TA Marseille, 12/05/2023, n°2110370

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 26 novembre 2021, 15 mars, 5 août et 17 octobre 2022, l'Etablissement public d'aménagement et de développement (EPAD) Ouest Provence, représenté par Me Richard, demande au juge des référés :

1°) sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner solidairement la société Agilis et la société Seria à lui verser, à titre de provision, la somme de 51 264,68 euros TTC, assortie des intérêts à taux légal et de leur capitalisation ;

2°) de mettre à la charge solidaire des sociétés Agilis et Seria la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la responsabilité contractuelle des sociétés Agilis et Seria est engagée au titre de l'effondrement du mur ;

- la juridiction administrative est incompétente pour connaître de l'appel en garantie formée par la société Seria à l'encontre de la société MTM Infra, son sous-traitant ;

- la société Agilis doit répondre des fautes de son fournisseur, Sodilor ;

- la société Agilis a commis des manquements dans la réalisation du mur ;

- elle a commis une faute en refusant de reprendre le mur à ses frais ce qui a conduit au blocage du chantier, à la saisine du juge des référés expertise et l'a obligée à recourir à un cabinet d'avocat ;

- son préjudice est constitué des frais d'avocat exposés durant l'expertise pour un montant de 51 264,68 euros TTC ;

- si une condamnation solidaire ne peut être prononcée, Agilis doit être condamnée à hauteur de 80% et Seria à hauteur de 20%.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 janvier 2022, la société Seria, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce que la société MTM Infra la garantisse des condamnations prononcées à son encontre et à ce que soit mis à la charge de l'EPAD Ouest France la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'obligation est sérieusement contestable ;

- il n'appartient pas au juge des référés de se prononcer sur les responsabilités et aucun jugement au fond n'a reconnu sa responsabilité ;

- les frais d'avocat ne constituent pas un préjudice réparable ;

- le quantum demandé n'a pas fait l'objet de contradictoire, est disproportionné et l'EPAD ne justifie pas avoir acquitté les factures correspondantes ;

- à titre subsidiaire, sa responsabilité est résiduelle dans la survenance des désordres et doit être limitée à 20% ;

- la société MTM Infra doit la garantir des condamnations prononcées à son encontre.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 27 janvier, le 1er juillet, 19 septembre et 8 novembre 2022, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la société Agilis conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'EPAD Ouest Provence une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'ouvrage était achevé au 10 mars 2009 et les travaux ont été réceptionnés le 12 mars 2009 ;

- elle a respecté les délais prévus au marché pour l'exécution des travaux ;

- aucune reprise de travaux n'était susceptible d'intervenir car la reprise du mur selon le processus originaire est impossible ;

- l'utilisation de modules plastique manuportés lui a été imposé par Sodilor pour répondre aux exigences de l'EPAD ;

- l'EPAD ne peut soutenir qu'il aurait dû avoir recours à un autre produit dès lors qu'un seul produit manuporté plastique était disponible, fabriqué par la société Hahn/Lueft ;

- il lui était impossible de mettre en place un écran en module béton en raison des contraintes du chantier ;

- les désordres ne lui sont pas imputables ;

- l'EPAD est responsable des désordres dès lors qu'il a communiqué directement avec Sodilor et a choisi ce procédé constructif pour des raisons budgétaires :

- la demande de l'EPAD de paiement des frais irrépétibles est infondée et, à tout le moins, prématurée car elle ne peut être appréciée indépendamment de l'action au principal.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 avril 2022, la société MTM Infra conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, au rejet des demandes formées à son encontre et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Seria une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la juridiction administrative est incompétente pour connaître de l'appel en garantie formé par Seria à son encontre ;

- l'action engagée par Seria est en tout état de cause prescrite en application de l'article 2239 du code civil ;

- elle ne peut être condamnée à supporter les dépens dès lors qu'elle n'est pas responsable du dommage.

Vu :

- l'ordonnance n° 0908438 du 21 décembre 2009 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a ordonné une expertise et désigné, en qualité d'expert, M. C A ;

- l'ordonnance n° 1001399 du 15 avril 2010 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a étendu la demande d'expertise aux sous-traitants, au fabricant et aux assureurs ;

- le rapport d'expertise déposé au greffe du tribunal le 14 décembre 2020 ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné Mme B pour statuer sur les demandes de référés.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : "Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie".

2. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge des référés de rechercher si, en l'état du dossier qui lui est soumis, l'obligation du débiteur éventuel de la provision est ou non sérieusement contestable sans avoir à trancher ni de questions de droit se rapportant au bien-fondé de cette obligation ni de questions de fait soulevant des difficultés sérieuses et qui ne pourraient être tranchées que par le juge du fond éventuellement saisi. De même, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que le juge des référés peut allouer n'a d'autre limite que celle qui résulte du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant.

3. Le Syndicat d'agglomération nouvelle Ouest Provence, aux droits duquel vient la métropole Aix-Marseille-Provence, a confié la mission de maîtrise d'ouvrage déléguée à l'EPAD Ouest Provence pour la réalisation d'un mur antibruit le long de la RN 568 sur la commune de Fos-sur-Mer. La maîtrise d'œuvre de l'opération a été confiée à un groupement composé des entreprises Seria, Acouplus et Atelier Fleuridas Paysage. La société Seria a fait appel à un sous-traitant, Alp infra, devenu MTM infra. Les travaux de construction, consistant en la réalisation de trois écrans acoustiques en plastique recyclé et végétalisable, ont été confiés à la société Agilis le 10 juillet 2008, laquelle s'est fournie auprès de la société Sodilor pour les structures en plastique recyclé, fabriquées par la société Hahn/Lueft. Dans la nuit du 21 au 22 mai 2009, la partie nord du mur s'est effondrée et un constat d'huissier dressé le 14 octobre 2009 a mis en évidence des déformations importantes des écrans, menaçant de s'effondrer. Saisi par l'EPAD, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a, par une ordonnance du 21 décembre 2009, désigné un expert judiciaire, qui a remis son rapport le 14 décembre 2020. L'EPAD demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner solidairement les sociétés Agis et Séria à lui verser la somme provisionnelle de 51 264,68 euros TTC euros au titre des frais d'avocat qu'elle a dû engager pour suivre les opérations d'expertise.

Sur la demande de provision :

En ce qui concerne la demande de provision présentée sur le fondement de la responsabilité contractuelle des constructeurs :

4. Il résulte de l'instruction qu'aucun procès-verbal de réception définitive des travaux relatifs aux écrans acoustiques en cause n'a été établi, quand bien même les travaux exécutés par la société Agilis étaient achevés au 18 mars 2009. Le compte-rendu de réunion de travaux du 10 mars 2009, qui se borne à indiquer que la date de réception est fixée au mardi 10 mars 2009 avec levée des réserves pour le 18 mars 2009, de même que le compte-rendu du 18 mars 2009, qui indique que la date de réception est repoussée au jeudi 12 mars 2009, lesquels n'ont été signés par aucune partie, n'ont pas eu pour effet de mettre fin aux relations contractuelles entre l'EPAD et les constructeurs en l'absence de procès-verbal de réception des travaux. La circonstance que l'EPAD ait décidé d'interrompre les travaux par un ordre de service du 10 mars 2009 est sans incidence sur l'absence de réception des travaux. Par suite, l'EPAD Ouest Provence est fondée à rechercher la responsabilité contractuelle des sociétés Agilis et Seria pour les désordres affectant le mur anti-bruit.

S'agissant des fautes commises par les sociétés Agilis et Séria :

5. Il résulte de l'instruction que l'ouvrage en cause est constitué de trois écrans, centre, sud, et nord, sur une hauteur allant de 3,70m à 5,20m, composés d'une structure tridimensionnelle en matière plastique recyclée et de son remblai en terre, qui a été végétalisée. L'ossature est faite d'éléments transversaux (porteurs) et longitudinaux (plaques) en matière plastique armée d'une ossature métallique, qui permettent de retenir la terre et, avec la terre compactée, assurent la stabilité longitudinale de l'ouvrage. L'expert constate une inclinaison longitudinale de l'ouvrage, surtout dans la partie nord, un manque de terre dans les caissons, surtout aux étages supérieurs, ce qui ne permet plus d'assurer la fonction anti-bruit, une inclinaison transversale ainsi qu'un affaissement général de la structure. L'expert relève également des éléments cassés à divers endroits ainsi que l'effondrement de l'écran nord, de 5m20, sur sa partie haute.

