Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Cars A et son gérant, M. A, ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner le département de la Loire à leur verser les sommes, respectivement, de 608 878,40 euros et de 30 000 euros, en réparation des préjudices causés par le refus du département de la Loire d'accepter la société Cars A en qualité de sous-traitante de la société Transarc Aquilon pour l'exécution de deux lots d'un accord-cadre relatif aux transports scolaires.
Par jugement n° 2102451 du 2 février 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 3 avril 2023 et le 29 novembre 2023, la société Cars A et M. A, représentés par Me Brillier Laverdure, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner le département de la Loire à leur verser les sommes, respectivement, de 608 878,40 euros et de 30 000 euros, augmentées des intérêts au taux légal à compter du 8 décembre 2020 ;
3°) de mettre à la charge du département de la Loire la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement attaqué est irrégulier, à défaut de comporter les signatures requises par l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- il est insuffisamment motivé, en se référant, sans autres précisions, à un contexte " très particulier " ;
- le département de la Loire a commis une faute, en refusant d'accepter la société Cars A en qualité de sous-traitante de la société Transarc Aquilon sans requérir préalablement leurs observations, en méconnaissance des articles R. 2193-1 et L. 2141-11 du code de la commande publique et des articles L. 121-1 et L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- ce refus est également illégal, dès lors qu'aucun conflit d'intérêts n'est constitué au sens de l'article L. 2141-10 du code de la commande publique et qu'il porte une atteinte disproportionnée au droit d'accès à la commande publique et à la liberté du commerce et de l'industrie ;
- ce refus a causé des préjudices à la société Cars A à hauteur de 390 000 euros au titre de la commande de véhicules, de 144 341,40 euros au titre du recrutement de deux employés, de 54 537 euros au titre de son manque à gagner et de 20 000 euros au titre de l'atteinte à sa réputation professionnelle, ainsi qu'à M. A à hauteur de 30 000 euros au titre d'un préjudice moral, de l'atteinte à sa réputation et de troubles dans ses conditions d'existence.
Par mémoire enregistré le 15 juin 2023, le département de la Loire, représenté par Me Petit (SELARL Philippe Petit et associés), conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de la société Cars A et de M. A la somme de 1 500 euros chacun, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il expose que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de la commande publique ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Sophie Corvellec,
- les conclusions de M. Bertrand Savouré, rapporteur public ;
- et les observations de Me Brillier Laverdure, pour M. A et la société Cars A, et celles de Me Petit, pour le département de la Loire ;
Une note en délibéré a été produite pour le département de la Loire, le 3 mai 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Par avis publié le 19 juin 2020, le département de la Loire a attribué trois lots d'un accord-cadre relatif aux transports scolaires à la société Transarc Aquilon laquelle a, par déclarations du 19 juillet 2020, sollicité l'acceptation de la société Cars A comme sous-traitante de deux de ces lots. Par courrier du 6 août 2020, le président du conseil départemental a rejeté cette demande, en relevant que le mandat de conseiller départemental du gérant de cette société, M. A, la plaçait dans une situation de conflit d'intérêts et donc d'exclusion de soumissionner, en application de l'article L. 2141-10 du code de la commande publique. M. A et la société Cars A ont demandé au département de la Loire de les indemniser des préjudices causés par cette décision. Un refus leur ayant été opposé, le 10 février 2021, ils ont saisi aux mêmes fins le tribunal administratif de Lyon, lequel a également rejeté leur demande par jugement du 2 février 2023 dont ils relèvent appel.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans () les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".
3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué comporte les signatures de la présidente de la formation de jugement, de la rapporteure ainsi que de la greffière d'audience. Ainsi, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué méconnaît ces dispositions ne peut qu'être écarté.
4. En second lieu, les premiers juges ont précisément répondu, au point 5 de leur jugement, au moyen tiré de l'atteinte excessive portée à la liberté du commerce et de l'industrie et au principe d'égal accès à la commande publique, notamment en détaillant les circonstances de l'espèce ultérieurement qualifiées de " très particulières ". Par suite, à supposer qu'ils aient entendu se prévaloir d'un tel moyen, la société Cars A et M. A ne sont pas fondés à soutenir que le jugement attaqué ne serait pas suffisamment motivé sur ce point.
