TA Montreuil, 16/11/2022, n°2207258

TA Montreuil, 16/11/2022, n°2207258

Vu :

- les jugements avant dire-droit et au fond (procédure accélérée) du juge du référé contractuel du tribunal judiciaire de Paris en date des 25 mai et 12 octobre 2022 ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de procédure civile ;

- l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 ;

- la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ;

- le décret n° 2018-234 du 30 mars 2018 portant soumission de l'association " Comité

d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques " au contrôle économique et financier de

l'État ;

- l'arrêté du 22 juin 2018 fixant les modalités spéciales d'exercice du contrôle économique et financier de l'Etat sur le Comité d'organisation des jeux olympiques et

paralympiques de Paris en 2024 (COJO) ;

- l'avis n° 397961 du 2 juillet 2019 de la section de l'administration du Conseil d'Etat ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal administratif de Montreuil a désigné M. A, vice-président, pour statuer en qualité de juge des référés.

Considérant ce qui suit :

1.D'une part, aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : "Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. Il peut également être saisi en cas de manquement aux mêmes obligations auxquelles sont soumises, en application de l'article L. 521-20 du code de l'énergie, la sélection de l'actionnaire opérateur d'une société d'économie mixte hydroélectrique et la désignation de l'attributaire de la concession. Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". L'article L. 551-13 du même code dispose : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi, une fois conclu l'un des contrats mentionnés aux articles L. 551-1 et L. 551-5, d'un recours régi par la présente section. ".

2.D'autre part, aux termes de l'article 11 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique : "Les personnes qui ont un intérêt à conclure l'un des contrats de droit privé mentionnés aux articles 2 et 5 de la présente ordonnance et qui sont susceptibles d'être lésées par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles ils sont soumis peuvent saisir le juge d'un recours en contestation de la validité du contrat. La demande est portée devant la juridiction judiciaire".

3.La passation ou l'attribution des contrats passés en application du code de la commande publique sont susceptibles de donner lieu à une procédure de référé contractuel qui, selon que le contrat revêtira un caractère administratif ou privé, doit être intentée devant le juge administratif ou devant le juge judiciaire. Il appartient au juge du référé contractuel saisi de déterminer si, eu égard à la nature du contrat en cause, il l'a été à bon droit.

4.Le "comité d'organisation des jeux olympiques Paris 2024" (COJO Paris 2024) est une association relevant de la loi du 1er juillet 1901 en charge de l'organisation des jeux olympiques de Paris 2024 en vertu de l'article 1er de la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l'organisation des jeux Olympiques de 2024. Le COJO Paris 2024 a notamment pour mission de : - planifier, organiser, financer et livrer les jeux olympiques de Paris 2024, ainsi que les événements associés ; - promouvoir les jeux olympiques de Paris 2024 en France et à l'international.

5.Dans le cadre de sa mission de financement des jeux olympiques, le COJO Paris 2024 est amené à conclure des contrats dits de " Partenariat marketing " avec des opérateurs économiques. Aux termes de ces contrats, les partenaires marketing peuvent fournir des apports en numéraire participant au financement direct de l'organisation des jeux olympiques ou des apports en nature contribuant à leur organisation matérielle (par exemple, la fourniture d'énergie, la délivrance de billets d'avion, la mise à disposition de véhicules ou d'équipements sportifs, des prestations de conseil spécialisées). En contrepartie, les partenaires marketing bénéficient (i) du droit d'exploiter la marque " Paris 2024 ", d'user des emblèmes des jeux, du droit de faire la publicité de leur propre marque notamment dans les lieux en lien avec les jeux ainsi, éventuellement, (ii) que de droits d'occupation du domaine public ou d'exclusivité ou de priorité pour la fourniture à titre onéreux de prestations nécessaires à l'organisation des jeux olympiques.

6.C'est dans ce cadre que l'association " comité d'organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 " a annoncé le 4 novembre 2021, par voie de presse, la conclusion d'un accord de partenariat marketing avec les sociétés Accord et ResaEvents portant sur l'accueil et l'hébergement au cours des jeux olympiques de Paris 2024.

