CAA Toulouse, 20/12/2022, n°20TL02392

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Garage Gay a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler le contrat conclu le 6 mars 2018 entre le syndicat intercommunal de ramassage et de traitement des ordures ménagères de la région d'Apt et la société Scania France pour l'acquisition de châssis cabines et bennes à ordures ménagères et de condamner ce syndicat intercommunal à lui verser une somme de 2 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de son éviction irrégulière.

Par un jugement n° 1801986 du 28 mai 2020, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 juillet 2020, au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 11 avril 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, et un mémoire, enregistré le 15 avril 2021, la société Garage Gay, représentée par Me Callens, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 28 mai 2020 ;

2°) d'annuler le marché conclu entre le syndicat intercommunal de ramassage et de traitement des ordures ménagères de la région d'Apt et la société Scania France ;

3°) de condamner ce syndicat intercommunal à lui verser une somme de 2 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de son éviction irrégulière ;

4°) d'enjoindre à ce syndicat intercommunal de lui attribuer le marché ;

5°) de mettre à la charge du syndicat intercommunal de ramassage et de traitement des ordures ménagères de la région d'Apt une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- même si son offre était irrégulière, elle pouvait utilement se prévaloir de l'irrégularité de l'offre de la société attributaire du marché en litige ; le Conseil d'État est en effet revenu sur sa jurisprudence antérieure et admet, depuis une décision du 27 mai 2020, société Clean Building, que le candidat qui a présenté une offre irrégulière peut, malgré cette circonstance, contester l'irrégularité de l'offre de l'entreprise attributaire du marché ;

- son offre était, en tout état de cause régulière dès lors que la période de deux ans mentionnée correspondait à la garantie contractuelle légale de deux années mais que les deux autres années étaient prévues en outre dans l'offre soumise ;

- l'offre de la société Scania France qui ne respectait pas les exigences formulées dans les documents de la consultation en ce qui concerne la durée du délai de garantie ne devant pas être inférieure à 48 mois, était irrégulière et devait donc être éliminée ;

- la pondération des critères et la hiérarchisation des sous-critères n'ont pas été respectées par le pouvoir adjudicateur dans son appréciation des offres ; deux des sous-critères (valeur technique et durée de la garantie) ont été modifiés et la pondération des sous-critères a été substantiellement modifiée ; si la pondération initiale avait été respectée, sa note aurait été très différente et elle aurait obtenu 7,8975 et non 7,4 ; enfin, les sous-critères déterminés pour apprécier l'essai n'ont pas été mis en œuvre ; ces illégalités ont eu une influence déterminante sur l'appréciation de l'offre ;

- en ce qui concerne l'appréciation du critère technique, les notes qui lui ont été attribuées sont erronées dès lors que les fiches techniques des véhicules Scania et Renault font apparaître des avantages significatifs pour les véhicules Renault ; le châssis Renault aurait dû être classé en premier par rapport au châssis Scania ;

- en ce qui concerne l'existence d'une offre anormalement basse, dès lors qu'il existe une différence de prix d'environ 80 % entre son offre qui repose sur un travail exhaustif et sincère du coût réel d'entretien, et celle de l'entreprise Scania, le syndicat intercommunal aurait dû demander à cette dernière des informations sur les prix proposés ce qui l'aurait conduit à considérer que les prix proposés ne permettaient pas de satisfaire ses besoins et que son offre était anormalement basse ;

- alors qu'elle était le seul candidat à présenter une offre conforme en ce qui concerne le critère de l'entretien périodique, le pouvoir adjudicateur, qui aurait pu rejeter l'ensemble des autres offres comme étant irrégulières, a préféré demander aux entreprises des références à remplir dans un nouveau tableau ; le pouvoir adjudicateur a donc ajouté des critères d'attribution en cours de procédure qui a abouti à une modification substantielle du critère ;

- si le pouvoir adjudicateur peut recourir à plusieurs critères pour choisir l'entreprise attributaire, le critère choisi doit être défini de façon suffisamment précise pour permettre la transparence de la procédure et l'égalité de traitement ; le critère en lien avec la maintenance n'a pas permis la transparence et l'égalité entre les candidats ; l'offre de l'entreprise Scania ne satisfaisait pas au critère prévu à l'article 3.2 du cahier des clauses techniques particulières dès lors que la maintenance concerne l'ensemble des frais afférents à la maintenance des véhicules;