Sur le fond du litige :
En ce qui concerne la faute imputable au département de la Loire :
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2193-3 du code de la commande publique : " Le titulaire d'un marché peut, sous sa responsabilité, sous-traiter l'exécution d'une partie des prestations de son marché, dans les conditions fixées par le présent chapitre () ". Aux termes de l'article L. 2193-4 du même code : " L'opérateur économique peut recourir à la sous-traitance lors de la passation du marché et tout au long de son exécution à condition de l'avoir déclarée à l'acheteur et d'avoir obtenu l'acceptation du sous-traitant et l'agrément de ses conditions de paiement ". Aux termes de son article R. 2193-3 : " Lorsque la déclaration de sous-traitance intervient après la notification du marché, le titulaire remet à l'acheteur () un acte spécial de sous-traitance contenant les renseignements mentionnés à l'article R. 2193-1 () ". Aux termes de cet article : " Lorsque la déclaration de sous-traitance intervient au moment du dépôt de l'offre, le soumissionnaire () remet également à l'acheteur une déclaration du sous-traitant indiquant qu'il n'est pas placé dans un cas d'exclusion mentionné par les dispositions législatives des sections 1 et 2 du chapitre Ier du titre IV ". Parmi ces dispositions, l'article L. 2141-10 dispose que : " L'acheteur peut exclure de la procédure de passation du marché les personnes qui, par leur candidature, créent une situation de conflit d'intérêts, lorsqu'il ne peut y être remédié par d'autres moyens. Constitue une telle situation toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché ou est susceptible d'en influencer l'issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché ".
6. Il est constant que la société Cars A, à laquelle la société Transarc Aquilon a entendu sous-traiter deux des lots de l'accord-cadre de transports scolaires qui lui ont été attribués par le département de la Loire, a pour gérant M. A, également investi d'un mandat de conseiller départemental de cette collectivité. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que ce dernier, qui n'est titulaire d'aucune délégation, n'est pas membre de la commission d'appel d'offres et démontre, par les relevés de décisions qu'il produit, s'être déporté lors des votes intervenus en matière de transport, aurait pris part, de quelque façon que ce soit, aux travaux préparatoires ou à la procédure de passation de ce marché. Le département de la Loire ne fait, par ailleurs, valoir aucune circonstance tendant à établir qu'il aurait été susceptible d'en avoir influencé l'issue. Dans ces circonstances, aucun conflit attentatoire à l'impartialité de l'attribution de la commande publique de transports n'a pu résulter du cumul du mandat électif de M. A et de sa situation de gérant d'une société entretenant une relation régulière de sous-traitance avec la société Transarc Aquilon, désignée comme titulaire de ces marchés au terme de la procédure de mise en concurrence. Par suite, alors même que ce projet de sous-traitance n'avait pas été déclaré lors de la procédure de passation, le président du conseil départemental de la Loire ne pouvait, sans méconnaître les dispositions précitées, estimer que le mandat de M. A plaçait la société Cars A dans une situation de conflit d'intérêts et donc d'exclusion de soumissionner, en application de l'article L. 2141-10 du code de la commande publique, pour refuser de l'accepter comme sous-traitante de la société Transarc Aquilon.
7. En second lieu, aux termes de l'article L. 2141-8 du code de la commande publique : " L'acheteur peut exclure de la procédure de passation d'un marché les personnes qui :
1° Soit ont entrepris d'influer indûment sur le processus décisionnel de l'acheteur ou d'obtenir des informations confidentielles susceptibles de leur donner un avantage indu lors de la procédure de passation du marché, ou ont fourni des informations trompeuses susceptibles d'avoir une influence déterminante sur les décisions d'exclusion, de sélection ou d'attribution ; 2° Soit par leur participation préalable directe ou indirecte à la préparation de la procédure de passation du marché, ont eu accès à des informations susceptibles de créer une distorsion de concurrence par rapport aux autres candidats, lorsqu'il ne peut être remédié à cette situation par d'autres moyens ".
8. Si le département de la Loire se prévaut également de ces dispositions, il ne démontre pas qu'ainsi qu'il l'affirme, M. A aurait, dans l'exercice de son mandat, eu accès à des informations confidentielles susceptibles de rompre l'égalité entre les candidats à l'attribution des marchés, au profit de la société Transarc Aquilon en vue d'en obtenir ultérieurement la sous-traitance. Par ailleurs, en se bornant à invoquer une précédente candidature présentée par M. A à un appel à projets relatif à la création de places en résidence pour personnes âgées, le département de la Loire n'établit pas davantage que l'intéressé se serait trouvé en situation d'exclusion lors d'une précédente procédure de passation d'un marché.
9. Il en résulte, et sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens contestant la légalité externe du refus d'acceptation en litige, que M. A et la société Cars A sont fondés à soutenir que cette décision est entachée d'illégalité et que le département de la Loire a ainsi commis une faute susceptible d'engager sa responsabilité.
