TA Cergy-P, 06/06/2024, n°2006681


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu les procédures suivantes :

I. Par une requête enregistrée le 15 juillet 2020 sous le numéro 2006681, et des mémoires enregistrés le 18 septembre 2020, le 5 avril 2023 et le 6 juin 2023, la société Paris Ouest Construction, représentée par Me Cailloce, Me Joyeux et Me Boret, doit être regardée comme demandant au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de condamner la commune de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine) à lui verser la somme de 320 229,37 euros toutes taxes comprises (TTC), au titre du solde du décompte général et définitif du marché de travaux portant sur l'aménagement de quatre salles maternelles d'une cour de l'établissement scolaire Arago, assortie des intérêts moratoires à compter des dates d'exigibilité de chacune des situations et de la capitalisation des intérêts, dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Clichy-la-Garenne la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle détient une créance non sérieusement contestable sur la commune de Clichy-la-Garenne, dès lors que son projet de décompte final est devenu le décompte général et définitif par acceptation tacite le 8 décembre 2019, en application de l'article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG-Travaux) ;

- en tout état de cause, des travaux supplémentaires réalisés pour un montant de 93 250,92 euros hors taxes doivent lui être payés dès lors que le maître d'œuvre et le maître de l'ouvrage les avaient demandés et validés, fût-ce en l'absence d'ordre de service ;

- elle a droit aux intérêts moratoires sur la somme que lui doit la commune de Clichy-la-Garenne à compter du 9 décembre 2019 et jusqu'au paiement définitif, qui n'est pas encore intervenu.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 8 septembre 2020, le 6 avril 2023 et le 29 septembre 2023, la commune de Clichy-la-Garenne, représentée par Me Billard et Me Sabattier, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société Paris Ouest Construction au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'en l'absence de décompte général et définitif tacite, et alors qu'elle conteste le montant des travaux supplémentaires dont le paiement est sollicité, la société Paris Ouest Construction ne détient sur elle aucune créance non sérieusement contestable.

Par ordonnance du 16 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 janvier 2024 à 12 heures.

II. Par une requête enregistrée le 16 avril 2021 sous le numéro 2105165, et des mémoires enregistrés le 5 avril 2023 et le 6 juin 2023, la société Paris Ouest Construction, représentée par Me Joyeux et Me Boret, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler la décision par laquelle la commune de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine) a implicitement rejeté son mémoire en réclamation du 18 septembre 2020 ;

2°) d'arrêter le solde du décompte général et définitif du marché de travaux relatif à l'aménagement de quatre salles de maternelles et d'une cour au sein de l'établissement scolaire Aragon à Clichy-la-Garenne à la somme globale de 358 945,75 euros toutes taxes comprises (TTC) ;

3°) de condamner la commune de Clichy-la-Garenne à lui verser la somme de 313 909,04 euros toutes taxes comprises (TTC), au titre du solde du décompte général et définitif, assortie des intérêts moratoires et de leur capitalisation à compter " des dates d'exigibilité de chacune des situations ", dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Clichy-la-Garenne la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable ;

- le projet de décompte final transmis est devenu le décompte général et définitif par acceptation tacite le 8 décembre 2019 en application de l'article 13.4.4 du CCAG-Travaux ;

- en tout état de cause, des travaux supplémentaires réalisés pour un montant de 93 250,92 euros hors taxes doivent lui être payés dès lors que le maître d'œuvre et le maître de l'ouvrage les avaient demandés et validés, fût-ce en l'absence d'ordre de service ;

- elle a droit aux intérêts moratoires sur la somme que lui doit la commune de Clichy-la-Garenne à compter du 9 décembre 2019 et jusqu'au paiement définitif, qui n'est pas encore intervenu.

