CAA Marseille, 10/05/2023, n°21MA01550
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée Dumez Côte d'Azur a demandé au tribunal administratif de Nice, entre autres, de condamner la société Etablissements Cancé à lui payer, in solidum avec la commune d'Antibes, maître de l'ouvrage, et d'autres constructeurs, à titre principal, la somme de 176 482,71 euros toutes taxes comprises correspondant à des pénalités de retard retenues, selon elle à tort, la somme de 1 565 811,04 euros hors taxes au titre du solde du décompte du marché public dont elle était titulaire, la somme de 130 484,25 euros hors taxes au titre des frais financiers supportés ou, à titre subsidiaire, de la condamner, in solidum avec la société par actions simplifiée Fradin-Weck Architecture, la société de droit allemand Auer - Weber - Assoziierte Gmbh et la société à responsabilité limitée CRX Sud, au paiement des sommes de 1 565 811,04 euros hors taxes et de 130 484,25 euros hors taxes, majorées de la taxe sur la valeur ajoutée au taux applicable au jour de l'encaissement des condamnations à intervenir ainsi que des intérêts moratoires au taux de 8,05 % à compter du 21 octobre 2013, avec capitalisation de ces intérêts.
Par un jugement nos 1702508, 1800463 du 26 février 2021, le tribunal administratif de Nice a fait partiellement droit à ces demandes en condamnant la société Etablissements Cancé à payer à la société Dumez Côte d'Azur une somme de 173 942 euros hors taxes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 26 avril 2021, et un mémoire enregistré le 14 septembre 2022, la société Etablissements Cancé, représentée par Me Magrini, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) à titre principal, de rejeter la demande présentée à son encontre par la société Dumez Côte d'Azur comme prescrite ;
3°) à titre subsidiaire, de rejeter cette demande au fond, et de rejeter les appels en garantie présentés à son encontre ;
4°) plus subsidiairement, de condamner les sociétés Fradin-Weck Architecture, Auer - Weber - Assoziierte Gmbh et CRX Sud à la garantir solidairement de toute condamnation prononcée à son encontre ;
5°) de mettre à la charge de la société Dumez Côte d'Azur une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête d'appel est recevable ;
- le jugement est irrégulier, dès lors que les premiers juges se sont cru, à tort, liés par les conclusions du rapport d'expertise ;
- le rapport d'expertise n'avait pas pour objet de se prononcer sur sa responsabilité vis-à-vis de la société Dumez Côte d'Azur, mais seulement sur les conséquences des retards pour la commune d'Antibes ;
- les conclusions de l'expert ne constituent qu'un simple élément d'information ;
- le rapport d'expertise ne permet pas d'établir sa responsabilité ;
- son retard dans la communication des études définitives résulte du caractère erroné des " hypothèses d'entrée " données au stade de l'avant-projet par la maîtrise d'ouvrage et la maîtrise d'œuvre ;
- son retard dans la pose de la charpente résulte d'aléas, tenant au fait que les massifs de béton relevant du lot " gros-œuvre " qui soutiennent la charpente ont été terminés avec un retard de cent quatre jours, au fait que l'accès aux ouvrages était rendu impossible par les travaux relevant du lot " voirie et réseaux divers ", et aux modifications des travaux demandées par le maître de l'ouvrage ;
- la société Dumez Côte d'Azur, tiers à son contrat, n'est pas fondée à invoquer d'éventuels manquements à ses obligations contractuelles ;
- les préjudices invoqués par la société Dumez Côte d'Azur ne sont pas justifiés ;
- l'action de la société Dumez Côte d'Azur est prescrite ;
- elle doit être relevée et garantie par la maîtrise d'œuvre qui est à l'origine des retards qui lui ont été imputés ;
- les moyens présentés par les autres parties à l'instance d'appel à son encontre sont infondés.
