TA de la Polynésie française, 13 novembre 2023, n°2300497

 

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 octobre et 9 novembre 2023, la Sarl Infonecs, demande au juge des référés :

1°) d'annuler la décision n° 7448/PR/A du 17 octobre 2023 par laquelle le président de la Polynésie française a rejeté son offre pour le lot n° 2 du marché public de prestations de téléassistance et assistance de proximité pour la direction du système d'information de la Polynésie française ;

2°) d'enjoindre à la Polynésie française d'examiner son offre déposée le 31 mai 2023 et de " la mettre en concurrence ".

Elle soutient que :

- la requête est recevable ;

- la condition posée à l'article 2 du CCTP est entièrement vérifiée ;

- elle a renseigné dans le BPU les prix unitaires pour un technicien, ce qui permet une application des prix unitaires aux quantités réellement livrées ou exécutées par chaque technicien mobilisé pour la prestation ; l'administration ne précise pas le nombre de techniciens à prendre en compte par unité d'oeuvre dans le BPU et semble considérer, pour justifier sa décision de rejet, que, formellement, les prix unitaires doivent être établis pour la prestation de deux techniciens et non d'un seul, ce qui est abusif ; le BPU produit n'est ni incomplet ni erroné.

Par un mémoire enregistré le 7 novembre 2023, la société Cegelec Polynésie, représentée par la Selarl Jurispol, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 200 000 F CFP soit mise à la charge de la société requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les pièces du marché induisent le fait de prendre en compte une unité d'œuvre de deux techniciens et que l'irrégularité de la présentation du BPU entraîne l'irrecevabilité de l'offre ; l'acheteur public n'avait pas d'autre choix que de sanctionner une offre dont la présentation n'était pas conforme aux pièces du marché qui présentent une utilité pour apprécier les mérites respectifs des offres.

Par un mémoire enregistré le 9 novembre 2023, la Polynésie française conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que la Sarl Infonecs n'apporte aucun élément établissant un quelconque manquement de la collectivité susceptible de l'avoir lésée.

Le président du tribunal a désigné M. Graboy-Grobesco, premier conseiller, pour statuer sur les demandes de référés.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code polynésien des marchés publics ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 10 novembre 2023, à 10 heures :

- le rapport de M. Graboy-Grobesco, juge des référés,

- les observations de M. B, représentant la Sarl Infonecs, qui a rappelé les faits ayant conduit au présent litige et développé oralement son argumentation écrite, en maintenant l'ensemble de ses conclusions et moyens qu'il précise conformément à ses écritures ;

- celles de Mme D, pour la Polynésie française, qui reprend les arguments exposés dans ses écritures en rappelant le contexte et les exigences du présent marché public ;

- et celles de Me Quinquis, pour la société Cegelec Polynésie, qui confirme ses développements écrits et indique avoir produit, ce jour, une pièce complémentaire.

La clôture de l'instruction a été différée en application de l'article R. 522-8 du code de justice administrative, au même jour, à 16 heures (heure locale).

Une pièce complémentaire a été été enregistrée, le 10 novembre 2023 avant clôture différée de l'instruction, pour la société Cegelec Polynésie.

Considérant ce qui suit :

1. La Sarl Infonecs demande au juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision du 17 octobre 2023 par laquelle le président de la Polynésie française a rejeté son offre pour le lot n° 2 du marché public de prestations de téléassistance et assistance de proximité pour la direction du système d'information de la Polynésie française. Par une ordonnance du 25 octobre 2023, matériellement rectifiée par une ordonnance du 26 octobre suivant, le juge des référés a enjoint, avant dire-droit, à la Polynésie française de différer la signature du lot n° 2 du marché litigieux au plus tard jusqu'au 15 novembre 2023. Par la présente requête, la Sarl Infonecs sollicite l'annulation de la décision du 17 octobre 2023 par laquelle le président de la Polynésie française a rejeté son offre pour le lot n°2 du marché public litigieux et doit être regardée comme demandant également la reprise de la procédure de passation du marché litigieux au stade de l'examen des offres respectives.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 551-24 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-24 du code de justice administrative : " () en Polynésie française (), le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés et contrats publics en vertu de dispositions applicables localement. / Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par ce manquement, ainsi que le haut-commissaire de la République dans le cas où le contrat est conclu ou doit être conclu par une collectivité territoriale ou un établissement public local. / Le président du tribunal administratif peut être saisi avant la conclusion du contrat. Il peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la passation du contrat ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte. Il peut également annuler ces décisions et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. Dès qu'il est saisi, il peut enjoindre de différer la signature du contrat jusqu'au terme de la procédure et pour une durée maximum de vingt jours. / Le président du tribunal administratif ou son délégué statue en premier et dernier ressort en la forme des référés. ".

3. Les personnes habilitées à engager le recours prévu à l'article L. 551-24 du code de justice administrative en cas de manquement du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué. Il appartient dès lors au juge des référés précontractuels de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente. Le choix de l'offre d'un candidat irrégulièrement retenu est susceptible d'avoir lésé le candidat qui invoque ce manquement, à moins qu'il ne résulte de l'instruction que sa candidature devait elle-même être écartée, ou que l'offre qu'il présentait ne pouvait qu'être éliminée comme inappropriée, irrégulière ou inacceptable.

4. Aux termes de l'article LP 122-3 du code polynésien des marchés publics : " Au sens du présent code, on entend par : () 11° offre irrégulière, offre qui, tout en apportant une réponse au besoin de l'acheteur public, est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation ; () ". L'article LP 216-1 de ce code dispose que : " Les prix des prestations faisant l'objet d'un marché sont soit des prix unitaires appliqués aux quantités réellement livrées ou exécutées, soit des prix forfaitaires appliqués à tout ou partie du marché, quelles que soient les quantités livrées ou exécutées. () ".