Par des mémoires en défense, enregistré le 23 décembre 2022 et le 7 juin 2023, la commune de Clichy-la-Garenne, représentée par Me Sabattier, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce que la société Atelier Architectes Aster la garantisse de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre ;

3°) à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société Paris Ouest Construction au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable au regard des stipulations de l'article 50.3 du CCAG-Travaux

- le projet de décompte général de la société Paris Ouest Construction n'a pas revêtu de caractère définitif dès lors que :

. il a été modifié par rapport au projet de décompte final, lui-même irrégulier en la forme dès lors que le titulaire du marché a signé dans l'emplacement réservé au maître de l'ouvrage ;

. il est incomplet ;

. il n'a pas été adressé au maire, seul destinataire habilité en qualité de représentant du pouvoir adjudicateur, ni à l'adresse postale imposée par l'article 6 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché ;

- la société Paris Ouest Construction n'a pas droit au paiement des travaux supplémentaires dont elle se prévaut, en l'absence d'ordre de service et d'avenant et dès lors au surplus qu'il n'est pas établi qu'ils auraient été rendus indispensables à la livraison de l'ouvrage dans les règles de l'art ;

- la société Paris Ouest Construction n'a pas droit au paiement des intérêts moratoires, faute d'avoir déposé ses demandes de paiement sur la plateforme dématérialisée Chorus ;

- en tout état de cause, elle est fondée à appeler en garantie son maître d'œuvre, la société Atelier Architectes Aster, qui a failli à sa mission de direction de l'exécution du contrat dans son volet relatif au paiement des comptes.

Par un courrier du 8 septembre 2021, le tribunal a proposé aux parties de régler leur litige par une médiation. A la suite du refus de la société Paris Ouest Construction, l'affaire est retournée à l'instruction le 22 septembre 2021.

Par ordonnance du 8 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 29 septembre 2023 à 12 heures.

Par un courrier du 16 mai 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité, dans un plein contentieux contractuel de nature indemnitaire, des conclusions à fin d'injonction sous astreinte de la société Paris Ouest Construction.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code civil ;

- la loi n° 2013-100 du 28 janvier 2013 ;

- le décret n° 2013-269 du 29 mars 2013 ;

- l'arrêté du 3 mars 2014 modifiant l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Cordary, première conseillère ;

- les conclusions de M. Sitbon, rapporteur public ;

- les observations de Me Cailloce, pour la société Paris Ouest Construction ;

- et les observations de Me Roudergues, substituant Me Sabattier, pour la commune de Clichy-la-Garenne.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement du 25 septembre 2018, la commune de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine) a confié à la société Paris Ouest Construction un marché relatif aux travaux d'aménagement de quatre salles maternelles d'une cour au sein de l'établissement scolaire Aragon, pour un prix global et forfaitaire de 915 780,38 euros HT (hors taxes). Par courrier du 12 juillet 2019, la société Paris Ouest Construction a avisé la commune et le maître d'œuvre de ce que les travaux seraient achevés le 2 août 2019. Le maître d'œuvre a alors proposé au maître de l'ouvrage, qui n'a pas répondu, de réceptionner les travaux avec réserves à cette date. Par courriers des 30 septembre 2019 et 22 novembre 2019 respectivement, la société Paris Ouest Construction a alors adressé ses projets de décompte final et général à la commune et à son maître d'œuvre. La commune de Clichy-la-Garenne n'y ayant donné aucune suite, la société Paris Ouest Construction lui a vainement demandé, par lettre du 17 décembre 2019, de lui régler le solde de 358 945,75 euros TTC indiqué dans son projet de décompte général. Par la présente requête, elle demande au tribunal d'annuler le rejet implicite de son mémoire en réclamation du 18 septembre 2020, de condamner la commune de Clichy-la-Garenne à lui verser la somme de 313 909,04 euros TTC (toutes taxes comprises) au titre du décompte général et définitif, majorée des intérêts moratoires et de la capitalisation des intérêts, dans un délai de huit jours et sous astreinte de 300 euros par jour de retard.

Sur la jonction :

2. Les requêtes n°s 2006681 et 2105165 présentées par la société Paris Ouest Construction présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul et même jugement.

