TA de la Martinique, 03 octobre, 2023, n° 2300553
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 13 septembre 2023, et le 2 octobre 2023, la SARL Clean Garden, représentée par la Selarl Genesis Avocats, agissant par Me Benjamin, demande au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :
1°) d'annuler la procédure de passation engagée par la collectivité territoriale de Martinique en vue de la conclusion du lot n° 2 " secteur centre " et du lot n° 3 " secteur sud " d'un accord-cadre à bons de commandes ayant pour objet des prestations de balayage mécanisé sur le réseau routier et sur les équipements des bâtiments de la collectivité territoriale de Martinique ;
2°) d'annuler les décisions du 1er septembre 2023 par lesquelles le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique a rejeté les offres qu'elle a présentées pour l'attribution des lots n° 2 et n° 3 de cet accord-cadre, ainsi que les décisions du pouvoir adjudicateur d'attribuer ces deux lots à la SARL E. Compagnie ;
3°) d'enjoindre à la collectivité territoriale de Martinique de reprendre intégralement la procédure de passation, dans le cas où elle entendrait attribuer l'accord-cadre ;
4°) de mettre à la charge de la collectivité territoriale de Martinique la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le pouvoir adjudicateur ne pouvait pas attribuer le marché public dès lors que le délai de validité des offres a expiré à compter du 21 mai 2023 et qu'il n'a pas sollicité l'accord des soumissionnaires en vue de la prorogation du délai de validité des offres ;
- l'obligation de reprise du personnel constitue une information essentielle dans la mesure où les moyens humains représentent une part importante de la note technique et de la note financière ;
- le défaut d'information sur l'obligation de reprise du personnel l'a lésé dès lors que, d'une part, elle n'a pas pu déposer une offre adaptée aux besoins du pouvoir adjudicateur et son offre financière a été déclassée pour ce motif, d'autre part, en sa qualité de prestataire sortant non reconduit, son personnel ne sera pas repris par la société attributaire E. Compagnie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 septembre 2023, la collectivité territoriale de Martinique, représentée par Me MBouhou, conclut au rejet de la requête et, en outre, à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la collectivité territoriale de Martinique en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'expiration du délai de validité des offres n'a pas été susceptible de léser la SARL Clean Garden dès lors que, le dépassement du délai n'a pas pu affecter la construction de son offre, et que la procédure de passation a été annulée au stade de l'analyse des offres, l'autorisant à reprendre son examen à ce stade ;
- le pouvoir adjudicateur n'a pas entendu prendre parti sur l'application de l'obligation conventionnelle de reprise du personnel auquel il est fait référence à l'article 5.2 du cahier des clauses techniques particulières ;
- pour le lot n° 3, la SARL Clean Garden n'a pas été susceptible d'être lésée par le défaut d'information relative à l'obligation de reprise du personnel compte tenu de sa qualité de titulaire sortant ;
- pour le lot n° 2, l'absence d'informations relatives à l'obligation de reprise du personnel n'a pas influencé de manière décisive la construction de son offre, l'écart des prix proposés entre la SARL Clean Garden et la SARL E. Compagnie n'étant pas très important ;
- la SARL Clean Garden n'a pas été lésée dans la mesure où elle aurait obtenu la note maximale sur le critère prix, pour les lots 2 et 3, elle n'aurait pas été désignée attributaire, la différence s'étant effectué au regard du critère valeur technique.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 septembre 2023, la SARL E. Compagnie, représentée par la Selarl Symchowicz-Weissberg et Associés, agissant par Me Letellier, conclut au rejet de la requête et, en outre, à ce qu'il soit mis à la charge de la SARL Clean Garden une somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'expiration du délai de validité des offres à la date d'attribution du marché, n'a pas été susceptible de léser la société Clean Garden et, n'est pas fondé dans la mesure où le délai de validité des offres a expiré en cours de procédure de référé précontractuel et que le pouvoir adjudicateur a poursuivi la procédure de consultation avec l'accord implicite des soumissionnaires ;
- le moyen tiré du défaut d'information de l'obligation de reprise du personnel est inopérant dès lors que la société n'a pas posé de question en cours de consultation et que l'attribution de la note maximale sur le critère financier, pour les lots 2 et 3, ne rendrait pas ses offres de la société Clean Garden, économiquement les plus avantageuses ;
- le manquement n'est pas établi dès lors que, d'une part, l'information relative à l'obligation de reprise du personnel ne constitue pas une donnée essentielle pour structurer les offres de prix unitaires du marché, d'autre part, que l'article 5.2.1 du cahier des clauses techniques particulières renvoie aux dispositions conventionnelles en vigueur.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique tenue le 2 octobre 2023, en présence de Mme Pyrée, greffière d'audience, M. A a lu son rapport et entendu :
- les observations de Me Liebeaux, représentant la SARL Clean Garden, qui conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que dans ses écritures ;
- les observations de Me Keita-Capitolin, substituant Me MBouhou, représentant la collectivité territoriale de Martinique, qui reprend les éléments développés dans son mémoire en défense ;
- les observations de Me Letellier, représentant la SARL E. Compagnie, qui conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que dans ses écritures.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience, à 10 heures.
