TA Nantes, 16/11/2022, n°2002735

Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 9 mars 2020, 25 novembre 2021 et 10 février 2022, Mme D T épouse I, Mme F I épouse C, Mme R I épouse E, Mme O I, M. L I, M. P B, Mme S B épouse U, Mme Q B épouse K, Mme V B épouse M, Mme J A épouse B, et Mme W G épouse H, représentés par Me Plateaux, demandent au tribunal :

1°) de mettre fin à l'exécution de la concession d'aménagement conclue le 4 octobre 2013 par la commune de Garennes-sur-Loire au profit de la SPL Alter Public en vue de l'aménagement de la zone d'aménagement concerté " La Naubert " ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Juigné-Sur-Loire et la SPL Alter Public une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le contrat litigieux est entaché de vices de formes dès lors qu'il ne comporte pas les mentions prescrites par les dispositions des articles L. 1523-2 du code général des collectivités territoriales et L. 300-5 du code l'urbanisme ;

- il est entaché de vices procédure dès lors qu'il n'a pas fait été précédé de l'étude d'impact requise par les dispositions des articles R. 311-2 du code de l'urbanisme et R. 122-3 du code de l'environnement ; il n'est pas établi que la signature du contrat ait été précédée d'un dossier de création de la zone d'aménagement concerté (ZAC) complet en application des dispositions de l'article L. 311-1 du code de l'urbanisme, notamment en ce qu'il n'a pas été actualisé alors que des modifications substantielles sont intervenues postérieurement à la conclusion du contrat ;

- il est affecté d'un vice de consentement dès lors que le contrat n'a pas été précédé d'une mise en concurrence préalable, alors que la concession ayant été attribuée à un opérateur public-privé sur lequel la collectivité n'exerce pas un contrôle analogue, une telle procédure aurait dû être mise en œuvre ;

- il est entaché d'un détournement de procédure en ce que le contrat litigieux doit en réalité être regardé comme un marché public, ce dernier ne prévoyant pas une rémunération substantielle de l'aménageur fondée sur les risques inhérents à l'exécution de l'opération d'aménagement ;

- les clauses 2, 8 et 22.4 de la concession sont illicites ;

- son objet est illicite en raison, d'une part, de l'illégalité de l'aménagement projeté, lequel était incompatible avec le contenu du plan local d'urbanisme en vigueur à la date de sa signature et, d'autre part, en raison de l'illégalité de la déclaration d'utilité publique, laquelle apparaît dépourvue de toute utilité publique.

Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 mai 2020 et le 25 janvier 2022, la commune de Garennes-sur-Loire et la SPL Alter Public, représentées par Me Brossard, concluent, à titre principal, à l'irrecevabilité de la requête, à titre subsidiaire, au rejet au fond de la requête, et en tout état de cause, à ce qu'il soit mis à la charge des requérants, in solidum, une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que les requérants sont dépourvus de qualité pour agir, qu'ils n'ont pas lié le contentieux préalablement à l'introduction de la présente requête, laquelle est tardive, et qu'en tout état de cause, aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de l'environnement ;

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 19 octobre 2022 :

- le rapport de M. N ;

- les conclusions de M. Dias, rapporteur public ;

- les observations de Me Plateaux, représentant les consorts I et autres requérants ;

- et les observations de Me Blin, substituant Me Brossard, représentant la commune de Garennes-sur-Loire et la SPL Alter Public.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Juigné-sur-Loire, aux droits de laquelle est venue la commune nouvelle de Garennes-sur-Loire, a conclu avec la SPLA de l'Anjou, devenue SPL Alter Public, le 4 octobre 2013, une concession pour l'aménagement de la zone d'aménagement concertée (ZAC) dite " La Naubert ". Par un arrêté du 16 mai 2018, l'aménagement de la ZAC a fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique, complété par un arrêté de cessibilité édicté le 24 juin 2019, notifié en juillet 2019 aux intéressés. Par un courrier du 6 décembre 2019, les consorts I, Bréau et Mme G épouse H, se prévalant de leur qualité de propriétaires indivis de terrains inclus dans le périmètre de la ZAC, expropriés, ont demandé à la commune de mettre fin à l'exécution de la concession d'aménagement. Cette demande a été rejetée par une décision du 29 janvier 2020, qui leur a été notifiée le 3 février suivant. Par la présente requête, les consorts I, Bréau ainsi que Mme G épouse H demandent au tribunal de mettre fin à l'exécution de la concession conclue en vue de l'aménagement de la ZAC de " La Naubert ".

Sur les conclusions tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat :

2. Un tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par une décision refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l'exécution du contrat est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat. Les tiers ne peuvent utilement soulever, à l'appui de leurs conclusions tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat, que des moyens tirés de ce que la personne publique contractante était tenue de mettre fin à son exécution du fait de dispositions législatives applicables aux contrats en cours, de ce que le contrat est entaché d'irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d'office ou encore de ce que la poursuite de l'exécution du contrat est manifestement contraire à l'intérêt général. A cet égard, ils ne peuvent se prévaloir d'aucune autre irrégularité, notamment pas celles tenant aux conditions et formes dans lesquelles la décision de refus a été prise. En outre, les moyens soulevés doivent, sauf lorsqu'ils le sont par le représentant de l'Etat dans le département ou par les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales compte-tenu des intérêts dont ils ont la charge, être en rapport direct avec l'intérêt lésé dont le tiers requérant se prévaut.