Par un mémoire, enregistré le 31 mars 2022, la commune d'Antibes, représentée par la SELARL Antoine Alonso Garcia Avocats, demande à la Cour :
1°) à titre principal de rejeter les demandes de la société Dumez Côte d'Azur comme irrecevables ;
2°) à titre subsidiaire, de rejeter ces demandes comme infondées ;
3°) à titre plus subsidiaire, s'agissant des travaux supplémentaires, de condamner les sociétés Etablissements Cancé, SMAC, Europelec et Vitruve à la garantir des condamnations qui pourraient être présentées à son encontre au titre des travaux supplémentaires, et les sociétés Fradin-Weck Architecture, Auer - Weber - Assoziierte Gmbh, CRX-Sud et Etablissements Cancé à la garantir solidairement ou à proportion de leurs parts de responsabilité des condamnations qui pourraient être prononcées au titre des retards de chantier ;
4°) en tout état de cause, de mettre à la charge de la société Dumez Côte d'Azur ou de toute autre partie succombante la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les demandes de la société Dumez Côte d'Azur sont irrecevables ;
- ces demandes sont infondées ;
- elle est fondée à appeler les autres constructeurs en garantie en cas de condamnation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juin 2022, la société Dumez Côte d'Azur, représentée par Me Coppinger, demande à la Cour :
1°) à titre principal, de rejeter la requête d'appel comme irrecevable ou, à défaut, comme infondée ;
2°) de rejeter les conclusions de la commune d'Antibes comme irrecevables, ou à défaut comme mal fondées ;
3°) de confirmer en conséquence le jugement attaqué ;
4°) à titre subsidiaire, de faire droit à ses demandes de première instance ;
5°) en toute hypothèse, de mettre à la charge de la commune d'Antibes, solidairement avec la société Fradin-Weck Architecture, la société Auer - Weber - Assoziierte Gmbh, la société Etablissements Cancé et la société CRX Sud la somme de 25 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ou, à défaut, de mettre cette somme à la charge, in solidum, des seuls constructeurs.
Elle soutient que :
- les moyens présentés par la société appelante sont infondés ;
- ses demandes de première instance étaient fondées.
Par un mémoire, enregistré le 7 juillet 2022, la société CRX Sud, représentée par Me Belfiore, demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement et rejeter toute demande et conclusion présentée à son encontre ;
2°) subsidiairement, de limiter sa responsabilité à 19,5 % du préjudice ;
3°) en tout état de cause, d'" allouer à la société CRX Sud une indemnité de 2 000 euros au titre () de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ".
Par un mémoire, enregistré le 14 septembre 2022, la société Auer - Weber - Assoziierte Gmbh et la société Fradin-Weck Architecture, représentées par Me Dersy, demandent à la Cour :
1°) de rejeter les demandes de la société Dumez Côte d'Azur, de la commune d'Antibes et de la société Etablissements Cancé ;
2°) subsidiairement, si la Cour faisait droit à la demande de la société Dumez Côte d'Azur, de ramener la condamnation à de plus justes proportions ;
3°) plus subsidiairement, de condamner solidairement ou in solidum la société Dumez Côte d'Azur, la commune d'Antibes, la société Etablissements Cancé et la société CRX Sud à les relever et garantir de toute condamnation prononcée à leur encontre ;
4°) et, en tout état de cause, de mettre à la charge de tout succombant la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- les demandes présentées à leur encontre sont infondées ;
- subsidiairement, elles doivent être garanties par le maître de l'ouvrage et les autres constructeurs.
Par une lettre en date du 15 septembre 2022, la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire à une audience qui pourrait avoir lieu au cours du premier trimestre de l'année 2023, et que l'instruction était susceptible d'être close par l'émission d'une ordonnance à compter du 14 octobre 2022.
Par ordonnance du 21 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.
Par lettre du 31 mars 2023, la Cour a informé les parties de ce que l'arrêt à intervenir est susceptible d'être fondé, dans l'hypothèse où la situation d'un intimé n'est pas aggravée, sur le moyen tiré de l'irrecevabilité de ses conclusions dirigées contre les autres intimés.
Par mémoire du 7 avril 2023, la société Dumez Côte d'Azur a répondu à ce moyen d'ordre public.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Renaud Thielé, président assesseur,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me du Puy de Goyne, pour la société Etablissements Cancé, de Me Verrechia, pour la société Dumez Côte d'Azur, de Me Paulus, pour la société Auer - Weber - Assoziierte Gmbh et la société Panorama Architecture (ex Fradin-Weck Architecture), de Me Guarino, pour la commune d'Antibes, et de Me Sbai, substituant Me Belfiore, pour la société CRX Sud.
