Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 8 novembre 2021, la société Motihari, représentée par Me Montrichard et Me Ciaudo, demande au tribunal :
1°) d'annuler ou, à défaut, de résilier le marché de prestations de transports sanitaires par avion signé le 9 août 2021 entre le centre hospitalier de Mayotte et la société Regourd Aviation ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Mayotte à lui verser la somme de 2 563 886,50 euros en réparation de son manque à gagner résultant de son éviction irrégulière du marché ou, à défaut, la somme de 74 842 euros en réparation de ses dépenses utiles, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Mayotte la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- le centre hospitalier de Mayotte (CHM) a méconnu le principe de transparence des procédures en ne prévoyant pas dans le règlement de consultation une quantité ou une valeur maximale des prestations de transport susceptibles d'être commandées ;
- le CHM a méconnu les règles de mise en concurrence en fixant la durée de l'accord-cadre à 8 ans, qui est une durée anormalement longue ayant eu une incidence considérable sur la préparation de son offre et l'ayant gravement pénalisée et l'empêchant d'être désignée attributaire du marché ;
- en lui reprochant une sous-traitance de la maintenance alors qu'aucun document de la consultation n'exigeait que cette sous-traitance soit assurée en interne, le CHM a mis en œuvre une modalité d'appréciation du sous-critère de la maintenance non prévue dans le cadre de la passation ;
- en attribuant irrégulièrement et sans aucune justification à son offre la note de 33/55 sur le critère de la valeur technique et en attribuant la note de 44/55 à la société Regourd sur le même critère, le CHM a méconnu les dispositions de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique et entaché cette notation ainsi que l'attribution du marché litigieux à la société attributaire d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle a le droit à l'indemnisation, par le CHM, d'une somme de 2 563 886,50 euros en réparation du manque à gagner résultant de son éviction irrégulière du marché ou, à défaut, la somme de 74 842 euros en réparation de ses dépenses utiles, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation.
Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire, enregistrés les 14 février 2022 et 6 novembre 2023, le centre hospitalier de Mayotte (CHM) conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Motihari en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir qu'aucun des moyens n'est fondé.
Vu :
- l'ordonnance n°2102485 du 4 août 2021 par laquelle le juge des référés précontractuel a rejeté la requête de la société Motihari :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Le Merlus,
- les conclusions de Mme Baizet, rapporteure publique,
- les parties n'étant ni présentes et ni représentées.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 29 mars 2021, le centre hospitalier de Mayotte (CHM) a engagé une consultation pour la passation d'un accord-cadre de prestations de transport aérien liées aux évacuations sanitaires de ses patients hospitalisés, d'une durée de cinq ans, renouvelable une fois pour trois ans. La société Motihari, qui s'est portée candidate, a été informée, par un courrier du 28 juin 2021 reçu le 1er juillet 2021, que son offre, classée en deuxième position avec une note de 70,81/100, avait été rejetée et que l'accord-cadre avait été attribué à la société Regourd Aviation classée en première position avec une note de 75,69/100. Par une ordonnance n°2102485 du 4 août 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte, saisi sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a rejeté la requête de la société Motihari aux fins d'annulation de la procédure de passation du marché de prestations de transports sanitaires par avion du Centre Hospitalier de Mayotte (CHM). Le 9 août 2021, le marché a été conclu avec la société Motihari. Un avis d'attribution de marché a été publié le 8 septembre 2021 au Bulletin officiel des annonces des marchés publics. Par la présente requête, la société Motihari a saisi le tribunal administratif de Mayotte d'un recours en contestation de validité de l'accord-cadre conclu le 9 août 2021 aux fins d'obtenir son annulation ou, à défaut, sa résiliation ainsi que la condamnation du CHM à lui verser la somme de 2 563 886,50 euros en réparation de son préjudice de manque à gagner résultant de son éviction irrégulière ou, à défaut, la somme de 74 842 euros en réparation de ses dépenses utiles.
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2162-4 du code de la commande publique : " Les accords-cadres peuvent être conclus : 1° Soit avec un minimum et un maximum en valeur ou en quantité / 2° Soit avec seulement un minimum ou un maximum ; 3° Soit sans minimum ni maximum ".
