TA Montpellier, 04/04/2024, n°2202808


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 1er juin 2022, le 9 juin 2023 et le 12 octobre 2023, la commune de Cazouls-lès-Béziers, représentée par Me Moreau demande au tribunal :

1°) de condamner solidairement la société Artelia Ville et transports, la société Bureau d'Etudes Techniques et Urbanisme (BETU) et la société Colas Midi méditerranée à lui verser :

- une somme de 161 515,03 euros TTC au titre des préjudices qu'elle a subis à raison de l'effondrement d'une voirie sur le quartier dits B ;

- une somme de 8 149,39 euros TTC au titre des frais d'expertises qu'elle a exposés ;

2°) de mettre à la charge solidaire de la société Artelia Ville et transports, la société BETU et la société Colas Midi méditerranée une somme de 3 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- dans le cadre d'un marché public de travaux pour la réalisation d'un réseau d'assainissement, un marché public de travaux a été confié à la société Florian Lopez le 22 octobre 2008 et le marché de maîtrise d'œuvre à la société Sogreah ;

- les travaux ont donné lieu à une réception sans réserve le 20 janvier 2010 avec effet au 13 novembre 2009 ;

- des affaissements de voirie ont été constatés en mars 2010 puis le 27 mai 2010 et la société Lopez a effectué des travaux de reprise sur la tranchée de l'extension du réseau d'assainissement du chemin B sur 20 mètres linéaires ;

- dans le cadre de travaux d'aménagement du lotissement / PAE " les Escondals ", la commune a, d'une part, attribué le contrat de maitrise d'œuvre à la société BETU le 4 mai 2012 puis, d'autre part, a confié le contrat de terrassement, voirie, réseaux humides à la société Colas midi méditerranée ; la réception définitive des travaux a été prononcée le 4 janvier 2018 avec réserves sans lien avec l'objet des désordres ;

- plusieurs effondrements sont survenus au cours du mois de février 2018 ;

- le rapport d'expertise judiciaire a mis en évidence le caractère décennal des désordres affectant la voirie dès lors que les affaissements rendent la chaussée impropre à son usage ;

- la responsabilité des constructeurs et de la maîtrise d'œuvre est engagée, dès lors que les désordres dont est affecté cet ouvrage présentent un caractère décennal et sont survenus dans le délai d'épreuve de dix années ;

- le lien de causalité entre les fautes commises par les constructeurs et ses préjudices est établi ;

- il y a lieu de prononcer une condamnation solidaire sur le fondement de la responsabilité post-contractuelle et contractuelle, dès lors que les fautes commises par les constructeurs ont concouru à la réalisation de l'entier dommage et que le maître d'ouvrage peut obtenir de l'intervenant de son choix le règlement de la totalité des condamnations ; la société Artélia ville et transports, venant aux droits de la société Sogreah Consultants, engage sa responsabilité dès lors qu'elle a suivi le chantier, validé le matériau de remblai et proposé la réception ; la société Lopez, radiée du registre du commerce depuis le 2015, est responsable au titre du réemploi non contractuel du matériau du site ; la société BETU engage sa responsabilité bien qu'elle ait fait intervenir le BET BEI, dès lors que ce dernier a rédigé un cahier des clauses techniques particulières insuffisant, sans définition du trafic, sans étude de sol dans le document de consultation des entreprises et sans définition de la qualité de la plateforme, mais qui, également, dans le cadre de sa mission VISA, n'a pas demandé et donc pas validé le dossier d'étude de la chaussée dans lequel serait définie la qualité de la couche de forme, ce qui imposait la connaissance du terrain naturel et de la mauvaise qualité A1 du matériau ; la société Colas Midi Méditerranée engage quant à elle sa responsabilité en ne prenant pas en compte la qualité de portance de la plateforme, malgré une correcte réalisation de la voie

- la responsabilité contractuelle des entreprises est engagée ;

- la commune de Cazouls-lès-Béziers n'entend pas contester la part de responsabilité de 5% dans la survenance des désordres ;

- elle est fondée à demander la somme de 161 515,03 euros TTC au titre des travaux de remise en état pour un montant de 147 317 euros TTC et au titre des frais d'expertise amiable s'élevant à 14 198,03 euros TTC ;

