TA Melun, 01/02/2024, n°1803398


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 25 avril 2018, le 25 septembre 2018, le 24 juillet 2019 et le 23 mars 2021, la société Strategie et Com, représentée par Me Hakiki, doit être regardée comme demandant au tribunal :

1°) de condamner la commune d'Alfortville à lui verser la somme de 142 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de la résiliation du marché public de prestations de service ayant pour objet l'assistance en communication et marketing territorial de la commune d'Alfortville ;

2°) de mettre à la charge de la commune d'Alfortville la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision de résiliation ne comporte aucune motivation en droit comme en fait, en méconnaissance de l'article L. 211-3 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la résiliation du marché n'est pas justifiée par un motif d'intérêt général, de sorte qu'elle a droit à indemnisation ;

- la résiliation n'a pas été motivée par l'évolution des besoins de la commune mais par la modification du mode de gestion du service public, dès lors que le marché en litige avait pour objet de lui confier le service public de communication externe de la commune ; elle ne démontre pas qu'elle aurait repris en régie le service de communication ni à quel moment le changement de gestion du service aurait eu lieu ; elle ne produit aucune décision exécutoire de modification de la gestion du service public antérieurement à la résiliation du marché ; la commune n'établit pas que ses besoins en matière d'exposition médiatique aurait changé depuis l'élection du nouveau maire ;

- la résiliation du marché est illégale en raison de l'illégalité de la décision modifiant le mode de gestion ; elle méconnaît l'article L. 1224-3 du code de travail ;

- elle ne démontre pas que la décision aurait été prise par une délibération du conseil municipal autorisant le maire à résilier le contrat ;

- à supposer même que cette résiliation ait été justifiée par un motif d'intérêt général, la commune aurait dû respecter le préavis minimal de quatre mois prévu à l'article 11 du cahier des clauses particulières (CCP) ;

- l'article 11 du CCP a pour effet de priver le titulaire du marché de tout droit à indemnisation et est par conséquent illégal ;

- si l'article 11 exclut le droit à indemnisation du cocontractant en cas de résiliation pour motif d'intérêt général, ce n'est que dans la mesure où la personne publique respecte le délai de préavis de quatre mois et le paiement des prestations pendant cette période ; dès lors que la commune n'a pas respecté son obligation contractuelle, le cocontractant conserve son droit à réparation intégrale du fait de la résiliation pour motif d'intérêt général ;

- elle a subi un préjudice du fait du non-respect du délai de préavis de quatre mois et a droit au montant des prestations réalisées entre le préavis et la date de résiliation du marché soit 24 000 euros hors taxe (HT) ; la commune n'établit pas qu'elle lui aurait versé la somme de 3 400 euros correspondant à la période du 18 décembre au 31 décembre 2017 ;

- elle a subi un préjudice lié au manque à gagner du fait de l'illégalité de la résiliation s'élevant à 45 600 euros HT au titre de l'année 2018 dès lors que le marché prévoyait une faculté de résiliation annuelle sous préavis de quatre mois avant la date anniversaire ; en indiquant dans sa décision de résiliation que " chaque partie disposera toutefois d'une faculté de résiliation annuelle sous préavis de quatre mois avant la date anniversaire de sa notification ", la commune lui a reconnu un droit qu'elle ne peut lui retirer et qui est en cohérence avec les pièces du marché et en particulier avec l'article 11 du CCP qui stipule que " le présent marché peut être résilié par la personne publique en l'absence de faute pour des motifs d'intérêt général après préavis minimal de quatre mois, signifié par lettre recommandée avec A. R. La date de résiliation qui devra respecter le délai de préavis précité est celle mentionnée dans le courrier ", de sorte que le courrier fait partie des pièces du marché ; faute d'avoir respecté le préavis, les relations contractuelles doivent être considérées comme étant prolongées pendant au moins un an, voire jusqu'en 2020 ; ce préjudice est certain ;

- elle a subi un préjudice du fait de sa perte de chance de continuer à exécuter le contrat pendant les années 2019 et 2020 évalué à 68 400 euros HT ; il existait une probabilité sérieuse de résiliation permettant de caractériser un préjudice certain de perte de chance au titre des années 2019 et 2020 ;

