TA de Marseille, 18 octobre 2023, n° 2103739

 

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance du 26 avril 2021, le président du tribunal administratif de Nancy a transmis au tribunal administratif de Marseille la requête de la société JFG Consulting en application des articles R. 312-11 et R. 351-3 alinéa 1 du code de justice administrative.

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 19 avril 2021 et 10 juin 2022, la société JFG Consulting, représentée par Me Ribière, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 16 février 2021, confirmée le 9 mars 2021, par laquelle la commune de Reillanne a résilié la convention d'assistance technique, juridique et financière à la maîtrise d'ouvrage pour les réseaux de télécommunications de la commune conclue avec la société requérante le 17 novembre 2020 ;

2°) à titre principal, d'ordonner à la commune de Reillanne la reprise des relations contractuelles dans les mêmes conditions que prévues par la convention du 17 novembre 2020 ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner la commune à lui verser une somme de 13 500 euros hors taxes correspondant à une année de loyer renégocié et une somme de 2 000 euros hors taxes en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'exercice qu'elle a subi ;

4°) de mettre à la charge de la commune la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions aux fins de reprise des relations contractuelles sont recevables dès lors que la décision litigieuse est une mesure de résiliation ;

- la mesure litigieuse est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'elle a été prise en l'absence de mise en demeure préalable ;

- la mesure est également illégale dès lors que la commune a méconnu l'article 7 de la convention du 17 novembre 2020 qui imposait un règlement amiable du litige avant tout recours contentieux ;

- la mesure de résiliation est infondée dès lors qu'elle est fondée sur des faits matériellement inexacts et que le manquement qui lui est reproché n'est pas établi, la société ayant informé la commune de la valeur et de la rentabilité du pylône dont elle est propriétaire en conformité avec les termes du contrat concernant la phase 1 du contrat, et qu'ainsi aucune faute, de nature à justifier la résiliation, ne peut lui être reprochée ;

- à défaut d'une reprise des relations contractuelles et en l'absence de faute de sa part, elle a le droit de percevoir une indemnité en réparation du préjudice subi résultant des bénéfices manqués et des pertes subies au jour de la mesure de résiliation pour un montant de 13 500 euros toutes taxes comprises ;

- elle a également droit de percevoir une indemnité en réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence en ayant poursuivi le dialogue avec la commune, pour une somme qui ne peut être inférieure à 2 000 euros.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 28 avril 2022, la commune de Reillanne conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la société requérante la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions aux fins de reprise des relations contractuelles et aux fins d'indemnisation sont irrecevables dès lors que la décision attaquée ne constitue pas une mesure de résiliation mais une mesure d'exécution du contrat et plus spécifiquement, une décision de ne pas affermir la tranche conditionnelle du contrat ;

- par conséquent, les moyens soulevés par la société requérante en soutien de ces conclusions sont inopérants ;

- la société requérante n'est également pas fondée à solliciter ni une indemnité quelconque en réparation d'un préjudice résultant de la décision de la commune de ne pas affermir la tranche conditionnelle du contrat, ni une indemnité au titre de l'exécution des prestations de la phase 2 du contrat, lesquelles n'ont pas été exécutées ;

- la société requérante n'est également pas fondée à se prévaloir d'un préjudice moral et économique dès lors que la commune lui a notifié par deux fois sa décision de ne pas affermir le marché.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gonneau, président-rapporteur ;

- les conclusions de Mme Dyèvre, rapporteure publique ;

- les observations de Me Ribière, représentant la société JFG consulting, et celles de Me d'Albenas, représentant la commune de Reillanne.

La société JFG consulting a produit une note en délibéré, enregistrée le 4 octobre 2023.

La commune de Reillanne consulting a produit une note en délibéré, enregistrée le 5 octobre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Par une convention signée le 17 novembre 2020, la commune de Reillanne a conclu avec la société JFG Consulting un contrat portant sur une mission d'assistance technique, juridique et financière à la maîtrise d'ouvrage pour les réseaux de télécommunications de la commune. Cette convention comporte deux phases, décrites à l'article 2 de la convention, une tranche ferme, d'analyse dite " phase 1 " et une tranche conditionnelle, d'optimisation dite " phase 2 " que la commune peut décider de poursuivre ou non à l'issue de la phase 1 et de la présentation d'une synthèse réalisée par la société requérante. Par un courrier électronique du 16 février 2021, M. A, maire adjoint de la commune de Reillanne a indiqué à la société JFG consulting que la commune entendait mettre " fin au contrat aux termes de la phase 1 " et ne pas procéder à la phase 2 du contrat. Par un courrier du 9 mars 2021, adressé à la société requérante par lettre recommandée, la maire de la commune a confirmé la volonté de la commune de mettre fin au contrat. Par courrier du 28 décembre 2021, la société JFG consulting a adressé une facture de 8 000 euros toutes taxes comprises ainsi qu'un échéancier de paiement sur trois ans pour une somme de 20 000 euros correspondant à la rémunération de la société pour la réalisation des prestations de la phase 1 du contrat. Par une requête enregistrée le 19 avril 2021, la société JFG consulting demande l'annulation de la décision du 16 février 2021.

