TA Rouen, 13/04/2023, n°2100327

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 janvier 2021 et 12 mai 2022, la SARL MN, représentée par Me Morel, demande au tribunal :

1) de condamner la commune de Pont-Audemer à lui verser la somme de 40 823,46 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de la réalisation de travaux publics de rénovation de la chaussée et du trottoir de la rue Sadi Carnot sur le territoire de cette commune ;

2) de mettre à la charge la commune de Pont-Audemer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a la qualité de tiers aux travaux en cause ;

- elle justifie de ses préjudices et du lien de causalité entre ceux-ci et les travaux.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 8 avril 2021 et 7 juillet 2022, la commune de Pont-Audemer conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que sa responsabilité n'est pas engagée et que les préjudices invoqués par la requérante ne sont justifiés ni dans leur principe, ni dans leur montant.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Bouvet, premier conseiller ;

- les conclusions de Mme Cazcarra, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que la commune de Pont-Audemer a conclu avec la société Le Foll travaux publics un marché public de travaux concernant la rénovation et l'aménagement de la rue Sadi Carnot sur son territoire. La SARL MN, qui exploite dans cette artère une activité de restauration, a saisi la commune d'une demande d'indemnisation, faisant état de dommages causés par les travaux en cause. Après la tenue d'une expertise commandée par l'assureur de la commune, et faute d'avoir obtenu l'indemnisation sollicitée, elle demande par la présente requête au tribunal de condamner la commune à l'indemniser de ses préjudices.

2. La responsabilité du maître de l'ouvrage est engagée, même sans faute, à raison des dommages que l'ouvrage public dont il a la garde peut causer aux tiers. Il appartient toutefois au riverain d'une voie publique qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers d'établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués, et, d'autre part, le caractère anormal et spécial de son préjudice, les riverains des voies publiques étant tenus de supporter, sans contrepartie, les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général.

3. Les travaux en cause, qui revêtent un caractère immobilier et ont été réalisés par une personne privée sur le domaine public dans un but d'utilité générale, sont des travaux publics. La société MN a la qualité de tiers à ces travaux. La responsabilité sans faute de la commune de Pont-Audemer n'est dès lors susceptible d'être engagée que si les dommages subis par la requérante revêtent un caractère anormal et spécial.

4. Il résulte de l'instruction et notamment des plans de phasage des travaux que l'opération de rénovation et d'aménagement menée par la commune de Pont-Audemer concerne un espace limité de son domaine public, en l'occurrence la seule rue Sadi Carnot. La seule présence d'autres commerces dans la rue n'est pas, à elle seule, de nature à faire perdre aux préjudices invoqués par la requérante leur caractère spécial.

5. S'agissant du caractère anormal des préjudices invoqués, en premier lieu, il résulte là encore de l'instruction et notamment du rapport d'expertise amiable du 27 novembre 2019 et des échanges de courriers entre les parties et leurs assureurs que les travaux ont été à l'origine de dégradations sur la vitrine, causés par la projection de gravillons. La nécessité du remplacement de cette vitrine et de la repose de films à l'identique de l'existant résultent suffisamment de l'instruction. Ce chef de préjudice excède les sujétions normales imposés aux riverains des voies publiques dans l'intérêt général. Compte-tenu du chiffrage établi par le rapport d'expertise et les devis produits dans le cadre de l'instance, qui incluent la vétusté et l'ensemble des travaux de reprise nécessaires, la commune de Pont-Audemer doit être condamnée à verser à la SARL MN la somme de 2 874,97 euros.

6. En deuxième lieu, il est constant que les travaux ont été à l'origine d'un abaissement du trottoir, faisant passer la marche d'accès au restaurant de 14 cm à 22 cm, avant l'installation par l'entreprise titulaire du marché d'une double marche de 11 cm chacune. Toutefois, à ce titre, si la société requérante se plaint de ce que cette nouvelle configuration la conduirait à ne plus respecter la législation relative à l'accessibilité de l'établissement aux personnes handicapées elle n'établit pas qu'elle respectait ces normes avant les travaux en l'absence de production, notamment, de la dérogation accordée par l'autorité compétente dont elle se prévaut. Elle n'établit pas plus que cette configuration issue des travaux la conduit à ne plus respecter la norme applicable ni, enfin, que les travaux dont elle demande l'indemnisation lui permettraient de respecter la législation. Dans ces conditions, l'existence d'un préjudice direct et certain n'est pas établie et la demande de la SARL MN présentée à ce titre doit être rejetée.

7. En dernier lieu, s'il résulte de l'instruction et notamment des photographies produites et du phasage du chantier que les travaux ont eu lieu dans l'artère dans laquelle se situe l'établissement exploité par la requérante, la commune justifie avoir mis en place des mesures d'affichage du maintien de l'ouverture des commerces de la rue durant les travaux. Surtout, la seule production d'un extrait de tableau, dont l'origine est inconnue, comparant les exercices successifs ne permet pas, à elle seule, de retenir l'existence d'une baisse du chiffre d'affaires de la requérante ni que cette éventuelle baisse soit en lien avec les travaux menés par la commune défenderesse. Dans ces conditions, l'existence d'un préjudice direct et certain n'est pas établie, pas plus que le lien avec le fait générateur invoqué, et la demande de la SARL MN présentée à ce titre doit être rejetée.

8. Il résulte de ce qui précède que la SARL MN est seulement fondée à demander au tribunal de condamner la commune de Pont-Audemer à lui verser la somme de 2 874,97 euros.

9. Enfin il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Pont-Audemer une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SARL MN et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La commune de Pont-Audemer est condamnée à verser à la SARL MN la somme de 2 874,97 euros.

Article 2 : La commune de Pont-Audemer versera à la SARL MN une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions de la requête sont rejetées pour le surplus.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la SARL MN et à la commune de Pont-Audemer.

Délibéré après l'audience du 23 mars 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Gaillard, présidente,

M. Leduc, premier conseiller,

M. Bouvet, premier conseiller,

Assistés de M. Tostivint, greffier.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 avril 2023.

Le rapporteur,

signé

C. BOUVET La présidente,

signé

A. GAILLARD

Le greffier,

signé

H. TOSTIVINT

La République mande et ordonne au préfet de l'Eure en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

signé

S. Combes

N°2100327

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