CAA Lyon, 10/01/2023, n°21LY00277
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La commune nouvelle d'Entrelacs a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner in solidum la société Tennis du Midi et la SMABTP, son assureur, au versement d'une somme de 98 102,40 euros en réparation des désordres affectant les courts de tennis et les clôtures que la société Tennis du Midi a rénovés à Albens.
Par un jugement n° 1804531 du 28 décembre 2020, le tribunal a rejeté ses conclusions dirigées contre la SMABTP comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés le 26 janvier 2021 et le 4 avril 2022, la commune nouvelle d'Entrelacs, représentée par Me Artis, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre la société Tennis du Midi ;
2°) de condamner sur le fondement de la garantie décennale ou à défaut sur le fondement de la responsabilité pour faute assimilable à un dol la société Tennis du Midi à lui verser une somme de 98 102,40 euros en réparation du préjudice subi ;
3°) de mettre à la charge de la société Tennis du Midi outre les entiers dépens la somme de 8 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a omis de statuer sur sa demande subsidiaire présentée sur le fondement de la responsabilité pour faute assimilable à une fraude ou un dol ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, sa demande n'était pas forclose dans la mesure où la société Tennis du Midi avait reconnu l'existence des désordres et qu'ils relevaient de sa responsabilité ;
- il ne peut y avoir forclusion partielle dès lors que les désordres affectant le revêtement du court C2 et la clôture du court C1 constituent, ainsi que l'a jugé le juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon par ordonnance du 29 décembre 2015 qui est revêtue de l'autorité de la chose jugée, la généralisation de mêmes désordres de nature décennale au sein d'un ouvrage unique ;
- la responsabilité de la société Tennis du Midi doit être engagée sur le fondement de la garantie décennale dans la mesure où les désordres, qui rendent les courts impropres à leur destination et n'étaient pas apparents lors de la réception, lui sont entièrement imputables ;
- les désordres n'ont pas été causés par la vétusté des courts ou un défaut d'entretien ;
- elle est fondée à rechercher, sur le fondement de la responsabilité pour faute assimilable à une fraude ou un dol, la responsabilité du constructeur qui est, nonobstant la forclusion décennale, contractuellement tenu à l'égard du maître de l'ouvrage de sa faute dolosive ;
- la réparation des désordres relatifs au revêtement des sols a été chiffrée par l'expert, qui a exclu que les désordres soient liés à la vétusté ou à un éventuel manque d'entretien, à la somme de 70 000 euros HT, soit 84 000 euros TTC ;
- la réparation des désordres relatifs aux clôtures a été chiffrée par l'expert à la somme de 11 752 euros HT, soit 14 102,40 euros TTC.
Par mémoire enregistré le 7 février 2022, la société Tennis du Midi, représentée par Me Bousquet, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la commune nouvelle d'Entrelacs une somme de 8 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les moyens soulevés par la commune nouvelle d'Entrelacs contre le jugement ne sont pas fondés ;
- si la cour venait à infirmer le jugement, elle devrait constater une forclusion partielle ;
- si la cour la condamnait sur le fondement de la garantie décennale, elle devrait diminuer les prétentions indemnitaires de la commune compte-tenu de la vétusté des courts et de l'absence de travaux d'entretien ;
- l'action de la commune présentée sur le fondement de la faute assimilable à une fraude ou un dol est prescrite en application de l'article 1792-4-3 du code civil.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, première conseillère,
- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public,
- et les observations de Me Artis pour la commune nouvelle d'Entrelacs et celles de Me Constantini pour la société des Tennis du Midi ;
Considérant ce qui suit :
