Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL GT Deco a demandé au tribunal administratif de Bastia, d'une part, d'annuler la décision du 18 avril 2019 par laquelle la directrice générale de l'office public de l'habitat (OPH) de la collectivité de Corse a rejeté sa réclamation du 19 mars 2019 relative aux pénalités de retard et, d'autre part, de prononcer la décharge des pénalités de retard que lui a infligées pour un montant total de 109 395 euros l'OPH de la collectivité de Corse par dix-neuf décisions distinctes du 7 janvier 2019.
Par un jugement n° 1900845 du 3 février 2022, le tribunal administratif de Bastia a rejeté ses demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 5 avril 2022, le 8 mai 2022 et le 25 juillet 2023, la SARL GT Deco, représentée par Me Vaillant, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 3 février 2022 ;
2°) de prononcer la décharge des pénalités de retard que lui a infligées pour un montant total de 109 395 euros l'office public de l'habitat de la collectivité de Corse par dix-neuf décisions distinctes du 7 janvier 2019 ;
3°) de mettre à la charge de l'OPH de la collectivité de Corse la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement qui n'est pas revêtu de la signature des magistrats qui l'ont rendu est irrégulier ;
- sa demande était recevable alors que le juge du contrat peut moduler les pénalités de retard infligées par l'administration et que l'article 50 du cahier des charges administratives générales (CCAG) travaux prévoit que lorsqu'un différend survient entre le maître d'œuvre et le titulaire ce dernier doit former une réclamation ; en outre le juge du contrat peut annuler les sanctions financières infligées telles que les pénalités de retard ;
- le montant des pénalités de retard est excessif dès lors qu'il représente en moyenne 1,4 fois le montant des bons de commande et 140 % du montant du marché ;
- les pénalités de retard ont été infligées sans qu'aucune réception contradictoire n'ait été formalisée ; la date de fin des travaux indiquée dans chaque bon de commande est arbitraire et en tout état de cause erronée ; l'OPH ne démontre pas que la date de réception des travaux retenue dans chaque bon de commande est valable, en application de l'article 41 du CCAG travaux ;
- l'OPH de la collectivité de Corse a prolongé les délais d'exécution initialement fixés en demandant de nouveaux travaux pour les bons de commande n°s 12, 14 et 16 ;
- les retards sont imputables à une cause extérieure et imprévisible ;
- l'OPH a manqué à ses devoirs de direction de l'exécution des travaux ;
- il n'est pas démontré que les bons de commande ont été régulièrement notifiés à l'exposante, comme le prévoit l'article 3.7.1 du CCAG travaux ;
- les délais d'exécution fixés étaient trop courts ;
- elle a été la seule entreprise sanctionnée par l'application de pénalités.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 21 juillet 2022 et le 1er juin 2023, l'office public de l'habitat (OPH) de la collectivité de Corse, représentée par Me Antomarchi, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la SARL GT Deco la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- c'est à bon droit que le tribunal a rejeté la demande de première instance comme irrecevable ;
- les autres moyens de la requête ne sont pas fondés.
Un courrier du 12 mai 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Un avis d'audience portant clôture immédiate de l'instruction a été émis le 24 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux issu de l'arrêté du 8 septembre 2009 modifié par l'arrêté du 3 mars 2014 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Renaud Thielé, président assesseur de la 6ème chambre pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Vaillant, pour la SARL GT Deco.