5. Aux termes de l'article 2.1 du Cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du marché public de prestations de téléassistance et assistance de proximité pour la direction du système d'information de la Polynésie française (Lot 2 " Prestation assistance de proximité sur Tahiti et Moorea) : " (). / L'assistance de proximité devra être assurée a minima par 2 techniciens informatiques ayant de fortes compétences en informatique, et possédant une aisance dans la communication. Chaque intervenant devra être indépendant, assurer l'organisation et le suivi de la bonne exécution des tâches. / Cette équipe d'assistance de proximité devra être polyvalente, disposer de moyens de transport, d'un accès à Internet à très haut débit, de moyens en télécommunication (fixe ou mobile), de postes de travail sécurisés et être sensibilisée à la sécurité informatique. ". L'article 3 de ce document stipule que : " Les intervenants dans le cadre de l'assistance de proximité assurent la prise en charge et la résolution des incidents/dysfonctionnements qui requiert une intervention directe sur site. () ". Aux termes de l'article 4.3.2 du même document : " () Le personnel mis en place par le titulaire doit être suffisant en termes d'effectifs et de compétences pour atteindre ces objectifs. () ".

6. Le règlement de consultation du marché énonce, dans son article 12 relatif aux critères d'attribution que, s'agissant du prix, " le critère prix est analysé sur la base du montant total général TTC du " Détail quantitatif estimatif " (DQE). / Le DQE est joint en annexe du règlement de consultation, complété par le candidat et renvoyé avec son offre. Il permet à l'acheteur public de noter chaque candidat. / Le montant le moins disant du DQE obtient le maximum des points ; les prix indiqués dans le DQE doivent être impérativement identiques à ceux figurant dans le BPU. A défaut, le prix analysé est celui calculé à partir des prix mentionnés dans le BPU. / Dans le cas où des erreurs purement matérielles (de multiplication, d'addition ou de report) seraient constatées entre les indications portées sur le bordereau des prix unitaires plafonds (BPU) et le détail quantitatif estimatif (DQE), l'acheteur public retiendra le prix unitaire indiqué dans le BPU et corrigera le DQE en conséquence. () ".

7. Il résulte du mémoire technique de la Sarl Infonecs présenté pour l'appel d'offres du marché précité de la direction du système d'information de la Polynésie française, s'agissant du lot susvisé n° 2, (point 2.1) que dans le cadre du présent marché, " il est prévu qu'au moins 4 techniciens soient référencés à la A et que 2 techniciens soient affectés en permanence sur ce marché pour des périodes longues (au minimum un trimestre ou semestre). Nous recruterons également 2 techniciens juniors afin de renforcer notre effectif. Vous pourrez donc vous appuyer sur une cellule support de 7 personnes ".

8. Pour rejeter l'offre de la Sarl Infonecs comme " irrégulière ", le président de la Polynésie française a opposé le fait que les prix proposés dans le bordereau de prix unitaire (BPU) ont été " établis pour un technicien " alors que l'article 2 du CCTP ainsi que le BPU stipulent que " l'assistance de proximité devra être assurée a minima par 2 techniciens informatiques ". En l'espèce, dans le bordereau de prix unitaire (BPU) relatif au lot n° 2 du marché en litige, la société requérante a mentionné des prix unitaires HT et TTC pour des unités d'œuvre (UO) de 1 à 4 heures d'intervention et pour une journée de prestation. La circonstance que ce bordereau indique des prix unitaires correspondant à la prestation d'un seul technicien, alors que le contenu de l'offre de la requérante comporte au moins 4 techniciens à référencer par la A pour le marché en litige et que les pièces du marché n'imposent pas de préciser formellement dans le BPU le montant du prix unitaire pour l'intervention de 2 techniciens, n'est pas de nature à conférer à l'offre de la Sarl Infonecs un caractère irrégulier. Dans ces conditions, la décision de rejet opposée à la société requérante, au motif d'une offre irrégulière, constitue un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence nécessairement susceptible de l'avoir lésée puisqu'il constitue le fondement de son éviction.

9. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler la décision portant rejet de l'offre de la Sarl Infonecs ainsi que la procédure de passation du marché en litige (lot n° 2) à compter de l'examen des offres des candidats et d'enjoindre à la Polynésie française, sauf si elle entendait renoncer à passer le contrat, de reprendre la procédure de passation à compter de ce stade.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la Sarl Infonecs, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

ORDONNE :

Article 1er : La décision n° 7448/PR/A du 17 octobre 2023 par laquelle le président de la Polynésie française a rejeté l'offre présentée par la Sarl Infonecs pour le lot n° 2 du marché public de prestations de téléassistance et assistance de proximité pour la direction du système d'information de la Polynésie française est annulée.

Article 2 : La procédure de passation du marché public de prestations de téléassistance et assistance de proximité pour la direction du système d'information de la Polynésie française, relative au lot n° 2, est annulée à compter de l'analyse des offres.

Article 3 : Il est enjoint à la Polynésie française, si elle entend poursuivre la procédure de passation du marché en litige, de la reprendre au stade de l'analyse des offres pour le lot n° 2.

Article 4 : Les conclusions de la société Cegelec Polynésie présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la Sarl Infonecs, la société Cegelec Polynésie et à la Polynésie française.

Fait à Papeete, le 13 novembre 2023.

Le juge des référés,Le greffier,

A. Graboy-GrobescoM. C

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Un greffier,