Une note en délibéré, enregistrée le 3 octobre 2023, a été présentée pour la Collectivité territoriale de Martinique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel à la concurrence publié le 20 octobre 2022 au Bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP), la collectivité territoriale de Martinique a lancé une consultation, selon un procédure d'appel d'offres ouvert, en vue de la conclusion d'un accord-cadre à bons de commandes ayant pour objet des prestations de balayage mécanisé sur le réseau routier et sur les équipements des bâtiments de la collectivité territoriale de Martinique et comprenant trois lots géographiques distincts. La SARL Clean Garden s'est portée candidate à l'attribution du lot n° 2, " secteur centre ", et du lot n° 3, " secteur sud ". Par des courriers en date du 12 avril 2023, notifiés le 14 avril 2023, le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique l'a informée que ses deux offres étaient rejetées et que les deux lots avaient été attribuées à la SARL E. Compagnie. Par une ordonnance n° 2300235 en date du 18 mai 2023, le juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a annulé la procédure de passation des lots 2 et 3 de l'accord-cadre, au stade de l'analyse des offres, y compris les décisions du 12 avril 2023 portant rejet des deux offres présentées par la SARL Clean Garden pour l'attribution de ces lots et les décisions du pouvoir adjudicateur attribuant les deux lots à la SARL E. Compagnie. La collectivité territoriale de Martinique a repris la procédure au stade de l'examen des offres. Par la présente requête, la SARL Clean Garden demande au juge des référés du tribunal administratif, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation des lots n° 2 et n° 3 du marché de prestations de balayage mécanisé sur le réseau routier et sur les équipements des bâtiments de la collectivité territoriale de Martinique, les décisions du 1er septembre 2023 portant rejet de ses deux offres d'attribution ainsi que les décisions du pouvoir adjudicateur d'attribuer les deux lots à la SARL E. Compagnie. La société Clean Garden demande en outre au juge des référés, d'enjoindre à la collectivité territoriale de Martinique de reprendre intégralement la procédure de passation, dans le cas où elle entendrait attribuer l'accord-cadre à bons de commandes.
Sur les conclusions présentées au titre des articles L. 551-1 et suivants du code de justice administrative :
2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Aux termes du I. de l'article L. 551-2 du même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ".
3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquement. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.
En ce qui concerne le délai de validité des offres :
4. Si la personne publique doit, sous peine d'irrégularité de la procédure de passation, choisir l'attributaire d'un marché dans le délai de validité des offres qu'elle s'est imposée dans le cadre du règlement de la consultation, obligatoire dans toutes ses mentions, le pouvoir adjudicateur peut toujours solliciter de l'ensemble des candidats une prorogation ou un renouvellement de ce délai. Lorsque ce délai est arrivé ou arrive à expiration avant l'examen des offres en raison, comme c'est le cas en l'espèce, d'une procédure devant le juge du référé précontractuel, la personne publique peut poursuivre la procédure de passation du marché avec les candidats qui acceptent la prorogation ou le renouvellement du délai de validité de leur offre.
