TA Melun, 28/08/2023, n°2300499

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 18 janvier 2023, la société générale de faux-plafonds et isolation représentée par Me Samadi, du cabinet Eymard Sablier Associés (AARPI), demande au juge des référés statuant en application de l'article R. 541-1 du code de justice administrative :

1°) de condamner la communauté d'agglomération " Val d'Europe agglomération " à lui verser une provision de 98 802, 93 euros T.T.C. au titre du solde de son marché, tel qu'il résulte du décompte général et définitif tacitement formé le 26 mai 2022 ;

2°) de condamner la communauté d'agglomération " Val d'Europe agglomération " à lui verser une provision au titre des intérêts moratoires sur la somme de 98.802,93 euros T.T.C. à compter du 28 juin 2022, au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations principales de refinancement les plus récentes, en vigueur au premier jour du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de huit points de pourcentage, de la capitalisation des intérêts échus au 28 juin 2023 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date en application de l'article 1343-2 du code civil ;

3°) de condamner la communauté d'agglomération " Val d'Europe agglomération " à lui verser une provision de 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire qui lui est due pour frais de recouvrement ;

4°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération " Val d'Europe agglomération " la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société soutient qu'elle est fondée à se prévaloir du caractère définitif du projet de décompte final notifié à Val d'Europe agglomération qui est tacitement intervenu le 26 mai 2022.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 février 2023, Val d'Europe agglomération, représentée par le cabinet Goutal, Alibert et associés doit être regardée comme concluant :

- à l'irrecevabilité partielle de la requête dès lors que des sommes à hauteur de 57 928,87 euros TTC et 16 338,91 euros TTC correspondant au règlement partiel du solde du marché ont été mandatés le 3 janvier 2023 ;

- au rejet du surplus des conclusions de la requête ;

- à ce que soit mise à la charge de la société générale de faux-plafonds et isolation une somme de 4 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La communauté d'agglomération " Val d'Europe agglomération " soutient que:

- le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux approuvé par l'arrêté du 8 septembre 2009 avant sa modification en 2014 est applicable au litige ;

- à supposer que le CCAG applicable soit celui issu de la modification en 2014, la société requérante ne remplit pas les conditions pour se prévaloir de l'acquisition tacite du décompte général du marché ;

- à titre subsidiaire, la société générale de faux-plafonds et isolation n'a pas respecté les exigences de la procédure préalable obligatoire imposée par le cahier des clauses administratives générales, dans sa version modifiée par l'arrêté du 3 mars 2014.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, dans sa rédaction issue de l'arrêté du 3 mars 2014 ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné M. Gracia, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement du 1er mars 2019, la société générale de faux-plafonds et isolation (" SOGEFI ") a conclu avec communauté d'agglomération Val d'Europe agglomération, un contrat relatif au lot n° 2 " Construction du groupe scolaire n°2 de Coupvray " du marché de réalisation d'un groupe scolaire à Coupvray. La réception des travaux a été prononcée avec effet le 31 mars 2021 sous réserves et avec réserves. La société générale de faux-plafonds et isolation a déposé des projets de décompte final sur la plateforme " Chorus Pro " les 6 avril et 15 mai 2022. Elle soutient que sans réponse de la part du pouvoir adjudicateur, elle a adressé le 13 mai 2022 un projet de décompte général, qui n'a pas été réglé. Par la présente requête, la société générale de faux-plafonds et isolation demande au juge des référés de condamner, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, la communauté d'agglomération " Val d'Europe agglomération " à lui verser une provision de 98 802,93 euros T.T.C. en règlement du solde de ce marché.

Sur l'étendue du litige :

2. Dans son mémoire en défense, la communauté d'agglomération " Val d'Europe agglomération " soutient avoir réglé, le 3 janvier 2023 les sommes de 57 928,87 euros TTC et 16 338,91 euros TTC en règlement partiel du solde du marché. Ledit mémoire a été transmis à la SOGEFI qui n'a pas formulé d'observations. Dans ces conditions, la communauté d'agglomération " Val d'Europe agglomération " est fondée à soutenir que le présent litige porte sur le règlement à titre provisoire de la somme de 24.535,15 euros TTC.

Sur le cadre juridique du litige :

3. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état.

Sur les conclusions tendant au versement d'une provision :

En ce qui concerne les règles contractuelles applicables :

4. L'article 4.2 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) relatif au marché en litige liste les pièces générales applicables au marché en litige au nombre desquelles figure stipule : " le cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés publics de travaux, approuvé par l'arrêté du 8 septembre 2009) ". L'article 8 de l'arrêté du 3 mars 2014 modifiant l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, dans sa rédaction issue de l'arrêté du 3 mars 2014, prévoit : " Les dispositions du présent arrêté entrent en vigueur au 1er avril 2014 ". Il résulte de la combinaison de ces textes que, contrairement à ce que soutient la communauté d'agglomération Val d'Europe agglomération à titre principal, le CCAG travaux applicable en l'espèce est celui issu de l'arrêté du 8 septembre 2009 modifié par l'arrêté du 3 mars 2014.