- elle a subi un préjudice d'atteinte à sa réputation évaluée à 4 000 euros ; la résiliation en décembre 2017 du contrat est arrivée brutalement de sorte qu'elle n'a pas eu le temps de prévenir les journalistes qui suivent la commune et cela a nui à sa réputation auprès de ces médias dès lors qu'ils ont pu penser que la décision de la commune était la conséquence d'une faute de sa part dans l'exécution du marché ; cette atteinte à sa réputation a été accrue par le rapport de la chambre régionale des comptes d'Ile-de-France rendu public.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 10 septembre 2018, le 17 juillet 2019 et le 5 février 2021, la commune d'Alfortville conclut :

1°) à titre principal, au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Stratégie et Com de la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) à titre subsidiaire, à sa condamnation à la somme de 20 600 euros hors taxes, soit 24 720 euros toutes charges comprises et au rejet du surplus de la requête.

Elle fait valoir que :

- la résiliation du marché est justifiée par un motif d'intérêt général tiré de l'évolution des besoins de la commune à la suite du changement de maire intervenu en septembre 2017 qui s'est accompagné par un changement de stratégie en matière de communication territoriale où l'externalisation des fonctions d'attaché de presse est apparue comme n'étant plus adaptée au mode de fonctionnement souhaité par le nouveau maire ;

- le marché confié à la requérante est un marché de prestations de services relatives à des missions d'assistance en communication et marketing territorial de la commune d'Alfortville et n'a pas pour objet de lui confier un service public ; la décision de résiliation du marché ne fait pas suite à une reprise en régie ou à un changement de mode de gestion du service public mais à la volonté de la commune de redonner une partie des missions définies dans le marché confié à la requérante au service de communication ou au cabinet du maire sans que cela ne nécessite une réorganisation du service ni une création de service ; la résiliation est bien justifiée par les changements de besoin de la commune en terme d'exposition médiatique sur les projets municipaux au niveau national et régional ; en conséquence, il n'y a eu aucune réorganisation du service communication et donc aucune consultation du comité technique ni création d'un poste d'attaché de presse ;

- le maire de la commune était bien compétent pour prendre la décision de résiliation du marché en vertu d'une délibération du conseil municipal du 10 septembre 2017 portant délégation d'attributions au maire pour prendre des décisions en application de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales ;

- la société requérante ne peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 1224-3 du code du travail qui s'appliquent en cas de transfert d'une entité économique autonome, constituée par un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif propre, lorsqu'elle conserve son identité et que l'activité est poursuivie ou reprise, dès lors que la simple perte d'un marché ne saurait révéler l'existence d'un tel transfert ;

- si la commune n'a pas respecté le préavis de quatre mois prévu par l'article 11 du CCP, cette irrégularité ne remet pas en cause le bien-fondé de la décision de résiliation pour motif d'intérêt général et ouvre seulement droit pour la requérante à être indemnisée pour cette période de préavis ;

- si la résiliation pour motif d'intérêt général ouvre en principe droit pour le cocontractant à indemnisation, des clauses contractuelles peuvent exclure tout droit à indemnisation en cas de résiliation unilatérale par la personne publique ; en l'espèce, l'article 11 du CCP stipule que " par dérogation à l'article 3.7.2 alinéa 2 de l'article 33 alinéa 2 du CCAG FCS, la cessation de l'accord du marché dans ces conditions n'ouvrira droit à aucune indemnité pour le titulaire mais s'accompagnera de l'obligation pour la personne publique : / - de s'acquitter du montant des prestations réalisées et admises par la personne publique jusqu'à la date de résiliation du marché, sous réserve de l'admission des prestations ", de sorte que la société requérante n'a droit qu'au paiement des prestations réalisées et admises jusqu'à la date effective du marché ; l'exception d'inexécution soulevée par la société requérante n'est fondée sur aucune clause contractuelle, loi ou principe général du droit s'imposant aux cocontractants ; l'irrespect du délai de préavis, s'il a pour conséquence le paiement du montant des prestations relatives à cette période de préavis, ne peut avoir pour conséquences d'écarter la renonciation contractuelle au droit à indemnisation pour le titulaire ;