- elle a exposé des frais d'expertise à hauteur d'une somme de 8 149,39 euros TTC qui devront être définitivement mis à la charge solidaire des constructeurs.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 27 avril et 8 septembre 2023, la société BETU représentée par Me Pons, conclut :

1°) à titre principal au rejet de la requête à son encontre ;

2°) subsidiairement, à ce que les éventuelles condamnations mises à sa charge soient limitées à hauteur de 15% des préjudices de la commune de Cazouls-lès-Béziers soit une somme de 24 227,25 euros TTC pour les travaux de reprise et de 1 222,40 euros TTC au titre de sa condamnation aux dépens, et de condamner les sociétés Artélia ville et transports, Colas Midi Méditerranée et la SAS entreprise Florian Lopez, prise en la personne de son mandataire ad'hoc Me Blanc, à la relever et garantir de toutes condamnations supérieures à ces montants ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la commune de Cazouls-les-Béziers, des sociétés Artélia ville et transports, Colas Midi Méditerranée et de la SAS entreprise Florian Lopez une somme de 5 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- elle n'a commis aucune faute dès lors qu'elle n'était pas contractuellement tenue de réaliser une étude de sol préalable, laquelle incombait au maître d'ouvrage, et qu'elle n'a pas été informée, préalablement, de la survenance d'un précédent dommage, ce qui aurait dû conduire la commune à être plus attentive ; la survenance des dommages est uniquement imputable à la mauvaise réalisation de la chaussée par la société Lopez sous la maîtrise d'œuvre de la société Artélia Ville et transports ;

- les condamnations mises à sa charge doivent être limitées à une somme de 24 227,25 euros ;

- la responsabilité de la société Florian Lopez est engagée et celle-ci doit la garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre qui excèderait la somme de 24 227,25 euros à hauteur de 40 % ;

- les frais d'expertise mis à sa charge ne pourront excéder la somme de 1 222,40 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 27 avril 2023, le 5 septembre 2023 et le 15 novembre 2023, la SAS Colas France, venant aux droits de la société Colas Midi Méditerrannée prise en sa direction territoire Sud Est, représentée par Me Inquimbert, conclut

1°) au rejet de la requête ;

2°) subsidiairement, à ce que les éventuelles condamnations mises à sa charge soient limitées à hauteur de 30% des préjudices de la commune de Cazouls-lès-Béziers soit une somme de 48 454,50 euros TTC au titre de ses préjudices et de condamner les sociétés Artélia ville et transports, Colas Midi méditerranée et la SAS entreprise Florian Lopez pris en la personne de son mandataire ad'hoc Me Blanc à la relever et garantir de toutes condamnations supérieures à ces montants, en ce compris les dépens d'expertise et frais irrépétibles susceptibles d'être ordonnés, soit 40 % à la charge de la société Florian LOPEZ, 10% à la charge de la société Artelia Ville et transports, 15% à la charge du BET BETU et à hauteur de 5% à la charge de la Commune de Cazouls-lès-Béziers ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la commune de Cazouls-lès-Béziers, des sociétés Artélia ville et transports, Colas Midi méditerranée et de la SAS entreprise Florian Lopez une somme de 3 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir, dans le dernier état de ses écritures :

- elle n'a commis aucune faute dans la réalisation des travaux en cause dès lors que les affaissements constatés ne portent que sur les portions non reprises par la société Florian Lopez et il ne peut lui être reproché de n'avoir réclamé une étude des sols préalables dès lors qu'elle a fait réaliser des tests préalables sur le support de son intervention ;

- elle n'a commis aucune faute en intervenant sur le support qu'elle ne peut être réputée avoir accepté en l'état dès lors que la commune ne l'a jamais informée des précédents désordres survenus, et ne lui a fourni aucune étude des sols qu'il lui incombait pourtant de réaliser ;

- sa responsabilité sera résiduellement limitée à 30% ;

- il y a lieu de limiter le préjudice réclamé par la commune en excluant toute indemnisation des frais d'expertise amiable et des frais d'étude de sols qui n'ont pas été exposés par la commune de Cazouls-lès-Béziers ; les sommes devront être versées hors taxe ;

