CAA Lyon, 17/04/2024, n°23LY03924


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Montessuit et Fils a demandé au tribunal administratif de Grenoble, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la commune de Reignier-Esery et la communauté de communes Arves et Salève à lui verser une provision de 525 867,06 euros, subsidiairement de 392 077,70 euros TTC, en paiement de prestations excédant le forfait de rémunération du marché du lot 2 Fondation Gros œuvre des travaux de construction d'un complexe sportif et culturel.

Par ordonnance n° 2303885 du 4 décembre 2023, le juge des référés du tribunal a fait droit à la demande présentée à titre subsidiaire.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 21 décembre 2023, la commune de Reignier-Esery et la communauté de communes Arves et Salève, représentées par Me Carle, demandent à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance et de rejeter la demande de référé présentée au tribunal par la société Montessuit et Fils ;

2°) de mettre à la charge de la société Montessuit et Fils une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- c'est à tort que pour regarder la créance comme non sérieusement contestable, l'ordonnance attaquée a tranché une question qui ne pouvait relever que du fond du litige, soumise à expertise qui doit examiner les limites du forfait de rémunération et la responsabilité du titulaire du marché dans ce dépassement ;

- celui-ci devait présenter une offre incluant la variante technique à l'origine du surcoût et le pouvoir adjudicateur n'a pas été alerté de l'incohérence des quantités indiquées par le DGPF

- le régime du forfait doit conduire le titulaire à assumer les surcoûts ;

- la réalité de la créance n'est pas établie ;

- l'allocation d'une provision contrarie la procédure contractuelle d'apurement de la créance contractuelle par versement d'acomptes mensuels.

Par mémoire enregistré le 23 janvier 2024, la société Montessuit et Fils, représentée par Me Favre, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la commune de Reignier-Esery et de la communauté de communes Arves et Salève une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le forfait de rémunération est nécessairement dépassé dès lors que son marché ne comporte de variante correspondant à la couverture finalement choisie ;

- la modification de la couverture ne lui est pas imputable ;

- le chiffrage de la créance résulte de devis acceptés par le maître d'œuvre ;

- le référé provision est compatible avec le règlement du marché et la maîtrise d'ouvrage a validé le contenu des devis.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

Sur la provision due par la commune de Reignier-Esery et la communauté de communes Arves et Salève :

1. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable () ".

2. En premier lieu, ces dispositions ne limitent pas l'office du juge du référé aux cas d'espèce insusceptibles de donner lieu à des litiges de fond. Il suit de là que la commune de Reignier-Esery et la communauté de communes Arves et Salève ne sont pas fondées à soutenir que le juge des référés du tribunal aurait dû renoncer à faire droit à la demande de provision de la société Montessuit et Fils au seul motif qu'une expertise judiciaire sur les causes de la plus-value des travaux du lot 2 avait été ordonnée et qu'elles entendaient ultérieurement contester tout droit à supplément de rémunération.

3. En deuxième lieu, si en vertu de l'article R. 2112-5 du code de la commande publique et de l'article 3.2.1 du CCAP annexé au marché, les prestations sont rémunérées à prix forfaitaire ce qui implique que l'entreprise fasse son affaire de tout dépassement des quantités estimatives de matériaux figurant au DGPF, c'est à la condition que l'ouvrage exécuté corresponde aux spécifications techniques contractuelles. Or, il résulte de l'instruction que le marché conclu le 13 mars 2020 pour le lot 2 portait sur la réalisation d'un gros œuvre dimensionné pour recevoir une charpente acier et bois. Dès lors, le forfait contractuel et l'aléa qui s'y attache ne pouvait s'appliquer qu'à la réalisation d'un ouvrage conforme à ces spécifications, alors même qu'il aurait été demandé aux soumissionnaires d'envisager une variante qui n'a pas donné lieu à une offre de prix alternative dans le marché litigieux.

4. Il suit de là, d'une part, que le choix du maître d'ouvrage d'imposer à l'entreprise, sur proposition de la maîtrise d'œuvre, la réalisation d'un ouvrage apte à supporter une couverture végétalisée et une charpente intégralement en bois appelle une rémunération hors forfait et, d'autre part, que les quantités supplémentaires de béton et de ferraillage à mettre en œuvre revêtant le caractère, non d'un préjudice supporté par le maître d'ouvrage mais d'une dépense nécessaire qu'il aurait dû exposée si le marché avait été conclu originellement en fonction de ce choix technique, la part de responsabilité prétendument imputable à l'entreprise dans l'évolution de la conception de l'ouvrage est sans incidence sur son droit à être intégralement rémunérée des prestations supplémentaires qu'elle a réalisées.

5. En troisième lieu, et d'une part, la somme de 392 077,70 euros TTC allouée en première instance correspond aux quantités de matériaux nécessaires au dimensionnement des plans d'exécution établis par la maîtrise d'œuvre et reprises dans les devis validés par cette-dernière. Elle ne peut donc être regardée comme couvrant des dépenses éventuelles ou non nécessaires. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que ladite somme rémunèrerait, fût-ce partiellement, des prestations que l'entreprise n'aurait pas encore livrées de telle sorte qu'elle serait constitutive d'une avance non conforme au régime de paiement des acomptes organisé par l'article 3.3 du CCAP.

6. Il résulte de ce qui précède que la commune de Reignier-Esery et la communauté de communes Arves et Salève ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal les a condamnées à verser à la société Montessuit et Fils une provision de 392 077,70 euros. Les conclusions de leur requête présentées à cette fin doivent être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre de L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Les conclusions de la commune de Reignier-Esery et de la communauté de communes Arves et Salève, parties perdantes, doivent être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Reignier-Esery et de la communauté de communes Arves et Salève, ensemble, une somme de 1 500 euros à verser à la société Montessuit et Fils.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la commune de Reignier-Esery et de la communauté de communes Arves et Salève est rejetée.

Article 2 : La commune de Reignier-Esery et la communauté de communes Arves et Salève, ensemble, verseront à la société Montessuit et Fils une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la société Montessuit et Fils est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Reignier-Esery, à la communauté de communes Arves et Salève, et à la société Montessuit et Fils.

Fait à Lyon, le 17 avril 2024.

Le président de la 4ème chambre

Ph. Arbarétaz

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Savoie, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Un greffier,

1

2