Sur la recevabilité des conclusions :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 50.1.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG-Travaux) dans sa rédaction issue de l'arrêté du 3 mars 2014 applicable au litige : " Si un différend survient entre le titulaire et le maître d'œuvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. / Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants. Il transmet son mémoire au représentant du pouvoir adjudicateur et en adresse copie au maître d'œuvre. / Si la réclamation porte sur le décompte général du marché, ce mémoire est transmis dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du décompte général. / Le mémoire reprend, sous peine de forclusion, les réclamations formulées antérieurement à la notification du décompte général et qui n'ont pas fait l'objet d'un règlement définitif. ". Selon l'article 50.2 du même cahier : " Lorsque le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas donné suite ou n'a pas donné une suite favorable à une demande du titulaire, le règlement définitif du différend relève des procédures fixées aux articles 50.3 à 50.6. ". L'article 50.3.1 du même cahier stipule que : " Pour les réclamations auxquelles a donné lieu le décompte général du marché, le titulaire dispose d'un délai de six mois, à compter de la notification de la décision prise par le représentant du pouvoir adjudicateur en application de l'article 50.1.2, ou de la décision implicite de rejet conformément à l'article 50.1.3, pour porter ses réclamations devant le tribunal administratif compétent. ".

4. Il résulte de l'instruction que dans son courrier du 17 décembre 2019 adressé à la commune de Clichy-la-Garenne, la société Paris Ouest Construction s'est bornée à prendre acte de l'existence d'un décompte général et définitif tacite depuis le 8 décembre 2019 et à demander en conséquence à la commune qu'elle lui en règle le solde. Dans ces conditions, ce courrier n'ayant fait état d'aucun différend entre le pouvoir adjudicateur et la société titulaire, il ne peut être regardé comme un mémoire en réclamation au sens de l'article 50.1 du CCAG-Travaux précité qui aurait fait courir le délai de six mois mentionné à l'article 50.3.1 du même cahier. Par suite, la fin de non-recevoir soulevée par la commune de Clichy-la-Garenne tirée de la tardiveté de la requête doit être écartée.

5. En second lieu, aux termes du II de l'article 1er de la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980, reproduit à l'article L. 911-9 du code de justice administrative : " Lorsqu'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné une collectivité locale ou un établissement public au paiement d'une somme d'argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme doit être mandatée ou ordonnancée dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de justice. A défaut de mandatement ou d'ordonnancement dans ce délai, le représentant de l'Etat dans le département ou l'autorité de tutelle procède au mandatement d'office. ".

6. Il ne ressort pas de l'article précité qu'il soit de l'office du juge du contrat de prononcer une injonction sous astreinte lorsqu'il condamne une collectivité territoriale au paiement d'une somme d'argent. Dans ces conditions, les conclusions à fin d'injonction sous astreinte de la commune de Clichy-la-Garenne sont irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions d'excès de pouvoir :

7. La décision implicite par laquelle la commune de Clichy-la-Garenne a rejeté le mémoire en réclamation que lui a adressé la société Paris Ouest Construction le 18 septembre 2020 a eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de sa demande qui a le caractère d'un recours de plein contentieux. Les conclusions tendant à son annulation sont donc sans objet.

Sur l'établissement du décompte :

En ce qui concerne l'existence d'un décompte général et définitif tacite :