- elle doit être garantie de toute condamnation par la société Florian Lopez et le BET Artélia, maître d'œuvre, dès lors que la survenance du dommage résulte de la mauvaise réalisation des travaux en 2010, ;

- elle doit être garantie par le BET BETU à proportion de sa part de responsabilité.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 27 avril, 4 septembre et 30 novembre 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la société Artélia Ville et transports, représentée par Me Payet-Godel, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) subsidiairement de réduire à de plus justes proportions le préjudice de la commune de Cazouls-lès-Béziers ;

3°) de condamner les sociétés BETU et Colas Midi Méditerranée ainsi que la société Lopez,représentée par son mandataire, à la relever indemne des sommes susceptibles d'être mises à sa charge ;

4°) de mettre à la charge de toute partie succombante une somme de 5 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- sa responsabilité ne peut être engagée dès lors que les sociétés Colas et Betu ont accepté le support sur lequel elles sont intervenues sans étude de sols préalable de sorte que ce manquement constitue l'unique cause du dommage ;

- la commune de Cazouls-lès-Béziers a commis une faute en ne faisant pas procéder à l'entière reprise des travaux effectués par la société Lopez, de nature à l'exonérer totalement ;

- il y a lieu de laisser à la charge de la commune une part de 15% de responsabilité ;

- il n'y a pas lieu de mettre à sa charge les frais d'expertise amiable, opération à laquelle elle n'a pas participé ;

- la commune, qui n'a pas fait réaliser d'étude de sols lors de la réalisation des premiers travaux, n'est pas fondée à réclamer le coût d'une telle étude à hauteur de 5 946 euros TTC qui doit rester à sa charge ;

- elle s'en rapporte sur le moyen tiré de la non-application de la TVA ;

- elle doit être intégralement garantie de toutes condamnations par les sociétés BETU et Colas midi méditerranée.

La procédure a été communiquée le 20 novembre 2023 à Me Blanc pris en sa qualité de mandataire ad'hoc de la SAS Florian Lopez désigné par jugement du tribunal de commerce de Béziers le 9 octobre 2023.

Vu :

- l'ordonnance du 1er avril 2021 liquidant et taxant à 8 149,39 € TTC les frais d'expertise ordonnée par le tribunal administratif de Montpellier ;

- les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bayada,

- les conclusions de M. Lauranson, rapporteur public,

- et les observations de Me Hamidi, représentant la commune de Cazouls-lès-Béziers, de Me Weickert représentant la société Artélia Ville et transports et de Me Liégeois pour la société BETU.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre de la réalisation d'un réseau d'assainissement dans le quartier B, la commune de Cazouls-lès-Béziers a, d'une part, par un acte d'engagement du 3 mars 2008, confié le marché de maîtrise d'œuvre à la société Sogreah et, d'autre part, par un marché public de travaux du 22 octobre 2008, confié la réalisation de ces travaux à la société Sas Florian Lopez. A la suite de la réception de ces travaux le 20 janvier 2010 avec effet au 13 novembre 2009, plusieurs affaissements de la voie ont été constatés conduisant à une reprise partielle des travaux, effectuée par la société Sas Florian Lopez. Par un acte d'engagement du 4 mai 2012, la commune de Cazouls-lès-Béziers a confié à la société BETU un contrat de maitrise d'œuvre pour la réalisation de l'aménagement du lotissement " PAE/Les Escondals " et les travaux de terrassement, voirie, réseaux humides ont été attribués le 10 octobre 2016 à la société Colas Midi Méditerranée. La réception définitive des travaux a été prononcée avec réserves le 14 décembre 2017, levées par la suite. A la suite du constat de plusieurs affaissements de la route, la commune de Cazouls-lès-Béziers, après avoir diligenté une mesure d'expertise amiable, a sollicité une expertise judiciaire, ordonnée le 27 août 2019 par le Tribunal. L'expert judiciaire a déposé son rapport le 12 mars 2021. Sur la base de ce rapport, la commune de Cazouls-lès-Béziers demande la condamnation solidaire de la société Artelia Ville et transports venant aux droits de la société Sogreah, la société BETU et la société Colas Midi Méditerranée à leur verser une somme de 161 515,03 euros TTC au titre des préjudices qu'elle a subis à raison de l'effondrement d'une portion de la voirie du quartier B ainsi qu'une somme de 8 149,39 euros TTC correspondant aux frais d'expertise qu'elle a avancé.