2. Aux termes de l'article R. 2113-4 du code de la commande publique : " Les acheteurs peuvent passer un marché comportant une tranche ferme et une ou plusieurs tranches optionnelles. Le marché définit la consistance, le prix ou ses modalités de détermination et les modalités d'exécution des prestations de chaque tranche ". Aux termes de l'article R. 2113-6 du même code : " L'exécution de chaque tranche optionnelle est subordonnée à la décision de l'acheteur de l'affermir, notifiée au titulaire dans les conditions fixées par le marché () ".

3. Il résulte de l'instruction que la société requérante a produit l'analyse de la phase 1 le 26 novembre 2020 présentant son avis, notifié par courrier électronique du 3 décembre 2020. Un second courrier, du 7 décembre suivant, propose à la commune d'adresser un courrier à la société locataire du pylône afin de ne pas reconduire le bail. Par ce même courrier, la société demande à la commune de l'accréditer auprès de la société TDF. La commune, a répondu à cette demande en envoyant un courrier le 8 décembre 2020 à la société TDF. La société a, par la suite, continué ses démarches au titre de la phase 2 et a adressé le 30 janvier 2021 un courrier à la commune lui signifiant qu'un accord était trouvé avec la société locataire pour un montant de 11 000 euros annuels majorés de 2 500 euros par an en cas d'ajout d'opérateur. Dans ces conditions et alors que le contrat ne prévoyait pas de délai pour l'affermissement de la seconde tranche, le courrier du 16 février 2021, intervenu presque trois mois après la réception de l'analyse de la phase 1 et alors que l'entreprise avait débuté les opérations de phase 2, ne saurait être regardé comme une décision d'absence d'affermissement de la tranche ferme du contrat, contrairement à ce que fait valoir la commune. La commune doit donc être regardée comme ayant entendu résilier le contrat.

Sur le cadre juridique du litige et les conclusions à fin d'annulation de la décision du 16 février 2021 :

4. Le juge du contrat, saisi par une partie d'un litige relatif à une mesure d'exécution d'un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité. Toutefois, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d'une telle mesure d'exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles.

5. Dans ces conditions, les conclusions de la requête dirigées contre la décision du 16 février 2021 de la commune de Reillanne doivent être analysées non comme un recours pour excès de pouvoir ayant pour objet l'annulation de cette décision mais comme un recours de plein contentieux contestant la validité de cette mesure de résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles entre la société requérante et la commune de Reillanne.

Sur les conclusions aux fins de reprise des relations contractuelles :

6. Il incombe au juge du contrat, saisi par une partie d'un recours de plein contentieux contestant la validité d'une mesure de résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles, lorsqu'il constate que cette mesure est entachée de vices relatifs à sa régularité ou à son bien-fondé, de déterminer s'il y a lieu de faire droit, dans la mesure où elle n'est pas sans objet, à la demande de reprise des relations contractuelles, à compter d'une date qu'il fixe, ou de rejeter le recours, en jugeant que les vices constatés sont seulement susceptibles d'ouvrir, au profit du requérant, un droit à indemnité.

7. Pour déterminer s'il y a lieu de faire droit à la demande de reprise des relations contractuelles, il incombe au juge du contrat d'apprécier, eu égard à la gravité des vices constatés et, le cas échéant, à celle des manquements du requérant à ses obligations contractuelles, ainsi qu'aux motifs de la résiliation, si une telle reprise n'est pas de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général et, eu égard à la nature du contrat en cause, aux droits du titulaire d'un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse.

En ce qui concerne la régularité de la mesure de résiliation :

8. Il résulte de l'instruction, et notamment des termes de la décision du 16 février 2021 et de la lettre confirmative de la maire du 9 mars 2021, que la société requérante n'a pas été mise en demeure de régulariser les manquements que la commune lui reprochait et n'a pas été informée de ce qu'une résiliation pouvait être envisagée. Par suite, celle-ci est fondée à soutenir que la résiliation litigieuse est intervenue au terme d'une procédure irrégulière.

9. Aux termes de l'article 7 de la convention du 17 novembre 2020 relatif au droit applicable, à un règlement amiable et au tribunal compétent pour statuer sur le litige : " () Tout différend survenant entre les parties relativement à la validité, l'interprétation ou l'exécution du présent protocole devra faire l'objet d'une tentative de règlement à l'amiable. La partie percevant un différend devra, par notification, informer l'autre partie de sa nature et des solutions qu'elle préconise. / Les parties devront chercher de bonne foi une solution amiable au différend ; elles pourront faire appel d'un commun accord à un médiateur. / A défaut de règlement amiable dans les soixante jours à compter de la date de sa notification, tout différend relatif au contrat sera soumis au tribunal compétent ".

