CAA Lyon, 20/10/2022, n°20LY01408
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La commune d'Evian-les-Bains a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la société Beterem à lui verser une indemnité totale de 405 900 euros HT assortie des intérêts au taux légal, en réparation des désordres affectant le parc de stationnement souterrain situé place Charles de Gaulle sur le fondement de la garantie décennale et de la responsabilité contractuelle.
Par jugement n° 1706265 du 18 février 2020, le tribunal a fait droit à sa demande en condamnant la société TPF Ingénierie, venant aux droits de la société Beterem.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 7 mai 2020 et le 16 septembre 2022, la société TPF Ingénierie, représentée par Me De Angelis, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de la commune d'Evian-les-Bains ;
3°) de condamner les sociétés Bureau Veritas Construction, Cabinet B Architecte, Sud Architectes et Campenon Bernard Centre Est, s'agissant du désordre n°1, et les sociétés Cabinet B Architecte et Campenon Bernard Centre Est, s'agissant du désordre n°2, à la relever et la garantir entièrement de toute condamnation ;
4°) de rejeter les conclusions incidentes de la commune d'Evian-les-Bains, et de condamner les sociétés Bureau Veritas Construction, Cabinet B Architecte, Sud Architectes et Campenon Bernard Centre Est, à la relever et la garantir entièrement des condamnations résultant de cet appel incident ;
5°) de condamner les sociétés Bureau Veritas Construction, Cabinet B Architecte, Sud Architectes et Campenon Bernard Centre Est à verser les frais d'expertise ;
6°) de mettre à la charge de la commune d'Evian-les-Bains la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- sa requête, qui n'est pas dépourvue de moyens, est recevable ;
- ses conclusions dirigées contre la société Bureau Veritas Construction sont recevables ;
- sa demande tendant à la condamnation de la société Campenon Bernard Centre Est n'est pas prescrite ;
- l'appel incident formé par la commune d'Evian-les-Bains est irrecevable, dès lors que le jugement lui donne entière satisfaction ;
- s'agissant des désordres n°1, les erreurs qui ont affecté la conception des dalles résultent des travaux réalisés par sa sous-traitante, la société IOA ; les notes et plans ont été visés par la société Bureau Veritas Construction, en charge du contrôle de la solidité des ouvrages ;
- s'agissant des désordres n°2, la commune ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une faute dans la mesure où M. A B était lui aussi chargé de la mission d'assistance aux opérations de réception ;
- les désordres ne lui sont en conséquence pas imputables ;
- s'agissant des désordres n°1, la commune doit démontrer qu'aucune autre partie ne lui a versé une quelconque somme dans le cadre de la tentative de conciliation ;
- les sociétés Bureau Veritas Construction, Cabinet B Architecte, Sud Architectes et Campenon Bernard Centre Est devraient la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre s'agissant du désordre n°1 ;
- la société Bureau Veritas Construction a commis une faute en ne relevant pas que le bridage longitudinal des déformations de retrait par les pieux n'avait pas été pris en compte et qu'il n'y avait pas de justification de l'effet de l'empêchement des variations dimensionnelles, et en validant la méthode de traitement des fissures en cours de chantier ;
- la société Sud Architectes a commis une faute en ne formulant aucune observation sur les plans durant la phase PRO ;
- la société Cabinet B Architecte n'a ni fait d'observations ni effectué une quelconque vérification durant l'ensemble de sa mission ;
- la société Campenon Bernard Région a failli à son devoir de conseil en n'avertissant pas le maître d'œuvre et le maître de l'ouvrage de la possibilité d'apparition de fissures et a commis une faute en procédant à une reprise des fissures inadaptée ;
- les sociétés Cabinet B Architecte, Sud Architectes et Campenon Bernard Region devraient la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre s'agissant du désordre n°2 ;
- s'agissant des désordres n°2, M. B s'est abstenu de porter à la connaissance du maître de l'ouvrage les malfaçons et de l'inviter à formuler des réserves à la réception des lots techniques ;
- la société Campenon Bernard Région a commis une faute en accomplissant les travaux ;
- la commune d'Evian-les-Bains ne justifie pas de l'aggravation du préjudice qu'elle estime avoir subi ;
- des circonstances particulières justifient que les dépens soient partagés entre les parties.
