TA Nice, 02/02/2024, n°2400074


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire récapitulatif enregistrés les 1er octobre 2021 et 30 décembre 2023, la SAS groupe Opale-Alsei et la SA Hold Invest, représentées par Me Idriss, avocat, demande au tribunal :

1°) de résilier le marché public conclu le 9 juillet 2021 entre la société par actions simplifiées unipersonnelle (SASU) Mayotte Technopole et la société Colas Mayotte ;

2°) de condamner la SASU Mayotte Technopole à lui verser, une indemnité de 736 268,134 euros en réparation du préjudice né d'une perte de marge nette correspondant au manque à gagner ;

3°) de condamner la SASU Mayotte Technopole à lui verser la somme de 46 500 euros en remboursement des frais engagés pour la présentation de leur offre ;

4°) de mettre à la charge de la SASU Mayotte Technopole une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- leur requête est recevable ;

- la SASU technopole Mayotte a méconnu l'obligation de suspendre le contrat ;

- les principes d'égalité de traitement des candidats, de liberté d'accès et de transparence des procédures, garantis par l'article L. 3 du code de la commande publique ont été méconnus : d'une part, il résulte du règlement de consultation que les critères d'attribution sont à la fois hiérarchisés et pondérés, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique ; d'autre part, l'évaluation des offres est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, dans la mesure où, s'agissant du critère du " prix global et forfaitaire ", il n'est pas régulier d'attribuer la note maximale à l'offre la moins chère et une note nulle à l'offre la plus chère, s'agissant du critère " qualité de la réponse du candidat au regard des exigences du programme ", la meilleure note a été attribuée à la société Colas alors qu'elle n'a pas satisfait à la condition de proposer une place clairement définie à la CCI au sein d'un comité de suivi, s'agissant du critère " délais d'exécution du marché ", il leur est reproché de ne pas avoir indiqué la durée de mise au point du PRO, alors qu'elle n'est pas nécessaire à ce stade et que l'offre de la société Colas Mayotte nécessite visiblement une reprise du PRO, ce qui sous-entend un délai plus long ;

- les irrégularités ainsi commises les ont privées de la chance d'obtenir le marché de sorte que leur demande indemnitaire est fondée.

Par des mémoires en défense enregistrés le 18 août 2022 et 31 janvier 2024 la SASU Mayotte Technopole représentée par Me De Freitas, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- la juridiction administrative n'est pas compétente pour trancher le litige,

- la requête est irrecevable en l'absence d'une part, de la production du contrat de promotion immobilière et d'autre part, d'une demande préalable indemnitaire ;

- les moyens soulevés ne sont pas fondés ;

- la demande indemnitaire devra être rejetée dès lors que les préjudices allégués ne sont pas établis.

La requête a été communiquée à la société Colas Mayotte qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Monlaü, premier conseiller,

- les conclusions de M. Ramin, rapporteur public,

- et les observations de Me Idriss pour les sociétés requérantes et Me de Freitas pour la SASU Mayotte Technopole.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 20 février 2020, la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Mayotte a lancé une consultation selon la procédure du dialogue compétitif. Son objet est de permettre à la SASU Mayotte Technopole dont la chambre est actionnaire unique de conclure un contrat de promotion immobilière en vue d'assurer la conception, la réalisation et la livraison de la technopole de Mayotte. Le groupement formé des sociétés Groupe Opale-Alsei et Hold Invest a déposé une offre. Par un courriel du 22 mai 2021, la SASU Mayotte Technopole l'a informé que son offre n'avait pas été retenue, a détaillé les notes qu'il avait obtenues sur les trois critères de sélection ainsi que celles obtenues par la société Colas Mayotte, attributaire. Par un autre courriel du 2 juin 2021, la SASU Mayotte Technopole a fourni au groupement le détail de sa notation et de celle de la société attributaire. Par la présente requête, la SAS groupe Opale-Alsei et la SA Hold Invest, candidate classée en deuxième position, demande l'annulation de ce contrat et la condamnation de la SASU Mayotte au paiement d'une indemnité destinée à compenser le manque à gagner qu'elle a subi en raison de son éviction.