Considérant ce qui suit :
1. Par contrat conclu le 1er décembre 2010, la commune d'Antibes (Alpes-Maritimes) a confié à la société Campenon Bernard Côte d'Azur le lot n° 2, relatif aux prestations de gros-œuvre, d'un marché public à prix global et forfaitaire ayant pour objet la réalisation d'une salle omnisport. Après l'exécution du marché, la société Dumez Côte d'Azur, venant aux droits et aux obligations de la société Campenon Bernard Côte d'Azur, a saisi le tribunal administratif de Nice, entre autres conclusions, d'une demande tendant à la condamnation de la société Etablissements Cancé à lui payer diverses sommes en réparation du préjudice subi du fait du retard pris par le chantier. Par le jugement attaqué, dont la société Etablissements Cancé relève appel, le tribunal administratif de Nice, estimant que cette société était à l'origine d'un retard de chantier de seize semaines, l'a condamnée à payer à la société Dumez Côte d'Azur une somme de 173 942 euros hors taxes au titre des préjudices subis, et mis à sa charge une somme de 1 000 euros en remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens.
1. Sur l'appel principal :
1.1. En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la société appelante, il ne ressort pas des termes du jugement attaqué que les premiers juges, s'ils se sont appropriés l'analyse de l'expert comme cela leur était loisible, se seraient crus liés par l'appréciation faite par ce dernier.
3. En deuxième lieu, l'ordonnance n° 1304526 du 11 mars 2014 du juge des référés du tribunal administratif de Nice a prescrit une expertise, au contradictoire de la société Etablissements Cancé, en donnant pour mission à l'expert de constater les retards éventuels dans l'exécution du marché, et d'en rechercher les causes et les incidences en termes financiers. Alors même que l'expertise avait été sollicitée par la commune d'Antibes, l'expert n'a donc pas outrepassé la mission qui lui a été donnée, et qui ne se limitait pas aux incidences des retards pour le maître de l'ouvrage.
4. En troisième lieu, en l'absence d'irrégularité de l'expertise, cette dernière avait la valeur probante qui s'attache à ces mesures d'instruction, et n'avait pas à être considérée, comme le soutient la société appelante, comme un " simple élément d'information ".
1.2. En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
1.2.1. S'agissant du cadre juridique :
5. Dans le cadre d'un litige né de l'exécution de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n'est lié par aucun contrat, notamment s'ils ont commis des fautes qui ont contribué à l'inexécution de ses obligations contractuelles à l'égard du maître d'ouvrage, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l'art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires. Il peut en particulier rechercher leur responsabilité du fait d'un manquement aux stipulations des contrats qu'ils ont conclus avec le maître d'ouvrage.
6. Il résulte de ce qui vient d'être dit que, contrairement à ce que soutient la société Etablissements Cancé, l'effet relatif des contrats ne faisait pas obstacle à ce que la société Dumez Côte d'Azur se prévalût de la méconnaissance, par la société appelante, de ses obligations contractuelles. En tout état de cause, la circonstance que les retards de la société Etablissements Cancé justifiaient par ailleurs des pénalités de retard n'est pas de nature à exonérer cette dernière de sa responsabilité quasi-délictuelle vis-à-vis des autres constructeurs, à raison des préjudices que ces mêmes retards leur ont spécifiquement causés.
1.2.2. S'agissant de la cause des retards :
7. Il ressort du rapport d'expertise, en pages 22 et 23, que l'expert a estimé que la société Etablissements Cancé était à l'origine d'un retard total de seize semaines. Il a en effet estimé, d'une part, qu'elle avait communiqué les calculs relatifs aux " descentes de charge " avec un retard de neuf semaines, imputable à ses " tergiversations " et aux faibles moyens alloués à son bureau d'études, et, d'autre part, qu'elle avait achevé la pose de la charpente avec un retard de sept semaines en raison de l'insuffisance des moyens mis en œuvre.
