TA Caen, 13/05/2024, n°2401047


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique tenue en présence de Mme Bloyet, greffière d'audience, le 6 mai 2024 à 14 heures 30, Mme Rouland-Boyer a lu son rapport et entendu les observations :

- de Me Morisseau, représentant la SAS Sud-ouest signalisation, qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens ;

- et de Me Sanson, représentant le département du Calvados, qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le département du Calvados a lancé une consultation en vue de passer, selon une procédure adaptée, un marché relatif à la fourniture et à la livraison de panneaux de signalisation routière. Par courrier du 12 avril 2024, il a informé la société Sud- ouest signalisation du rejet de son offre et de l'attribution du marché à la société Signaux Girod. Par sa requête la société Sud-ouest signalisation demande au juge des référés, statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation de ce marché et subsidiairement de reprendre la procédure au stade de l'analyse des offres.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ". Aux termes de l'article L. 551-2 de ce code : " I. Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations () ". Aux termes de l'article L. 551-10 du même code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué () ".

3. En vertu des dispositions précitées de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

En ce qui concerne la qualification du marché :

4. La société Sud-ouest signalisation conteste la qualification de marché de travaux du marché conclu avec la société signalisation Girod dès lors que celui-ci se présente en réalité comme un marché de fournitures, dont le montant excède le seuil prévu pour les marchés de fournitures par les dispositions de l'article R. 2124-1 du code de la commande publique.

5. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la commande publique : " Un marché de travaux a pour objet : 1° Soit l'exécution, soit la conception et l'exécution de travaux dont la liste figure dans un avis annexé au présent code ; / 2° Soit la réalisation, soit la conception et la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d'un ouvrage répondant aux exigences fixées par l'acheteur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception. / Un ouvrage est le résultat d'un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique ou technique ". Aux termes de l'article L. 1111-5 du même code : " Lorsqu'un marché porte sur des travaux et sur des fournitures ou des services, il est un marché de travaux si son objet principal est de réaliser des travaux () ". Aux termes de l'article L. 2120-1 du même code : " Les marchés sont passés, selon leur montant, leur objet ou les circonstances de leur conclusion : 1° Soit sans publicité ni mise en concurrence préalables, dans les conditions prévues au chapitre II ; / 2° Soit selon une procédure adaptée, dans les conditions prévues au chapitre III ; / 3° Soit selon une procédure formalisée, dans les conditions prévues au chapitre IV ".

6. Il est constant que le marché en litige, présenté sous la forme d'un accord-cadre de travaux, porte sur la fourniture et la pose de signalisation verticale sur le domaine départemental du Calvados et que ce marché comprend trois lots portant respectivement sur la fourniture et la pose de signalisation verticale permanente, la fourniture de matériel temporaire et la fourniture et la pose de signalisation renforcée. En outre, il résulte de l'instruction, que le calendrier de réalisation des travaux, qui comprend une phase de préparation du chantier de 21 jours est précisément défini par le cahier des clauses techniques particulières, et que, hormis le lot n° 2, ces travaux portent sur la dépose et la pose de matériel de signalisation. Ces prestations constituent des prestations de travaux au sens de la classe 45.34 figurant dans l'avis auquel renvoie le 1° de l'article précité L. 1111-2 du code de la commande publique. Si la société Sud-ouest signalisation soutient, sans au demeurant en justifier, que la fourniture des panneaux de signalisation représente 60 % du prix total du marché, cette prestation doit être regardée comme faisant partie intégrante de l'exécution de l'opération globale de travaux. En tout état de cause, la société requérante ne se prévaut en l'espèce d'aucun manquement lié à la procédure de passation retenue par le pouvoir adjudicataire susceptible de l'avoir lésée ou risquant de la léser fût-ce façon indirecte. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de la procédure de passation litigieuse au motif que le marché est un marché essentiellement de fournitures et devait être passé dès lors, compte tenu de son montant, selon une procédure formalisée. Le moyen doit, par conséquent, être écarté.