Par mémoires enregistrés le 16 août 2022 et le 23 septembre 2022, ce dernier non communiqué, la société Bureau Veritas Construction, venant aux droits de la société Bureau Veritas, représentée par Me Faivre, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge de la société TPF Ingénierie une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- dès lors qu'elle s'est substituée à la société Bureau Veritas, la requête, en tant qu'elle est dirigée contre cette société est irrecevable ;
- les conclusions de la société TPF Ingénierie tendant à ce que son assureur la garantisse sont portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;
- la société TPF Ingénierie ne démontre pas qu'elle a commis une faute contractuelle de nature à engager sa responsabilité ;
- les observations du rapport initial et du rapport final du contrôle technique montrent qu'elle n'a à aucun moment négligé la conception et les suites de la réalisation de l'ouvrage ; elle a rempli les obligations découlant de sa mission ;
- les désordres constatés ne sont pas de nature à compromettre la destination de l'ouvrage ;
- ces désordres ne lui sont pas imputables ;
- à titre subsidiaire, le recours en garantie de la société TPF Ingénierie doit être limité à la part qui est imputable aux manquements du contrôleur technique ;
- la demande tendant à ce que les frais d'expertise soient mis à sa charge doit être rejetée.
Par mémoires enregistrés le 19 août 2022, le 31 août 2022 et les 20 et 25 septembre 2022, ces deux derniers non communiqués, la commune d'Evian-les-Bains, représentée par Me Le Chatelier, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de réformer le jugement en portant la condamnation de la société TPF Ingénierie à la somme de 1 006 103,62 euros HT assortie des intérêts au taux légal ;
3°) de mettre à la charge de la société TPF Ingénierie une somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable dès lors qu'elle se borne purement et
simplement à reprendre les moyens de première instance ;
- en ce qui concerne les désordres n°1, la société requérante ne conteste pas que les conditions de la garantie décennale étaient satisfaites ;
- les désordres sont imputables à la société requérante ; cette dernière ne justifie pas en quoi ils seraient imputables à la société Bureau Veritas construction ;
- en ce qui concerne les désordres n°2, c'est également à bon droit que le tribunal a retenu la responsabilité de la société TPF Ingénierie pour défaut de conseil lors des opérations de réception ;
- la société TPF Ingénierie ne conteste pas le montant du préjudice subi ;
- le montant total de son préjudice s'élève à la somme de 1 006 103,62 euros HT ;
- il n'y pas lieu de partager les frais d'expertise.
Par mémoire enregistré le 24 août 2022, la société Campenon Bernard Centre Est, venant aux droits de la société Campenon Bernard Région, représentée par Me Bimet, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge de la société TPF Ingénierie une somme de 3 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'appel en garantie formé à son encontre par la société TPF Ingénierie est atteint par la prescription, dès lors qu'il a été engagé après l'expiration du délai de cinq ans prévu par l'article 2224 du code civil ;
- il ne comporte aucun fondement en droit ;
- en ce qui concerne les désordres n°1, il résulte du rapport d'expertise que sa responsabilité ne saurait être retenue ;
- en ce qui concerne les désordres n°2, elle est étrangère à l'inexécution de l'obligation d'assistance aux opérations de réception qui incombait à la société requérante.
Par mémoire enregistré le 16 septembre 2022, la société Sud architectes et la société B architecte, représentées par Me Robert, demandent à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge de la société TPF Ingénierie une somme de 2 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- l'appel en garantie formé à leur encontre par la société TPF Ingénierie est atteint par la prescription, dès lors qu'il a été engagé après l'expiration du délai de cinq ans prévu par l'article 2224 du code civil ;
-la société Chabannearchitecte n'était pas membre du groupement de maîtrise d'œuvre ;
- la société TPF Ingénierie ne démontre pas la faute qu'aurait commise la société Sud Architectes, dès lors que cette dernière n'était pas en charge de la structure de l'ouvrage ;
Par lettres du 12 septembre 2022, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur l'irrecevabilité des conclusions reconventionnelles de la commune d'Evian-les-Bains, dans la mesure où cette dernière ne peut relever appel du jugement qui a donné entière satisfaction à sa demande.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des assurances ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Evrard, présidente assesseure,
- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public,
- les observations de Me Vital pour la société TPF Ingénierie, celles de Me Bosquet pour la commune d'Evian-les-Bains, celles de Me Robert pour la société Sud architectes et la société B, et celles de Me Barnier pour la société Campenon Bernard Région.