1.2.2.1. Quant au retard de neuf semaines dans la communication des descentes de charge :
8. S'agissant de la communication des descentes de charges, l'expert relève que la société appelante avait l'obligation de fournir, avant le 21 février 2011, la totalité des " descentes de charge " permettant de connaître les efforts subis par la structure du fait de son poids, des intempéries et des forces sismiques éventuelles. Il relève, en page 22 de son rapport, que la société a communiqué les informations relatives aux descentes de charge le 2 mai 2011, avec un retard de neuf semaines sur la date prévue du 21 février 2011. Il remarque par ailleurs que, si la société a constaté, dans son mail du 22 février 2011, que le coefficient de comportement " q " retenu par le maître d'œuvre ne paraissait pas adapté, les reprises de notes de calcul par la société ont été " trop longues ". Il estime, enfin, que le retard dans la communication de ces informations a entraîné un retard dans l'exécution des fondations par le titulaire du lot gros-œuvre, dès lors que le dimensionnement des fondations dépend du calcul des descentes de charges.
9. Pour contester cette appréciation de l'expert, la société Etablissements Cancé soutient que ce retard est, en réalité imputable au maître d'œuvre, qui aurait selon elle insuffisamment tenu compte des contraintes sismiques. Elle soutient en effet que le retard est imputable à la volonté du maître d'œuvre d'imposer un coefficient de comportement du bâtiment " q " de 2, permettant de limiter la descente des charges et de concevoir des fondations plus économiques, alors que les caractéristiques du bâtiment supposaient de retenir un coefficient de comportement de 1, comme elle-même le soutenait.
10. Il résulte de la norme de construction parasismique dite " PS 92 " (DTU NF P06-013) que la conception d'un bâtiment, et notamment de ses fondations, suppose de déterminer le coefficient de comportement noté " q ", qui mesure l'intensité du comportement dissipatif de la structure. Dans le cas des structures à comportement non dissipatif, ce coefficient est fixé à 1 en application du point 13.3.1 de cette norme. Les structures à comportement dissipatif, et notamment celles dotées d'un contreventement en " V ", permettent de dissiper l'effet des secousses sismiques du fait de la capacité des barres métalliques de la charpente à se déformer plastiquement sans se rompre, et bénéficient de ce fait d'un coefficient " q " supérieur, rendant notamment possible la réalisation de fondations plus légères.
11. Il résulte de l'instruction, que, par courrier du 23 février 2011, la société appelante a indiqué à l'architecte qu'au vu de la conception de l'ouvrage, le coefficient de comportement " q " qui devait être retenu pour le calcul des descentes de charges devait être de 1, et non de 2, ce qui conduisait à un doublement de ces descentes. La société a alors sollicité l'approbation du coefficient de 1 par le maître d'œuvre et le bureau de contrôle technique. Toutefois, il résulte du compte rendu de réunion établi le 28 octobre 2011 par le Centre technique industriel de la construction métallique, dont la société appelante avait sollicité l'arbitrage, que les hypothèses constructives fondées sur un coefficient " q " de 2 ont pu, finalement, être maintenues, au prix d'une modification de la charpente métallique, par la mise en place de contreventements en forme de " V " dans la partie " trampoline ", par le changement des poteaux des palées de stabilité, et par la modification des liaisons d'assemblage entre les diagonales en " V " et la structure.
12. Il résulte de ce qui précède que l'hypothèse constructive retenue dans les documents de la consultation établis par le maître d'œuvre a pu être maintenue au prix de modifications de la conception des caractéristiques de la charpente par la société Etablissements Cancé. Rien ne s'opposait donc à ce que la société appelante établît et communiquât les calculs relatifs aux descentes de charge sur la base de l'hypothèse d'un coefficient de comportement " q " retenu dans le dossier de consultation des entreprises. La société ne critique par ailleurs pas sérieusement l'appréciation de l'expert, selon lequel ces modifications de la charpente relevaient d'un aléa normal de chantier. Si la société a bien, alors que l'article 4.8 du cahier des clauses techniques particulières l'en dispensait, dû calculer non seulement les charges élémentaires, mais également les combinaisons de charges, elle n'apporte pas de critique sérieuse du rapport de l'expert qui indique que cette obligation supplémentaire n'a pas eu d'effet significatif en terme de coût ou de délai. Dans ces conditions, comme l'a retenu l'expert, le retard dans la communication des informations relatives aux descentes de charge était bien imputable à la société Etablissements Cancé.