- le préjudice lié au non-respect du préavis minimal de quatre mois doit être ramené à 20 600 euros HT ; elle justifie avoir payé les prestations du mois de décembre 2017 pour un montant de 6 000 euros HT, de sorte qu'il y a lieu de déduire cette somme au paiement des prestations dû pendant la période de résiliation ;

- elle ne peut se prévaloir d'un manque à gagner au titre de l'année 2018 dès lors qu'elle le fonde sur une incise du courrier de notification qui n'est pas prévue par le marché et n'a pas de nature contractuelle ; l'article 11 du CCP fait référence au courrier de notification de la décision de préavis et non au courrier de notification du marché, lequel ne constitue pas une pièce contractuelle ; elle fait référence en outre au fait que le manque à gagner doit être exclusivement calculé en prenant en compte la marge nette qu'aurait engendrée l'exécution des prestations prévues par le marché après déduction des frais commerciaux, généraux et financiers mais ne produit aucune pièce, notamment comptable, pour justifier de ces élément et permettre l'évaluation de son préjudice ;

- le préjudice pour la perte de chance au titre des années 2019 et 2020 ne présente pas un caractère certain et la société requérante ne produit aucun élément pour justifier l'évaluation de son préjudice ; elle admet elle-même qu'il y avait une probabilité sérieuse de résiliation anticipée du marché de sorte que son préjudice n'est pas certain ;

- le préjudice pour atteinte à la réputation n'est pas établi, d'autant moins que la résiliation n'est pas liée aux relations dégradées entre les parties ou à la mauvaise exécution du marché ; si elle soutient que cette résiliation a pu nuire, compte tenu de sa brutalité, à sa réputation auprès des journalistes suivant l'actualité de la commune, la société requérante souligne également que les informations sur une résiliation anticipée du contrat étaient de notoriété publique.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ;

- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Darracq-Ghitalla-Ciock, conseillère,

- les conclusions de Mme Leboeuf, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement du 5 décembre 2016, la commune d'Alfortville a attribué à la société Stratégie et Com un marché public de prestations de service ayant pour objet l'assistance en communication et marketing territorial de la ville d'Alfortville pour une durée de quatre ans, prestations rémunérées mensuellement par application d'un prix global et forfaitaire de 6 000 euros. Par un courrier du 18 décembre 2017, la commune d'Alfortville a résilié le marché " eu égard à l'évolution des besoins de la collectivité ". Par un courrier du 22 janvier 2018, réceptionné le 6 février 2018 par la commune d'Alfortville, la société Stratégie et Com a demandé à la commune l'indemnisation, à hauteur d'un montant de 142 000 euros, des différents chefs de préjudice qu'elle estime avoir subis en raison du caractère fautif de cette résiliation. La société requérante doit être regardée comme demandant au tribunal la condamnation de la commune d'Alfortville à lui verser la somme de 142 000 euros en réparation de ces chefs de préjudice.

Sur les conclusions indemnitaires du fait de la résiliation fautive :

2. Hors le cas où il est saisi d'un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles, il appartient seulement au juge du contrat, saisi par une partie au litige relatif à une mesure d'exécution d'un contrat, de rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité.

En ce qui concerne la régularité de la résiliation :