3. Par son arrêt du 17 juin 2021, Simonsen Weel A/S c/ Region Nordjylland og Region Syddanmark (C-23/20), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, sans prévoir une application différée dans le temps de cette interprétation, que les dispositions de la directive 2014/24/UE du Parlement et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics doivent être interprétées dans le sens que " l'avis de marché doit indiquer la quantité et/ou la valeur estimée ainsi qu'une quantité et/ou valeur maximale des produits à fournir en vertu d'un accord-cadre et qu'une fois que cette limite aurait été atteinte, ledit accord-cadre aura épuisé ses effets " et que " l'indication de la quantité ou de la valeur maximale des produits à fournir en vertu d'un accord-cadre peut figurer indifféremment dans l'avis de marché ou dans le cahier des charges ".
4. Il résulte de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne mentionné au point 3 que, pour tout appel à concurrence relatif à un marché destiné à être passé sous la forme d'un accord-cadre qui, eu égard à son montant, entre dans le champ d'application de cette directive, l'avis publié à cet effet doit comporter la mention du montant maximal en valeur ou en quantité que prévoit le pouvoir adjudicateur, cette indication pouvant figurer indifféremment dans l'avis de marché ou dans les documents contractuels mentionnés dans l'avis de marché et librement accessibles à toutes les personnes intéressées.
5. La société Motihari soutient que le CHM a méconnu le principe de transparence des procédures en ne prévoyant pas dans le règlement de consultation une quantité ou une valeur maximale des prestations de transport susceptibles d'être commandées. Toutefois, il résulte de l'article 2.1 " Amplitude " du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) que la prestation de transport aérien doit pouvoir être assurée par l'attributaire, à l'aide d'un avion sanitaire, entre 6h et 18h, 6 jours sur 7, sur une durée de 12 mois et qu'une prestation 7 jours sur 7 peut être exigée, notamment en cas de situation sanitaire exceptionnelle. L'article 2.2 " Missions " du CCTP prévoit que : " Le titulaire se charge de : - Transporter l'équipe médicale et le/les patients () ainsi que le matériel embarqué entre les aéroports de Mamoudzou-Pamandzi (Mayotte) et ceux de La Réunion (Saint-Denis et Saint-Pierre), vols aller et retour - Transporter du fret () sur demande du CH de Mayotte entre les aéroports de Mamoudzou-Pamandzi (Mayotte) et ceux de La Réunion (Saint Denis et Saint Pierre) - vols aller et retour. / Des dessertes hors Réunion pourront être envisagées : Madagascar, les Comores et ce en accord avec le titulaire quant à la capacité à desservir ces zones tout en respectant le présent CCTP. ". En outre, l'article 1.3 du CCAP renvoie à une annexe du CCTP comportant une étude relative à l'activité des prestations de transport sanitaires par avion pendant la période du 25 juin au 31 décembre 2020 qui mentionne que 158 vols aller/retour ont été réalisés, soit 316 vols au total. Si les documents de marché n'indiquent pas expressément le nombre de vols maximum que la société attributaire devra réaliser pendant la durée de l'accord-cadre, il résulte de l'objet même du marché que la quantité exacte dépend du nombre d'évacuations sanitaires qui seront nécessaires. Ainsi que le fait valoir le CHM en défense, la mention dans le CCTP selon laquelle les évacuations devront pouvoir avoir lieu 6 jours sur 7, voire 7 jours sur 7 exceptionnellement, suffit à déterminer le nombre maximum de prestations de transport sanitaire susceptibles d'être commandées. Les documents du marché indiquent également toutes les destinations susceptibles d'être desservies ainsi que les horaires auxquelles la prestation devra être assurée. Dès lors, ces éléments, qui figuraient dans les documents contractuels dont il n'est pas contesté qu'ils étaient librement accessibles aux candidats intéressés, ont permis d'évaluer de manière suffisante l'étendue de l'accord-cadre et notamment le nombre de vols maximum pendant la durée du marché et la destination des prestations d'évacuation sanitaire susceptibles d'être exigées en exécution du marché. Par suite, en tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que le CHM aurait commis un manquement au principe de transparence des procédures, en raison de l'absence de fixation d'un nombre maximum de prestations, susceptible d'avoir lésé la société Motihari.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2125-1 du code de la commande publique : " L'acheteur peut, dans le respect des règles applicables aux procédures définies au présent titre, recourir à des techniques d'achat pour procéder à la présélection d'opérateurs économiques susceptibles de répondre à son besoin ou permettre la présentation des offres ou leur sélection, selon des modalités particulières. / Les techniques d'achat sont les suivantes : / 1° L'accord-cadre, qui permet de présélectionner un ou plusieurs opérateurs économiques en vue de conclure un contrat établissant tout ou partie des règles relatives aux commandes à passer au cours d'une période donnée. La durée des accords-cadres ne peut dépasser quatre ans pour les pouvoirs adjudicateurs et huit ans pour les entités adjudicatrices, sauf dans des cas exceptionnels dûment justifiés, notamment par leur l'objet ou par le fait que leur exécution nécessite des investissements amortissables sur une durée supérieure ; () ".