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne la responsabilité des constructeurs :

2. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans, dès lors que les désordres leur sont imputables, même partiellement et sauf à ce que soit établie la faute du maître d'ouvrage ou l'existence d'un cas de force majeure.

3. Il incombe au juge administratif, lorsqu'est recherchée devant lui la responsabilité décennale des constructeurs, d'apprécier, au vu de l'argumentation que lui soumettent les parties sur ce point, si les conditions d'engagement de cette responsabilité sont ou non réunies et d'en tirer les conséquences, le cas échéant d'office, pour l'ensemble des constructeurs.

4. Enfin, compte tenu des principes rappelés aux points précédents, il appartient au juge administratif, dès lors qu'il constate, d'une part, que les parties à une opération de construction n'ont pas entendu contractuellement renoncer ou aménager le régime de la garantie décennale des constructeurs et, d'autre part, que les conditions de l'engagement de cette responsabilité sont réunies, de tirer les conséquences, le cas échéant d'office, du caractère solidaire de cette responsabilité en condamnant l'ensemble des constructeurs auxquels sont imputables les désordres en litige à en réparer les conséquences dommageables pourvu qu'ils aient été mis en cause par le maître de l'ouvrage et qu'ils aient, au moins pour partie, contribué à la survenance de ces désordres.

5. Il résulte du rapport de l'expert que les désordres constatés sur la voie dénommée chemin d'Escondals sont répartis en trois zones, avec un affaissement total de la route aux droits des réseaux en partie basse en zone 1, un affaissement partiel en partie médiane en zone 2 ainsi que de légers affaissement en zone 3. Ces désordres proviennent, d'une part, d'une mauvaise réalisation des travaux de remblai de la voirie par la société Sas Lopez, réalisée en utilisant un matériau de type 1 sensible à l'eau et inadapté pour un tel usage et, d'autre part, d'une absence d'étude de sol et de définition de la qualité de la plateforme lors des travaux confiés par la commune de Cazouls-lès-Béziers, à la société BETU et à la société Colas Midi Méditerranée.

S'agissant de la responsabilité de la société Artélia Ville et transports :

6. La société Artélia Ville et transports, venant aux droits de la société Sogreah, conteste toute responsabilité dans la survenance des désordres affectant la voie en faisant valoir que celle-ci résulte de la seule carence fautive de la commune de Cazouls-lès-Béziers, qui n'a pas fait procéder à une étude de sol préalable, ainsi que de la société Colas midi méditerranée et de la société BETU, lesquelles ont accepté de construire sur une plateforme sans réclamer une telle étude préalable.

7. Il résulte toutefois du rapport d'expertise que les désordres constatés sur la voie dénommée chemin d'Escondals en partie basse de la route en zone 1 et en partie médiane de la route en zone 2 sont dus à une mauvaise réalisation des travaux de remblai de la voirie par la société Sas Lopez, dans le cadre de travaux publics dont la société Sogreah assurait la maîtrise d'œuvre. L'expert a en effet relevé que le matériau de remblai de la tranchée utilisé par la Sas Florian Lopez est un réemploi du terrain du site et que l'épaisseur de gravier non traité (GNT) est insuffisante et repose sur un sol fin en limon type A1, qui décompressé et remanié, perd toute qualité de portance et est très sensible à l'eau. La société Sogreah, aux droits de laquelle vient la société Artélia Ville et transports, qui, dans le cadre du suivi du chantier, a validé l'usage de ce matériau de remblai par la société Florian Lopez et proposé une réception sans réserve sur ce point alors que l'utilisation d'un tel matériau, inapte à cet usage, aurait dû l'alerter en application de la mission direction de l'exécution des travaux (DET) qui lui a été confiée dans le cadre de l'acte d'engagement du 3 mars 2008, n'est pas fondée à demander à être mise hors de cause. Eu égard à sa qualité de maître d'œuvre, il y a lieu de fixer la part de responsabilité de la société Artélia Ville et transports, venant aux droits de Sogreah, à hauteur de 10% de la totalité des dommages subis par la commune de Cazouls-les-Béziers.