3. En premier lieu, la société requérante soutient que la décision de résiliation est entachée d'une insuffisance de motivation en méconnaissance des dispositions de l'article L. 211-3 du code des relations entre le public et l'administration. Toutefois, la résiliation du marché dans l'intérêt général ne figure pas au nombre des " décisions administratives individuelles qui dérogent aux règles générales fixées par la loi ou le règlement ", seules visées par ces dispositions, ni, d'ailleurs et en tout état de cause, au nombre des " décisions administratives individuelles " qui " Infligent une sanction " ou qui " Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits " au sens des dispositions du 2° ou du 4° de l'article L. 211-2 du même code. Il ne résulte, par ailleurs, d'aucune stipulation applicable au marché que le pouvoir adjudicateur fût tenu de motiver une telle mesure de résiliation. Au surplus, un tel défaut de motivation n'est pas susceptible d'être regardé comme étant à l'origine direct du préjudice allégué en raison de la résiliation. Par suite, le moyen ne saurait qu'être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2122-22 : " Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : / () 4° De prendre toute décision concernant la préparation, la passation, l'exécution et le règlement des marchés et des accords-cadres ainsi que toute décision concernant leurs avenants, lorsque les crédits sont inscrits au budget ; / () ".

5. Il résulte de l'instruction que par une délibération du 18 octobre 2017, régulièrement publiée, le conseil municipal d'Alfortville a donné délégation au maire, pour la durée de son mandat, pour " prendre toute décision concernant la préparation, la passation, l'exécution et le règlement des marchés et des accords-cadres, d'un montant inférieur, s'agissant des contrats relatifs aux besoins de travaux publics, de fournitures et de services, à cinq cent mille euros hors taxe ". La décision de résiliation a été prise par M. B, maire de la commune d'Alfortville. Le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de la décision de résiliation doit donc être écarté.

6. En dernier lieu, si la société Stratégie et Com soutient que la résiliation intervenue est illégale dès lors que la commune d'Alfortville n'a pas respecté le délai de préavis de

quatre mois prévu par l'article 11 du cahier des clauses particulières, cette circonstance, si elle est de nature à ouvrir, le cas échéant, droit à indemnisation, est sans influence sur la régularité de la décision de résiliation.

En ce qui concerne le bien-fondé de la résiliation :

7. En vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, la personne publique contractante peut toujours, pour un motif d'intérêt général, résilier unilatéralement un contrat. Les stipulations de l'article 11 du cahier des clauses particulières du marché en litige rappellent ce principe.

8. Il résulte de l'instruction que la commune d'Alfortville a conclu un marché de service d'assistance en communication et marketing territorial pour une durée de quatre ans prévoyant un prix global et forfaitaire mensuel de 6 000 euros HT. La commune a, par un courrier du

18 décembre 2017 adressé à la société requérante, résilié ce marché au motif que les besoins de la commune avaient changé. La société Stratégie et Com soutient que ce seul motif n'est pas un motif d'intérêt général permettant la résiliation anticipée du marché et que la résiliation est en réalité motivée par la reprise en régie du service public de communication externe que le contrat lui avait en réalité attribué. D'une part, il résulte de l'instruction que le marché avait pour objet un service d'assistance en communication et marketing territoriale dont les missions sont fixées de manière exhaustive à l'article 3 du cahier des clauses particulières pour une durée de quatre ans en contrepartie du paiement d'un prix global et forfaitaire mensuel. Ce marché n'avait donc, en aucune façon, objet de confier à la société requérante l'entièreté du service de communication de la commune. D'autre part, la commune fait valoir que la résiliation est justifiée par l'évolution de ses besoins à la suite du changement de maire intervenu en septembre 2017 qui s'est accompagné par un changement des coûts de stratégie en matière de communication territoriale et une réduction des besoins. Il résulte de l'instruction qu'a été publié un avril 2017 un compte-rendu de la cour régionale des comptes d'Ile-de-France concernant la commune d'Alfortville, qui relève que la gestion de la communication de la commune est onéreuse. En outre, il est constant que M. B a été élu maire d'Alfortville en septembre 2017, à la suite de l'élection de M. A, ancien maire de la commune, comme député et que la commune n'a passé aucun nouveau marché après la résiliation du marché conclu avec la requérante. Ainsi, le motif tiré de ce que les évolutions des besoins de la commune en matière de communication étaient tels que le marché en cause n'était plus adapté à ses derniers ne repose pas sur des faits matériellement inexacts et ne se trouve entaché d'aucune erreur d'appréciation. Par suite, la commune pouvait, pour ce seul motif d'intérêt général, résilier le marché conclu avec la société requérante.