8. D'une part, aux termes de l'article 13.3.1. du cahier des clauses administratives générales travaux du 8 septembre 2009 dans sa rédaction résultant de l'arrêté du 3 mars 2014 : " Après l'achèvement des travaux, le titulaire établit le projet de décompte final, concurremment avec le projet de décompte mensuel afférent au dernier mois d'exécution des prestations ou à la place de ce dernier. Ce projet de décompte final est la demande de paiement finale du titulaire, établissant le montant total des sommes auquel le titulaire prétend du fait de l'exécution du marché dans son ensemble, son évaluation étant faite en tenant compte des prestations réellement exécutées. Le projet de décompte final est établi à partir des prix initiaux du marché, comme les projets de décomptes mensuels, et comporte les mêmes parties que ceux-ci, à l'exception des approvisionnements et des avances. Ce projet est accompagné des éléments et pièces mentionnés à l'article 13.1.7 s'ils n'ont pas été précédemment fournis () ". Selon l'article 13.3.2 du même cahier : " Le titulaire transmet son projet de décompte final, simultanément au maître d'œuvre et au représentant du pouvoir adjudicateur, par tout moyen permettant de donner une date certaine, dans un délai de trente jours à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux telle qu'elle est prévue à l'article 41.3 ou, en l'absence d'une telle notification, à la fin de l'un des délais de trente jours fixés aux articles 41.1.3 et 41.3 () ". L'article 13.4.2 du même cahier stipule que : " Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général à la plus tardive des deux dates ci-après : /- trente jours à compter de la réception par le maître d'œuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ; / - trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur de la demande de paiement finale transmise par le titulaire () ". Enfin, aux termes de l'article 13.4.4 de ce cahier des clauses administratives générales : " Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, un projet de décompte général signé, composé : / - du projet de décompte final tel que transmis en application de l'article 13.3.1 ; / - du projet d'état du solde hors révision de prix définitive, établi à partir du projet de décompte final et du dernier projet de décompte mensuel, faisant ressortir les éléments définis à l'article 13.2.1 pour les acomptes mensuels ; / - du projet de récapitulation des acomptes mensuels et du solde hors révision de prix définitive. Dans un délai de dix jours à compter de la réception de ces documents, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie le décompte général au titulaire. Le décompte général et définitif est alors établi dans les conditions fixées à l'article 13.4.3. Si, dans ce délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif () ".

9. Il ressort de la combinaison des stipulations précitées que la réception, par le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre, du projet de décompte final, établi par le titulaire du marché, est le point de départ du délai de trente jours prévu à l'article 13.4.2, dont le dépassement peut donner lieu à l'établissement d'un décompte général et définitif tacite dans les conditions prévues par l'article 13.4.4. du CCAG. Dès lors que l'expiration du délai de trente jours prévue par l'article 13.4.2. est appréciée au regard de la plus tardive des dates de réception du projet de décompte final respectivement par le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre, ce délai ne peut pas courir tant que ceux-ci n'ont pas tous deux reçu le document en cause à une date certaine.

10. D'autre part, aux termes de l'article 6 du cahier des clauses administratives particulières du marché en litige : " () Les demandes de paiement devront parvenir à l'adresse suivante : " Ville de Clichy-la-Garenne, M. A, direction des finances, 80 boulevard Jean Jaurès, 92110 Clichy-la-Garenne ". Les entreprises doivent transmettre leur demande de paiement sous forme dématérialisée au moyen de la solution " Chorus Pro " à l'adresse suivante : " https:// chorus.pro.gouv.fr. Les factures transmises en dehors de ces obligations ne seront pas traitées. () ".

11. En premier lieu, si la commune de Clichy-la-Garenne soutient que le projet de décompte final est irrégulier en la forme en ce qu'il comporte la signature du titulaire dans l'emplacement réservé au maître de l'ouvrage, lacune qui entache également le projet de décompte général d'irrégularité en ce qu'il n'est pas conforme au projet de décompte final, un tel moyen ne peut qu'être écarté dès lors que le projet de décompte final, qui n'est soumis à aucun formalisme particulier, n'a pas à être signé par le titulaire. La commune de Clichy-la-Garenne ne peut donc tirer aucune conséquence juridique de l'accomplissement par le titulaire d'une formalité inutile, qui n'a pas d'effet sur la valeur contractuelle du document ni n'affecte la suite de la procédure d'arrêt des comptes.