S'agissant de la responsabilité de la société BETU :

8. Il résulte de l'instruction que la société BETU avait en charge, dans le cadre du contrat de maîtrise d'œuvre du 4 mai 2012 complété par un avenant en date du 28 décembre 2015, plusieurs missions dont une mission projet (PRO), une mission d'assistance au maître de l'ouvrage pour la passation du contrat de travaux et une mission VISA. S'il ne résulte effectivement pas des pièces contractuelles produites par les parties que les missions confiées à la société BETU comprenaient la réalisation de l'étude de sols, qui aurait été nécessaire avant la réalisation des travaux, une telle étude géotechnique de conception G2 est pourtant comprise, selon la norme NF P 94-500, en phase AVP/PRO et DCE afin de déterminer les hypothèses à prendre en compte et les principes de construction envisageables, notamment pour les fondations et assises ainsi que les améliorations de sols. En outre, l'expert relève le caractère parcellaire du cahier des clauses techniques particulières et notamment des éléments techniques permettant de s'assurer de la faisabilité de la méthode de construction retenue. Il s'en déduit qu'en tout état de cause, il appartenait au maître d'œuvre de s'assurer que des études de sols préalables avaient été réalisées afin de définir la faisabilité et les caractéristiques techniques du projet, ou ses conditions de réalisation, et dans le cas contraire d'en avertir le maître de l'ouvrage au titre de son obligation de conseil. N'est pas de nature à exonérer le maître d'œuvre, la circonstance que la commune de Cazouls-lès-Béziers ne l'aurait pas averti, préalablement, de la survenance de précédents désordres sur la voirie ou n'aurait pas fait réaliser spontanément d'études de sols préalables, circonstances qui ne le dispensait pas d'attirer l'attention du maître de l'ouvrage sur ce point. Ce manquement a eu une incidence directe sur la réalisation des dommages en cause et est de nature à engager la responsabilité de la société BETU.

9. Dans ces conditions, il y a lieu de fixer la part de responsabilité de la société BETU dans la survenance des dommages à hauteur de 15% du dommage total subi par la commune de Cazouls-lès-Béziers.

S'agissant de la responsabilité de la société Colas Midi Méditerranée :

10. Ainsi qu'il vient d'être dit, les travaux, réalisés par la société Colas Midi Méditerranée, n'ont donné lieu à aucune étude de sols préalable. Bien que l'expert relève que les travaux réalisés par la société Colas Midi Méditerranée ont été réalisés dans les règles de l'art, il résulte de l'instruction que la société Colas midi Méditerranée a réalisé ces travaux sans solliciter l'étude de sols, ni appeler l'attention du maître d'ouvrage sur les conséquences d'une telle absence et enfin, sans formuler de réserves à ce titre. Si elle précise avoir effectué plusieurs tests de plaques sur sept points du chantier, l'expert a explicitement écarté la pertinence de ces tests, qui ne permettaient, en tout état de cause, pas à la société de s'assurer de la qualité du support de la chaussée. Par suite, et sans qu'ait davantage d'incidence la circonstance que la commune de Cazouls-lès-Béziers n'ait pas averti son cocontractant de la survenance de précédents désordres, ce manquement, qui a eu une incidence directe sur la réalisation des dommages en cause, est de nature à engager la responsabilité de la société Colas Midi Méditerranée.

11. Il s'ensuit qu'il y a lieu de fixer la part de responsabilité de la société Colas Midi Méditerranée dans la survenance des dommages à hauteur de 30% du dommage total subi par la commune de Cazouls-lès-Béziers.

12. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que l'absence de réalisation d'une étude des sols préalable par la commune de Cazouls-lès-Béziers, dont l'attention n'a jamais été attirée sur ce point par la société Sogreah consultants, devenue Artélia ville et transports, serait de nature à exonérer totalement cette dernière. Toutefois, et ainsi que l'a relevé l'expert et n'est du reste pas contesté par la commune de Cazouls-lès-Béziers, cette dernière qui s'est abstenue de faire réaliser une étude des sols préalable avant les travaux de création d'un réseau d'assainissement, puis des travaux portant sur le chemin B dans le cadre de la création du lotissement " PAE/Escondals ", a commis une faute de nature à exonérer les constructeurs à hauteur de 5%.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Cazouls-lès-Béziers est fondée à demander l'engagement de la responsabilité solidaire des sociétés Artélia ville transports, de la société BETU et de la société Colas Midi Méditerranée, qui ont chacune pris part aux travaux dont ont résulté les désordres en litige, sur le fondement des principes qui régissent la garantie décennale à hauteur de 95 % de l'ensemble des dommages qu'elle a subi.

Sur la réparation :

14. D'une part, le maître de l'ouvrage a droit à la réparation intégrale des préjudices qu'il a subis lorsque la responsabilité décennale des constructeurs est engagée, sans que l'indemnisation qui lui est allouée à ce titre puisse dépasser le montant des travaux strictement nécessaires à la remise en ordre de l'ouvrage tel qu'il avait été commandé. En outre, le principe de la réparation intégrale n'implique pas de contrôle sur l'utilisation des fonds alloués à la victime qui conserve leur libre utilisation.

15. D'autre part, lorsque la remise en état de l'ouvrage comporte des travaux supplémentaires par rapport au marché initial, indispensables à la réalisation d'un ouvrage dans les règles de l'art, la charge définitive en incombe, en principe, au maître de l'ouvrage. Le maître d'ouvrage n'a droit à une indemnisation que dans la mesure où il est amené à supporter un coût final supérieur à celui qui aurait dû être celui de l'ouvrage si sa conception et sa réalisation n'avaient été entachées d'aucun vice.

16. En premier lieu, s'il résulte du rapport de l'expert que les travaux de reprise de la chaussée, fixés à une somme de 137 217 euros TTC, comprennent une étude de sol pour un montant évalué à 2 000 euros TTC et le recours à un bureau d'étude VRD pour un montant de 8 100 euros, étude dont la réalisation est indispensable afin de reprendre les désordres affectant la voirie, il résulte de ce qui a été dit au point 12 que la dépense relative à l'étude de sols aurait dû être exposée par la commune de Cazouls-lès-Béziers dans le cadre des travaux de réalisation du réseau d'assainissement puis des travaux d'agrandissement du chemin dits B. Dans ces conditions il y a lieu, ainsi que le demandent les sociétés défenderesses, de limiter l'indemnisation de la commune au titre du préjudice matériel en déduisant le coût de l'étude de sols, chiffrées à la somme de 2 000 euros.

17. En deuxième lieu, il résulte de l'expertise, dont les chiffres ne sont pas utilement contestés, que le montant des travaux relatifs à la reprise totale des désordres, qui constituent un tout, s'élève à la somme de 147 317 euros toutes taxes comprises.

18. En troisième lieu, il est constant que les frais d'une expertise diligentée par le maître de l'ouvrage dans le cadre de désordres présentant un caractère décennal causés dans le cadre de l'exécution de travaux publics peuvent être compris dans l'indemnité due par les constructeurs responsables si cette expertise a été utile au juge administratif pour la détermination du préjudice indemnisable.

19. La commune de Cazouls-lès-Béziers fait valoir qu'elle n'a pas à supporter la charge des frais d'expertise amiable représentant un coût total de 14 198,03 euros TTC, correspondant, d'une part, à l'intervention de la société ABE en 2018 et 2019 et, d'autre part, à celle de M. A, expert désigné à titre amiable puis par la suite par le Tribunal. Dès lors que les frais d'expertise et d'investigations exposés par la commune de Cazouls-lès-Béziers, ont permis de déterminer les désordres et leurs causes et ont été utiles dans la présente instance pour la détermination du préjudice indemnisable, la commune de Cazouls-lès-Béziers est fondée à obtenir le remboursement des frais.