1.2.2.2. Quant au retard de sept semaines dans la pose de la charpente :
13. L'expert a, par ailleurs, estimé que la société appelante avait contribué au retard du chantier, à raison de sept semaines, en raison du retard dans le montage de la charpente, dont la pose a été terminée le 24 avril 2012, avec un allongement par rapport au planning de huit semaines, dont une était, selon l'expert, imputable au délai pris par la société titulaire du lot de gros-œuvre pour le démontage d'une grue. L'expert a indiqué que la cause de ce retard était l'insuffisance des moyens mis en œuvre par la société Etablissements Cancé sur le chantier.
14. La société appelante soutient que le rapport d'expertise ne permet pas d'établir sa responsabilité, et que le retard qui lui a été imputé par l'expert est, en réalité, la conséquence de divers retards et erreurs imputables au maître d'ouvrage ou à d'autres constructeurs.
15. A ce titre, elle soutient, en premier lieu, que le retard dans le montage de la charpente résulte en réalité de la mise à disposition tardive de la " zone Chaudron " par la société Campenon Bernard Côte d'Azur. Toutefois, si le rapport de la société Egis, cité par la société appelante, fait en effet état d'un " décalage de la libération de la " zone Chaudron " au charpentier, du 13 octobre 2011 au 22 février 2012, soit 132 jours de retard ", il ressort des indications non contestées du rapport d'expertise que l'assemblage et la pose de la charpente dans cette zone avaient pu débuter dès le 14 décembre 2011, c'est-à-dire avant la libération totale de la zone par le titulaire du lot de gros-œuvre, et qu'une coactivité des lots était donc possible. Dans ces conditions, en se bornant à soutenir qu'elle ne pouvait intervenir qu'après la remise des structures en béton par la société titulaire du lot de gros-œuvre, la société appelante ne critique donc pas sérieusement les conclusions de l'expert.
16. La société appelante soutient, en deuxième lieu, que les retards sont imputables au maître de l'ouvrage, qui aurait désorganisé le chantier en demandant en cours de travaux la transformation d'une salle de réunion en salle de restauration avec terrasse, laquelle a rendu nécessaire la réalisation, par le titulaire du lot " voirie et réseaux divers ", de fondations supplémentaires non initialement prévues qui a rendu l'accès aux ouvrages impossible. Toutefois, elle n'établit pas que ces travaux, évoqués par le rapport d'expertise, auraient effectivement contribué au retard qui lui est imputé par l'expert.
17. La société appelante soutient, en troisième lieu, que les retards sont imputables à l'absence d'établissement du calendrier détaillé d'exécution avant le 28 avril 2011, au caractère inadapté des délais qu'il prévoyait, et plus généralement à des défauts dans l'ordonnancement, le pilotage et la coordination du chantier. Toutefois, elle n'établit pas que ces circonstances auraient pu avoir une influence sur les retards retenus par l'expert, et que ce dernier impute aux " tergiversations " et au manque de moyens de la société. Elle n'établit pas plus que les délais d'exécution qui lui avaient été impartis étaient irréalistes.
18. La société appelante soutient, en quatrième lieu, que les retards sont imputables à l'arrêté municipal qui rendait impossible l'installation de deux grues en même temps, la contraignant à suspendre ses travaux. Toutefois, ce moyen n'est pas assorti des précisions qui permettraient d'en apprécier le bien-fondé.
19. La société appelante soutient, en cinquième lieu, que les retards sont imputables aux travaux supplémentaires et mises au point qui lui ont été imposées par les ordres de service n° 7 à 10, 22 et 30. Toutefois, la société n'établit pas que ces modifications du projet ont rendu nécessaire un allongement de la durée prévue pour la pose de la charpente.
20. La société appelante soutient, en sixième lieu, que les retards sont imputables à la défaillance de certaines entreprises. Toutefois, ce moyen n'est pas assorti des précisions qui permettraient d'en apprécier le bien-fondé. Elle n'établit pas ainsi que le retard d'ensemble relevé de sept semaines ne lui serait pas imputable.
