TA Rouen, 03/05/2024, n°2200408


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 29 janvier 2022, 17 octobre 2022, 21 octobre 2022, 26 janvier 2023 et 10 février 2023, la société T.E.R.H. Monuments Historiques, représentée par Me Liebaux, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de condamner la commune de Rouen à lui verser la somme totale de 902 606,42 euros HT du fait de son éviction irrégulière, d'une part, du lot n°10 " rénovation en taille de pierre " de l'accord-cadre ayant pour objet des travaux d'entretien sur les bâtiments communaux et les bâtiments du CCAS et, d'autre part, du bon de commande émis le 29 janvier 2021, assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 octobre 2021 et de la capitalisation de ces intérêts ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Rouen la somme de 5 000 euros à lui verser sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société T.E.R.H. Monuments Historiques soutient que :

- sa requête indemnitaire est recevable dès lors qu'elle n'a pu présenter sa candidature au marché de travaux de restauration de l'abbatiale Saint-Ouen confié irrégulièrement par le bon de commande émis le 29 janvier 2021 dans le cadre de l'accord-cadre relatif aux travaux d'entretien des bâtiments communaux ;

- le bon de commande contesté aurait dû faire l'objet d'une mise en concurrence et d'une procédure de publicité préalable :

o le bon de commande litigieux excède le cadre de l'accord-cadre et emporte sa modification substantielle au bénéfice de la société Normandie Rénovation par rapport aux conditions initiales de la mise en concurrence ;

o l'urgence impérieuse de réaliser les travaux de restauration confiés par le bon de commande litigieux n'est pas caractérisée ;

o elle aurait pu soumettre une offre moins-disante à celle de la société Normandie Rénovation au marché confié par bon de commande ;

- l'accord-cadre est irrégulier dès lors qu'il ne prévoyait pas de montant maximum et que le bordereau des prix unitaires et de détail quantitatif estimatif ne sont pas représentatifs du marché à conclure ;

- elle présentait une chance sérieuse de remporter l'accord et le bon de commande litigieux dès lors que, par son expérience, son classement et sa compétence échafaudages, elle a présenté une offre techniquement et financièrement comparable à la société Normandie Rénovation et que l'offre de l'attributaire était irrégulière ;

- le préjudice subi du fait de sa perte de chance sérieuse d'obtenir l'accord-cadre et le bon de commande litigieux correspond à la perte de sa marge nette, laquelle s'établit à taux de 20 %, soit un manque à gagner de 882 606,42 euros HT ;

- le préjudice subi résultant des frais exposés pour soumissionner à l'accord-cadre s'élève à 20 000 euros HT.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 septembre 2022 et 25 octobre 2022, la commune de Rouen, représentée par Me Verilhac, conclut à l'irrecevabilité de la requête, à titre subsidiaire à son rejet, à titre infiniment subsidiaire à ramener les prétentions de la requérante à de plus juste proportions et à ce qu'il soit mis à la charge de la société T.E.R.H. Monuments Historiques la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les conclusions indemnitaires de la société T.E.R.H. Monuments Historiques concernant la réparation du préjudice subi résultant de son éviction irrégulière de la passation du bon de commande litigieux sont irrecevables dès lors que :

o la société requérante ne constitue pas un candidat évincé de la passation du bon de commande ;

o l'édiction du bon de commande n'est pas susceptible d'avoir lésé ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine ;

o un bon de commande, qui est une décision unilatérale de l'acheteur, se rattachant aux actes d'exécution du contrat, ne peut faire l'objet d'un recours indemnitaire par un tiers ;

- les conclusions indemnitaires de la société T.E.R.H. Monuments Historiques concernant la réparation du préjudice subi résultant de son éviction irrégulière de la passation de l'accord-cadre litigieux sont irrecevables :

o dès lors qu'elles ont été présentées pour la première fois lors du mémoire en réplique enregistré le 17 octobre 2022 ;

o en l'absence de liaison préalable du contentieux ;