3. En premier lieu, d'une part, les requérants soutiennent que la convention de concession d'aménagement a un objet illicite en raison de l'incompatibilité du projet de la ZAC avec le plan local d'urbanisme en vigueur de la commune. Toutefois, d'une part, il découle des dispositions de l'article R. 311-6 du code de l'urbanisme que l'acte de création de la zone, la délibération approuvant le dossier de réalisation mentionnée à l'article R. 311-7 et la délibération approuvant le programme des équipements publics prévue à l'article R. 311-8, qui fixent seulement la nature et la consistance des aménagements à réaliser, ne sont pas tenus de respecter les dispositions du règlement du plan local d'urbanisme ou du plan d'occupation des sols en vigueur à la date de leur adoption. En revanche, il appartient aux autorités compétentes de prendre les dispositions nécessaires pour que les autorisations individuelles d'urbanisme qui ont pour objet, dans le cadre défini par les actes qui viennent d'être mentionnés, l'aménagement et l'équipement effectifs de la zone puissent, conformément aux principes de droit commun, être accordées dans le respect des règles d'urbanisme, et notamment des dispositions du règlement du plan local d'urbanisme ou du plan d'occupation des sols, applicables à la date de leur délivrance. D'autre part, il résulte de l'instruction que les parcelles en cause avaient fait l'objet d'un classement en zone 1AUn, compatible avec la mise en œuvre du programme d'aménagement de la ZAC, en vertu d'une délibération du conseil municipal du 6 mars 2018, soit antérieurement à la demande de résiliation de la convention de concession litigieuse.

4. D'autre part, les requérants soutiennent que la convention de concession d'aménagement a un objet illicite en raison de l'illégalité de la déclaration d'utilité publique. Toutefois, en l'espèce, la déclaration d'utilité publique, publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture de Maine-et-Loire le 18 mai 2018, est devenue définitive. Et, l'illégalité de la déclaration d'utilité publique d'une ZAC produisant ses effets indépendamment de la concession de l'aménagement de cette ZAC, les requérants ne peuvent pas utilement exciper de l'illégalité de la déclaration d'utilité publique à l'encontre de la concession d'aménagement de cette ZAC. Par suite, le moyen de l'illicéité de l'objet du contrat doit être écarté en ses deux branches.

5. En deuxième lieu, les requérants soutiennent que la concession litigieuse n'a pas été précédée de l'étude d'impact prévue par les articles R. 311-2 du code de l'urbanisme et R. 122-3 du code de l'environnement, ni par l'établissement d'un dossier complet de création de la ZAC au regard de l'article L. 311-1 du code de l'urbanisme et que ce dossier de création de la ZAC n'a pas été actualisé alors que des modifications substantielles sont intervenues depuis. Toutefois, les illégalités ainsi alléguées de la création de la ZAC ne constituent pas des irrégularités faisant obstacle à la poursuite du contrat de concession d'aménagement que le juge du contrat devrait relever d'office. Ce moyen ne peut, dès lors, être utilement invoqué à l'appui de la demande de résiliation de la concession.

6. En troisième lieu, les requérants se prévalent de ce que la concession serait entachée d'un vice de consentement, dès lors qu'elle a été conclue sans mise en œuvre au préalable d'une procédure de publicité et de mise en concurrence. Toutefois, les requérants n'établissent ni même n'allèguent que le vice ainsi invoqué révèlerait une volonté de la personne publique de favoriser un candidat ou l'existence d'une situation de conflit d'intérêt. Dès lors, les requérants ne peuvent utilement soulever ce moyen à l'appui de leur demande de résiliation de la concession d'aménagement de la ZAC.

