TA Montreuil, 02/08/2023, n°2308451

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 13 et 27 juillet 2023 et le 1er août 2023, la société SVABTP, représentée par Me Lagrenade, demande au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'annuler la procédure de passation du marché n°23-11-AO relatif à la construction d'un bâtiment pour le pôle Accueil Médico-Technique (AMT) sur le site de l'établissement public de santé (EPS) de Ville-Evrard ;

2°) d'enjoindre à l'EPS de Ville-Evrard de réexaminer les offres présentées ;

3°) de mettre à la charge de l'EPS de Ville-Evrard la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- compte tenu du faible écart entre la note globale de l'attributaire et la sienne, le manquement commis par le pouvoir adjudicateur au principe de transparence est susceptible de l'avoir lésée ; l'offre de la société Defillon Erige n'est pas la plus économiquement avantageuse ;

- il existe une contradiction entre les documents de la consultation dès lors que si l'obligation de visite sur site avait été rendue obligatoire lors de la consultation n°22-06-AO, et que cette obligation n'a pas été reprise dans le règlement de consultation de la consultation

n°23-11-AO, elle figure en revanche dans le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) ; de la même façon, les détails mentionnés au règlement de la première consultation concernant les candidats à l'attribution du lot n°1, relatifs au plan d'installation de chantier, n'ont pas été repris dans le règlement de la seconde consultation, alors que son offre a bien été analysée au regard de ce critère ; il existe également une incohérence entre les documents de la consultation à propos de l'exigence de la réalisation des travaux en deux phases ;

- concernant les critères d'attribution " Moyens et organisation " et " Calendrier technique ", la notation de son offre a été dévaluée par rapport à la première consultation, alors même que l'offre qu'elle a présentée est identique à celle soumise lors de la première consultation ; l'écart très faible entre les notes qu'elle a obtenues et celles de la société attributaire révèle une erreur manifeste d'appréciation, ou à tous le moins que son offre a nécessairement été appréciée au regard de sous-critères dont elle n'avait pas connaissance, contrairement à la société attributaire ; dès lors, l'EPS de Ville-Evrard a commis des manquements aux principes de transparence et d'égalité de traitement entre les candidats ;

- son offre n'était pas irrecevable dès lors qu'elle répondait à l'exigence de prise en compte des autres lots du marché et que son planning correspondait aux prescriptions des documents de la consultation.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 26 juillet et le 31 juillet 2023, l'EPS de

Ville-Evrard, représenté par Me Kluczynski, conclut à titre principal au rejet de la requête. Il demande à titre subsidiaire de ne pas annuler l'intégralité de la procédure de passation du marché n°23-11-AO et de prononcer sa reprise au stade de l'analyse des offres, et en tout état de cause de mettre à la charge de la société SVABTP la somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- à titre principal, la requête présentée par la société SVABTP ne relève pas de l'office du juge du référé précontractuel, dès lors que les moyens soulevés par cette dernière consistent uniquement à solliciter du juge des référés qu'il se prononce sur les mérites respectifs des offres des sociétés SVABTP et Defillon Erige ; ainsi, ces moyens sont inopérants ;

- à titre subsidiaire, l'offre présentée par SVABTP était irrégulière dès lors qu'elle ne précisait pas le détail de l'enchainement des tâches en tenant compte des autres lots, et dès lors que le calendrier présenté dans son offre ne répondait pas à l'exigence de fourniture d'un dossier d'exécution complet au 31 août 2023 ; le juge du référé précontractuel peut donc substituer le motif tiré de l'irrégularité de l'offre à celui initialement retenu dans la lettre du 5 juillet 2023 ;

- à titre très subsidiaire, l'EPS de Ville-Evrard n'a pas commis de manquement aux obligations de publicité et mise en concurrence ; l'EPS était en droit de modifier les documents de la consultation dans le cadre de la passation du nouveau marché ; les ajustements effectués dans les documents de la seconde consultation étaient justifiés en raison de considérations d'urgence, et dans le but de fournir une information claire et précise aux candidats ; le caractère facultatif de la visite du site ne méconnaît pas les principes de transparence et d'égalité de traitement entre les candidats ;