En ce qui concerne les préjudices subis par la société Cars A et par M. A :
10. Toute illégalité commise par l'administration constitue une faute susceptible d'engager sa responsabilité, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain.
11. En premier lieu, si, par courriers électroniques du 4 août 2020, la société Transarc Aquilon a transmis au département de la Loire, pour les mêmes lots, deux nouvelles déclarations de sous-traitance en faveur d'une autre société que la société Cars A, il résulte de l'instruction, notamment des courriers électroniques échangés le 3 août 2020, que celles-ci sont intervenues en prévision du refus d'acceptation litigieux dont ces sociétés avaient été prévenues avant son adoption. Par suite, cette circonstance n'est pas de nature à priver les préjudices invoqués par les requérants de tout lien avec le refus d'acceptation qui leur a été illégalement opposé.
12. En deuxième lieu, si la société Cars A expose avoir acquis des véhicules en vue de l'exécution des lots qu'elle devait recevoir en sous-traitance, elle n'apporte aucun justificatif de sommes effectivement engagées pour cette acquisition. Par ailleurs, il résulte des courriers de fournisseurs qu'elle produit qu'elle a passé ces commandes avant même qu'il ne soit statué sur la déclaration de sous-traitance présentée en sa faveur et qu'elle n'a pu s'en rétracter en raison de la tardiveté de cette démarche. Par suite, elle n'établit pas le caractère certain du préjudice qu'elle invoque, lequel, imputable à sa seule imprudence, n'apparaît en outre nullement lié à l'illégalité du refus d'acceptation de sa sous-traitance.
13. En troisième lieu, si la société Cars A expose avoir recruté deux salariés en prévision de l'exécution des lots sous-traités, elle n'invoque aucune circonstance qui aurait fait obstacle à ce qu'elle renonce à ces recrutements, en se bornant à produire leurs fiches de paie du mois de septembre 2020. Par suite, ce préjudice n'apparaît pas davantage directement lié au refus illégal d'acceptation de sa sous-traitance.
14. En quatrième lieu, si, par les échanges de courriers électroniques produits, la société Cars A établit que, postérieurement au refus d'acceptation litigieux, deux sociétés ont renoncé à collaborer avec elle pour mener à bien différents projets locaux, ces seuls renoncements, essentiellement liés à l'engagement politique de M. A, ne sont pas de nature à démontrer que l'illégalité du refus d'acceptation en litige serait, en lui-même, à l'origine d'une atteinte à la réputation professionnelle de cette société.
15. En cinquième lieu, si la société Cars A soutient qu'en la privant de l'exécution de ces deux lots en sous-traitance, l'illégalité de ce refus d'acceptation lui a causé un manque à gagner, il résulte de l'instruction que ces deux lots ont été attribués dans le cadre d'un accord-cadre sans montant minimal, exécuté par émission de bons de commande, qui ne comportait ainsi aucune obligation pour le département de lui passer des commandes. Par suite, le préjudice dont elle se prévaut est dépourvu de caractère certain et ne saurait donner lieu à indemnisation.
16. Enfin, M. A se prévaut de troubles qu'il aurait subis dans ses conditions d'existence, en raison de démarches qu'il a dû engager à la suite du refus d'acceptation litigieux, du temps qu'il a dû y consacrer et de l'angoisse ainsi générée. Toutefois, en l'absence de toutes autres précisions et justifications, il n'établit nullement que le refus illégal aurait engendré des contraintes excédant celles lui incombant normalement en sa qualité de gérant. En l'absence de toute pièce en ce sens, il ne place pas davantage avoir subi, en sa qualité d'élu, une atteinte à sa réputation, du seul fait de ce refus. Par suite, la réalité de ces préjudices n'est pas établie.
17. Il résulte de ce qui précède que la société Cars A et M. A ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande.
Sur les frais liés au litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de la Loire qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par M. A et la société Cars A. Il n'y a, par ailleurs, pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ces derniers le paiement des frais exposés par le département de la Loire dans la présente instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A et de la société Cars A est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le département de la Loire en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Cars A, à M. B A et au département de la Loire.
Délibéré après l'audience du 2 mai 2024, où siégeaient :
M. Philippe Arbarétaz, président de chambre,
Mme Aline Evrard, présidente-assesseure,
Mme Sophie Corvellec, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mai 2024.
La rapporteure,
S. CorvellecLe président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
F. Faure
La République mande et ordonne au préfet de la Loire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,