1. Par deux marchés en date des 5 mars 2002 et 23 juillet 2002, la commune d'Albens, aux droits de laquelle est venue la commune nouvelle d'Entrelacs, a confié à la société Tennis du Midi, assurée par la SMABTP, la rénovation du sol de deux courts de tennis en béton alvéolaire ainsi que le remplacement de la clôture de ces deux courts situés à Albens. Les travaux ont été réceptionnés sans réserve le 15 novembre 2002. A la suite d'apparition de désordres sur le sol du court C1 et la clôture du court C2, la commune d'Albens, après avoir sollicité en vain la société Tennis du Midi par courrier du 20 avril 2010 afin qu'elle procède aux réparations, a saisi le 3 juin 2013 le juge des référés du tribunal administratif de Marseille qui a transmis sa demande au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble aux fins de désignation d'un expert. Le rapport d'expertise a été remis le 2 février 2015. La commune d'Albens a alors demandé le 18 mai 2015 qu'une seconde expertise soit ordonnée sur les désordres affectant le sol du court C2 et la clôture du court C1. Le rapport de cette seconde expertise a été rendu le 2 janvier 2017. La commune nouvelle d'Entrelacs a alors saisi, le 16 juillet 2018, le tribunal administratif de Grenoble d'une demande de condamnation in solidum de la société Tennis du Midi et de la SMABTP, son assureur, au versement d'une somme de 98 102,40 euros en réparation des désordres affectant les deux courts de tennis et leurs clôtures. Par jugement du 28 décembre 2020, le tribunal, après avoir rejeté les conclusions dirigées contre la société SMABTP comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître, a rejeté le surplus des conclusions de la demande. La commune nouvelle d'Entrelacs relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre la société Tennis du Midi.
Sur la régularité du jugement :
2. Alors que la commune avait demandé au tribunal, dans le cas où il ne serait pas fait droit à ses conclusions présentées à titre principal sur le fondement de la garantie décennale, de condamner la société Tennis du Midi à raison de sa faute dolosive, le tribunal, après avoir rejeté la demande présentée par la commune sur le fondement de la garantie décennale, a omis de statuer sur les conclusions subsidiaires de la commune présentées sur le fondement du dol ou de la fraude. Le jugement doit pour ce motif et dans cette mesure être annulé.
3. Il y a lieu de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur la demande présentée par la commune nouvelle d'Entrelacs devant le tribunal tendant à ce que la responsabilité fondée sur le dol ou la fraude de la société Tennis du Midi soit engagée et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions présentées par la commune d'Entrelacs contre la société Tennis du Midi devant le tribunal administratif.
Sur la responsabilité décennale :
4. En vertu des principes qui régissent la responsabilité décennale des constructeurs, toute personne dont la responsabilité peut être engagée à ce titre est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle après dix ans à compter de la réception des travaux. En vertu de l'article 2240 du code civil, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.
5. Il résulte de l'instruction que les travaux de rénovation des tennis ont été réceptionnés le 15 novembre 2002. Le délai de garantie décennal a donc commencé à courir à compter de cette date. Par courrier du 20 avril 2010, la commune d'Albens a informé la société Tennis du Midi que des désordres étaient apparus sur les terrains. Elle lui demandait de bien vouloir faire fonctionner sa garantie décennale et d'intervenir au plus vite pour les réparer. Si, par courrier du 7 juillet 2010, la société a indiqué s'être rendue sur place et qu'elle interviendrait en septembre pour effectuer les réparations, elle n'a jamais effectué lesdites réparations. La société s'est de nouveau déplacée le 7 février 2011, sans procéder aux travaux. Dans ces conditions, et ainsi que l'a indiqué le tribunal, le courrier du 7 juillet 2010, imprécis et équivoque sur une possible reconnaissance de responsabilité par la société Tennis du Midi, n'a pas pu interrompre le délai de prescription. La circonstance que la société ait, par courrier du 15 septembre 2011, informé la commune de ce qu'elle avait fait une déclaration de sinistre auprès de son assureur afin que soit déterminé s'il s'agissait de désordres relevant de la garantie décennale ne constitue pas plus une reconnaissance de responsabilité, interruptive de la prescription. La commune, qui ne peut utilement se prévaloir de l'appréciation portée sur l'interruption de la prescription par le juge des référés dont les décisions n'ont pas, au principal, l'autorité de la chose jugée, n'était donc plus fondée à rechercher, postérieurement à la date du 15 novembre 2012, la responsabilité de son cocontractant, sur le fondement de la responsabilité décennale.