5. Il résulte de l'instruction et notamment de l'article 3.1 du règlement de la consultation que le délai de validité des offres était fixé à six mois à compter de la date limite de réception des offres, soit le 21 novembre 2022 à 12 heures. Le terme du délai de validité des offres était donc le 21 mai 2023, celui-ci était expiré à la date du 1er septembre 2023 à laquelle la commission d'appel d'offres a attribué les lots 2 et 3 de l'accord-cadre à la SARL E. Compagnie. Toutefois, il résulte également de l'instruction que, par une ordonnance n° 2300235 en date du 18 mai 2023, le juge des référés a annulé la procédure de passation, pour les lots 2 et 3, au stade de l'analyse des offres. En exécution de cette ordonnance, la collectivité territoriale de Martinique était tenue, si elle entendait poursuivre l'attribution du marché, de reprendre la procédure au stade de l'examen des offres, en se conformant à ses obligations de publicité et de mise en concurrence. Dans les circonstances de l'espèce, dès lors que certains candidats avaient eu communication des offres de leurs concurrents et du rapport d'analyse des offres qui détaillait leurs mérites et défauts respectifs, ainsi qu'il résulte de l'ordonnance précitée, le pouvoir adjudicateur pouvait, par dérogation aux principes susmentionnés et afin de ne pas fausser le jeu de la concurrence, procéder au réexamen des offres sans demander l'accord des candidats pour prolonger la validité de leur offre. Dans ces conditions, le fait d'avoir attribué le marché public postérieurement à l'expiration du délai de validité des offres, sans avoir sollicité des candidats leur accord pour prolonger ce délai, n'a pas été constitutif d'une atteinte au principe d'égalité de traitement des candidats.
En ce qui concerne l'obligation de reprise du personnel :
6. Le coût correspondant à la reprise de salariés imposée par les dispositions du code du travail ou par un accord collectif étendu constitue un élément essentiel du marché, dont la connaissance permet aux candidats d'apprécier les charges du cocontractant et d'élaborer utilement une offre, et dont le défaut de communication est susceptible de constituer un manquement aux obligations de publicité et mise en concurrence.
7. En l'espèce, l'article 5.2.1 du cahier des clauses techniques particulières stipule : " L'entreprise s'engage à respecter les règles applicables en droit de travail (dispositions réglementaires : L122-12) et les dispositions conventionnelles éventuellement en vigueur. () ". La société requérante soutient que le pouvoir adjudicateur aurait manqué à son obligation de publicité et de mise en concurrence en raison de l'insuffisance des documents de consultation concernant l'obligation de reprise du personnel. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'allégation de la société requérante selon laquelle les moyens humains représentent une part importante de sa note technique, alors même qu'elle a obtenu la note de 8 sur 10, pour les deux lots, sur le sous-critère n°1.1 " procédés et moyens d'exécution quantitatifs et qualitatifs " du critère valeur technique, tandis que la société E. Compagnie a obtenu la note de 9 sur 10, pour les deux lots, sur ce sous-critère, ne démontre pas que le manquement invoqué aurait été de nature à léser ses intérêts. En outre, si la SARL Clean Garden fait valoir que l'affectation de moyens humains correspond à une part importante de son offre de prix, l'obligation de reprise du personnel est sans incidence sur son choix de valoriser les moyens humains, ainsi qu'elle s'en prévaut dans ses écritures et, cela, alors même que l'accord-cadre s'exécute par l'émission de bons de commande avec un montant maximum fixé à 2 000 000 euros pour le lot n° 2 et 600 000 euros pour le lot n° 3, pour la durée initiale d'un an. Ainsi, la circonstance que la SARL E. Compagnie, titulaire sortant du lot n° 2, avait connaissance des informations relatives à la masse salariale à reprendre n'a pas été susceptible de léser la SARL Clean Garden. Par ailleurs, la SARL Clean Garden, titulaire sortant sur le lot n° 3, ne peut pas utilement se prévaloir du défaut de communication des informations relatives à la masse salariale, dont elle était, seule, détentrice. Enfin, la SARL Clean Garden n'a pas sollicité, au cours de la consultation, des précisions relatives à l'obligation de reprise du personnel, ainsi que le permettait les dispositions de l'article 10.1 du règlement de la consultation. Par suite, le moyen tiré du défaut d'information relative à l'obligation de reprise du personnel doit être écarté.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la SARL Clean Garden doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris, en ses conclusions à fin d'injonction.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que la somme réclamée par la SARL Clean Garden au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens soit mise à la charge de la collectivité territoriale de Martinique, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la SARL Clean Garden, la somme de 800 euros à verser à la collectivité territoriale de Martinique ainsi qu'une somme du même montant à verser à la SARL E. Compagnie, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
ORDONNE :
Article 1er : La requête de la SARL Clean Garden est rejetée.
Article 2 : La société Clean Garden versera à la collectivité territoriale de Martinique une somme de 800 (huit cents) euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La société Clean Garden versera à la SARL E. Compagnie une somme de 800 (huit cents) euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la SARL Clean Garden, à la collectivité territoriale de Martinique et à la SARL E. Compagnie.
Fait à Schoelcher, le 3 octobre 2023.
Le président, juge des référés,
J-M. A La greffière,
M. Pyrée
La République mande et ordonne au préfet de la Martinique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.