- le bon de commande du 29 janvier 2021 n'est pas irrégulier dès lors que :

o l'accord-cadre comprenait les travaux de rénovation en taille de pierre ;

o les travaux de restaurations confiés dans le cadre du bon de commande répondaient à une situation d'urgence impérieuse au regard des risques de dégradations importantes de l'abbatiale Saint-Ouen et du plan de relance économique exceptionnel ;

o le recours à un appel d'offre pour la seconde phase de travaux de l'abbatiale Saint-Ouen s'explique par le caractère moins urgent de ces travaux, qui comprennent des opérations de restauration ;

o le bon de commande n'a pas dénaturé les critères de jugement des offres de l'accord-cadre ;

- au jour de sa passation, l'accord-cadre était conforme aux dispositions de l'article R. 2162-4 du code de la commande publique avant leurs modifications par le décret du 23 août 2021 ;

- une anticipation des travaux de rénovation à réaliser sur l'abbatiale Saint-Ouen au moment de la définition des critères de jugement des offres de l'accord-cadre n'aurait eu aucune conséquence sur la différence des prix proposés ;

- la société requérante était dépourvue de toute chance d'obtenir le marché dès lors qu'elle n'était pas candidate au bon de commande, que le devis qu'elle a établi ne l'engage pas et qu'elle a été classée troisième lors de la procédure d'attribution de l'accord-cadre et deuxième lors de l'attribution du marché de travaux passé pour la seconde phase des travaux de l'abbatiale Saint-Ouen ;

- à titre subsidiaire, la marge nette de la société requérante s'établit au maximum à un taux de 15%, auquel il devra être appliqué le taux de perte de chance d'obtenir le marché.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ;

- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Favre,

- les conclusions de Mme Delacour, rapporteure publique,

- et les observations de Me Liebaux, représentant la société T.E.R.H. Monuments Historiques, et de Me Verilhac, représentant la commune de Rouen.

Une note en délibéré, présentée pour la société T.E.R.H. Monuments Historiques, a été enregistrée le 11 avril 2024.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 31 décembre 2018, la commune de Rouen a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de l'attribution d'un accord-cadre portant sur les travaux d'entretien des bâtiments communaux et des bâtiments du CCAS comprenant notamment un lot n°10 relatif à la " rénovation en taille de pierre " pour une période d'un an, reconductible trois fois. La société T.E.R.H. Monuments Historiques a été informée, par un courrier du 7 mars 2019, du rejet de son offre pour le lot n°10, classée en troisième position, et de l'attribution de ce lot à la société Normandie Rénovation. Dans ce cadre, la collectivité a émis le 29 janvier 2021 un bon de commande d'un montant de 4 919 567,25 euros HT ayant pour objet les travaux sur les façades du transept sud de l'abbatiale Saint-Ouen. Dans le cadre de la présente instance, la société demande la condamnation de la commune de Rouen à réparer le préjudice subi du fait de sa perte de chance sérieuse d'obtenir l'accord-cadre et le bon de commande litigieux, évalué à 882 606,42 euros HT ainsi que le préjudice subi résultant des frais exposés pour soumissionner à l'accord-cadre s'élevant à 20 000 euros HT.

Sur les fins de non-recevoir opposées en défense tirées de l'irrecevabilité de conclusions indemnitaires de la société requérante en réparation du préjudice résultant de son éviction irrégulière de la passation du bon de commande litigieux :

2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Les requérants peuvent éventuellement assortir leur recours de conclusions indemnitaires ainsi que d'une demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution du contrat. Le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini. Les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office.

3. En premier lieu, cette qualité de concurrent évincé est reconnue à tout requérant qui aurait eu intérêt à conclure le contrat, alors même qu'il n'aurait pas présenté sa candidature, qu'il n'aurait pas été admis à présenter une offre ou qu'il aurait présenté une offre inappropriée, irrégulière ou inacceptable. L'intérêt à conclure le contrat se détermine au regard de l'activité professionnelle du requérant, qui doit être en lien avec l'objet du contrat.

