TA de Rouen, 05 janvier 2024, n° 2304883


REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 13 décembre 2023, la société Ares Environnement, représentée par Me Dartix-Douillet de la SCP Silie Vérilhac et associés, demande au juge des référés, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre la notification et la signature du marché relatif au lot n°1 démolition/désamiantage du projet de réhabilitation du complexe sportif Fernand Bigot par la commune de Lillebonne ;

2°) d'annuler la décision d'attribution du marché relatif au lot n°1 démolition/désamiantage du projet de réhabilitation du complexe sportif Fernand Bigot par la commune de Lillebonne ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Lillebonne la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle est recevable dès lors que son offre a été rejetée ;

- des erreurs rédactionnelles ont été commises par l'acteur public dans les documents de la consultation qui ont manifestement faussé la mise en concurrence ; le CCTP opère une confusion quant aux lieux d'intervention entre la commune de Lillebonne et la ville de Lens ; les informations erronées contenues dans l'appel d'offres ont engendré des conséquences sur les éléments de son prix dans la mesure où elle a été amenée à surévaluer des prestations non nécessaires au marché.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 décembre 2023, la commune de Lillebonne, représentée par Me Le Velly de la SELARL Ekis avocats, conclut au rejet de la requête et demande en outre, à ce qu'il soit mis à la charge de la société Ares Environnement la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la société Ares Environnement n'a pu se méprendre sur la localisation ni a fortiori sur l'objet du marché auquel elle candidatait ;

- s'agissant des généralités du CCTP concernant le stockage du matériel, les réseaux existants dans l'emprise des bâtiments, la déviation et la neutralisation des réseaux, les travaux de démolition et la protection des avoisinants, les remblaiements et l'apport de terre végétale, il appartenait à la société d'adapter son offre aux conditions des lieux d'exécution du marché ;

- l'absence de prestation de déplombage prévue dans l'offre de la requérante ne lui a pas été reproché ;

- la plus-value alléguée par la société requérante sur son offre qui résulterait des erreurs rédactionnelles des documents de consultation, ne la placerait en tout état de cause qu'à la sixième place sur huit.

La requête a été communiquée à la société Paprec Métal Déconstruction Ouest qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme Van Muylder, vice-présidente, en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique tenue en présence de M. Mialon, greffier d'audience, le 3 janvier à 10 heures, Mme Van Muylder a lu son rapport et entendu :

- les observations de Me Duval substituant Me Dartix, représentant la société Ares Environnement, qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;

- et les observations de Me Le Velly, représentant la commune de Lillebonne, qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence, la commune de Lillebonne a lancé une procédure d'appel d'offre ouvert en vue de l'attribution d'un marché de 14 lots pour la réhabilitation du complexe sportif Fernand Bigot. La société Ares Environnement, qui s'est portée candidate pour le lot n°1 Démolition et désamiantage, a été informée par un courrier du 4 décembre 2023 que son offre avait été rejetée et que l'offre retenue était celle de la société Paprec Metal Déconstruction Ouest.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ". L'article L. 551-2 du même code dispose : " I.- Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. () ".

3. En vertu des dispositions précitées de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

4. La société Ares Environnement soutient que des erreurs rédactionnelles au sein du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) ont eu pour conséquence de fausser manifestement la mise en concurrence dès lors qu'elle a chiffré des prestations inutiles entraînant une surévaluation de son offre.

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le CCTP du lot n° 1 mentionne à tort en page 10, s'agissant de l'installation du chantier, un chantier à Lens. Toutefois, d'une part les candidats n'ont pu se méprendre sur le lieu du chantier dès lors que l'objet de la consultation renseigné dans le règlement de la consultation prévoit la " réhabilitation du complexe sportif Fernand Bigot à Lillebonne " et que le maitre de l'ouvrage est la ville de Lillebonne en Seine-Maritime. Cette erreur de plume, aussi regrettable soit-elle, n'a pu, en tout état de cause, léser la société requérante dans la constitution de son offre.

6. En deuxième lieu, le CCTP du lot n°1 énonce que l'entreprise devra prévoir dans le cadre de ses travaux, les neutralisations et déviations des réseaux existant enterrés et aériens utiles aux constructions du projet, alors que le chantier n'en nécessite pas, qu'un état des ouvrages avoisinants et des voiries devra être constaté alors que seule une rivière avoisine le bâtiment à déconstruire, qu'un gardiennage du chantier devra être mis en place lors des matchs de football alors que le stade sera fermé et qu'aucun match de football ne sera joué et, qu'enfin le CCTP prévoit un apport de terre végétale pour la reconstitution du sol alors qu'une construction est prévue par le marché en lieu et place du bâtiment démoli rendant inutile un tel apport. Toutefois, il résulte de l'instruction que d'une part, les candidats devaient se rendre obligatoirement à la visite sur les lieux le 19 octobre 2023 et ainsi constater les différentes caractéristiques techniques des lieux du chantier, d'autre part, les candidats pouvaient, s'ils l'estimaient utile, adresser en temps utile des questions au pouvoir adjudicateur et enfin, il ressort de l'offre de la société requérante que cette dernière a disposé des éléments utiles pour présenter son offre. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que la rédaction du CCTP du lot n°1 aurait pu induire en erreur la société Ares Environnement sur l'étendue des prestations à prévoir et ainsi la léser dans ses droits.

7. En troisième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que le principe d'égalité entre les candidats devant l'information sur les caractéristiques essentielles du contrat aurait été méconnu.

8. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la société Ares Environnement présentées sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Lillebonne une somme au titre des frais qui auraient été exposés par la société requérante pour la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Ares Environnement, le versement de la somme de 1 500 euros à la commune de Lillebonne en application desdites dispositions.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société Ares Environnement est rejetée.

Article 2 : La société Ares Environnement versera à la commune de Lillebonne la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Ares Environnement, à la société Paprec Métal Déconstruction Ouest et à la commune de Lillebonne.

Fait à Rouen, le 5 janvier 2024.

La juge des référés

C. Van Muylder

Le greffier,

J.-B. Mialon

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Maritime en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.