6. La demande de référé expertise de la commune d'Albens n'a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Marseille que le 3 octobre 2013, soit au-delà du délai d'épreuve de dix ans. Cette demande n'a pu, dans ces conditions, interrompre le délai de prescription. Par suite, la commune nouvelle d'Entrelacs, dont l'action fondée sur la garantie décennale était prescrite lorsqu'elle a saisi le tribunal administratif de Grenoble le 16 juillet 2018, n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de la société Tennis du Midi sur ce fondement. Il y a lieu, dès lors, de se prononcer sur ses conclusions présentées à titre subsidiaire sur le fondement du dol.
Sur la responsabilité fondée sur le dol ou la fraude du cocontractant :
7. L'expiration du délai de l'action en garantie décennale ne décharge pas les constructeurs de la responsabilité qu'ils peuvent encourir en cas ou bien de fraude ou de dol dans l'exécution de leur contrat, ou bien d'une faute assimilable à une fraude ou à un dol, caractérisée par la violation grave, par sa nature ou ses conséquences, de leurs obligations contractuelles, commises volontairement et sans qu'ils puissent en ignorer les conséquences.
8. D'après les deux rapports d'expertise et les conclusions du sapiteur, la cause des désordres des revêtements des deux courts de tennis provient de l'insuffisante épaisseur de la couche isolante et de la couche de béton poreux posées par la société Tennis du Midi qui s'est avérée être en moyenne de douze centimètres, avec seulement trois centimètres de couche d'isolation alors que les documents contractuels prévoyaient une épaisseur totale de quinze centimètres, dont cinq centimètres de couche d'isolation. Devant le tribunal, la société Tennis du Midi a fait valoir que son intention frauduleuse n'était pas établie. Les circonstances tirées de ce que la société Tennis du Midi n'a pas respecté ses obligations contractuelles et que les bons de livraisons des matériaux qu'elle a commandés font état d'une quantité de matériaux légèrement inférieure à celle qu'elle avait commandée, ne permettant pas, en conséquence, de mettre en place une couche d'isolation de cinq centimètres, ne suffisent pas à établir en l'espèce, en l'absence de violation grave des obligations contractuelles et d'intention dolosive avérée, l'existence de fraude ou de dol dans l'exécution du contrat. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen en défense tiré de la prescription de l'action intentée sur ce fondement, la commune nouvelle d'Entrelacs n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de la société Tennis du Midi sur le fondement du dol ou de la fraude.
9. Il résulte de ce qui précède que la commune nouvelle d'Entrelacs n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté ses conclusions fondées sur la garantie décennale. Ses conclusions fondées sur le dol ou la fraude de son cocontractant doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société Tennis du Midi qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la commune nouvelle d'Entrelacs la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune nouvelle d'Entrelacs une somme à verser à ce titre à la société Tennis du Midi.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 28 décembre 2020 est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions de la commune nouvelle d'Entrelacs fondées sur le dol ou la fraude de son cocontractant et dirigées contre la société Tennis du Midi.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la commune nouvelle d'Entrelacs et ses conclusions fondées sur le dol ou la fraude de son cocontractant ainsi que les conclusions présentées par la société Tennis du Midi au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune nouvelle d'Entrelacs et à la société Tennis du Midi.
Délibéré après l'audience du 15 décembre 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Evrard, présidente de la formation de jugement,
Mme Duguit-Larcher, première conseillère,
Mme Psilakis, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 janvier 2023.
La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLa présidente,
A. Evrard
Le greffier,
J. Billot
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Le greffier,