7.Estimant que cet accord de partenariat a été conclu en méconnaissance des principes de la commande publique relatifs à la publicité, la transparence des procédures et la mise en concurrence, la société B-Network, elle-même spécialisée dans la gestion de l'hébergement à l'occasion des grands évènements publics, a introduit, le 1er avril 2022, un recours en référé contractuel devant le président du Tribunal judiciaire de Paris sur le fondement de l'article 11 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique. Par un jugement avant dire-droit du 25 mai 2022, le juge du référé contractuel du tribunal judiciaire de Paris a écarté l'exception d'incompétence de la juridiction judiciaire opposée par les sociétés défenderesses Accor et Resa Events sur le fondement de la théorie du " mandat administratif " et retenu en conséquence sa propre compétence pour statuer au fond sur le recours de la société B-Network. Par un jugement au fond du 12 octobre 2022, le juge du référé a débouté la société B-Network de l'ensemble de ses demandes.

8.Parallèlement à sa saisine du tribunal judiciaire, et, ainsi qu'elle l'indique, " en vue de sauvegarder ses droits ", la société B-Network a introduit un recours identique devant le juge des référés du tribunal administratif, statuant sur le fondement de l'article L. 551-13 du code de justice administrative. Nonobstant l'intervention, le 12 octobre dernier, de la décision du tribunal judiciaire, laquelle, frappée d'un pourvoi en cassation, n'est pas irrévocable, il y a toujours lieu de statuer sur l'exception d'incompétence de la juridiction administrative opposée en défense, dans le cadre de la présente instance, par le COJO Paris 2024, qui fait valoir que le contrat litigieux est un contrat privé de la commande publique qui relève de la compétence du juge judiciaire.

9.Aux termes de l'article L. 6 du code de la commande publique : " S'ils sont conclus par des personnes morales de droit public, les contrats relevant du présent code sont des contrats administratifs () ". Il résulte des termes mêmes de l'article L. 6 du code de la commande publique que les contrats relevant de ce code ne sont des contrats administratifs que s'ils sont conclus par des personnes de droit public. Les contrats conclus entre personnes privées sont en principe des contrats de droit privé, hormis le cas où l'une des parties agit pour le compte d'une personne publique ou celui dans lequel ils constituent l'accessoire d'un contrat de droit public.

10.En l'espèce, d'une part, il est constant que le comité d'organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques, constitué sous la forme d'une association relevant de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, est une personne morale de droit privé créée dans le but d'organiser une mission ayant un caractère autre qu'industriel et commercial et relative à l'organisation et à la promotion des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Il résulte de l'instruction que le financement de l'activité du comité d'organisation des Jeux Olympiques est principalement assuré par des ressources privées, sans qu'il ne soit établi que la majorité des membres de ses organes de direction ou de surveillance ne sont désignés par un pouvoir adjudicateur national. A cet égard, le COJO Paris 2024, créé à la demande du Comité international Olympique (CIO), association de droit suisse, bénéficie d'importantes subventions de la part de ce dernier pour l'organisation des jeux olympiques. S'agissant des conventions de partenariat marketing elles s'inscrivent dans un " plan marketing " exécuté dans le strict respect des instructions et lignes directrices du CIO. Celui-ci prévoit les modalités de conclusion des conventions marketing avec les partenaires domestiques, donne des instructions sur la procédure de sélection des offres et le choix des partenaires. Le CIO doit donner son approbation préalable pour la conclusion des conventions marketing après lui avoir communiqué la nature de la commande et le montant envisagé.