4. En l'espèce, le bon de commande émis le 29 janvier 2021 a trait à la rénovation et/ou à la restauration d'un bâtiment historique, dans le cadre du lot n°10 portant sur la " rénovation en taille de pierre " de l'accord-cadre relatif à l'entretien des bâtiments communaux, pour la passation duquel la société requérante, spécialisée dans le secteur d'activité des travaux de maçonnerie générale et gros œuvre de bâtiment notamment historique, a présenté une offre. Par suite, l'activité professionnelle et la spécialité de la société requérante suffisent à lui conférer un intérêt à conclure le bon de commande contesté.

5. En second lieu, la société requérante produit à l'instance le bon de commande ayant pour objet les travaux sur les façades du transept sud de l'abbatiale Saint-Ouen émis le 29 janvier 2021 par la commune de Rouen dans le cadre du lot n°10 " rénovation en taille de pierre " de l'accord-cadre conclu pour les travaux d'entretien des bâtiments communaux. Ce bon de commande, qui ne peut être regardé comme un acte d'exécution d'un marché, révèle l'existence d'un contrat non formalisé dont la requérante est recevable à demander l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés en sa qualité de concurrent évincé.

6. Par suite, les fins de non-recevoir opposées par la commune de Rouen, tirées de l'irrecevabilité de conclusions indemnitaires de la société requérante en réparation du préjudice résultant de l'éviction irrégulière de la passation du bon de commande litigieux, doivent être écartées.

Sur le bien-fondé des conclusions :

En ce qui concerne l'irrégularité entachant le bon de commande litigieux :

7. Aux termes de l'article 139 du décret du 25 mars 2016 relatifs aux marchés publics, applicable à la date de publication de l'avis de publicité concernant l'accord-cadre : " Le marché public peut être modifié dans les cas suivants : / () 3° Lorsque, sous réserve de la limite fixée au I de l'article 140, la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu'un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir ; / () 5° Lorsque les modifications, quel qu'en soit leur montant, ne sont pas substantielles. / Une modification est considérée comme substantielle lorsqu'elle change la nature globale du marché public. En tout état de cause, une modification est substantielle lorsqu'au moins une des conditions suivantes est remplie : / a) Elle introduit des conditions qui, si elles avaient été incluses dans la procédure de passation initiale, auraient attiré davantage d'opérateurs économiques ou permis l'admission d'autres opérateurs économiques ou permis le choix d'une offre autre que celle retenue ; / b) Elle modifie l'équilibre économique du marché public en faveur du titulaire d'une manière qui n'était pas prévue dans le marché public initial ;/ c) Elle modifie considérablement l'objet du marché public ; () ".

8. En premier lieu, ainsi qu'il vient d'être dit au point 5, la commune de Rouen, en émettant le 29 janvier 2021 le bon de commande litigieux auprès du titulaire de l'accord-cadre, doit être regardée comme ayant nécessairement contracté avec cette société. Alors que l'accord-cadre portait sur des travaux pour l'amélioration, la réfection et l'entretien courant des édifices, établissements et bâtiments des différents services municipaux et des bâtiments et installations divers que la ville et le CCAS possèdent à quelque titre que ce soit, le bon de commande litigieux, tel qu'il résulte du devis du 5 janvier 2021 établi par le titulaire de l'accord-cadre, a trait à la restauration du portail des marmousets et du bras sud du transept de l'abbatiale, comprenant notamment la restauration de sculptures et des sculptures neuves. Il n'y a donc pas d'identité d'objet et de nature entre les prestations prévues par le contrat initial et les prestations confiées par le bon de commande. Par ailleurs, le bon de commande litigieux, d'un montant de 4 919 567,25 euros, constitue un bouleversement manifeste en faveur du titulaire du marché de l'économie de l'accord-cadre, pour lequel l'offre retenue s'élevait à un montant de 365 878, 30 euros HT. Enfin, au regard du changement par le bon de commande litigieux des quantités commandées, le prix des pierres pouvant baisser par économie d'échelle, de la nature des prestations, notamment les différentes tailles de pierres demandées, et de l'augmentation du nombre d'échafaudages nécessaires, le bon de commande a introduit des conditions qui, si elles avaient été incluses dans la procédure de passation initiale, auraient permis le choix d'une offre autre que celle retenue. Par suite, la société requérante est fondée à soutenir que la commune de Rouen a apporté une modification substantielle à l'accord-cadre, ce qu'elle ne peut avoir fait par l'émission d'un simple bon de commande, lequel n'est qu'un acte d'exécution du contrat.

9. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 2122-1 du code de la commande publique, dans sa version applicable au litige : " L'acheteur peut passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsqu'une urgence impérieuse résultant de circonstances extérieures et qu'il ne pouvait pas prévoir ne permet pas de respecter les délais minimaux exigés par les procédures formalisées. / Tel est notamment le cas des marchés rendus nécessaires pour l'exécution d'office, en urgence, des travaux mentionnés aux articles L. 1311-4, L. 1331-24, L. 1331-26-1, L. 1331-28, L. 1331-29 et L. 1334-2 du code de la santé publique et des articles L. 123-3, L. 129-2, L. 129-3, L. 511-2 et L. 511-3 du code de la construction et de l'habitation ainsi que des marchés passés pour faire face à des dangers sanitaires définis aux 1° et 2° de l'article L. 201-1 du code rural et de la pêche maritime. / Le marché est limité aux prestations strictement nécessaires pour faire face à la situation d'urgence. ".

10. Pour justifier l'émission du bon de commande en litige, la commune de Rouen fait valoir qu'elle aurait été dans l'impossibilité de procéder autrement dans l'attente de la conclusion d'un nouveau marché, compte tenu de l'urgence résultant d'un risque de chute de pierres de l'édifice. Selon le courrier du préfet de la région Normandie du 8 février 2021, le traitement des " urgences sanitaires " concernait la réfection des couvertures de la tour couronnée et la restauration du bras du transept sud, portail des Marmousets. Toutefois, le bilan sanitaire et l'étude diagnostic réalisés respectivement en 2018 et 2019, lesquels auraient mis en évidence l'état de péril de ce monument et les phénomènes de dégradations à l'œuvre, ne sont pas produits. En tout état de cause, l'utilisation de la procédure de passation dérogatoire litigieuse aurait dû être limitée aux prestations strictement nécessaires pour faire face à ladite urgence. Or, les travaux couverts par le bon de commande, émis plus de deux ans après les constats d'état de péril, portent notamment sur la restauration de sculptures et des sculptures neuves, couvrant ainsi davantage le simple risque de chute de pierres évoqué. Au surplus, il ne résulte pas de l'instruction que la commune de Rouen aurait été empêchée de lancer préalablement une procédure de consultation pour ces travaux au regard de la date d'émission du bon de commande litigieux le 29 janvier 2021. En outre, la commune n'a pas utilisé la possibilité prévue à l'article 1.4 du CCAP de l'accord-cadre concernant les travaux urgents " nécessitant une remise en sécurité rapide des utilisateurs des bâtiments communaux ". Enfin, la nécessité de bénéficier des subventions accordées par l'Etat au titre de la restauration du monument ne caractérise pas des circonstances extérieures que la commune de Rouen ne pouvait prévoir.

11. Il résulte de ce qui précède que la société requérante est fondée à soutenir que, pour attribuer le marché confié par le bon de commande litigieux, la commune de Rouen devait conclure un contrat soumis à une procédure de publicité et de mise en concurrence préalable.

En ce qui concerne les chances d'emporter le contrat révélé par le bon de commande litigieux :

12. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, qui inclut nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre.