- l'EPS n'a pas non plus commis de manquement lors de la notation des offres dès lors que la note obtenue par la société SVABTP étant parfaitement justifiée et issue d'une analyse objective ; en effet, d'une part, le plan d'installation de chantier fourni dans l'offre a bien été pris en compte au titre du critère " Moyens et organisation " ; d'autre part, le planning de réalisation des opérations de la société SVABTP ne comportait pas d'éléments permettant de comprendre comment la société entend articuler l'exécution de ses prestations avec les titulaires des autres lots, et ne répond pas à l'exigence de fourniture d'un dossier d'exécution complet au 31 août 2023 ; ce planning ne faisait pas non plus apparaitre la répartition des travaux en deux étapes prescrite par le CCTP ;

- à titre infiniment subsidiaire, l'intérêt public justifie de ne pas annuler la procédure dans son intégralité, dès lors que le présent marché est nécessaire au bon fonctionnement de l'EPS de Ville-Evrard.

La requête a été communiquée à la société Defillon Erige, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme Jimenez, vice-présidente, pour statuer sur les demandes de référés.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique tenue le 1er août 2023 à 14h00, en présence de Mme Le Bourdiec, greffière d'audience :

- le rapport de Mme Jimenez, juge des référés ;

- les observations de Me Lagrenade, représentant la société SVABTP, qui reprend ses conclusions et moyens développés dans ses écritures ;

- et les observations de Me Kluczynski, représentant l'EPS de Ville-Evrard, qui reprend ses écritures.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié au Bulletin officiel des annonces des marchés publics et au Journal officiel de l'Union européenne le 13 juin 2022, l'EPS de

Ville-Evrard a lancé la consultation n°22-06-AO tendant à la conclusion d'un marché de travaux ayant pour objet la construction d'un bâtiment pour le pôle Accueil-Médico-Technique (AMT) sur le site de Neuilly-sur-Marne de l'EPS. Les prestations ont été alloties en 17 lots. Le lot n°1 " Gros œuvre " a été lancé sous la forme d'un appel d'offre ouvert. La société SVABTP a répondu à cette première consultation, à l'issue de laquelle son offre a été classée en troisième position. L'EPS a donc rejeté son offre par un courrier du 7 février 2023 et le lot n°1 a été attribué à la société Entreprise Moderne de Construction (EMC). Toutefois, la société attributaire a été défaillante dans le cadre de l'exécution de ses prestations, causant par ailleurs d'importants retards dans la conduite des travaux. La société EMC a sollicité la résiliation du contrat relatif au lot n°1, qui a été prononcée par l'EPS de Ville-Evrard. Par la suite, l'EPS a procédé en urgence au lancement d'une nouvelle consultation n°23-11-AO, ayant le même objet que la première, afin de réattribuer le lot n°1. La société SVABTP a à nouveau déposé une offre. Par une lettre du 5 juillet 2023, l'EPS de Ville-Evrard a informé la société SVABTP du rejet de son offre, classée troisième et ayant obtenu la note de 81,40/100, au motif qu'elle n'était pas la plus économiquement avantageuse.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ".

3. En application de ces dispositions, il appartient au juge du référé précontractuel de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration lors du déroulement de la procédure d'attribution d'un marché public. Il lui appartient, en outre, de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte, en avantageant un opérateur économique concurrent.

4. Aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées. ". Aux termes de l'article

L. 2152-2 du même code : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale. ". Il résulte de ces dispositions que l'acheteur doit éliminer les offres qui ne respectent pas les exigences formulées dans les documents de la consultation.

5. Le juge des référés précontractuels peut substituer au motif retenu par l'acheteur public dans le document informant le candidat du rejet de son offre, un autre motif de droit ou de fait, à condition que cette substitution ait été demandée par l'autorité administrative lors de l'instruction de l'affaire et que le requérant n'ait été privé d'aucune garantie de procédure.