Sur les conclusions aux fins de contestation de la validité du contrat :

2. Tout concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif est recevable à former devant le juge du contrat, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses qui en sont divisibles, afin d'en obtenir la résiliation ou l'annulation. Dans ce cadre, le concurrent évincé ne peut toutefois utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction. En vue d'obtenir réparation de ses droits lésés, le concurrent évincé a la possibilité de présenter devant le juge du contrat des conclusions indemnitaires, à titre accessoire ou complémentaire à ses conclusions à fin de résiliation ou d'annulation du contrat.

3. En premier lieu, le moyen tiré, d'une part, du non-respect par le pouvoir adjudicateur d'un délai de suspension entre la notification aux candidats évincés du rejet de leur offre et la signature du contrat est relatif à une irrégularité, qui au stade de la procédure auquel elle se rapporte n'a pas d'incidence sur la sélection des candidatures ou le choix de l'offre économiquement la plus avantageuse et par conséquent n'est pas en rapport direct avec l'éviction du groupement. Par suite, ce moyen doit être écarté comme inopérant.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique : " Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution. Les modalités d'application du présent alinéa sont prévues par voie réglementaire () ". L'article L. 2152-8 du même code ajoute : " Les critères d'attribution n'ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l'acheteur et garantissent la possibilité d'une véritable concurrence. Ils sont rendus publics dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ". Et l'article R. 2152-7 précise que : " Pour attribuer le marché au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, l'acheteur se fonde : / 1° Soit sur un critère unique () / 2° Soit sur une pluralité de critères non-discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux. Il peut s'agir des critères suivants : a) La qualité, y compris la valeur technique et les caractéristiques esthétiques ou fonctionnelles, () ; b) Les délais d'exécution () ". Selon l'article R. 2152-11 du même code : " Les critères d'attribution ainsi que les modalités de leur mise en œuvre sont indiqués dans les documents de la consultation ". Enfin, l'article R. 2152-12 précise que : " Pour les marchés passés selon une procédure formalisée, les critères d'attribution font l'objet d'une pondération () ". Ces dispositions imposent au pouvoir adjudicateur d'informer les candidats des critères de sélection des offres ainsi que de leur pondération ou hiérarchisation.

5. En l'espèce, si le groupement requérant soutient que les critères d'attribution ne sont pas clairs dès lors qu'ils sont à la fois hiérarchisés et pondérés, il résulte de l'article 7 du règlement de consultation, que les critères d'appréciation de l'offre économiquement la plus avantageuse sont établis sur la base des critères pondérés suivants : le montant du prix global et forfaitaire, affecté d'un coefficient de pondération de 50 pour 100, la qualité de la réponse du candidat au regard des exigences du programme affecté d'un coefficient de pondération de 25 pour 100, et le délai d'exécution du marché affecté d'un coefficient de pondération de 25%. Contrairement à ce qu'allèguent les requérants, la définition de ces critères ne révèle aucune ambiguïté dans les termes retenus et est suffisamment précise et explicite, dans son intitulé comme dans sa pondération, pour permettre aux candidats d'adapter la présentation de leur offre. Par suite, la SAS groupe Opale-Alsei et la SA Hold Invest n'est pas fondée à soutenir que l'article 7 du règlement de consultation méconnaitrait les dispositions de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique.

6. En troisième lieu, pour contester le critère du " prix global et forfaitaire ", les requérants soutiennent que la méthode de notation retenue est irrégulière dès lors qu'elle conduit à attribuer la note maximale à l'offre la moins chère et une note nulle à l'offre la plus chère, sans considération de l'écart de prix entre les offres. Toutefois il résulte de l'instruction, que pour comparer les offres des candidats, la SASU Mayotte a utilisé une méthode de calcul qui conduit à attribuer la note de 35,68 sur 50 points au groupement Opale Alsei et la note de 39,91 sur 50 à la société Colas Mayotte, soit un écart de prix de 4 points sur un total de 50. Par suite ce dernier n'est pas fondé à soutenir que le pouvoir adjudicateur aurait commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'attribution de cette note.