En ce qui concerne l'irrégularité de l'offre de la société requérante :

7. Aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières (). " L'article L. 2152-2 dudit code dispose que " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale. ". Aux termes de l'article R. 2111-11 du code de la commande publique : " Lorsque l'acheteur formule une spécification technique par référence à une norme ou à un document équivalent, il ne peut pas rejeter une offre au motif que celle-ci n'est pas conforme à cette norme ou à ce document si le soumissionnaire prouve, par tout moyen approprié, que les solutions qu'il propose satisfont de manière équivalente aux exigences définies par cette norme ou ce document. Lorsque l'acheteur formule une spécification technique en termes de performances ou d'exigences fonctionnelles, il ne peut pas rejeter une offre si celle-ci est conforme à une norme ou à un document équivalent correspondant à ces performances ou exigences fonctionnelles. Le soumissionnaire prouve, par tout moyen approprié, que cette norme ou ce document équivalent correspond aux performances ou exigences fonctionnelles définies par l'acheteur ".

8. En premier lieu, si la société requérante soutient que les documents de la consultation n'exigeaient pas que la capacité multidirectionnelle du système à sécurité passive soit certifiée par un organisme tiers, il ressort des dispositions de l'article 4.1 du cahier des clauses techniques particulières intitulé " certifications " que " toutes les fournitures devront être certifiées par un organisme indépendant reconnu (l'ASCQUER) " et que les supports à sécurité passive seront, conformément à l'arrêté du 30 septembre 201, certifiés CE. Dès lors, la société Sud-ouest signalisation n'est pas fondée à soutenir que le département du Calvados aurait exigé des éléments ne correspondant pas aux exigences figurant dans le CCTP et le règlement de la consultation.

9. En second lieu, l'article 5.3.4. du cahier des clauses techniques particulières, relatif aux système à sécurité passive, précise que " dans les zones sensibles (secteurs urbanisés, îlots séparateurs des giratoires, surplomb d'ouvrage), le dispositif choisi devra limiter les risques pour les usagers vulnérables, notamment en limitant toute projection de l'équipement. Il sera uniquement multidimensionnel ". Il résulte de l'instruction que la société requérante a choisi dans son offre l'installation dans les zones identifiées comme sensibles du dispositif " Nadiasysteject ", lequel propose, en cas de choc, un système de désolidarisation de la platine et du mât avec les tiges d'ancrage. Ce système ne bénéficie toutefois d'aucune certification délivrée par l'Association pour la certification et la qualification des équipements de la route (ASCQUER), ni par aucun autre organisme tiers, seul le constructeur garantissant, à l'issue de test numériques, une efficacité multidirectionnelle tout en indiquant que le système est considéré comme bidirectionnel. Si la société Sud-ouest signalisation a proposé, dans son courrier du 7 mars 2024 en réponse à la demande de précision du département portant notamment sur les caractéristiques techniques de son offre, d'étendre à l'ensemble de son offre le système multidirectionnel HiMast de Varley et Gulliver qu'elle avait initialement réservé aux zones non sensibles, cette proposition ne pouvait être retenue dans le cadre de l'analyse de l'offre de la société alors que la date limite de présentation des offres était, à cette date, expirée et que le règlement de la consultation ne prévoyait aucune négociation. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le département du Calvados a estimé que son offre devait être écartée comme irrégulière.

10. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation et d'injonction de la requête doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. (). ".

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Sud-ouest signalisation la somme de 1 000 euros à verser au département du Calvados au titre des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que la somme de 2 000 euros demandée par la société Sud-ouest signalisation soit mise à la charge du département du Calvados.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société Sud-ouest signalisation est rejetée.

Article 2 : La société Sud-ouest signalisation versera la somme de 1 000 euros au département du Calvados au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Sud-ouest signalisation, au département du Calvados et à la société Signaux Girod.

Fait à Caen, le 13 mai 2024.

La présidente, juge des référés

Signé

H. ROULAND-BOYER

La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

Pour le greffier en chef,

La greffière,

E. Bloyet

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