En ce qui concerne le bien-fondé de la demande de provision :

5. D'une part, qu'aux termes de l'article 13.3.1 du CCAG Travaux, dans sa rédaction issue de l'arrêté du 3 mars 2014 : " Après l'achèvement des travaux, le titulaire établit le projet de décompte final (). / Ce projet de décompte final est la demande de paiement finale du titulaire () ". Aux termes de l'article 13.3.2 : " Le titulaire transmet son projet de décompte final, simultanément au maître d'œuvre et au représentant du pouvoir adjudicateur, par tout moyen permettant de donner une date certaine, dans un délai de trente jours à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux () ". Aux termes de l'article 13.3.4 : " En cas de retard dans la transmission du projet de décompte final et après mise en demeure restée sans effet, le maître d'œuvre établit d'office le décompte final aux frais du titulaire. Ce décompte final est alors notifié au titulaire avec le décompte général tel que défini à l'article 13.4 " ;

6. D'autre part, aux termes de l'article 13.4.2 du CCAG Travaux, dans sa rédaction issue de l'arrêté du 3 mars 2014 : " Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. / Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général à la plus tardive des deux dates ci-après :/ - trente jours à compter de la réception par le maître d'œuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ; / - trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur de la demande de paiement finale transmise par le titulaire () ". Aux termes de l'article 13.4.3 : " Dans un délai de trente jours compté à partir de la date à laquelle ce décompte général lui a été notifié, le titulaire envoie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, ce décompte revêtu de sa signature, avec ou sans réserves, ou fait connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer. / Si la signature du décompte général est donnée sans réserve par le titulaire, il devient le décompte général et définitif du marché. La date de sa notification au pouvoir adjudicateur constitue le départ du délai de paiement. / Ce décompte lie définitivement les parties () ". Et aux termes de l'article 13.4.4 : " Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, un projet de décompte général signé composé : - du projet de décompte final tel que transmis en application de l'article 13.3.1 ; - du projet d'état du solde hors révision de prix définitive, établi à partir du projet de décompte final et du dernier projet de décompte mensuel, faisant ressortir les éléments définis à l'article 13.2.1 pour les acomptes mensuels ; - du projet de récapitulation des acomptes mensuels et du solde hors révision de prix définitive (). / Si, dans [un] délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif () ".

7. Il résulte de la combinaison des stipulations citées aux points 5 et 6 que, même si elle intervient après l'expiration du délai de trente jours prévu à l'article 13.3.2 du CCAG Travaux, courant à compter de la réception des travaux, la réception, par le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre, du projet de décompte final, établi par le titulaire du marché, est le point de départ du délai de trente jours prévu à l'article 13.4.2, dont le dépassement peut donner lieu à l'établissement d'un décompte général et définitif tacite dans les conditions prévues par l'article 13.4.4 ; que, toutefois, dès lors qu'en application de l'article 13.4.2, l'expiration du délai de trente jours prévu par celui-ci est appréciée au regard de la plus tardive des dates de réception du projet de décompte final respectivement par le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre, ce délai ne peut pas courir tant que ceux-ci n'ont pas tous deux reçus le document en cause.

8. Il résulte de l'instruction que la SOGEFI a déposé un projet de décompte final sur la plateforme " Chorus Pro " les 6 avril et 15 mai 2022, à l'attention de la communauté d'agglomération " Val d'Europe agglomération ", ainsi que l'indique clairement l'intitulé du courrier produit par la société et la seule utilisation alléguée de la plateforme " Chorus " pour procéder à la transmission. Par suite, ainsi que le soutient à bon droit la communauté d'agglomération, il ne résulte pas de l'instruction que la société ait transmis son projet de décompte final au maître d'œuvre, contrairement aux règles énoncés au pont 7. Ainsi, faute d'avoir respecté la formalité prévue à l'article 13.3.2. du CCAG Travaux, aucun décompte général implicite n'a pu naitre du silence du pouvoir adjudicateur.

9. Dans ces conditions, l'obligation dont se prévaut la société générale de faux-plafonds et isolation ne peut être regardée comme non sérieusement contestable au sens des dispositions précitées de l'article R. 541-1 du code de justice administrative. Par suite, les conclusions de la société générale de faux-plafonds et isolation tendant au versement d'une provision doivent être rejetées. Il en va de même, par voie de conséquence, des conclusions de la requête tendant au versement d'une provision au titre des intérêts moratoires, ainsi que celles tendant à la charge de la communauté d'agglomération " Val d'Europe agglomération " d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Enfin, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la communauté d'agglomération " Val d'Europe agglomération " tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société générale de faux-plafonds et isolation est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la communauté d'agglomération " Val d'Europe agglomération " tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société générale de faux-plafonds et isolation (SOGEFI) et à la communauté d'agglomération " Val d'Europe agglomération ".

Fait à Melun, le 28 août 2023.

Le juge des référés,

J-Ch. Gracia

La République mande et ordonne au préfet de Seine-et-Marne, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution du présent jugement.