13. La société requérante fait tout d'abord valoir qu'elle avait une chance sérieuse d'emporter le marché dès lors qu'elle avait candidaté lors de la procédure de consultation de l'accord-cadre, avec une offre techniquement et financièrement similaire à celle retenue. Néanmoins, il résulte de l'instruction qu'elle a été classée en troisième position, avec une note de 80,36 points contre 92 points pour l'attributaire. La requérante se prévaut également de son offre présentée lors de la procédure de passation de la seconde phase des travaux de l'abbatiale Saint-Ouen, à laquelle elle a également candidaté et pour laquelle son offre a été classée deuxième sur quatre, avec une note de 89,76 points contre 100 points pour l'attributaire. Toutefois, outre le fait que ces marchés auxquelles elle a candidaté portent sur des prestations d'une nature différente de ceux faisant l'objet du bon de commande en litige, s'apparentant à un nouveau contrat de par son objet et sa portée, elle n'établit ni même n'allègue être la seule à même de répondre aux besoins de la collectivité, ni ne se prévaut du manque de concurrence dans un tel secteur, alors qu'il résulte de l'instruction que plusieurs offres ont été présentées dans le cadre des deux procédures. Par ailleurs, la société requérante ne saurait démontrer, par la production d'un devis prévisionnel établi selon le modèle de celui réalisé par l'attributaire en vue de l'émission du bon de commande a posteriori, que son offre aurait été, si non équivalente au moins concurrentielle, par rapport à la proposition financière de la société Normandie Rénovation, et qu'elle aurait eu des chances sérieuses de remporter le marché. Enfin, l'intéressée ne peut se prévaloir de l'annulation de la première procédure de passation du marché relatif à la seconde phase des travaux de l'abbatiale Saint-Ouen pour arguer de l'irrégularité de l'offre de Normandie Rénovation lors de l'accord-cadre et du bon de commande, ces deux procédures étant distinctes.

14. Il résulte de ce qui précède que la société requérante n'établit pas avoir été privée d'une chance sérieuse d'emporter le marché confié par le bon litigieux. Si elle n'était pas dépourvue de toute chance, elle ne peut cependant prétendre à aucune indemnité n'ayant exposé aucun frais de présentation. Par suite, ses conclusions à fin d'indemnisation doivent être rejetées.

En ce qui concerne l'irrégularité entachant l'accord-cadre litigieux :

15. La circonstance selon laquelle la commune de Rouen a confié le marché par le bon de commande litigieux sans procédure de publicité et de mise en concurrence, en le liant à l'accord-cadre contesté, ne permet pas de démontrer l'existence d'un lien quant à l'éviction de la requérante du précédent accord-cadre. Ainsi, en tout état de cause, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées en défense, les conclusions portant sur l'irrégularité entachant l'accord-cadre doivent être rejetées en l'absence de lien direct et certain entre l'illégalité invoquée, tenant d'une part, au défaut d'indication de montant maximum dans l'avis de marché, et d'autre part, au recours abusif à la procédure de l'accord-cadre, et le préjudice né de l'éviction de l'intéressée de ce marché, celui-ci ne trouvant pas son origine dans les manquements allégués.

Sur les frais liés au litige :

16. Dans les circonstances particulières de l'espèce, il n'y a lieu de mettre à la charge de la société T.E.R.H. Monuments Historiques la somme demandée par la commune de Rouen sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Rouen, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la société T.E.R.H. Monuments Historiques sur leur fondement.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société T.E.R.H. Monuments Historiques est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Rouen au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société T.E.R.H. Monuments Historiques et à la commune de Rouen.

Copie en sera transmise, pour information, à la chambre régionale des comptes de Normandie.

Délibéré après l'audience du 5 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Van Muylder présidente,

- M. Armand, premier conseiller,

- Mme Favre, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 mai 2024.

La rapporteure,

Signé :

L.FAVRE

La présidente,

Signé :

C.VAN MUYLDER Le greffier,

Signé :

J.-B. MIALON

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Maritime en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

J.-B. MIALON

SG