En ce qui concerne l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée :

20. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 256 B du code général des impôts : " Les personnes morales de droit public ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée pour l'activité de leurs services administratifs, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs lorsque leur non assujettissement n'entraîne pas de distorsions dans les conditions de la concurrence ".

21. D'autre part, aux termes du I de l'article L. 1615-1 du code général des collectivités territoriales : " Les attributions ouvertes chaque année par la loi à partir des ressources du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée des collectivités territoriales visent à compenser la taxe sur la valeur ajoutée acquittée par les collectivités territoriales et leurs groupements sur leurs dépenses d'investissement ainsi que sur leurs dépenses pour : / 1° L'entretien des bâtiments publics et de la voirie ; / () ".

22. Le montant du préjudice dont le maître d'ouvrage est fondé à demander la réparation aux constructeurs à raison des désordres affectant l'immeuble qu'ils ont réalisé correspond aux frais qu'il doit engager pour les travaux de réfection. Ces frais comprennent, en règle générale, la taxe sur la valeur ajoutée, élément indissociable du coût des travaux, à moins que le maître d'ouvrage ne relève d'un régime fiscal lui permettant normalement de déduire tout ou partie de cette taxe de celle qu'il a perçue à raison de ses propres opérations.

23. Il résulte des dispositions de l'article 256 B du code général des impôts que les collectivités territoriales ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée pour l'activité de leurs services administratifs. Si, en vertu des dispositions de l'article L. 1615-1 du code général des collectivités territoriales, le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée vise à compenser la taxe sur la valeur ajoutée acquittée par les collectivités territoriales notamment sur leurs dépenses d'investissement, il ne modifie pas le régime fiscal des opérations de ces collectivités. Ainsi, ces dernières dispositions ne font pas obstacle à ce que la taxe sur la valeur ajoutée grevant les travaux de réfection d'un immeuble soit incluse dans le montant de l'indemnité due par les constructeurs à une collectivité territoriale, maître d'ouvrage, alors même que celle-ci peut bénéficier de sommes issues de ce fonds pour cette catégorie de dépenses.

24. Dans ces conditions, les condamnations supportées par les constructeurs, à verser à la commune de Cazouls-lès-Béziers au titre des travaux de reprise, doivent, contrairement à ce que soutiennent les sociétés défenderesses, être assorties de la taxe sur la valeur ajoutée. Compte tenu de la part de responsabilité de la commune de Cazouls-les-Béziers fixée par la présente décision à 5%, la société Sogreah consultant, devenue Artélia ville et transports, le Bureau d'Etudes Techniques et Urbanisme (BETU) et la société Colas Midi Méditerranée sont condamnées, solidairement, à verser à la commune de Cazouls-lès-Béziers la somme de 151 439,28 euros toutes taxes comprises.

Sur les appels en garantie :

25. Dans le cadre d'un litige né de l'exécution de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n'est lié par aucun contrat, notamment s'ils ont commis des fautes qui ont contribué à l'inexécution de ses obligations contractuelles à l'égard du maître d'ouvrage, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l'art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires. Il peut en particulier rechercher leur responsabilité du fait d'un manquement aux stipulations des contrats qu'ils ont conclus avec le maître d'ouvrage.

En ce qui concerne de l'appel en garantie de la société Artélia ville et transports :

26. Compte tenu de ce qui vient d'être dit, la société Artélia est fondée à demander à être garantie par la société Florian Lopez, les sociétés Colas Midi Méditerranée et la société BETU de toute condamnation excédant la part de 10% des sommes auxquelles elle est condamnée par la présente décision, y compris les frais d'expertise et frais d'instance soit la somme de 16 258,87 euros. (15 143,93 +10% des frais d'expertise 814,94 et 10% des 3 000 euros de L. 761-1)

En ce qui concerne l'appel en garantie de la société BETU :

27.La société BETU est fondée à demander à être garantie par la société Colas Midi Méditerranée, la société Florian Lopez et la société Artélia ville et transports de toute condamnation, y compris les frais d'expertise et frais d'instance excédant la part de 15% des sommes auxquelles elle est condamnée par la présente décision, soit la somme de 24 388,30 euros (22 715,89 + 1 222,41 + 450).