Considérant ce qui suit :
1. Par trois actes d'engagement acceptés le 7 octobre 2015, l'office public de l'habitat (OPH) de la collectivité de Corse a confié à la société GT Deco un marché à bons de commande portant sur des travaux de rénovation des logements vacants de son parc locatif divisé en trois lots géographiques sur les secteurs de Bastia, Fiumorbo et Centre/Balagne. En application de ce marché, l'OPH de la collectivité de Corse a notifié, entre le 19 juillet 2017 et le 31 janvier 2018, dix-neuf bons de commande d'un montant total de 77 555,33 euros pour des délais de travaux allant d'une à cinq semaines. Par dix-neuf formulaires de décompte des pénalités " EXE 13 " du 7 janvier 2019, après avoir constaté que ces délais n'avaient pas été respectés, l'OPH de la collectivité de Corse a infligé à la société GT Deco des pénalités de retard pour un montant total de 109 395 euros. Par une lettre du 19 mars 2019, la société GT Deco a contesté l'application de ces pénalités sur le fondement de l'article 50 du cahier des clauses administratives générales travaux. L'OPH de la collectivité de Corse a refusé de revenir sur l'application de ces pénalités de retard par lettre du 18 avril 2019. La société GT Deco relève appel du jugement du tribunal administratif de Bastia du 3 février 2022 rejetant, comme irrecevable, sa demande d'annulation du refus opposé le 18 avril 2019 par l'administration ainsi que sa demande tendant à titre principal à la décharge de ces pénalités et à titre subsidiaire à leur réduction.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".
3. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été signé conformément aux prescriptions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. La circonstance que l'ampliation du jugement qui a été notifié à la SARL GT Deco ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la régularité de ce jugement.
4. En second lieu, le tribunal, après avoir estimé que les demandes de la société devaient être regardées comme tendant à l'annulation au moins partielle, des dix-neuf décisions du 7 janvier 2019 lui infligeant des pénalités de retard pour un montant total de 109 395 euros, a rejeté ces demandes, comme irrecevables, en se fondant sur le fait que le juge du contrat n'a pas le pouvoir de prononcer l'annulation de mesures prises par l'autre partie, lesquelles ne sont pas détachables de l'exécution du marché, et qu'il lui appartient seulement de rechercher si ces mesures sont intervenues dans des conditions de nature à ouvrir un droit à indemnité. Il en a déduit qu'étaient également irrecevables les conclusions tendant à la décharge des sommes correspondantes.
5. Si une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d'une telle mesure d'exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles, ce juge, saisi par une partie d'un litige relatif à une mesure d'exécution du contrat autre qu'une résiliation, peut seulement rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité.
6. Comme le soutient la société requérante, lorsqu'il est saisi d'un litige entre les parties à un marché public, le juge du contrat peut, à titre exceptionnel, saisi de conclusions en ce sens par une partie, modérer ou augmenter les pénalités de retard résultant du contrat si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché et compte tenu de l'ampleur du retard constaté dans l'exécution des prestations. Toutefois la saisine de la SARL GT Deco était en l'espèce prématurée alors que les documents intitulés " décompte des pénalités de retard - Exe 13 " qui lui ont été notifiés ne peuvent être regardés comme un " décompte général et définitif " qui aurait pu donner lieu à une contestation de la société requérante.
7. Par ailleurs, l'article 50.1.1 du cahier des clauses administratives générales - travaux dispose que : " 50.1.1. Si un différend survient entre le titulaire et le maître d'œuvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. ". Ces stipulations, si elles permettent au cocontractant d'engager un contentieux avant l'intervention du décompte général, n'ont pas pour objet, et ne sauraient avoir pour effet de les autoriser à contester les mesures d'exécution du contrat devant le juge, en l'absence de toute demande pécuniaire.
8. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté, comme irrecevables, ses conclusions tendant, d'une part, à l'annulation des décisions par lesquelles l'OPH de la collectivité de Corse a décidé de lui infliger des sanctions et, d'autre part, à la décharge des sommes correspondantes.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL GT Deco n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté ses demandes, comme irrecevables.
Sur les dépens de l'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge de l'OPH de la collectivité de Corse, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la société requérante une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l'OPH de la collectivité de Corse et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL GT Deco est rejetée.
Article 2 : La SARL GT Deco versera à l'OPH de la collectivité de Corse une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL GT Deco et à l'office public de l'habitat (OPH) de la collectivité de Corse.
Délibéré après l'audience du 12 février 2024, où siégeaient :
- M. Renaud Thielé, président assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère,
- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 février 2024.