7. En quatrième lieu, le groupement conteste la note de 16, 25 sur 25 points qu'il a obtenu au critère " qualité de la réponse du candidat au regard des exigences du programme ", au motif que la société Colas a obtenu une meilleure note de 20 sur 25 points alors que cette société n'a pas satisfait à la condition de proposer une place clairement définie à la CCI au sein d'un comité de suivi. Toutefois, il résulte de l'instruction que, d'une part, l'écart entre la note obtenue par le groupement et celle de la société Colas n'est que de 3,75 points et que d'autre part, cet écart dans la notation se justifie par une meilleure adaptation de l'offre technique de la société attributaire du marché qui a tenu compte de la nécessité au regard de la conception du projet de s'inscrire dans le cadre du permis de construire précédemment délivré pour la réalisation du contrat de promotion immobilière sur la base d'études préliminaires puis de l'avant-projet définitif réalisés par le maître d'œuvre, alors que l'offre du groupement requérant, si elle était de qualité, nécessitait toutefois l'obtention d'un permis de construire modificatif qui aurait été à l'origine d'un rallongement des délais susceptible de retarder la réalisation du marché.

8. En cinquième lieu pour contester la note de 16,25 sur 25 point qu'elle a obtenu au critère " délais d'exécution du marché ", dont l'écart avec la note de 20 sur 25 points de la société Colas est également de 3,75 points, le groupement conteste le fait qu'il n'y a pas eu d'analyse du délai global de réalisation du contrat et qu'il leur a été reproché de ne pas avoir indiqué la durée de mise au point de la phase projet (PRO) alors qu'elle n'est pas nécessaire à ce stade et que l'offre de la société Colas Mayotte nécessite visiblement une reprise du PRO, ce qui sous-entend un délai plus long. Toutefois, d'une part, le groupement n'établit pas que le pouvoir adjudicateur n'aurait pas procédé à une analyse globale du délai de réalisation du contrat alors qu'il résulte de l'article 2.2 des motifs du règlement de consultation justifiant la passation d'un contrat de promotion immobilière que la maîtrise du planning du chantier et des coûts est un objectif déterminant, et qu'en outre ce délai global de 22 mois pour la société Colas et de 24 mois pour le groupement est indiqué pour chacune des deux offres, d'autre part, le groupement requérant ne démontre pas qu'il n'était pas nécessaire de tenir compte des études PRO alors qu'une telle information permet au pouvoir adjudicateur de mieux apprécier la condition du délai de réalisation des travaux, lequel aurait été d'ailleurs plus long compte tenu de ce que l'offre du groupement incluait une demande de permis modificatif, contrairement à l'offre de l'attributaire qui ne nécessitait pas un tel dépôt.

9. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées en défense, les conclusions aux fins de contestation de la validité du contrat doivent être rejetées

Sur les conclusions indemnitaires :

10. Il résulte de ce qui précède que la SASU Mayotte technopole n'a pas commis de manquement dans la procédure de passation. Par suite, sans même qu'il soit besoin de statuer sur l'irrecevabilité opposée à de telles conclusions, la SAS groupe Opale-Alsei et la SA Hold Invest ne sont pas fondées à demander l'indemnisation de leur manque à gagner et des frais de présentation de leur offre.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SASU Mayotte Technopole, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SAS groupe Opale-Alsei et la SA Hold Invest demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SAS groupe Opale-Alsei et la SA Hold Invest est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifiée à la SAS Groupe Opale-Alsei, à la SA Hold Invest, à la chambre de commerce et d'industrie de Mayotte, à la SASU Mayotte Technopole et à la société Colas Mayotte.

Copie en sera adressée au préfet de Mayotte.

Délibéré après l'audience du 6 février 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Sorin, président ;

- M. Monlaü, premier conseiller ;

- Mme Tomi, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 février 2024.

Le rapporteur,

X. MONLAÜ

Le président,

T. SORIN

La greffière,

A. THORAL

La République mande et ordonne au préfet de Mayotte en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.