9. Ainsi, dès lors que la résiliation en litige n'est pas fautive, la responsabilité contractuelle de la commune d'Alfortville ne peut être engagée sur ce motif.

Sur les conclusions indemnitaires du fait de la résiliation pour motif d'intérêt général :

10. Aux termes de l'article 11 du cahier des clauses particulières : " Le présent marché peut être résilié par la personne publique en l'absence de faute pour des motifs d'intérêt général après préavis minimal de quatre mois, signifié par lettre recommandée avec A.R. La date de résiliation qui devra respecter le délai de préavis précité, est celle mentionnée dans le courrier. / Le titulaire est tenu d'exécuter les prestations en cours d'exécution jusqu'à la date effective de résiliation et de les rendre conformes aux modalités définies dans les pièces constitutives du marché subséquent. / La résiliation devra intervenir sans porter atteinte aux droits à paiement acquis par le prestataire avant la date de résiliation. / Par dérogation à l'article 3.7.5 alinéa 2, à l'article 33 alinéa 2 du C.C.A.G-F.C.S, la cessation de l'accord du marché dans ces conditions n'ouvrira droit à aucune autre indemnité pour le titulaire mais elle s'accompagnera de l'obligation pour la personne publique : / - de s'acquitter du montant des prestations réalisées et admises par la personne publique jusqu'à la date de résiliation du marché, sous réserve de l'admission des prestations ". Il résulte de ces stipulations interprétées conformément à la commune intention des parties qui ressort de leurs écritures concordantes qu'elles ont entendues écarter tout droit à indemnité au bénéfice du cocontractant de l'administration en cas de résiliation dans l'intérêt général et ne prévoir, au profit de ce dernier, que le seul paiement des prestations mentionnées au dernier alinéa.

11. D'une part, si les principes généraux applicables aux contrats administratifs permettent aux personnes publiques, sans qu'aucune disposition législative ou réglementaire, non plus qu'aucune stipulation contractuelle ne le prévoient, de résilier un contrat pour un motif d'intérêt général, sous réserve de l'indemnisation du préjudice éventuellement subi par le cocontractant, ces mêmes principes ne s'opposent pas à ce que des stipulations contractuelles écartent, comme en l'espèce, tout droit à indemnisation en cas de résiliation du contrat par la personne publique.

12. D'autre part, la société requérante soutient qu'il résulte de l'article 11 du cahier des clauses particulières prévoit que l'indemnisation du titulaire du fait de la résiliation pour motif d'intérêt général n'est exclue qu'à condition que la personne publique ait respecté le délai de préavis et se soit acquitté du montant des prestations réalisées pendant cette période. Toutefois, il ne résulte pas de la rédaction de cette clause que l'irrespect par la personne publique du délai de préavis et de son obligation de s'acquitter des prestations jusqu'à la date de résiliation fasse obstacle à l'application de la renonciation, par le titulaire du contrat, à toute indemnité lié au préjudice qu'il subirait du fait de la résiliation.

13. Il résulte de ce qui précède que la société Stratégie et Com n'est pas fondée à soutenir que l'application du dernier alinéa de l'article 11 du CCP devrait être écartée pour obtenir une indemnisation des préjudices qu'elle subit du fait de la résiliation du marché pour un motif d'intérêt général.

Sur les conclusions indemnitaires du fait de l'irrespect du délai de préavis :

14. Il résulte de l'instruction que l'article 11 du cahier des clauses particulières précité prévoyait un délai de préavis de quatre mois en cas de résiliation du marché par la personne publique pour un motif d'intérêt général. La commune a, par un courrier du 18 décembre 2017, informé la société titulaire de la résiliation du marché à compter du 31 décembre 2017. La commune d'Alfortville qui n'a pas respecté le délai de préavis prévu par les stipulations contractuelles, comme elle l'admet d'ailleurs dans ses écritures, a ainsi commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle.

