TA de la Polynésie française, 02 novembre 2023, n° 2300423

 

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 13 septembre 2023 et complétée par un mémoire enregistré le 18 octobre 2023, la société Boyer, représentée par Me Dal Farra, demande au juge des référés :

1°) de condamner la Polynésie Française à lui verser une provision de 49 342 348 F CFP, assortie des intérêts de retard, capitalisés chaque année après une année d'intérêts, à compter de la date à laquelle lui a été notifié l'arrêt n° 20PA01615 du 14 avril 2023 de la Cour administrative d'appel de Paris ;

2°) de mettre à la charge de la Polynésie Française une somme de 600 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à la suite de l'arrêt définitif n° 20PA01615 du 14 avril 2023 de la cour administrative d'appel de Paris, l'avenant transactionnel du 3 juin 2019 est désormais définitif et doit être exécuté par la Polynésie française ; l'obligation de payer la somme réclamée n'est pas sérieusement contestable ;

- le moyen opposé en défense tiré de la signature du décompte du marché méconnaît le principe de loyauté des relations contractuelles, auquel les parties à la transaction sont tenues, de sorte que, à titre principal, le moyen est irrecevable ou à tout le moins inopérant ; l' exécution de la transaction n'est pas assujettie à l'inscription des sommes afférentes au décompte de liquidation du marché de travaux ; la Polynésie française ne s'est jamais prévalue d'une telle caducité à l'occasion des instances auxquelles elle était partie devant la cour administrative d'appel ;

- les principes d'indivisibilité et d'intangibilité du décompte d'un marché de travaux ne sont pas d'ordre public et ne font pas obstacle, à titre subsidiaire, à ce que les parties à ce marché règlent, par un protocole d'accord transactionnel instituant un lien de droit autonome, avant l'établissement du décompte, une contestation à naître relative à l'exécution dudit marché de travaux ; les réclamations qui ont fait l'objet d'un règlement définitif avant la notification du décompte général n'ont pas nécessairement à être reprises dans ce dernier ;

- la question du point de départ des intérêts de droit délicate pourrait être réservée à l'examen de la requête au fond ;

Par un mémoire en défense enregistré le 26 septembre 2023, la Polynésie française conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- compte tenu des oppositions persistantes au projet et les insuffisances révélées de l'étude d'impact environnementale, l'autorité compétente décidait de prononcer la résiliation du marché pour motif d'intérêt général par décision du 25 novembre 2021 notifiée le 14 décembre 2021, à la société Boyer ; le décompte de liquidation, établi par l'autorité compétente conformément à l'article 6.5.6 du CCAG travaux, était notifié à la société Boyer le 11 mars 2022 ; le même jour, ce décompte était signé sans réserve par l'entreprise en dépit de l'instance pendante devant la juridiction d'appel ;

- la créance dont se prévaut la partie adverse se heurte à une contestation sérieuse ; le règlement financier d'un marché public de travaux est, en principe, enfermé dans un décompte général qui, une fois signé par les deux parties, devient unique, exhaustif et définitif ; il présente deux caractéristiques : l'indivisibilité et l'intangibilité ; le décompte ne faisait pas état des sommes dues en application de l'avenant transactionnel du 3 juin 2019 ; il appartenait à la société Boyer de formuler des réserves afin de préserver ses droits sur le montant de cette réclamation ; l'existence d'un litige pendant devant le juge administratif n'empêche pas non plus le décompte général de devenir définitif ;

- les intérêts de droit ne pourraient courir avant le 15 mai 2023, date de réception de la demande ;

La clôture d'instruction a été fixée au 20 octobre 2023 à 11h (locale).

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code polynésien des marchés publics

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

Sur la provision :

1. L'article R. 541-1 du code de justice administrative dispose que : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ".

2. Le marché public n°180020 relatif aux travaux de construction d'une marina à Tevaitoa, sur l'île de Raiatea, a été conclu le 19 mars 2018 entre la Polynésie française et la société Boyer. Le 27 août 2018, des opposants au projet de marina ont occupé les abords du chantier et une partie du site en limitant les manœuvres de la drague. Par une ordonnance n°1800365 du 29 octobre 2018, le juge des référés a enjoint aux manifestants de libérer l'accès à la parcelle domaniale. Les travaux ont alors été suspendus le 16 novembre 2018 par ordre de service, puis ajournés, avec effet rétroactif, le 14 décembre 2018. Par un jugement du 26 mars 2019, le tribunal de céans a annulé l'arrêté du 6 août 2018 portant déclaration d'utilité publique de ces travaux en raison de l'insuffisance de l'étude d'impact. Le 3 juin 2019, un avenant n°190130 au marché public de travaux était conclu, d'un montant de 49 342 348 F CFP, introduisant trois " prix unitaires nouveaux " au profit du titulaire du marché, correspondant, d'une part, à des frais d'immobilisation du chantier à compter du 3 septembre 2018 et, d'autre part, à des frais de réparation et de remise en état de la clôture de chantier. L'avenant a été transmis au haut-commissaire de la République en Polynésie Française qui a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'en prononcer l'annulation. Par un jugement n° 1900460 du 19 mai 2020, le tribunal administratif de céans a annulé cet avenant. Par un arrêt définitif n°20PA01615 du 14 avril 2023, la Cour administrative d'appel (CAA) de Paris a annulé ce jugement, estimé valide la transaction contenue dans l'avenant contesté et rejeté le déféré présenté par le haut-commissaire de la République en Polynésie française. Entre-temps, la Polynésie française décidait le 25 novembre 2021 de prononcer la résiliation du marché pour motif d'intérêt général. Le décompte de liquidation a été notifié à la société Boyer le 11 mars 2022 qui l'a signé sans réserve le même jour.

3. Si l'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché de travaux publics est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont le seul le solde arrêté lors de l'établissement du décompte définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties, il est constant que, par l'effet de l'arrêt de la CAA de Paris du 14 avril 2023, la transaction conclue entre la Polynésie française et la société Boyer a retrouvé sa force obligatoire à la date de sa signature le 3 juin 2019, soit antérieurement à l'établissement et la signature du décompte du marché, lequel ne comporte au demeurant aucune somme au crédit de la société Boyer ni réserve en lien avec cet accord transactionnel. La société Boyer est dès lors fondée à soutenir que l'existence de l'obligation de la Polynésie française de lui verser la somme correspondante n'est pas sérieusement contestable. Il y a donc lieu de condamner la Polynésie française à lui verser la provision sollicitée d'un montant de 49 342 348 F CFP. Cette somme sera assortie des intérêts de retard calculés nécessairement à compter de la date de la demande du 15 mai 2023, préalable à la présente instance. Une année ne s'étant pas écoulée, il n'y a pas lieu d'ordonner la capitalisation de ces intérêts.

Sur les frais liés au litige :

4. En application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de la Polynésie française, tenue au dépens, une somme de 150 000 F CFP à verser à la société Boyer en remboursement des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

O R D O N N E :

Article 1er : La Polynésie française est condamnée à verser à la société Boyer une provision d'un montant de 49 342 348 F CFP, augmenté des intérêts de retard à compter du 15 mai 2023.

Article 2 : La Polynésie française versera une somme de 150 000 F CFP à la société Boyer au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Boyer et à la Polynésie française.

Fait à Papeete, le 2 novembre 2023

Le président,

Pascal Devillers

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Un greffier,

N°2300423