12. En deuxième lieu, si la commune de Clichy-la-Garenne soutient que le projet de décompte final est incomplet au regard des stipulations de l'article 13.3.1 du CCAG-Travaux selon lesquelles il doit comporter les pièces mentionnées à l'article 13.1.7 du même cahier si elles n'ont pas été précédemment fournies, la société Paris Ouest Construction verse à l'instance un document intitulé " situation n° 9 au 31 août 2019 ", qui récapitule l'ensemble des éléments adressés au cours de l'exécution du marché au maître de l'ouvrage, au nombre desquels figurent les documents visés à l'article 13.1.7. Par suite, dès lors que les justificatifs et les décomptes mensuels lui ont été transmis en amont, la commune de Clichy-la-Garenne n'est pas fondée à soutenir que le projet de décompte final qui lui a été adressé était incomplet.

13. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que la société Paris Ouest Construction a adressé son projet de décompte final à la commune de Clichy-la-Garenne par un courrier du 30 septembre 2019 réceptionné respectivement le 2 octobre 2019 par le maître d'œuvre et le 3 octobre 2019 par le pouvoir adjudicateur. En l'absence de décompte général notifié par le pouvoir adjudicateur, la société titulaire a adressé son propre décompte général le 22 novembre 2019, notifié le 28 novembre 2019 au maître d'œuvre et au pouvoir adjudicateur. La société Paris Ouest Construction soutient qu'en l'absence de réponse du pouvoir adjudicateur dans le délai de dix jours stipulé par l'article 13.4.4 du CCAG-Travaux, un décompte général et définitif tacite est né le 9 décembre 2019. Si, pour s'en défendre, la commune de Clichy-la-Garenne fait valoir que l'adresse postale à laquelle le projet de décompte final lui a été adressé n'est pas celle de la direction des finances 80 boulevard Jean Jaurès mentionnée à l'article 6 précité du CCAP, mais celle des services techniques sis 51, rue Pierre, il ressort toutefois du document lui-même qu'il a été établi à l'adresse requise " pour le compte du maître de l'ouvrage, la ville de Clichy-la-Garenne représentée par son maire, 80 boulevard Jean Jaurès - 92 110 Clichy-la-Garenne ". A cet égard, il résulte de l'instruction que la commune a accusé réception du pli en cause, de sorte qu'il appartenait à la direction des services techniques, qui fait partie des services de la commune sous la responsabilité du maire, après avoir ouvert le pli, de transmettre le projet de décompte final à la direction des finances. Dans ces conditions, et alors que la commune de Clichy-la-Garenne n'établit ni même n'allègue que le représentant du pouvoir adjudicateur en la personne du maire n'aurait pas reçu ce document, la société Paris Ouest Construction est fondée à soutenir qu'un décompte général et définitif est tacitement né le 9 décembre 2019.

14. Dès lors que l'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché public de travaux est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l'établissement du décompte général et définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties, le solde du marché doit donc être fixé à la somme de 358 945,75 euros TTC, telle qu'elle figure dans le projet de décompte final de la société Paris Ouest Construction. Dès lors qu'il résulte de l'instruction que la commune de Clichy-la-Garenne lui a déjà versé la somme de 45 036,71 euros TTC le 19 février 2020, il y a seulement lieu de la condamner à verser à la société Paris Ouest Construction la somme de 313 909,04 euros TTC.

Sur les intérêts moratoires et leur capitalisation :

15. Aux termes de l'article 1er du décret du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commande publique, applicable au marché en litige : " Le délai de paiement () est fixé à : 1° Trente jours pour : () b) Les collectivités territoriales et les établissements publics locaux ; () ". Son article 2 dispose que : " I. - Le délai de paiement court à compter de la date de réception de la demande de paiement par le pouvoir adjudicateur (). Toutefois : () 2° Pour le paiement du solde des marchés de travaux soumis au code des marchés publics, le délai de paiement court à compter de la date de réception par le maître de l'ouvrage du décompte général et définitif établi dans les conditions fixées par le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux. (). ". Selon son article 8 : " I. - Le taux des intérêts moratoires est égal au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations principales de refinancement les plus récentes, en vigueur au premier jour du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de huit points de pourcentage. / Les intérêts moratoires courent à compter du jour suivant l'échéance prévue au contrat ou à l'expiration du délai de paiement jusqu'à la date de mise en paiement du principal incluse. / Les intérêts moratoires appliqués aux acomptes ou au solde sont calculés sur le montant total de l'acompte ou du solde toutes taxes comprises, diminué de la retenue de garantie, et après application des clauses d'actualisation, de révision et de pénalisation. ".

16. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le décompte général et définitif du marché est né tacitement le 9 décembre 2019. Par suite, en application des dispositions précitées du décret du 29 mars 2013, le délai de paiement était fixé au 8 janvier 2020, de sorte que les intérêts moratoires ont commencé à courir à compter du 9 janvier 2020 jusqu'à la date de mise en paiement des sommes dues. Dans ces conditions, la commune de Clichy-la-Garenne est condamnée à verser à la société Paris Ouest Construction les intérêts moratoires au taux appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations principales de refinancement les plus récentes, en vigueur au premier jour du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de huit points de pourcentage, sur la somme de 313 909,04 euros TTC évoquée au point 14 ci-dessus, du 9 janvier 2020 jusqu'à la date à laquelle elle sera effectivement réglée. Sont à cet égard sans incidence les stipulations précitées de l'article 6 du CCAP dont se prévaut la commune de Clichy-la-Garenne, qui, si elles faisaient échec à l'application des intérêts moratoires, seraient en tout état de cause réputées non écrites.

17. En second lieu, il y a lieu d'assortir la somme due de la capitalisation des intérêts moratoires à compter du 9 janvier 2021, date à laquelle une année entière d'intérêts était due, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur l'appel en garantie :

18. En se bornant à alléguer que la société Atelier Architectes Aster, en qualité de maître d'œuvre, a manqué à sa mission de vérification du projet de décompte final du titulaire, la commune de Clichy-la-Garenne n'apporte aucun élément de nature à démontrer qu'une faute aurait à ce titre été commise. Dans ces conditions, ses conclusions subsidiaires tendant à ce que la société Atelier Architectes soit condamnée à la garantir de la condamnation prononcée à son encontre ne peuvent qu'être rejetées.

Sur la demande de provision :

19. Dès lors que le présent jugement statue au fond sur les conclusions de la société Paris Ouest Construction tendant à la fixation du solde du marché en litige pour un montant de 313 909,04 euros, les conclusions à fin de condamnation de la commune de Clichy-la-Garenne, présentées dans la requête en référé provision n° 2006681 au titre de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, ont perdu leur objet à hauteur de ce montant. Il n'y a donc plus lieu d'y statuer. Pour le surplus en revanche, les conclusions de la requête doivent être rejetées.

Sur les frais liés aux litiges :

20. La commune de Clichy-la-Garenne, partie perdante de la présente instance, n'est pas fondée à demander à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Paris Ouest Construction au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il y a en revanche lieu de mettre à sa charge la somme de 4 000 euros sur ce même fondement.

Par ces motifs, le tribunal décide :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 2006681 tendant à la condamnation de la commune de Clichy-la -Garenne à verser la somme de 313 909,04 euros à titre de provision à la société Paris Ouest Construction.

Article 2 : La commune de Clichy-la-Garenne est condamnée à verser à la société Paris Ouest Construction la somme de 313 909,04 euros TTC, augmentée des intérêts moratoires et de la capitalisation de ces intérêts calculés selon les modalités indiquées aux points 15 à 17 du présent jugement.

Article 3 : La commune de Clichy-la-Garenne versera à la société Paris Ouest Construction la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Article 4 : Les conclusions des parties sont rejetées pour le surplus.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à la société Paris Ouest Construction, à la commune de Clichy-la-Garenne et à la société Atelier Architectes Aster.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Oriol, présidente, Mme Cordary, première conseillère, et Mme Gay-Heuzey, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juin 2024.

La rapporteure,

Signé

C. CORDARY

La présidente,

Signé

C. ORIOLLa greffière,

Signé

V. RICAUD

La République mande et ordonne au préfet des Hauts-de-Seine ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour ampliation,

La greffière

N°s 2006681 - 2105165