10. Il résulte de la rédaction des stipulations de l'article 7 du contrat qu'elles instituent une procédure de conciliation entre les parties en vue d'assurer un règlement amiable des litiges survenant au cours de l'exécution du contrat, qui constitue un préalable à la saisine du juge. Il en résulte que le respect de cette procédure ne constitue pas un préalable à l'édiction d'une décision de résiliation pour faute, laquelle ne constitue pas par elle-même un litige entre les parties et n'est, en tout état de cause, soumise qu'à l'intervention d'une mise en demeure préalable émanant de la commune.

En ce qui concerne le bien-fondé de la mesure de résiliation :

11. Aux termes de l'article 2 de la convention du 17 novembre 2020 " périmètre de la prestation et déroulement de cette dernière " : " Phase 1 - analyse : La SASU JFG CONSULTING assistera la Commune de Reillanne en effectuant les tâches suivantes : -analyse de l'occupation des sols - recensement des éventuelles non conformité sur les sites de diffusion - analyse du/des contrats avec TDF, (), les opérateurs de téléphonie mobile () et les éditeurs TNT (Télévision Numérique Terrestre) ainsi que les éditeurs radio () - analyse des zones de couvertures mobiles (2G, 3G, 4G, 5G) - analyse des flux de recettes - analyse des flux numériques des différents opérateurs et gestionnaires d'opérateurs - analyse de l'importance du relais dans le maillage des réseaux - analyse des risques de démantèlement - mesure de l'impact de la mutualisation éventuelle des opérateurs sur les loyers - modélisation de l'actif suivant les périodes d'engagement - analyse des offres concurrentes ".

12. Il résulte de l'instruction que, le 26 novembre 2020, la société requérante a livré à la commune une analyse dans laquelle elle mentionnait la valeur locative du pylône, la présence du locataire TDF, des opérateurs de téléphonie mobile, de la TNT et l'absence des éditeurs radio, les caractéristiques du contrat existant avec la société TDF, les fréquences hertziennes et la couverture mobile des opérateurs de téléphonie mobile, l'éventualité d'une gestion mutualisée entre deux opérateurs, une modélisation du loyer sur vingt ans ainsi que la valeur estimée du loyer que la commune pouvait espérer. Cependant en faisant une analyse sommaire des flux de recettes et de la modélisation du loyer, et en n'analysant pas les flux numériques des opérateurs, l'importance du relais dans le maillage, le risque de démantèlement et, surtout, les offres concurrentes, la société requérante a manqué à ses obligations contractuelles. Si elle fait valoir des difficultés à faire parvenir à la commune des analyses complémentaires, elle ne l'établit pas. En outre, elle n'a analysé les offres concurrentes qu'après l'intervention de la décision attaquée alors même que cette analyse était un préalable essentiel à la conclusion de la convention d'occupation du domaine public, soumise à une procédure de mise en concurrence, et a continué de négocier avec la société TDF et la société Valocime, son concurrent, après la décision attaquée. Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin d'ordonner la communication du contrat signé par la commune avec TDF, la commune était bien fondée à prononcer la résiliation du contrat pour faute du cocontractant.

En ce qui concerne la reprise des relations contractuelles :

13. Ainsi qu'il a été rappelé précédemment, il incombe au juge du contrat, pour déterminer s'il y a lieu de faire droit à la demande de reprise des relations contractuelles, d'apprécier, eu égard à la gravité des vices constatés et, le cas échéant, à celle des manquements du requérant à ses obligations contractuelles, ainsi qu'aux motifs de la résiliation, si une telle reprise n'est pas de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général et, eu égard à la nature du contrat en cause, aux droits du titulaire d'un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse.

14. Il résulte de l'instruction, et de ce qui a été dit précédemment, que la mesure de résiliation bien qu'irrégulière en l'absence de mise en demeure préalable, est fondée. Dans ces conditions, en tenant compte de ce vice de procédure, des manquements de la société JFG Consulting, des motifs de la résiliation, et alors que les relations entre les deux parties se sont détériorées et que d'ailleurs ces dernières n'ont pu trouver de solution amiable à leur litige, les conclusions aux fins de reprise des relations contractuelles doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par la commune.

Sur les conclusions indemnitaires :

15. Bien que la mesure de résiliation soit irrégulière, elle demeure bien fondée et n'ouvre ainsi aucun droit à indemnité au cocontractant de l'administration. Ainsi, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité des conclusions indemnitaires en réparation d'un préjudice moral et de troubles dans les conditions d'existence, les conclusions aux fins indemnitaires doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Reillanne, qui n'est pas la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par la société JFG consulting et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, sur le fondement de ces mêmes dispositions, de mettre la somme de 2 000 euros à la charge de la société JFG Consulting au titre des frais exposés par la commune de Reillanne et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société JFG Consulting est rejetée.

Article 2 : La société JFG Consulting versera une somme de 2 000 euros à la commune de Reillanne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société JFG Consulting et à la commune de Reillanne.

Délibéré après l'audience du 28 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Gonneau, président-rapporteur,

M. Argoud, premier conseiller,

Mme Devictor, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 octobre 2023.

L'assesseur le plus ancien,

signé

J-M. ArgoudLe président-rapporteur,

signé

P-Y. Gonneau

La greffière,

signé

A. Martinez

La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

La greffière,

N°2103739