11.D'autre part, il ressort des statuts de l'association que, en premier lieu, des représentants de plusieurs pouvoir adjudicateurs, notamment l'Etat et la Ville de Paris, siègent au sein des organes dirigeants du Comité d'organisation des Jeux Olympiques en qualité de membres de droit et en représentent une proportion importante là où, en outre, les représentants de l'Etat et de la Ville de Paris sont membres de droit du comité d'audit qui a pour mission d'analyser et de faire toute recommandation utile relative notamment à la gestion de l'association, la soutenabilité de ses engagements, la mise en œuvre du contrat de ville hôte, la politique de gestion des risques. En deuxième lieu, les avis conformes de l'Etat et de la Ville de Paris doivent être recueillis pour certaines décisions importantes du conseil d'administration et, en particulier, la désignation d'un nouveau président, l'adoption du règlement intérieur et du règlement financier du comité ainsi que pour la convention conclue avec la Société de livraison des ouvrages olympiques. En troisième lieu, s'agissant de ses comptes et de sa gestion, le Comité d'organisation des jeux olympiques est soumis non seulement au contrôle de la Cour des comptes mais aussi à celui du contrôle économique et financier de l'Etat. Dans ce cadre, le contrôleur a notamment pour mission d'analyser les risques et les performances du Comité d'organisation des jeux olympiques en veillant aux intérêts économiques et financiers de l'Etat, dispose d'une entrée avec voix consultative aux séances des organes délibérants du comité et de tout organe consultatif interne, se voit soumis au préalable toutes les décisions budgétaires et financières importantes là où, en outre, le directeur du comité ne peut passer outre son avis défavorable que par une décision expressément motivée et où le contrôleur peut, en cas de difficultés budgétaires, demander au directeur général les mesures que ce dernier envisage de prendre pour redresser la situation et en rendre compte au ministre chargé de l'économie et du budget. En dernier lieu, les statuts du comité prévoient des droits renforcés d'information financière, au bénéfice notamment de la Ville de Paris et de l'Etat.

12.Toutefois, s'il se déduit de l'ensemble de ces éléments un lien de dépendance étroite du comité d'organisation des Jeux Olympiques à l'égard de l'Etat et de la Ville de Paris, de nature à permettre à ces derniers d'influencer ses décisions notamment en matière de passation des marchés et, par suite, à regarder le comité comme un pouvoir adjudicateur au sens de l'article L. 1211-1 du code de la commande publique, il ne résulte pas de l'instruction que, dans le cadre du présent marché, l'association " comité d'organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 " aurait agi pour le compte d'une personne publique en passant le contrat litigieux, ni que celui-ci constitue l'accessoire d'un contrat de droit public. En particulier, eu égard au rôle déterminant des conditions et décisions fixées par le Comité international olympique, il ne résulte pas de l'instruction que le contrat de partenariat marketing conclu avec le groupe Accor et la société Résa-Events aurait été signé par le COJO Paris 2024 au nom et pour le compte de la Ville de Paris, l'existence d'un " mandat administratif " entre le COJO Paris 2024 et la Ville de Paris n'étant à cet égard nullement établie.

13.Dans ces conditions, le présent litige, opposant deux personnes morales de droit privé au sujet de la conclusion d'un contrat de droit privé de la commande publique, n'entre pas dans le champ d'application matériel de l'article L. 551-13 du code de justice administrative, de sorte qu'il ne relève pas de la compétence du juge administratif mais de celle du juge judiciaire, devant qui est instituée une procédure en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence, en application des dispositions des articles 1441-1 et suivants du code de procédure civile, équivalente à celle prévue par les articles L. 551-1 et suivants du code de justice administrative, ainsi au demeurant que l'a retenu le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris dans sa décision du 12 octobre dernier.

14.Il résulte de ce qui précède que le recours en référé contractuel présenté par la société B-Network en application de l'article L. 551-13 du code de justice administrative doit être rejeté comme porté devant une juridiction incompétente pour en connaître.

15.Enfin, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter les conclusions de l'ensemble des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société B-Network est rejetée comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 2 : Les conclusions de l'ensemble des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société B-Network, à l'association " comité d'organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 " et aux sociétés Accor et ResaEvents.

Fait à Montreuil, le 16 novembre 2022.

Le juge des référés,

Signé

M. A

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Saint-Denis en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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