CE, 27/03/2023, n°465736
Vu la procédure suivante :
M. C A a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler les décisions du maire de Capbreton ayant implicitement rejeté ses demandes de communication de la liste électorale et du tableau des inscriptions et radiations actualisées au jour de sa demande et d'enjoindre au maire de Capbreton de lui communiquer les documents sollicités. Par un jugement n° 2002645 du 20 juin 2022, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 12 juillet, 7 octobre et 5 décembre 2022 et 23 janvier, 14 février et 3 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Capbreton la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code électoral ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Alexandra Bratos, auditrice,
- les conclusions de Mme B de Moustier, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de M. A et à la SCP Boutet-Hourdeaux, avocat de la commune de Capbreton et du maire de la commune de Capbreton ;
Considérant ce qui suit :
1. M. C A a demandé au maire de Capbreton la communication de la liste électorale de la commune et du tableau des inscriptions et radiations actualisés. Il se pourvoit en cassation contre le jugement du 20 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation du refus opposé à sa demande de communication et à ce qu'il soit enjoint au maire de Capbreton de lui communiquer ces documents.
2. L'article L. 37 du code électoral dispose que : "Tout électeur peut prendre communication et obtenir copie de la liste électorale de la commune à la mairie ou des listes électorales des communes du département à la préfecture, à la condition de s'engager à ne pas en faire un usage commercial. / Tout candidat et tout parti ou groupement politique peuvent prendre communication et obtenir copie de l'ensemble des listes électorales des communes du département auprès de la préfecture, à la condition de s'engager à ne pas en faire un usage commercial". L'article R. 20 du même code précise que, pour l'application de l'article L. 37, les listes électorales comportent les données d'identification de l'électeur, l'adresse au titre de laquelle il est inscrit, le numéro du bureau de vote et le numéro d'ordre séquentiel sur la liste d'émargement du bureau de vote. L'article L. 19 prévoit que, dans chaque commune, " une commission de contrôle statue sur les recours administratifs préalables prévus au III de l'article L. 18. / II. - La commission s'assure également de la régularité de la liste électorale. A cette fin, elle a accès à la liste des électeurs inscrits dans la commune extraite du répertoire électoral unique et permanent. / III. - La commission se réunit au moins une fois par an et, en tout état de cause, entre le vingt-quatrième et le vingt-et-unième jour avant chaque scrutin ". Aux termes de l'article L. 19-1 de ce code : " La liste électorale est rendue publique dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, au moins une fois par an et, en tout état de cause, le lendemain de la réunion de la commission de contrôle, préalable à chaque scrutin, prévue au III de l'article L. 19 ". L'article R. 13 du même code dispose que : " Le tableau des inscriptions et radiations intervenues depuis la dernière réunion de la commission prévue à l'article L. 19 est mis à disposition des électeurs auprès des services de la commune, aux horaires d'ouverture habituels. Il le demeure jusqu'à l'expiration du délai de recours contentieux prévu au I de l'article L. 20. / Lorsque les dispositions du premier alinéa du III de l'article L. 19 ne peuvent être appliquées, le tableau des inscriptions et radiations depuis la dernière réunion de la commission mentionnée à l'article L. 19 est publié le vingtième jour qui précède la date du scrutin, ou au plus tard le lendemain de la réunion prévue au troisième alinéa de l'article R. 10 ".
3. Il résulte des dispositions de l'article L. 37 du code électoral que tout électeur inscrit sur une liste électorale peut, indépendamment de la publicité annuelle de la liste organisée par l'article L. 19-1 du même code, obtenir du maire d'une commune la communication de la liste électorale de la commune à jour à la date à laquelle celui-ci se prononce sur la demande dont il est saisi, comportant les seules informations mentionnées à l'article R. 20 de ce code, sous réserve qu'il s'engage à ne pas en faire un usage commercial. Dans les mêmes conditions, un électeur peut obtenir auprès du préfet l'ensemble des listes électorales, à jour à cette même date, des communes du département.