7. La société Motihari soutient que le CHM a méconnu les règles de mise en concurrence en fixant la durée de l'accord-cadre à 8 ans, qui serait une durée anormalement longue ayant eu une incidence considérable sur la préparation de son offre et l'ayant gravement pénalisée et l'empêchant d'être désignée attributaire du marché. Toutefois, elle se borne à faire valoir, sans plus de précision, qu'elle aurait été contrainte de programmer une maintenance de l'avion particulièrement lourde qui lui aurait fait perdre l'attribution du marché et l'aurait conduit à adapter la qualité de son offre en proposant des civières haut de gamme dont la largeur lui a été reprochée. Cependant, dès lors que la société Motihari a été informée de la durée du contrat et qu'elle a présenté une offre en se fondant exclusivement sur une telle durée, elle ne peut utilement soutenir qu'elle aurait été lésée par la durée anormalement longue d'exécution de l'accord-cadre fixée dans les documents du marché, alors au demeurant qu'elle a obtenu la meilleure note sur le critère du prix, qui dépend fortement de la durée d'exécution du contrat.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique : " Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution. () ".
9. La société Motihari fait valoir qu'en lui reprochant une sous-traitance de la maintenance alors qu'aucun document de la consultation n'exigeait que cette sous-traitance soit assurée en interne, le CHM a mis en œuvre une modalité d'appréciation du sous-critère de la maintenance non prévue dans le cadre de la passation. En l'occurrence, le règlement de consultation prévoyait un sous-critère " organisation de la maintenance " et comportait une annexe permettant à la personne publique d'évaluer techniquement les offres s'agissant en particulier de l'organisation de la maintenance au regard de l'organisation globale de la société et de l'organisation propre au marché d'évacuation sanitaire par avion. Eu égard à la formulation générale de ce sous-critère, le recours à la sous-traitance pouvait être un élément d'appréciation du sous-critère " organisation de la maintenance " des appareils, dès lors notamment qu'elle est susceptible d'entraîner un éloignement de cette activité du lieu de réalisation des prestations et de leur caractère, par définition, urgent. Il résulte du rapport d'analyse des offres que la société requérante a obtenu la note de 12/20 au titre du sous-critère " maintenance " et que le CHM y avait relevé que la sous-traitance de la maintenance pouvait impliquer des priorisations différentes, ce qui constitue un élément d'appréciation qualitatif de l'organisation de la maintenance. Aussi, cette seule circonstance n'est pas de nature à démontrer que le pouvoir adjudicateur aurait mis en œuvre une modalité d'appréciation du sous-critère " maintenance " non prévue dans les documents de consultation et dont les candidats n'auraient pas été informés.
10. En quatrième et dernier lieu, la société Motihari soutient qu'en attribuant irrégulièrement et sans aucune justification à son offre la note de 33/55 sur le critère de la valeur technique et en attribuant la note de 44/55 à la société Regourd sur le même critère, le CHM a méconnu les dispositions de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique et entaché cette notation ainsi que l'attribution du marché litigieux à la société attributaire d'une erreur manifeste d'appréciation. Toutefois, ce moyen, dénué des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé, ne peut qu'être écarté, en tout état de cause.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Motihari n'est pas fondée à demander au tribunal l'annulation ou, à défaut, la résiliation de l'accord-cadre litigieux. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'indemnisation doivent également être rejetées.
Sur les conclusions relatives aux frais d'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du CHM, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
13. Il y a lieu, en revanche, au titre des mêmes dispositions, de mettre à la charge de la société Motihari le versement au CHM d'une somme de 1 500 euros.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Motihari est rejetée.
Article 2 : La société Motihari versera au centre hospitalier de Mayotte la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Motihari, au centre hospitalier de Mayotte et à la société Regourd aviation.
Délibéré après l'audience du 19 mars 2024, à laquelle siégeaient :
M. Sorin, président,
M. Banvillet, premier conseiller.
M. Le Merlus, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe du tribunal le 9 avril 2024.
Le rapporteur,
T. LE MERLUS
Le président,
T. SORIN
La greffière,
F. DAROUSSI DJANFAR
La République mande et ordonne au préfet de Mayotte en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.