Considérant ce qui suit :
1. Pour la création d'un parc de stationnement souterrain et le réaménagement de la place Charles de Gaulle, la commune d'Evian-les-Bains a confié, par acte d'engagement du 8 janvier 2003, la maîtrise d'œuvre de l'opération à un groupement composé de M. B, mandataire, de la société Sud Architectes et de la société Beterem. La réalisation des plans pour le béton armé a été sous-traitée par la société Beterem à la société IOA. Les sociétés Campenon Bernard Région, Giletto et Botte Sade fondations ont réalisé les travaux des lots n° 4 et 5 fondations spéciales, parois périmétriques et gros œuvre, la société Bureau Veritas ayant assuré le contrôle technique. La réception des lots n°4 et 5 a été prononcée, après levée des réserves, le 18 février 2008, avec effet rétroactif au 9 juillet 2007 pour le parking et au 14 septembre 2007 pour la place. Dans l'année qui a suivi la réception, des infiltrations d'eau ont été relevées au travers des planchers bas du parking souterrain. Se fondant sur les conclusions du rapport de l'expertise ordonnée en référé, la commune d'Evian-les-Bains a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande de condamnation de la société Beterem à lui verser 405 900 euros HT, outre intérêts, en indemnisation des fissurations des dalles (désordres n° 1) sur le fondement de la garantie décennale et des fissurations des zones d'about des poutres (désordres n° 2) sur le fondement de la responsabilité contractuelle. Par le jugement attaqué, le tribunal a fait droit à sa demande en condamnant la société TPF Ingénierie, venant aux droits de la société Beterem.
Sur les conclusions reconventionnelles de la commune d'Evian-les-Bains :
2. Si, en appel, une partie est recevable à réévaluer sa demande de première instance, ce ne peut être qu'à l'appui d'un appel principal ou d'un appel incident. Le tribunal administratif de Grenoble ayant fait droit à la totalité de sa demande, la commune d'Evian-les-Bains ne peut relever appel incident du jugement, de telle sorte que ses conclusions tendant à ce que la condamnation de la société TPF Ingénierie soit portée à 1 006 103,62 euros HT, nouvelles en appel, sont irrecevables et doivent être rejetées.
Sur les conclusions dirigées contre les assureurs des sociétés Bureau Veritas, Cabinet B Architecte, Sud Architectes et Campenon Bernard Centre Est :
3. Si l'action directe ouverte par l'article L. 124-3 du code des assurances à la victime d'un dommage, ou à l'assureur de celle-ci subrogé dans ses droits, contre l'assureur du responsable du sinistre tend à la réparation du préjudice subi par la victime, elle se distingue de l'action en responsabilité contre l'auteur du dommage en ce qu'elle poursuit l'exécution de l'obligation de réparer qui pèse sur l'assureur en vertu du contrat d'assurance. Dès lors, il n'appartient qu'aux juridictions de l'ordre judiciaire de connaître des actions tendant au paiement des sommes dues par un assureur au titre de ses obligations de droit privé, alors même que l'appréciation de la responsabilité de son assuré dans la réalisation du fait dommageable relèverait de la juridiction administrative. Par suite, le tribunal n'a pas entaché le jugement attaqué d'irrégularité en rejetant comme présenté devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître les conclusions de la société TPF Ingénierie dirigées contre les assureurs des entreprises qu'elle appelle en garantie.
Sur la responsabilité de la société TPF Ingénierie :
En ce qui concerne les désordres n° 2 relatifs aux fissurations des zones d'about des poutres :
4. La responsabilité des maîtres d'œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves.
5. La commune d'Evian-les-Bains a constaté que les poutres transversales supportant les dalles des planchers des niveaux inférieurs du parc de stationnement souterrain étaient fissurées à leur extrémité, que le béton était décollé, la structure en acier des poutres étant à nu sur dix centimètres et que l'acier présentait des traces de corrosion. Ces désordres n'ont donné lieu à l'émission d'aucune réserve lors de la réception de l'ouvrage. Le tribunal administratif de Grenoble a, à la demande de la commune d'Evian-les-Bains, retenu la responsabilité de la société TPF Ingénierie pour manquement à ses obligations de conseil du maître d'ouvrage à l'occasion de la réception des travaux, et l'a condamnée à verser à la commune la somme de 20 500 euros hors taxes en réparation du préjudice subi.
6. Il résulte de l'instruction, et, notamment, du rapport d'expertise, que, compte tenu de la corrosion des aciers induite par les fissures des abouts des poutres, les planchers présentent un risque d'effondrement, et que la commune a dû engager des frais d'un montant de 41 000 euros hors taxes afin de réparer ces désordres.
