TA Grenoble, 13/02/2024, n°2307640


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 27 novembre 2023 et le 31 janvier 2024, la commune de Brie-et-Angonnes, par son maire, représentée par Me Vivès demande au juge des référés :

1°) de condamner M. D, architecte, à lui verser, en application de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, une provision d'un montant de 8 667, 95 euros, avec les intérêts et la capitalisation à compter de l'enregistrement de la requête, sur le fondement de la garantie décennale, à raison des désordres affectant l'école du Baratier

2°) de condamner la société Arborescence, à lui verser, en application de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, une provision d'un montant de 17 335, 90 euros, avec les intérêts et la capitalisation à compter de l'enregistrement de la requête, sur le fondement de la garantie décennale, à raison des désordres affectant l'école du Baratier, pour laquelle cette société a la qualité de constructeur ;

3°) de condamner la société Manca à lui verser, en application de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, une provision d'un montant de 147 355, 16 euros, avec les intérêts et la capitalisation à compter de l'enregistrement de la requête, sur le fondement de la garantie quasi-délictuelle, à raison des désordres affectant l'école du Baratier ;

4°) de mettre à la charge de ces trois défendeurs une somme de 500 euros chacun en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le bardage bois présente de nombreuses fragilités, dégradations et risques de chute ; que le rapport d'expertise judiciaire objective l'étendue de ce désordre et la part de chacun des constructeurs dans les travaux litigieux ; qu'elle fait sienne l'estimation du montant des travaux de reprise proposé par l'expert et de la proportion imputée par celui-ci à chacun des défendeurs ; que dès lors sa créance n'est pas sérieusement contestable.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 janvier 2024, M. D représenté par Me Robert conclut au rejet de la requête, à titre subsidiaire appelle en garantie les sociétés Arborescence et Manca, demande que les sommes mises à sa charge soient réduites, et à ce que soit mis à la charge de la requérante ou de qui mieux le devra une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Elle soutient que la créance de la requérante est sérieusement contestable, dès lors qu'il n'a pas commis de faute ; que le montant des travaux de reprise est surévalué et doit être calculé hors taxe ; que le désordre est dû aux autres constructeurs qu'il appelle en garantie.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts ;

- le code de la commande publique ;

- le CCAG Travaux du 8 septembre 2009 ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. C pour statuer sur les demandes de référé.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. "

2. La commune de Brie-et-Angonnes a conclu des marchés publics pour la construction de l'école du Baratier. M. D a été désigné comme architecte, mandataire d'un groupement de maîtrise d'œuvre comprenant la société Arborescence, bureau d'études spécialisée en bâtiments en structure bois, et chargée de la rédaction du CCTP. Si la société Manca a été retenue comme titulaire du lot n° 2, en charge notamment des travaux de bardage, le marché conclu avec la commune a été, à la demande d'un concurrent évincé, annulé par un jugement de ce tribunal en date du 24 juin 2013. Dès lors il n'existe plus de lien contractuel entre la commune et cette société.

3. Le maître d'ouvrage a prononcé la réception en juillet 2011. La commune soutient que divers désordres sont apparus sur l'ouvrage, et notamment une dégradation du bardage bois.

4 A la demande de la commune et par ordonnance du 19 juillet 2021, le président de ce tribunal a désigné M. A comme expert, lequel a déposé son rapport le 27 avril 2023.

5. Pour demander la condamnation des défendeurs au paiement d'une provision, la commune de Brie-et-Angonnes fait valoir, sur le fondement de la garantie décennale pour M. D et la société Arborescence, et de la garantie quasi-délictuelle pour la société Manca, que les bardages bois sont très dégradés et menacent de tomber. En se basant sur le rapport de l'expert, elle souligne que la cause de cette dégradation est que les tasseaux de pin qui supportent le bardage sont de classe 3, alors qu'ils auraient dû être de classe 4, c'est-à-dire en capacité de supporter une humidité permanente car en contact permanent avec la membrane d'étanchéité. Elle soutient donc que ce désordre est imputable à M. D, architecte, à la société Arborescence, chargée de la rédaction du CCTP, et à la société Manca, chargée de l'exécution du lot concerné, et que la créance qu'elle revendique à son profit n'est pas sérieusement contestable.

6. M. D fait valoir que les désordres en cause sont seulement d'ordre esthétique, et ne relèvent donc pas de la garantie décennale. Toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que le bardage est endommagé en de nombreux points et que les tasseaux de pin sont devenus fragiles. L'étanchéité de l'ouvrage n'est donc plus assurée, ce qui compromet sa solidité. En outre, le risque de chute d'éléments de bardage sur les personnels et les usagers menace leur sécurité et rend l'ouvrage impropre à sa destination. Par suite, les désordres objet du présent litige relèvent bien de la garantie décennale.

