TA Bastia, 28/07/2023, n°2300800

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 6, le 24 et le 27 juillet 2023, la société Giacobetti, représentée par Me Pellegri, demande au juge des référés sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'annuler la décision du 28 juin 2023 par laquelle le président de l'université de Corse a rejeté comme étant irrégulière l'offre qu'elle a présentée pour les lots n° 1 à n° 4 du marché relatif à des prestations de nettoyage et d'entretien des locaux de l'université ;

2°) d'enjoindre à l'université de Corse, si elle entend reprendre la procédure de passation du marché en litige, de le faire au stade de l'analyse des offres, en se conformant aux dispositions législatives et règlementaires en vigueur et en l'intégrant au sein de la procédure de sélection des offres ;

3°) de différer le choix de l'attributaire du marché le temps d'analyser son offre ;

4°) d'annuler toutes les décisions relatives à des prestations de nettoyage et d'entretien des locaux de l'université ;

5°) de mettre à la charge de l'université de Corse la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a été irrégulièrement évincée de la procédure, aux motifs que s'il n'est pas contesté que les formulaires DC1 et DC2 ne figuraient pas dans son offre, d'une part, elle peut se prévaloir du dispositif prévu par l'article R. 2143-14 du code de la commande publique dès lors qu'elle est connue des services achats de l'université, d'autre part, l'université de Corse n'a pas cherché à régulariser sa candidature alors qu'elle avait été amenée à demander des clarifications et précisions sur ses précédentes offres, enfin, l'acheteur connaît l'ensemble des acteurs économiques, même en l'absence des formulaires en cause ;

- l'université a eu recours à des critères de sélection des candidatures pour juger les candidatures dans le cadre de la phase d'examen des candidatures, alors qu'il s'agit d'un appel d'offres ouvert et qu'elle n'a pas informé préalablement les candidats du déroulement de cette sélection des candidatures.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 15, 25 et 27 juillet 2023, l'université de Corse, représentée par Me Finalteri, conclut au rejet du référé et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société Giacobetti au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la société requérante ne justifie d'aucun pouvoir ou procès-verbal d'assemblée générale habilitant son représentant légal à ester en justice ;

- le numéro SIRET visé dans la requête ne correspond pas à l'entreprise de nettoyage Giacobetti, soumissionnaire, mais à une société immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris, de sorte que la société requérante ne justifie pas de sa qualité à agir ;

- les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme Castany, première conseillère, pour statuer sur les demandes de référé, en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Castany, juge des référés,

- les observations de Me Pellegri, représentant la société Giacobetti,

- les observations de Me Albertini, substituant Me Finalteri, représentant de l'université de Corse.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Par avis de marché du 28 juillet 2022, l'université de Corse a engagé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de la passation d'un marché relatif à des services de nettoyage et d'entretien des locaux de l'université de Corse. Le marché a été alloti en cinq lots géographiques. Par un courrier du 28 juin 2023, le président de l'université de Corse a informé la société Giacobetti, candidate pour les lots n° 1 à n° 4, du rejet de son offre au motif qu'elle était irrégulière et que les lots n° 1 et n° 2 avaient été attribués à l'entreprise BG Nett et les lots n° 3 et n° 4 à l'entreprise N.M.S. Par la présente requête, la société Giacobetti demande au juge des référés, à titre principal, d'annuler la décision du 28 juin 2023.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation (). ". Aux termes du I de l'article L. 551-2 du même : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. ".

3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-5 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières (). ". Aux termes de l'article L. 2152-2 du même code : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète () ". Selon l'article R. 2152-2 de ce code : " Dans toutes les procédures, l'acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu'elles ne soient pas anormalement basses. La régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet d'en modifier des caractéristiques substantielles ". Enfin, aux termes de l'article R. 2132-1 du même code : " Les documents de la consultation sont l'ensemble des documents fournis par l'acheteur ou auxquels il se réfère afin de définir son besoin et de décrire les modalités de la procédure de passation, y compris l'avis d'appel à la concurrence. Les informations fournies sont suffisamment précises pour permettre aux opérateurs économiques de déterminer la nature et l'étendue du besoin et de décider de demander ou non à participer à la procédure. ".

5. Il résulte de ces dispositions que le règlement de la consultation d'un marché est obligatoire dans toutes ses mentions. L'administration ne peut en conséquence attribuer le marché à un candidat qui ne respecterait pas une des prescriptions imposées par le règlement, sauf si cette exigence se révèle manifestement dépourvue de toute utilité pour l'examen des candidatures ou des offres.

6. Le règlement de la consultation applicable au marché en litige indique au point 3. Présentation des propositions, à la rubrique " contenu des plis " : " A l'appui de leur candidature, les candidats doivent fournir les documents suivants : Lettre de candidature (DC1) () Déclaration du candidat (DC2) () ". L'exigence ainsi faite aux candidats de remplir les formulaires DC1 et DC2, qui sont aisément accessibles sur le site internet du ministère chargé de l'économie et qui déterminent, d'une part, les modalités de présentation des renseignements relatifs à l'objet de la candidature, à l'identité de l'acheteur et du candidat, ainsi que de la déclaration sur l'honneur prévue au 1° du I de l'article 19 du décret du 1er février 2016 relative aux cas d'exclusions de la procédure de passation, d'autre part, le statut du candidat individuel ou membre du groupement en permettant de s'assurer que le candidat individuel ou chacun des membres du groupement dispose des capacités économiques, financières, professionnelles et techniques suffisantes pour l'exécution du marché ou de l'accord-cadre, n'est pas manifestement inutile.

7. Il est constant que l'offre de la société Giacobetti pour les lots n° 1 à n° 4 ne contenait pas les formulaires DC1 et DC2 qui devaient être remis dans les dossiers de candidatures. Sa candidature était, dès lors, incomplète, sans qu'aient d'incidence les circonstances que d'autres documents auraient comporté les informations requises, que l'acheteur connaissait l'ensemble des acteurs économiques, même en l'absence des formulaires en cause, ou encore qu'elle était connue des services achats de l'université pour être titulaire sortante de trois des quatre lots en litige, de sorte que toutes les informations souhaitées dans ces formulaires auraient déjà été en possession de l'administration. La société requérante ne peut donc, en tout état de cause, utilement se prévaloir du dispositif prévu par l'article R. 2143-14 du code de la commande publique. Par ailleurs, le code de la commande publique n'imposant pas à l'acheteur de demander aux candidats de compléter leur dossier, la société Giacobetti ne peut utilement soutenir que l'université de Corse n'aurait pas cherché à régulariser sa candidature alors même qu'elle avait été amenée à demander des clarifications et précisions sur ses précédentes offres.

8. En second lieu, contrairement à ce qui est soutenu, il ne résulte pas de l'instruction que l'université aurait eu recours à des critères de sélection des candidatures pour juger les candidatures dans le cadre de la phase d'examen des candidatures, alors, en tout état de cause, ainsi qu'il a été dit au point précédent, que l'offre de la société Giacobetti a été écartée en raison de son caractère incomplet, avant la phase d'analyse des candidatures et des offres.

9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées, la requête présentée par la société Giacobetti, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, doit être rejetée en l'ensemble de ses conclusions.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Giacobetti la somme de 1 500 euros à verser à l'université de Corse au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la société Giacobetti présentée sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative est rejetée.

Article 2 : La société Giacobetti versera à l'université de Corse la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Giacobetti, à l'université de Corse, à la société BG Nett et à la société N.M.S.

Fait à Bastia, le 28 juillet 2023.

La juge des référés,

Signé

C. Castany

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Corse en ce qui le concerne et à tous les commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

H. MANNONI