CAA de Paris, 05 décembre 2023, n° 21PA01556
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Gepsa a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la pénalité de 16 048,98 euros que lui a appliquée le ministère de la justice au titre du défaut de maintenance des filins anti-hélicoptère, et de condamner le ministère de la justice à lui verser une somme de 16 048,98 euros au titre du remboursement des pénalités illégalement imputées, augmentée des intérêts moratoires.
Par une ordonnance n° 2017349/4 du 21 janvier 2021, la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 25 mars 2021 et 27 janvier 2022, la société Gepsa, représentée par Me Le Bouëdec, demande à la Cour :
1°) d'annuler cette ordonnance de la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris du 21 janvier 2021 ;
2°) d'annuler la pénalité de 16 048,98 euros appliquée par le ministère de la justice à la société Gepsa, au titre du défaut de maintenance des filins anti-hélicoptères ;
3°) de condamner le ministère de la justice au paiement de la somme de 4 799,28 euros à la société Gepsa au titre du paiement du solde du marché, augmentée des intérêts moratoires à compter du 20 septembre 2018 ;
4°) de condamner le ministère de la justice au paiement de la somme de 16 048,98 euros à la société Gepsa au titre du remboursement des pénalités illégalement imputées, augmentée des intérêts moratoires ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'ordonnance, dont il est fait appel, est irrégulière dans la mesure où l'irrecevabilité soulevée en défense par le ministre de la justice et retenue par le premier juge ne relevait pas du champ d'application des dispositions de l'article R. 222-1, 4°) du code de justice administrative ;
- la forclusion retenue par le premier juge pour rejeter la demande de la société Gepsa comme irrecevable, résulte d'une analyse erronée des faits de l'espèce ;
- la pénalité appliquée à la société Gepsa n'a pas de fondement contractuel dans la mesure où la faute invoquée par l'administration pénitentiaire ne lui est pas imputable ;
- à titre subsidiaire, à supposer que la faute soit imputable à la société Gepsa, elle devrait pour autant être exonérée de toute pénalité, dans la mesure où, en application des dispositions de l'article 21.6 du cahier des clauses administratives particulières, aucun comportement de cette société n'a eu pour effet d'aggraver la situation déjà constatée ;
- à titre infiniment subsidiaire et en tout état de cause, la pénalité est erronée dans son quantum dans la mesure où le ministère de la justice s'est trompé sur le point de départ du délai retenu pour le calcul de la pénalité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 décembre 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
-la demande de première instance était irrecevable ;
-les conclusions, présentées pour la première fois en appel, relatives au versement du solde du marché sont pour ce motif irrecevables ;
-en tout état de cause, les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 08 février 2022, la clôture de l'instruction a été, en dernier lieu, reportée au 04 mars 2022 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme d'Argenlieu,
- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Chales Guillon, pour la société Gepsa.
Considérant ce qui suit :
1. La société Gepsa s'est vu confier par le ministère de la justice l'exécution du lot n° 2 du marché MGD-04 relatif à des prestations de maintenance concourant au fonctionnement de six établissements pénitentiaires. Elle s'est ainsi vu confier, à compter du 1er novembre 2012, la maintenance du nouveau centre pénitentiaire d'Alençon - Condé sur Sarthe, notamment la maintenance des filins anti-hélicoptères. Un défaut de maillage de ces équipements a été observé le 8 février 2017, puis signalé sur l'interface informatique " ISIS ". Par une lettre du 9 mai 2017, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Bretagne, Normandie et Pays de la Loire a demandé à cette société d'intervenir au plus vite. Par une lettre du 25 janvier 2018, l'administration pénitentiaire lui a notifié une pénalité de 16 048,98 euros en raison de l'absence de remise en place des filins anti-hélicoptère, calculée sur la période allant du 8 février 2017 au 31 décembre 2017. Le 10 avril 2018, la société Gepsa a adressé au ministère de la justice une lettre dans laquelle elle contestait cette pénalité et demandait à en être intégralement déchargée. Cette demande a été rejetée le 30 avril 2018. Le 25 juillet 2018, la direction de l'administration pénitentiaire a rejeté la nouvelle demande d'exonération présentée par l'intéressée le 28 mai 2018. Saisi par la société Gepsa, le comité consultatif national de règlement amiable des différends relatifs aux marchés publics, par un avis n° 498 du 20 mai 2019, a proposé que l'administration renonce à l'application de la pénalité. Par une lettre du 29 juillet 2019, la direction de l'administration pénitentiaire a fait savoir qu'elle n'entendait pas suivre cet avis. Par une ordonnance du 21 janvier 2021, dont la société Gepsa relève appel, la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté, comme étant manifestement irrecevable, sa demande tendant à être déchargée de la pénalité d'un montant de 16 048,98 euros prise en son encontre le 25 janvier 2018 et à la condamnation de l'Etat à lui reverser cette somme.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " () les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours et les magistrats ayant une ancienneté minimale de deux ans et ayant atteint au moins le grade de premier conseiller désignés à cet effet par le président de leur juridiction peuvent, par ordonnance () 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens () ".