- il est manifeste que le syndicat intercommunal s'est uniquement fondé sur le prix pour apprécier les offres ; cette appréciation est contraire au principe de l'offre économiquement la plus avantageuse ; elle est en outre erronée ;

- elle a été irrégulièrement évincée et sollicite un euro symbolique au titre de son préjudice matériel et la même somme au titre de son préjudice moral.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 30 mars et 5 juillet 2021, le syndicat intercommunal de ramassage et de traitement des ordures ménagères de la région d'Apt, représenté par Me Bouteiller, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Garage Gay le paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- l'évolution de la jurisprudence du Conseil d'État est circonscrite aux référés précontractuel et contractuel et ne s'étend donc pas aux au recours en contestation de la validité du contrat ; dès lors qu'il est constant que la société requérante a déposé une offre irrégulière, l'ensemble de ses moyens dirigés contre l'offre de l'attributaire est inopérant ;

- le moyen tiré de ce que l'offre de la société Scania France serait irrégulière au motif qu'elle n'aurait pas présenté un délai de garantie de 48 mois comme l'imposaient les documents de consultation, est inopérant et manque également en fait ; l'entreprise Scania France a prévu dans son acte d'engagement une durée de garantie plus longue de cinq ans ;

- il a largement précisé dans son règlement de consultations les critères et la pondération et il n'a apporté aucune modification substantielle de ces critères ; il a réorganisé les sous-critères en fonction du type de châssis, notamment de leurs poids, sans que cette méthode modifie les critères de sélection, qui sont les mêmes que ceux initialement prévus par le règlement de consultation ; si une erreur de plume peut effectivement être relevée dans la pondération des critères, elle est en réalité sans incidence sur le résultat final de la note attribuée à la société requérante qui est largement inférieure à celle de la société Scania : même après la rectification de la pondération du sous-critère, l'écart de points de la note finale reste encore très important ;

- le Conseil d'État admet que les notes des sous-critères n'ont pas à être précisées dans la lettre de rejet ; aucune erreur d'appréciation n'a été commise s'agissant du sous-critère " Essai " dont les éléments ne font d'ailleurs nullement doublon avec le sous-critère " Valeur technique " jugée sur le mémoire ;

- il a pris en compte l'ensemble des différentes composantes du mémoire technique pour apprécier la valeur technique de l'offre de la société requérante ; les données techniques indiquées dans sa requête ne correspondent ni à la fiche constructeur remise par la société requérante dans le cadre de sa consultation ni à son annexe technique ;

- à la suite de l'analyse de différents prix et des caractéristiques intrinsèques des offres, il est apparu que l'offre de la société Scania France n'était pas anormalement basse :

- sa demande de précision, qui concernait l'offre en matière de maintenance des véhicules, a été également adressée à la société requérante ; cette demande a été effectuée sans que les offres initiales déposées par les candidats, qui n'étaient pas irrégulières, aient été modifiées ;

- l'allégation selon laquelle la société requérante serait le seul candidat à avoir répondu de manière précise et utile sur le coût global d'entretien d'un véhicule ne repose sur aucun commencement de preuve ; la société attributaire a fourni des éléments suffisants et pertinents de nature à justifier les coûts de la maintenance proposée ;

- la procédure d'attribution du marché n'est entachée d'aucune irrégularité et la société requérante n'est pas fondée à solliciter l'indemnisation d'un quelconque préjudice.

Par une ordonnance du 2 juillet 2021, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 5 août 2021 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics;

- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Karine Beltrami, première conseillère,

- les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique

- les observations de Me Evano, substituant Me Bouteiller, représentant le syndicat intercommunal de ramassage et de traitement des ordures ménagères de la région d'Apt.