En ce qui concerne l'appel en garantie de la société Colas Midi Méditerranée :

28. La société Colas Midi Méditerranée est fondée à demander à être garantie par la société Artélia, la société Florian Lopez et le Bureau d'Etudes Techniques et Urbanisme (BETU), de toute condamnations y compris les frais d'expertise et frais d'instance excédant la part de 30% des sommes auxquelles elle est condamnée par la présente décision, soit la somme de 48 776,60 euros (45 431,78 + 2 444,82+ 900)

Sur les frais liés au litige :

29. Selon l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. L'Etat peut être condamné aux dépens. ".

30. Les frais et honoraires d'expertise ont été liquidés et taxés à la somme de 8 149,39 euros toutes taxes comprises par ordonnance du président par intérim du Tribunal en date du 1er avril 2021 qui les a mis à la charge de la commune de Cazouls-les-Béziers. Il y a lieu, en application de ces dispositions, et de tout ce qui précède, de les mettre à la charge définitive des sociétés Artélia Ville et transports, de la société Colas Midi Méditerranée de la société BETU ainsi que la Sas Florian Lopez.

31. Aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, ou pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

32. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Cazouls-lès-Béziers, qui n'est pas la partie perdante, la somme réclamée par les sociétés Artélia Ville et transports, la société BETU et la société Colas Midi Méditerranée au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge solidaire de ces mêmes sociétés le versement à la commune de Cazouls-lès-Béziers d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de ces mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La société BETU, la société Colas Midi Méditerranée et la société Artélia ville et transports sont solidairement condamnées à verser à la commune de Cazouls-lès-Béziers une somme de 151 439,28 euros toutes taxes comprises.

Article 2 : Les frais d'expertises, taxés à la somme de 8 149,39 euros, sont mis à la charge définitive de la société Artélia Ville et transports, la société BETU, de la Sas Florian Lopez, prise en la personne de son mandataire ad'hoc Me Blanc, et de la société Colas Midi Méditerranée.

Article 3 : La société Colas Midi Méditerranée, la société BETU et la société Florian Lopez pris en la personne de son mandataire ad'hoc Me Blanc sont condamnées à relever et garantir la société Artélia ville de toute condamnation y compris les frais d'expertise et frais d'instance excédant la somme de 16 258,87 euros.

Article 4 : La société Colas Midi Méditerranée, la société Florian Lopez, prise en la personne de son mandataire ad'hoc Me Blanc,et la société Artélia ville société sont condamnées à relever et garantir la société BETU de toute condamnation y compris les frais d'expertise et frais d'instance excédant la somme de 24 388,30 euros.

Article 5 : La société Florian Lopez, prise en la personne de son mandataire ad'hoc Me Blanc, la société Artélia ville et la société BETU sont condamnées à relever et garantir La société Colas Midi Méditerranée, de toute condamnation y compris les frais d'expertise et frais d'instance excédant la somme de 48 776,60 euros.

Article 6 : La société Colas Midi Méditerranée, la société Florian Lopez, prise en la personne de son mandataire ad'hoc Me Blanc, la société BETU et la société Artélia verseront une somme de 3 000 euros à la commune de Cazouls-lès-Béziers au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Les conclusions présentées par les sociétés Artélia ville et transports, Colas Midi Méditerranée et BETU en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 8 : La présente décision sera notifiée à la commune de Cazouls-lès-Béziers, à la SAS Florian Lopez, prise en la personne de son mandataire ad'hoc Me Blanc, la SAS Colas France venant aux droits de la société Colas Midi Méditerranée, la société BETU et à la société Artélia ville et transports.

Délibéré après l'audience du 21 mars 2024, à laquelle siégeaient :

M. Eric Souteyrand, président,

Mme Adrienne Bayada, première conseillère,

Mme Audrey Lesimple, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2024.

La rapporteure,

A. Bayada Le président,

E. Souteyrand

La greffière,

M-A. Barthélémy

La République mande et ordonne au préfet de l'Hérault en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Montpellier, le 4 avril 2024.

La greffière,

M-A. Barthélémy

N°2202808