7. M. D fait valoir qu'il n'a commis aucune faute. Toutefois, il ne conteste pas qu'en tant qu'architecte chargé d'une mission DET (Direction de l'exécution des travaux), ces désordres lui sont imputables. Les sociétés Arborescence et Manca ne contestent pas l'imputabilité des désordres pour ce qui les concerne.

8. La société Arborescence n'a pas présenté de défense. Sa responsabilité au titre de la garantie décennale ne fait donc pas l'objet d'une contestation sérieuse. Il en résulte que l'existence de l'obligation de cette société envers la commune présente, en l'état de l'instruction, un caractère non sérieusement contestable au sens de l'article R. 541-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, par suite, de faire droit à ses conclusions tendant au versement d'une provision pour le montant demandé, soit 17 335, 90 euros.

9. La société Manca n'a pas présenté de défense. Sa responsabilité au titre de la garantie quasi délictuelle décennale ne fait donc pas l'objet d'une contestation sérieuse. Il en résulte que l'existence de l'obligation de cette société envers la commune présente, en l'état de l'instruction, un caractère non sérieusement contestable au sens de l'article R. 541-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, par suite, de faire droit à ses conclusions tendant au versement d'une provision pour le montant demandé, soit 147 355, 16 euros.

10. M. D soutient que les demandes de la commune doivent être minorées. Il fait valoir que les " frais de chantier " chiffrés par l'expert à la somme de 7 548 euros ne sont pas justifiés. Toutefois cette contestation de principe, qui d'ailleurs n'avait pas été présentée devant l'expert, ne repose sur aucun élément précis. Il fait également valoir que la commune va récupérer la TVA grevant les travaux de reprise des désordres. Toutefois, la taxe sur la valeur ajoutée dont est redevable un vendeur ou un prestataire de service est, comme les prélèvements de toute nature assis en addition de cette taxe, un élément qui grève le prix convenu avec le client et non un accessoire du prix. La commune aura donc à payer à ses fournisseurs un prix TTC. La circonstance qu'elle pourra bénéficier, dans une certaine mesure et sous certaines conditions, d'une aide du Fonds de compensation de la TVA est sans incidence sur la dépense qu'elle aura à consentir. Par suite cette contestation du quantum ne peut être regardée comme sérieuse.

11. Il résulte de ce qui précède que l'existence de l'obligation de M. D envers la commune présente, en l'état de l'instruction, un caractère non sérieusement contestable au sens de l'article R. 541-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, par suite, de faire droit à ses conclusions tendant au versement d'une provision pour le montant demandé, soit 8 667, 95 euros.

12. M. D appelle en garantie les sociétés Arborescence et Manca, à hauteur de 10 % et 85 % respectivement de toute condamnation qui serait prononcée contre lui. Il soutient que la société Arborescence a commis une faute, en mentionnant dans le CCTP des tasseaux de classe 3, en contradiction avec ce qu'elle indiquait dans les plans de conception qui mentionnait bien des tasseaux de classe 4, et que la société Manca a commis une faute, en utilisant des tasseaux de classe 3, susceptibles d'être dégradés dans un environnement humide. Ces points ne font l'objet d'aucune contestation. Les appels en garantie pourront donc être accueillis dans la proportion mentionnée ci-dessus.

13. La commune demande également que les condamnations prononcées aux points 8, 9 et 11 soient assorties d'intérêts à compter de la date d'introduction de la requête, soit le 27 novembre 2023. Cette demande, qui ne fait l'objet d'aucune contestation, doit être accueillie. Elle demande également que ces intérêts soient capitalisés. Dès lors que la présent ordonnance intervient moins d'une année après cette date, cette demande est sans objet.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Il résulte des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, ou pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation.

15. Ces dispositions font obstacle aux conclusions dirigées contre la commune de Brie et Angonnes qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. D, et des sociétés Arborescence et Manca une somme de 500 euros chacun à verser à la commune de Brie-et-Angonnes.

O R D O N N E :

Article 1er : La société Arborescence est condamnée à verser à la commune de Brie-et-Angonnes une provision d'un montant de 17 335, 90 euros.

Article 2 : La société Manca est condamnée à verser à la commune de Brie-et-Angonnes une provision d'un montant de 147 355, 16 euros.

Article 3 : M. D est condamné à verser à la commune de Brie-et-Angonnes une provision d'un montant de 8 667, 95 euros.

Article 4 : M. D et les sociétés Arborescence et Manca verseront à la commune de Brie et Angonnes la somme de 500 euros chacun au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La société Arborescence garantira M. D de 10 % des condamnations mises à sa charge.

Article 6 : La société Manca garantira M. D de 85 % des condamnations mises à sa charge.

Article 7 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B D, aux sociétés Arborescence et Manca et à la commune de Brie-et-Angonnes.

Fait à Grenoble, le 13 février 2024.

Le juge des référés,

F. C

La République mande et ordonne au préfet de l'Isère en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.