Considérant ce qui suit :

1. À la fin de l'année 2017, le syndicat intercommunal de ramassage et de traitement des ordures ménagères de la région d'Apt a organisé un appel d'offres pour l'acquisition " de châssis cabine, de bennes à ordures ménagères avec reprises ", par le biais d'un accord-cadre mono-attributaire à bons de commande, portant sur une durée de quatre ans. Le lot n° 1 portait plus précisément sur la fourniture de châssis cabine de 19 et 26 tonnes, à raison de deux unités de chaque par an maximum. La société Garage Gay, qui avait présenté une offre pour ce lot, a été informée, par lettre du 15 février 2018, du rejet de celle-ci et de l'attribution du marché à la société Scania France. Le marché a effectivement été confié à cette société par acte d'engagement du 6 mars 2018. La société Garage Gay a présenté une requête en contestation de la validité de ce contrat devant le tribunal administratif de Nîmes et a demandé l'annulation de ce contrat et son indemnisation du préjudice subi du fait de son éviction. Elle relève appel du jugement du 28 mai 2020 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Sur le recours en contestation de la validité du contrat :

2. Tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat. Si le représentant de l'État dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Un concurrent évincé ne peut ainsi invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

3. Au titre de tels manquements, un candidat dont l'offre a été à bon droit écartée comme irrégulière ou inacceptable ne saurait en revanche soulever un moyen critiquant l'appréciation des autres offres. Il ne saurait notamment soutenir que ces offres auraient dû être écartées comme irrégulières ou inacceptables, un tel manquement n'étant pas en rapport direct avec son éviction et n'étant pas, en lui-même, de ceux que le juge devrait relever d'office.

4. Ainsi, alors même que l'offre du concurrent évincé demandant l'annulation du contrat a été classée et notée, le pouvoir adjudicateur et l'attributaire du contrat peuvent se prévaloir devant le juge du caractère irrégulier de son offre pour soutenir que le demandeur ne peut utilement soulever un moyen critiquant l'appréciation des autres offres.

5. Aux termes de l'article 59 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, applicable au litige : " () Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation notamment parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale. () II. - Dans les procédures d'appel d'offres et les procédures adaptées sans négociation, les offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables sont éliminées. () ".

6. Aux termes de l'article 4.4 " Garantie du matériel " du règlement de la consultation et de l'article 10.1 " délai de garantie " du cahier des clauses administratives particulières : " Le candidat proposera une durée de garantie du matériel dans son acte d'engagement, il en sera tenu compte pour la notation de son offre. / Cette durée ne devra pas être inférieure aux seuils précisés ci-dessous : / Lot n°1 : châssis cabine : 48 mois / () ". Il résulte clairement de ces prescriptions que la durée de la garantie du châssis cabine ne devait pas être inférieure à quatre ans.

7. Si la société Garage Gay soutient, dans le dernier état de ses écritures, que son offre était régulière au regard de ce critère, il ressort toutefois de l'acte d'engagement établi par la requérante qu'il prévoyait un délai de garantie de " 2 ans : couverture totale 1ère année kilométrage illimité - couverture moteur, BV, pont, pièces et main-d'œuvre 2ème année limité 200 000 kms ". Son offre qui ne respectait donc pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, présentait un caractère irrégulier de nature à justifier son élimination.

8. Dès lors, compte tenu du caractère irrégulier de son offre, la société Garage Gay ne peut utilement soulever de moyens critiquant l'appréciation de l'offre de l'attributaire du marché quand bien même son offre a été classée et notée par le pouvoir adjudicateur. Par suite, dès lors qu'elle ne soulève que des moyens de cette nature, ses conclusions en annulation du contrat signé le 6 mars 2018 entre le syndicat interdépartemental de ramassage et de traitement des ordures ménagères de la région d'Apt et la société Scania France ainsi que ses conclusions en injonction et ses conclusions indemnitaires doivent être rejetées.

9. Il résulte de ce qui précède que la société Garage Gay n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la société Garage Gay présentées sur leur fondement, le syndicat interdépartemental de ramassage et de traitement des ordures ménagères de la région d'Apt n'étant pas la partie perdante.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Garage Gay une somme de 1 500 euros au titre des conclusions présentées sur le même fondement par le syndicat interdépartemental de ramassage et de traitement des ordures ménagères de la région d'Apt.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Garage Gay est rejetée.

Article 2 : La société Garage Gay versera une somme de 1 500 euros au syndicat interdépartemental de ramassage et de traitement des ordures ménagères de la région d'Apt sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Garage Gay, au syndicat interdépartemental de ramassage et de traitement des ordures ménagères de la région d'Apt et à la société par actions simplifiée Scania France.

Délibéré après l'audience du 6 décembre 2022 à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme Beltrami, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 décembre 2022.

La rapporteure,

K. Beltrami

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au préfet de Vaucluse en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.