1.2.3. S'agissant du montant du préjudice :
21. La société appelante conteste le montant du préjudice invoqué par la société Dumez Côte d'Azur et retenu par les premiers juges en soutenant qu'il n'est pas justifié.
22. Toutefois, le mémoire de réclamation de la société Dumez Côte d'Azur détaille, de manière précise, ses frais de main d'œuvre et ses autres frais intégrés dans le compte " prorata ". En se bornant à soutenir que ces indications ne sont pas accompagnées des fiches de paie, cartons de pointage et documents justifiant des frais prorata, sans discuter les éléments qui ont servi de base au calcul de la société Dumez Côte d'Azur, la société appelante ne critique pas sérieusement l'évaluation du préjudice retenue par le tribunal administratif.
1.2.4. S'agissant de la prescription :
23. La société appelante soutient que l'action de la société Dumez Côte d'Azur est prescrite, dès lors que sa demande n'a été présentée que le 26 janvier 2018, alors qu'elle avait connaissance de ses retards le 28 avril 2011, date de la notification de l'ordre de service n° 2 traitant du délai et du calendrier d'exécution, ou, au plus tard, le 11 septembre 2012, date de notification de l'ordre de service n° 8 portant sur la prolongation des délais d'exécution des travaux.
24. Aux termes de l'article 2224 du code civil : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. ". Il résulte de ces dispositions que la prescription qu'elles instituent court à compter de la manifestation du dommage, c'est-à-dire de la date à laquelle la victime a une connaissance suffisamment certaine de l'étendue du dommage, quand bien même le responsable de celui-ci ne serait à cette date pas encore déterminé.
25. Il résulte de l'instruction que la réception de l'ouvrage a été prononcée avec effet au 1er juillet 2013. La société Dumez Côte d'Azur a, dans son mémoire de réclamation, indiqué que les travaux de finition du lot " gros-œuvre ", et notamment la réalisation de la chape en résine polyuréthane prévue par l'article 2.2.4 du cahier des clauses techniques particulières, ont eu lieu au cours du mois de mars 2013. Compte tenu de la complexité des répercussions d'un décalage de planning initial sur l'exécution des différents lots, il n'est pas établi que la société Dumez Côte d'Azur aurait été en mesure d'avoir une connaissance suffisamment certaine du dommage qu'elle avait subi avant l'achèvement des travaux qui lui incombaient, c'est-à-dire en mars 2013. La société appelante n'établit donc pas que la demande de condamnation présentée le 26 janvier 2018 à son encontre était prescrite.
1.2.5. S'agissant des appels en garantie :
26. Il résulte de ce qui a été dit aux points 7 à 20 que le retard de seize (soit, 9 +7) semaines ayant justifié la condamnation de la société appelante est entièrement imputable à celle-ci.
27. Il résulte de tout ce qui précède que la société Etablissements Cancé n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a fait droit aux demandes présentées par la société Dumez Côte d'Azur à son encontre et a rejeté les appels en garantie qu'elle avait présentés.
2. Sur les conclusions des parties intimées :
28. La présente instance n'aboutissant pas à une aggravation des différentes parties intimées, les conclusions d'appel provoqué qu'elles présentent les unes à l'encontre des autres sont irrecevables.
3. Sur les frais liés au litige :
29. L'article L. 761-1 du code de justice administrative fait obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge de la société Dumez Côte d'Azur, qui n'est pas la partie perdante dans le présent litige. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre une somme de 2 000 euros à la charge de la société Etablissements Cancé à ce titre. Il n'y a pas lieu, en revanche, de faire droit aux autres demandes présentées à ce titre.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Etablissements Cancé est rejetée.
Article 2 : La société Etablissements Cancé versera à la société Dumez Côte d'Azur une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Etablissements Cancé, à la société Dumez Côte d'Azur, à la commune d'Antibes, à la société Panorama Architecture (ex Fradin-Weck Architecture), à la société Auer - Weber - Assoziierte Gmbh et à la société CRX Sud.
Copie en sera transmise à M. B A, expert.
Délibéré après l'audience du 17 avril 2023, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 mai 2023. 2