revanche, aucune des pièces produites ne vient étayer ces allégations s'agissant de la partie " Tenture " du lot n°8 dont la société requérante avait la charge. Au contraire, il résulte de l'instruction que les comptes rendus de chantier n°54, n°55, n°56 et n°57, en date des 14 octobre, 21 octobre, 28 octobre et 4 novembre 2019, indiquent qu'à compter du 7 octobre 2019 l'entreprise prend du retard sur la pose de la toile tendue, qu'il y a eu un rappel sur ce point le 14 octobre 2019, le 21 octobre 2019 et le 28 octobre 2019, sans que la responsabilité des autres corps d'état ne soit mentionnée. De plus, par un ordre de service du 22 octobre 2019, le maître d'œuvre a donné ordre à la société Nagla peinture de terminer les travaux de toile tendue, notamment pour permettre la pose de la moquette, et par un courriel du 25 octobre 2019, la commune des Ulis a indiqué à la société Nagla peinture que l'équipe en charge de la pose de la toile tendue n'avait pas été renforcée, ce qui engendrait un retard. Ce retard a conduit la commune des Ulis à décaler la date de passage de la commission de sécurité du 5 novembre 2019 au 2 décembre 2019. Il résulte de ce qui précède qu'un retard de 35 jours est imputable à la société Nagla peinture. Par suite, le moyen tiré de ce que la somme prélevée par compensation devrait être restituée dès lors que la créance n'est pas fondée doit être écarté.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 13.4.3 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) Travaux approuvé par arrêté du 8 septembre 2009 : " Dans un délai de trente jours compté à partir de la date à laquelle ce décompte général lui a été notifié, le titulaire envoie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, ce décompte revêtu de sa signature, avec ou sans réserves, ou fait connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer. / Si la signature du décompte général est donnée sans réserve par le titulaire, il devient le décompte général et définitif du marché. La date de sa notification au pouvoir adjudicateur constitue le départ du délai de paiement. / Ce décompte lie définitivement les parties, sauf en ce qui concerne les montants des révisions de prix et des intérêts moratoires afférents au solde. / En cas de contestation sur le montant des sommes dues, le représentant du pouvoir adjudicateur règle, dans un délai de trente jours à compter de la date de réception de la notification du décompte général assorti des réserves émises par le titulaire ou de la date de réception des motifs pour lesquels le titulaire refuse de signer, les sommes admises dans le décompte final. Après résolution du désaccord, il procède, le cas échéant, au paiement d'un complément, majoré, s'il y a lieu, des intérêts moratoires, courant à compter de la date de la demande présentée par le titulaire. / Ce désaccord est réglé dans les conditions mentionnées à l'article 50 du présent CCAG. / Si les réserves sont partielles, le titulaire est lié par son acceptation implicite des éléments du décompte général sur lesquels ses réserves ne portent pas. ".

6. De plus, aux termes de l'article 50 du même CCAG Travaux : " 50.1. Mémoire en réclamation : 50.1.1. Si un différend survient entre le titulaire et le maître d'œuvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. / Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants. Il transmet son mémoire au représentant du pouvoir adjudicateur et en adresse copie au maître d'œuvre. / Si la réclamation porte sur le décompte général du marché, ce mémoire est transmis dans le délai de trente jours à compter de la notification du décompte général. / Le mémoire reprend, sous peine de forclusion, les réclamations formulées antérieurement à la notification du décompte général et qui n'ont pas fait l'objet d'un règlement définitif. / 50.1.2. Après avis du maître d'œuvre, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire sa décision motivée dans un délai de trente jours à compter de la date de réception du mémoire en réclamation. / 50.1.3. L'absence de notification d'une décision dans ce délai équivaut à un rejet de la demande du titulaire. / 50.2. Lorsque le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas donné suite ou n'a pas donné une suite favorable à une demande du titulaire, le règlement définitif du différend relève des procédures fixées aux articles 50.3 à 50.6. / 50.3. Procédure contentieuse : / 50.3.1. A l'issue de la procédure décrite à l'article 50.1, si le titulaire saisit le tribunal administratif compétent, il ne peut porter devant cette juridiction que les chefs et motifs énoncés dans les mémoires en réclamation. / 50.3.2. Pour les réclamations auxquelles a donné lieu le décompte général du marché, le titulaire dispose d'un délai de six mois, à compter de la notification de la décision prise par le représentant du pouvoir adjudicateur en application de l'article 50.1.2, ou de la décision implicite de rejet conformément à l'article 50.1.3, pour porter ses réclamations devant le tribunal administratif compétent. / 50.3.3. Passé ce délai, il est considéré comme ayant accepté cette décision et toute réclamation est irrecevable. ".

7. S'il est possible au maître de l'ouvrage d'opérer une compensation entre les soldes de marchés distincts, c'est à la condition que les créances correspondantes soient certaines et exigibles. En l'espèce, pour procéder au recouvrement par compensation de la somme de 8 750 euros sur la facturation d'un autre chantier signé le 19 septembre 2019 avec la société Nagla peinture, la commune des Ulis a transmis au comptable public le titre de recette n°2105 du 30 juillet 2020, un certificat administratif signé le 29 juin 2020 par la maire de la commune et qui atteste que la société Nagla peinture doit se voir appliquer 35 jours de pénalités de retard à raison de 250 euros par jour, soit une somme de 8 750 euros, ainsi qu'un décompte général notifié à la société Nagla peinture le 24 septembre 2020 et établissant que cette dernière doit se voir appliquer des pénalités à hauteur de 8 750 euros. Si ce décompte général a été contesté par la société Nagla peinture par un courrier du 5 octobre 2020 adressé au maître d'œuvre et transmis au maître de l'ouvrage le 7 octobre 2020, il résulte de l'instruction que le maître de l'ouvrage a, par un courrier du 26 octobre 2020, transmis le jour même à la société Nagla, opposé un refus à sa réclamation et il n'est ni établi ni même allégué que cette décision de refus du 26 octobre 2020 aurait fait l'objet d'un recours qui aurait eu pour effet de priver le décompte général d'un caractère définitif. Par suite, le moyen tiré de ce que le comptable n'était pas fondé à procéder à la compensation légale dès lors que la créance litigieuse ne serait pas certaine, exigible et liquide doit être écarté, sans qu'il soit besoin de statuer sur la mise hors de cause du comptable public.

8. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la société Nagla peinture tendant à la condamnation de la commune des Ulis à lui verser une somme de 8 750 euros, somme assortie des intérêts à taux légal, doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune des Ulis, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la société Nagla peinture au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. La commune des Ulis ne justifiant d'aucune somme exposée non comprise dans les dépens, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les dépens :

10. Le présent litige n'a donné lieu à aucun dépens. Les conclusions de la société Nagla peinture tendant à ce que la commune des Ulis soit condamnée aux entiers dépens de la présente instance ne peuvent dès lors qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Nagla peinture est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune des Ulis présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société à responsabilité limitée Nagla peinture et à la commune des Ulis.

Copie en sera adressée au directeur départemental des finances publiques de l'Essonne.

Délibéré après l'audience 4 avril 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Dely, présidente,

M. Perez, premier conseiller,

M. Bélot, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 avril 2024.

Le rapporteur,

signé

J-L. Perez

La présidente,

signé

I. DelyLa greffière,

signé

G. Le Pré

La République mande et ordonne à la préfète de l'Essonne en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°220327