3. Les irrecevabilités contractuelles, qui ont trait à l'application du contrat, sont relatives au bien-fondé des demandes, et non à leur recevabilité au sens du 4°) de l'article R. 222-1 du code de justice administrative. Le premier juge ne pouvait donc sans entacher son ordonnance d'irrégularité rejeter la demande de la société Gepsa sur le fondement de ces dispositions.
4. Il y a lieu en conséquence d'annuler l'ordonnance attaquée et de statuer par la voie de l'évocation sur l'ensemble des conclusions et moyens présentés par la société Gepsa, tant devant la Cour que devant le tribunal administratif de Paris.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
5. Aux termes de l'article 37 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de fournitures courantes et de services (CCAG - FCS), notamment au marché en litige, approuvé par arrêté du 19 janvier 2009, relatif aux " Différends entre les parties " : " () 37.2. Tout différend entre le titulaire et le pouvoir adjudicateur doit faire l'objet, de la part du titulaire, d'un mémoire de réclamation exposant les motifs et indiquant, le cas échéant, le montant des sommes réclamées. Ce mémoire doit être communiqué au pouvoir adjudicateur dans le délai de deux mois, courant à compter du jour où le différend est apparu, sous peine de forclusion. 37.3. Le pouvoir adjudicateur dispose d'un délai de deux mois, courant à compter de la réception du mémoire en réclamation, pour notifier sa décision. L'absence de décision vaut rejet de la réclamation () ".
6. L'apparition d'un différend, au sens de ces stipulations, entre le titulaire du marché et l'acheteur, résulte, en principe d'une position écrite, explicite et non équivoque émanant de l'acheteur et faisant apparaître le désaccord.
7. Par ailleurs, un mémoire du titulaire du marché ne peut être regardé comme une réclamation au sens des stipulations précitées que s'il comporte l'énoncé d'un différend et expose, de façon précise et détaillée, les chefs de la contestation en indiquant, d'une part, les montants des sommes dont le paiement est demandé et, d'autre part, les motifs de ces demandes, notamment les bases de calcul des sommes réclamées. Si ces éléments ainsi que les justifications nécessaires peuvent figurer dans un document joint au mémoire, celui-ci ne peut pas être regardé comme une réclamation lorsque le titulaire se borne à se référer à un document antérieurement transmis au représentant du pouvoir adjudicateur ou au maître d'œuvre sans le joindre à son mémoire.
8. En l'espèce, la lettre du 25 janvier 2018 par laquelle le ministre de la justice a mis à la charge de la société Gepsa le versement d'une pénalité relative au défaut constaté sur les filins anti-hélicoptères caractérise l'apparition d'un différend. Toutefois, en y indiquant que cette société pouvait, jusqu'à la date de la prochaine réunion de performance, transmettre son mémoire en contestation, le ministre de la justice doit être regardé comme ayant renoncé aux effets de la forclusion contractuelle de deux mois, issue de l'article 37.2 précité du CCAG - FCS, ce à quoi la société Gepsa ne s'est pas expressément opposée. Elle a ainsi transmis son mémoire, le 10 avril 2018, puis un nouveau courrier le 28 mai 2018. Il résulte cependant de l'instruction que ce mémoire du 10 avril 2018 et le courrier du 28 mai 2018, par lesquels l'intéressée demandait à être exonérée en totalité du versement de la pénalité en litige, s'ils mentionnaient les motifs justifiant, selon elle, cette exonération, se référaient aux conclusions en date du 30 janvier 2018 d'une expertise effectuée par le cabinet HDE, qui n'étaient pas jointes. Dans ces conditions, ils ne pouvaient être regardés comme une réclamation au sens de l'article 37.2 précité. Dès lors, le versement de cette pénalité est réputé avoir été accepté par la société Gepsa, laquelle n'était donc plus recevable à le contester en introduisant un recours contentieux.
9. Il résulte de ce qui précède que la demande présentée par la société Gepsa devant le tribunal administratif de Paris doit être rejetée.
Sur les conclusions relatives au solde du marché :
10. La société Gepsa sollicite pour la première fois en appel la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 4 799,28 euros, augmentée des intérêts moratoires à compter du 20 septembre 2018, au titre du paiement du solde du marché. Toutefois, cette demande, à la supposer recevable, n'est en tout état de cause assortie d'aucun élément permettant d'en apprécier le bien-fondé. Elle doit, par conséquent, être rejetée.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme que la société Gepsa demande au titre des frais de l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 2017349/4 du 21 janvier 2021 de la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la société Gepsa devant le tribunal administratif de Paris et le surplus de ses conclusions présentées en appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Gepsa et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Niollet, président-assesseur,
- M. Pages, premier conseiller,
- Mme d'Argenlieu, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 décembre 2023.
La rapporteure,
L. d'ARGENLIEULe président,
J-C. NIOLLET
La greffière,
Z. SAADAOUILa République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.