15. La société requérante soutient avoir subi un préjudice du fait de la résiliation anticipée sans respect du délai de préavis par la commune, dès lors qu'elle n'a pas obtenu paiement du prix global et forfaitaire mensuel de 6 000 euros entre le 18 décembre 2017 et le 18 avril 2018, date à laquelle le marché aurait dû être résilié si la commune avait respecté le délai de préavis.

16. La commune soutient avoir payé l'ensemble des prestations exécutées par la société requérante au titre du mois de décembre 2017 et produit en ce sens un bordereau de mandat indiquant qu'elle a payé à la société Stratégie et Com la somme de 21 600 euros au titre des mois d'octobre, novembre et décembre 2017. La société requérante, qui ne conteste pas utilement ces éléments, ne peut ainsi prétendre à une indemnisation des pertes subies entre le 18 décembre 2017 et le 31 décembre 2018.

17. Concernant le reste du délai de préavis, à savoir du 1er janvier 2018 au 18 avril 2018, la société requérante ne peut prétendre au paiement effectif de prestations non réalisées dès lors qu'elle n'a subi aucune perte et que l'article 11 du cahier des clauses particulières précité, dont elle se prévaut, ne prévoit que le paiement des prestations réalisées et admises par la commune. Elle a droit uniquement au manque à gagner sur cette période, calculée en fonction du bénéfice net que lui aurait procuré l'exécution du marché sur cette période.

18. En l'espèce, il résulte de l'instruction, en particulier des comptes de résultat pour l'année 2016 qu'elle avait un taux de marge net avant impôt de 17,8%. Il ressort de l'acte d'engagement produit par la commune que le prix du marché était un prix global et forfaitaire mensuel de 6 000 euros, correspondant, sur la période restante du délai de préavis, à un prix de de 15 484 euros. Ainsi, il sera fait une juste appréciation du manque à gagner subi du 1er janvier 2018 au 18 avril 2018 par la société Stratégie et Com en l'évaluant, dans les circonstances de l'espèce, à la somme de 3 800 euros.

19. Si la société Stratégie et Com soutient avoir subi une atteinte à sa réputation compte tenu de la résiliation du marché, il résulte de ce qui a été dit précédemment que cette résiliation est intervenue pour un motif d'intérêt général. Si elle soutient par ailleurs que son image a été terni auprès de ses interlocuteurs du fait du caractère " brutal " de la décision de résiliation et du

non-respect du préavis pouvant laisser penser, en l'absence de communication sur ce point, que celle-ci serait intervenue à la suite d'une faute, ces seules allégations sont insuffisantes pour l'établir alors qu'elle relève par ailleurs que la résiliation du marché par la commune était de notoriété publique. Si elle estime qu'elle a subi une atteinte à sa réputation du fait de la publication du compte-rendu de la chambre régionale des comptes d'Ile-de-France concernant la commune d'Alfortville, un tel préjudice, à le supposer même établi, n'est pas en lien avec la faute contractuelle commise par la commune.

20. Il résulte de toute ce qui précède que la société Stratégie et Com est uniquement fondée à demander la condamnation de la commune d'Alfortville à lui verser la somme de 3 800 euros au titre de son manque à gagner compte tenu de l'irrespect du délai de préavis prévu contractuellement.

Sur les frais liés au litige :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Stratégie et Com, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la commune d'Alfortville au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En application de ces dispositions, il y a en revanche lieu de mettre à la charge de la commune d'Alfortville une somme de 1 500 euros à verser à la société Stratégie et Com.

D E C I D E :

Article 1er : La commune d'Alfortville est condamnée à verser à la société Stratégie et Com la somme de 3 800 euros.

Article 2 : La commune d'Alfortville versera à la société Stratégie et Com une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la commune d'Alfortville est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à la société Stratégie et Com et à la commune d'Alfortville.

Délibéré après l'audience du 9 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

M. Xavier Pottier, président,

Mme Lina Bousnane, conseillère,

Mme Jeanne Darracq-Ghitalla-Ciock, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er février 2024.

La rapporteure,

J. Darracq-Ghitalla-Ciock

Le président,

X. PottierLa greffière,

C. Mahieu

La République mande et ordonne à la préfète du Val-de-Marne en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,