7. En premier lieu, les membres d'un groupement solidaire sont responsables, à l'égard du maître d'ouvrage, de l'exécution de la totalité des obligations contractuelles. Ils sont, en outre, réputés s'être donnés mandat pour se représenter mutuellement en justice. Il ne peut être fait échec à cette solidarité que si une répartition des tâches entre les entreprises a été signée par le maître d'ouvrage auquel elle est alors opposable. Or, il ne résulte pas de l'instruction, et, notamment, de l'acte d'engagement auquel est uniquement annexé le tableau de répartition des honoraires, qu'une répartition des tâches ait été opérée dans un acte contractuel opposable au maître de l'ouvrage entre cotraitants de la maîtrise d'œuvre. Dans ces conditions, chacun des membres du groupement solidaire de maîtrise d'œuvre doit répondre de la totalité des manquements commis dans la mesure où ils sont imputables à l'un quelconque des membres du groupement. Par suite, la société TPF Ingénierie ne peut utilement soutenir que sa propre responsabilité ne saurait être engagée au titre de cette garantie au motif que les désordres auraient une cause étrangère à ses interventions.
8. En second lieu, il résulte de l'instruction que, dès lors qu'elle a réceptionné l'ouvrage sans réserve, la commune d'Evian-les-Bains n'a pu mettre en œuvre la responsabilité contractuelle de la société Campenon Bernard Région, qui a réalisé les travaux. Le préjudice qu'elle a subi résulte ainsi du manquement de la maîtrise d'œuvre au devoir de conseil du maître d'ouvrage au titre de la mission d'assistance aux opérations de réception. Par suite, la société TPF Ingénierie n'est pas fondée à soutenir que le préjudice qu'elle a été condamnée à indemniser par le tribunal serait dépourvu de lien avec la faute commise par les cotraitants du groupement en phase de réception et dont elle doit répondre solidairement, ainsi qu'il vient d'être dit.
En ce qui concerne les désordres n°1 relatifs aux fissurations des dalles :
9. A la suite des opérations de réception de l'ouvrage, la commune d'Evian-les-Bains a relevé l'existence de fissures traversantes dans les planchers des niveaux inférieurs du parc de stationnement souterrain. Le tribunal administratif de Grenoble a condamné la société TPF Ingénierie à verser à la commune la somme de 385 400 euros hors taxes, en réparation du préjudice subi, sur le terrain de la garantie décennale des constructeurs.
10. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans, dès lors que les désordres leur sont imputables, même partiellement et sauf à ce que soit établie la faute du maître d'ouvrage ou l'existence d'un cas de force majeure.
11. La société TPF Ingénierie, qui ne conteste pas que sa responsabilité est engagée sur le terrain de la garantie décennale à raison des désordres affectant les planchers du parking souterrain, soutient que, dès lors que la commune d'Evian-les-Bains avait engagé une tentative de conciliation, il lui appartient de démontrer qu'elle n'a obtenu aucun paiement pour la réparation du préjudice qu'elle a subi. Il ne résulte toutefois d'aucun élément du dossier, et, notamment, pas de la seule lettre du 29 juillet 2016 adressée par la commune d'Evian-les-Bains à la société Beterem, laquelle proposait à la société, à la suite de la remise du rapport d'expertise, de mettre un terme au litige par la voie d'une transaction, que la commune d'Evian-les-Bains aurait d'ores et déjà été indemnisée du préjudice qu'elle a subi.
Sur les appels en garantie :
En ce qui concerne les désordres n° 2 relatifs aux fissurations des zones d'about des poutres :
12. En premier lieu, dès lors que la responsabilité contractuelle de la société TPF Ingénierie, en sa qualité de maître d'œuvre, a été engagée pour défaut de conseil du maître d'ouvrage lors des opérations de réception, cette société n'est pas fondée, compte tenu du caractère spécifique de cette responsabilité, à rechercher à être garantie par la société Campenon Bernard Région du versement de la somme mise à sa charge en réparation du préjudice subi par la commune d'Evian-les-Bains, et qui résulte de sa propre faute.
13. En second lieu, la société TPF Ingénierie soutient que, dès lors que la mission d'assistance aux opérations de réception était également assurée par la société B architecte, la responsabilité de cette dernière société doit nécessairement être engagée. Toutefois, si la société affirme que la société B architecte a commis une faute, elle ne précise pas plus en appel qu'en première instance l'origine et la nature de la faute commise. Par suite, sa demande tendant à ce qu'elle soit garantie par la société B architecte ne peut qu'être rejetée.