6. Il résulte de l'instruction que l'offre présentée par la société SVABTP a été rejetée par un courrier du 5 juillet 2023, au motif qu'elle n'était pas la plus économiquement avantageuse. Toutefois, dans le cadre de la présente instance, l'EPS de Ville-Evrard fait valoir que l'offre de la société SVABTP était également irrégulière au motif qu'elle ne respectait pas les exigences du point 2.2.2. du CCTP relatif à l'ordonnancement des travaux, du point 2.2.3. relatif à la simultanéité d'exécution, ainsi que celles du point 5.2 du règlement de consultation en ce qu'il précise les modalités de prise en compte des autres lots dans le calendrier.

7. Il résulte de l'instruction que la société SVABTP a présenté une offre qui comportait un phasage des travaux dit " en escalier ", conformément aux exigences du CCTP de la première consultation n°22-06-AO qui avait été lancée le 13 juin 2022. Or, il résulte également de l'instruction que lors de la seconde procédure de consultation n°23-11-AO, le pouvoir adjudicateur avait modifié le point 2.2.2. du CCTP relatif à l'ordonnancement des travaux, qui exigeait désormais des soumissionnaires de présenter un phasage " en bloc ", c'est-à-dire de décomposer la réalisation des ouvrages en deux phases distinctes intitulées " Etape 1 : Réalisation totale des ouvrages de la file O à la file M " et " Etape 2 : Réalisation totale des ouvrages de la file M à la file A ". Cette modification du CCTP avait été mise en valeur par le pouvoir adjudicateur par l'utilisation d'une police de couleur rouge et un surlignage de couleur jaune dans le but de souligner l'importance de cette nouvelle exigence. Dans ces conditions, l'offre présentée par la société SVABTP ne répondait pas aux exigences exprimées au point 2.2.2. du CCTP, alors au demeurant que cette dernière reconnaît avoir bien pris connaissance de la modification du CCTP sur ce point, mais n'a pas adapté son offre, et en particulier son planning prévisionnel, aux exigences de la nouvelle consultation. Par ailleurs, le point 2.2.3. du CCTP relatif à la simultanéité d'exécution exigeait des entrepreneurs qu'ils prennent en compte l'exécution des prestations des autres lots lors de la réalisation des travaux. Plus précisément, l'article 5.2 du règlement de consultation exigeait des candidats la production d'un " calendrier phasé pour la réalisation des travaux du lot considéré, avec détail des enchaînements des tâches en tenant compte des autres lots ". Ce même règlement fait apparaître, en son article 1.2 intitulé " Allotissement ", la liste des seize autres lots constituant la consultation. Il résulte toutefois de l'instruction que le planning prévisionnel de la société SVABTP ne faisait pas apparaître une prise en compte de l'exécution des autres lots. Par suite, l'offre de la société SVABTP, qui ne respectait pas les prescriptions des articles 2.2.2. et 2.2.3 du CCTP ainsi que l'article 5.2 du règlement de consultation, apparaît irrégulière. Il s'ensuit que l'EPS de Ville-Evrard était tenu d'écarter cette offre de la consultation.

8. Dans ces conditions, dès lors que la société SVABTP n'a été privée d'aucune garantie et que le motif tiré de l'irrégularité de l'offre était susceptible de fonder le rejet de cette offre, il y a donc lieu de procéder à la substitution de motif demandée par l'EPS de Ville-Evrard, et de considérer que ce dernier était fondé à rejeter comme irrégulière l'offre de la société requérante.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'EPS de Ville-Evrard, qui n'est pas partie perdante à la présente instance, la somme que demande la société SVABTP au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société SVABTP une somme de 1 500 euros à verser à l'EPS de Ville-Evrard au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société SVABTP est rejetée.

Article 2 : La société SVABTP versera une somme de 1 500 euros à l'établissement public de santé de Ville-Evrard au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société SVABTP, à l'établissement public de santé de Ville-Evrard et à la société Defillon Erige.

Fait à Montreuil, le 2 août 2023.

La juge des référés,

J. Jimenez

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°2308451