6. Il résulte du rapport d'expertise que la société Agilis, qui était chargée des études d'exécution, a commis une faute en ne respectant pas les règles de montage énoncées dans la notice technique de Sodilor, fournisseur des structures en plastique, et en ne réalisant pas de plans d'exécution comme il le lui incombait au titre de la mission EXE, cause de l'irrégularité du compactage à l'origine de l'inclinaison longitudinale de la structure. La société Seria a également commis une faute en ne contrôlant pas le respect des stipulations contractuelles par Agilis, en validant une offre de cette société non conforme de montage des structures pour l'écran sud et en ne proposant pas d'alternative pour la construction de l'écran nord, pour lequel le procédé Hahn n'était pas adapté car il ne pouvait être correctement compacté dans sa partie supérieure du fait de la proximité avec la ligne à haute tension. La société Agilis a commis un autre manquement en ne respectant pas les stipulations du cahier des clauses techniques particulières concernant l'analyse de la terre de remplissage, à l'origine du manque de terre dans les caissons. La société Seria a également été défaillante dans sa mission du contrôle sur ce point. Enfin, ces sociétés ont commis un manquement en s'abstenant de conseiller au maître d'ouvrage la réalisation d'études géothermiques complémentaires à celle de la société Fugro ainsi que d'études d'exécution, ce qui aurait permis de révéler l'inadaptation des ouvrages de fondations à la nature du sol d'assise des écrans, cause de l'inclinaison transversale et de l'affaissement de l'ouvrage. Ces fautes sont à l'origine des désordres constatés ainsi que de l'effondrement de l'écran nord. Par suite, la responsabilité solidaire des sociétés Agilis et Seria est engagée.

S'agissant de la faute du maître d'ouvrage :

7. La société Agilis fait valoir que le maître d'ouvrage aurait commis une faute en imposant l'utilisation du procédé " Hahn " fourni par Sodilor. Toutefois, l'email et le courrier dont elle se prévaut, relatifs à des échanges entre l'EPAD et Sodilor, sont antérieurs au lancement du marché en cause et concernent le sourçage effectué en 2007 par l'EPAD auprès de cette société pour définir les besoins du marché. L'article 4.1 du CCTP stipule en outre que " les écrans acoustiques seront de type végétalisés. Ils seront constitués de modules (en plastique ou en bêton) à assembler sur site qui seront remplis de terre végétale ". Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que l'EPAD ait imposé aux sociétés en cause le choix de la solution proposée par Sodilor et ait, pour ce motif, commis une faute exonératoire de leur responsabilité.

S'agissant du montant de la provision :

8. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. () ".

9. L'EPAD Ouest Provence demande l'indemnisation des frais et honoraires d'avocat qu'il a dû prendre en charge pour le suivi de l'expertise à hauteur de 51 264,68 euros TTC euros, dont il justifie par la production de 22 factures émises à compter du 3 décembre 2009, montant qui n'apparaît pas disproportionné au regard des diligences accomplies pour l'expertise, laquelle s'est poursuivie pendant dix années. Il résulte toutefois des factures produites que deux d'entre elles se rapportent à des diligences postérieures à l'expertise, dont les opérations se sont clôturées au 5 novembre 2020 (facture n° 24456 du 26 février 2021 pour un montant de 3 360 euros TTC, et facture n° 24795 du 30 avril 2021 pour un montant de 864 euros TTC) et ne peuvent donc être prises en charge. Le montant non sérieusement contestable de la créance dont l'EPAD peut se prévaloir à ce titre doit dès lors être limité à la somme de 47 040,68 euros TTC.

10. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner solidairement les sociétés Agilis et Seria à verser à l'EPAD la somme de 47 040,68 euros TTC.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

11. L'EPAD Ouest Provence a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 47 040,68 euros, à compter de l'enregistrement de sa requête, le 26 novembre 2021.

12. La capitalisation des intérêts a été demandée à cette même date. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 26 novembre 2022, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur l'appel en garantie :

13. L'appel en garantie présenté par la société Seria à l'encontre de la société MTM Infra, son sous-traitant, lié à elle par un contrat de droit privé, ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative mais du seul juge judiciaire et doit, par suite, être rejeté comme porté devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaitre.

Sur les frais d'instance :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire de la société Seria et de la société Agilis une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais exposés par l'EPAD Ouest Provence et non compris dans les dépens. L'EPAD Ouest Provence n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par les sociétés Agilis et Seria. Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de la société MTM Infra présentée sur le même fondement.

O R D O N N E :

Article 1er : Les sociétés Agilis et Seria sont condamnées solidairement à verser la somme provisionnelle de 47 040,68 euros à l'EPAD Ouest Provence, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 novembre 2021. Les intérêts échus à la date du 26 novembre 2022 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Les sociétés Agilis et Seria verseront solidairement la somme de 1 500 euros à l'EPAD Ouest Provence au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à l'EPAD Ouest Provence, à la société Agilis, à la société Séria et à la société MTM Infra.

La juge des référés,

Signé

C. B

La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

P. La greffière en chef,

La greffière,