En ce qui concerne les désordres n° 1 relatifs aux fissurations des dalles :
14. En premier lieu, la société TPF Ingénierie demande que la société Bureau Veritas Construction la garantisse de la condamnation prononcée à son encontre au titre de la responsabilité décennale des constructeurs à raison des fissures des planchers du parc de stationnement. Il résulte, toutefois, de l'instruction, et, notamment, du rapport d'expertise, que les désordres résultent d'un vice de conception de l'ouvrage, et, notamment, de l'absence de prise en compte, dans le dimensionnement des dalles, du bridage longitudinal des déformations de retrait par les pieux. En se bornant à affirmer, que, comme le mentionne le rapport d'expertise, le contrôleur technique a visé les plans de coffrage et de ferraillages ainsi que les notes de calcul justificatives des poutres et dalles de planchers vis-à-vis des charges d'exploitation et des efforts de butonnage, alors qu'il est constant que les fissures ont été suscitées par des vices de conception de l'ouvrage, dont la société Bureau Veritas, en tant que contrôleur technique, n'avait pas la charge, la société TPF Ingénierie n'établit pas l'existence d'une faute de nature à justifier que cette société la garantisse de tout ou partie de la condamnation prononcée à son encontre.
15. En deuxième lieu, la société TPF Ingénierie demande que la société Campenon Bernard Région la garantisse de la condamnation prononcée à son encontre au titre de la responsabilité décennale des constructeurs. Toutefois, la circonstance que la société Campenon Bernard Région a indiqué au maître d'ouvrage, dans un courrier en réponse à la mise en demeure du 27 février 2012, qu'elle s'était abstenue d'intervenir lors de l'apparition des fissures dans la mesure où celles-ci étaient inhérentes à la conception de l'ouvrage, ne démontre pas que l'entreprise de travaux a contribué à la survenue des désordres, qui résultent de la seule conception initiale de l'ouvrage. En outre, les travaux de reprise n'ayant ni causé ni aggravé les désordres, la société Campenon Bernard Région ne saurait être tenue pour responsable de l'apparition des fissures au motif qu'elle aurait exécuté ces réparations provisoires sans alerter les autres intervenants à l'opération. Dans ces conditions, la société TPF Ingénierie n'établit pas l'existence d'une faute de nature à justifier que cette société la garantisse de tout ou partie de la condamnation prononcée à son encontre.
16. En dernier lieu, la société TPF Ingénierie soutient que les missions d'avant-projet sommaire, d'avant-projet définitif et de projet ayant également été assurées par les sociétés B architecte et Sud architectes, ces sociétés ont nécessairement commis une faute. Toutefois, elle ne précise ni le fondement de sa demande ni l'origine et la nature de la faute invoquée. Par ailleurs, la circonstance que l'architecte n'a formulé aucune observation durant les phases de direction de l'exécution des travaux et d'assistance aux opérations de réception est sans incidence sur la conception de l'ouvrage. Par suite, la demande de la société TPF Ingénierie tendant à ce qu'elle soit garantie par les sociétés B architecte et Sud architectes ne peut qu'être rejetée.
Sur les dépens :
17. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise () / () ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties () ". Il résulte de ce qui a été dit précédemment que la société TPF Ingénierie est la partie perdante. En dépit de ce qu'elle soutient, aucune circonstance particulière de l'affaire ne justifie que ces frais soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. Par suite, la société TPF Ingénierie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par son article 3, le jugement attaqué a mis les frais d'expertise à sa charge.
Sur les frais du litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune d'Evian-les-Bains, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société TPF Ingénierie demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société TPF Ingénierie les sommes que la commune d'Evian-les-Bains, les sociétés Bureau Veritas Construction, B architecte, Sud Architectes et Campenon Bernard Centre Est demandent au titre de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société TPF Ingénierie est rejetée.
Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société TPF Ingénierie, à la société Bureau Veritas Construction, à la société B architecte, à la société Sud Architectes, à la société Campenon Bernard Centre Est et à la commune d'Evian-les-Bains.
Délibéré après l'audience du 29 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président,
Mme Evrard, présidente assesseure,
Mme Duguit-Larcher, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 octobre 2022.
La rapporteure,
A. EvrardLe président,
Ph. Arbarétaz
Le greffier,
J. Billot
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Le greffier,