7. En quatrième lieu, les requérants soutiennent que la concession est entachée d'un détournement de procédure, dès lors qu'elle doit être requalifiée en marché public. Il résulte de cette requalification, selon les requérants, d'une part, que le contrat aurait dû faire l'objet des mesures de publicité et de concurrence applicables aux marchés publics, d'autre part, que la concession est illicite par son objet, dès lors que les dispositions l'article L. 300-4 du code de l'urbanisme interdisent à l'autorité délégante de supporter le risque financier résultant de l'exécution d'une concession d'aménagement. Les dispositions de l'article L. 300-4 du code de l'urbanisme n'ont pas pour effet de soustraire au respect des règles régissant les marchés publics les contrats confiant à un tiers l'étude et la réalisation d'opérations d'aménagement prévues par le code de l'urbanisme dans sa version alors applicable, s'ils entrent dans le champ de l'article 1er du code des marchés publics alors applicable. Le critère permettant de distinguer les concessions d'aménagement qui relèvent du droit des marchés publics de celles qui relèvent du droit des concessions réside dans la question de savoir si un risque d'exploitation est supporté par l'aménageur. En l'espèce, l'article 16 du traité de concession prévoit que : " les charges supportées par l'aménageur pour la réalisation de l'opération sont couvertes en premier lieu par les produits à provenir des cessions, des concessions d'usage et des locations de terrains ou d'immeubles bâtis ". L'article 16.2 de ce traité prévoit en outre que, conformément à l'article L. 311-4 du code de l'urbanisme, l'aménageur peut recevoir des participations des constructeurs d'immeubles situés dans le périmètre de la ZAC. L'article 16.3 du traité indique que le concessionnaire peut bénéficier de toute aide financière directe ou indirecte auprès de toute structure et en particulier de subventions des collectivités territoriales. Et l'article 16.4 mentionne la participation de la commune concédante aux opérations d'aménagement à hauteur de 100 000 euros. La collectivité fait valoir en défense, sans être contredite sur ce point, que cette participation n'a pas été majorée en cours d'exécution de la concession, qu'elle vient en diminution des recettes globales de l'opération d'aménagement d'un montant de 4 870 000 euros et que la somme de

1 000 000 d'euros évoquée par les requérants correspond en réalité à un emprunt contracté par l'aménageur auprès d'un établissement bancaire. Il ne résulte donc pas de l'instruction que la rémunération du concessionnaire ne serait pas substantiellement liée aux résultats de l'opération d'aménagement. Le moyen tiré de ce que la concession d'aménagement doit être requalifiée en marché public et que cela révèlerait un détournement de procédure n'est dès lors pas fondé.

8. En cinquième lieu, les requérants soutiennent que la convention de concession ne comporte pas l'ensemble des mentions requises par les articles L. 1523-2 du code général des collectivités territoriales et L. 300-5 du code de l'urbanisme. Toutefois, en se bornant à alléguer sans plus de précision que le contrat litigieux " ne comporte pas l'intégralité de la dizaine de mentions obligatoires ", les requérants n'assortissent pas leur moyen des précisions nécessaires et ne peuvent en tout état de cause être ainsi regardés comme justifiant ainsi d'irrégularités faisant obstacle à la poursuite de l'exécution du contrat que le juge devrait relever d'office.

9. En dernier lieu, les requérants soutiennent que les clauses 2, 8 et 22.4 de la concession sont illicites. D'une part, la convention ne comporte pas d'article 22.4. D'autre part, si l'article 2 du traité de concession met à la charge du concessionnaire la réalisation des études opérationnelles nécessaires à la réalisation du projet, y compris celles nécessaires pour constituer et faire approuver les dossiers d'urbanisme afférents à l'opération et si l'article 8 du traité impose, quant à lui, au concessionnaire de réaliser les avant-projet sommaires des équipements d'infrastructure nécessaires aux opérations d'aménagement, il ne résulte pas de l'instruction que les obligations ainsi mises à la charge de l'aménageur excèderaient le champ des missions et des études nécessaires à l'exécution des travaux de la concession au sens de l'article L. 300-4 du code de l'urbanisme. Enfin, si les requérants soutiennent que les clauses de la concession relatives aux garantie d'emprunt sont illicites, en ce qu'elles méconnaissent les dispositions du 4° l'article

L. 1523-2 du code général des collectivités territoriales, il résulte de l'instruction que les dispositions dont la méconnaissance est invoquée ne régissent pas les clauses relatives aux garantie d'emprunt devant figurer dans les concessions d'aménagement, mais régissent le contenu des clauses relatives aux avances de trésorerie que l'autorité concédante peut consentir à l'aménageur. Les requérants ne sont dès lors pas fondés à se prévaloir de l'illicéité des clauses mises en cause de la concession.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par les défendeurs, que les conclusions présentées par les consorts I, Bréau et Mme H tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution de la concession d'aménagement doivent être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge in solidum des consorts I, Bréau et Mme H, la somme de 2 000 euros à verser à la commune de Garenne sur Loire et à la SPL Alter Public au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'une quelconque somme soit mise à la charge de la commune de Garenne-sur-Loire et de la SPL Alter Public, qui ne sont pas les parties perdantes.

D E C I D E :

Article 1er : La requête présentée par les consorts I, Bréau et par Mme H est rejetée.

Article 2 : Les consorts I, Bréau et Mme H, verseront in solidum à la commune de Garenne-sur-Loire et à la SPL Alter Public la somme de 2 000 (deux mille) euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme D T épouse I, à Mme F I épouse C, à Mme R I épouse E, à

Mme O I, à M. L I, à M. P B, à Mme S B épouse U, à Mme Q B épouse K, à Mme V B épouse M, à Mme J A épouse B, et à Mme W G épouse H ainsi qu'à la commune de Garennes sur Loire et à la société publique locale d'aménagement Alter Public.

Rendue publique par mise à disposition au greffe le 16 novembre 2022.

Le rapporteur,

Y. N

La présidente,

C. LOIRAT

La greffière

P. LABOUREL

La République mande et ordonne au préfet de Maine-et-Loire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

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