Sur les écritures de la commune de Capbreton :
4. Il résulte des dispositions de l'article L. 2122-27 du code général des collectivités territoriales et de celles du chapitre 2 du titre Ier du livre Ier du code électoral que la tenue de la liste électorale et des documents s'y rapportant, ainsi que leur communication, incombent au maire en sa qualité d'agent de l'Etat. La commune de Capbreton n'a donc pas la qualité de partie à l'instance et elle ne justifie pas d'un intérêt suffisant à intervenir en défense, quand bien même a-t-elle été mise en cause par le tribunal administratif et a reçu notification du jugement attaqué. Il y a lieu, en conséquence, d'écarter des débats ses écritures et il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle soulève.
Sur les écritures du maire de Capbreton, agissant au nom de l'Etat :
5. Il résulte de l'article R. 432-4 du code de justice administrative que, sauf disposition contraire, seul le ministre intéressé peut représenter l'Etat devant le Conseil d'Etat. Il s'ensuit que le maire de Capbreton ne peut ainsi agir au nom de l'Etat dans la présente instance. Il y a lieu, en conséquence, d'écarter des débats ses écritures et il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité qu'il soulève.
Sur le pourvoi :
6. Pour refuser de faire droit à la demande de M. A tendant à l'annulation du refus du maire de Capbreton de communiquer la liste électorale à jour à la date à laquelle il se prononce, le tribunal administratif de Pau a retenu que seules pouvaient être communiquées, sur le fondement de l'article L. 37 du code électoral, les listes électorales arrêtées au lendemain de la réunion de la commission de contrôle. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu'en statuant ainsi, le tribunal administratif de Pau a commis une erreur de droit.
7. En revanche, le tableau des inscriptions et radiations intervenues depuis la dernière réunion de la commission prévue à l'article L. 19 du code électoral comporte des informations mettant en cause la protection de la vie privée des personnes et n'est donc pas communicable sur le fondement des dispositions de l'article L. 311-2 du code des relations entre le public et l'administration, en vertu des dispositions de l'article L. 311-6 de ce code. Ni l'article L. 37 du code électoral, ni aucune autre disposition législative ou réglementaire n'ouvrent droit, en principe, à la communication d'un tel document à jour à la date de la saisine de l'autorité compétente ou à la date à laquelle elle se prononce sur la demande, celui-ci étant seulement mis à la disposition des électeurs auprès des services de la commune jusqu'à l'expiration du délai de recours contentieux prévu au I de l'article L. 20 de ce code, conformément aux dispositions de son article R. 13. En jugeant qu'aucune disposition n'ouvrait droit à la communication du tableau des inscriptions et radiations à jour, le tribunal administratif, dont le jugement est suffisamment motivé sur ce point, n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier.
8. Il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en tant seulement qu'il statue sur le refus de communication de la liste électorale à jour de la commune de Capbreton.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, dans la limite de la cassation prononcée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
10. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens qu'il soulève, M. A est fondé à demander l'annulation de la décision du maire de Capbreton refusant de lui communiquer la liste électorale actualisée de la commune.
11. Il y a lieu d'enjoindre au maire de Capbreton de communiquer à M. A la liste électorale dans sa version à jour à la date à laquelle il y procédera.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Capbreton, qui n'est pas partie à la présente instance, et à celle de M. A, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par la commune de Capbreton et par le maire de Capbreton agissant au nom de l'Etat.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Pau du 20 juin 2022 est annulé en tant qu'il se prononce sur la communication de la liste électorale à jour de la commune de Capbreton.
Article 3 : La décision du maire de Capbreton refusant la communication de la liste électorale de la commune de Capbreton est annulée.
Article 4 : Il est enjoint au maire de Capbreton de communiquer la liste électorale dans sa version à jour à la date à laquelle il y procédera.
Article 5 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. A est rejeté.
Article 6 : Les conclusions présentées par la commune de Capbreton et par le maire de Capbreton agissant au nom de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. C A, au maire de Capbreton et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 mars 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Bruno Delsol, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, conseillers d'Etat et Mme Alexandra Bratos, auditrice-rapporteure.
Rendu le 27 mars 2023.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Alexandra Bratos
La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana