TA Strasbourg, 07/06/2023, n°2106009

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 2 septembre et 29 octobre 2021, la commune de Prévocourt, M. B et M. A, représentés par Me Couronne, avocat, demandent au tribunal :

1°) d'annuler, subsidiairement de résilier, le contrat conclu le 31 août 2021 entre le syndicat scolaire intercommunal de la Nied et la fédération départementale des foyers ruraux de Moselle, portant sur l'organisation d'accueils collectifs de mineurs ;

2°) de mettre à la charge solidaire du syndicat scolaire intercommunal de la Nied et de la fédération départementale des foyers ruraux de Moselle la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le contrat litigieux est un marché public de service et non une délégation de service public ;

- sa valeur estimée excède les seuils des procédures formalisées, la scission en deux contrats, l'un de quatre mois et l'autre plus long, étant artificielle ;

- le marché a été irrégulièrement conclu sans publicité ni mise en concurrence.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2022, le syndicat scolaire intercommunal de la Nied, représenté par Me Ponseele, avocate, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge solidaire de la commune de Prévocourt, de M. B et de M. A la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- faute de confirmation du maintien de la requête à la suite du rejet du référé-suspension formé par les requérants par ordonnance n° 2106010 du 23 septembre 2021, les requérants doivent être considérés comme s'étant désistés ;

- l'annulation comme la résiliation du contrat seraient dépourvues d'effet utile ;

- à titre subsidiaire, les moyens ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 29 novembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 15 décembre 2022.

La requête a été communiquée à la fédération départementale des foyers ruraux de Moselle, qui n'a pas produit de mémoire.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- l'ordonnance n° 2106010 du 23 septembre 2021, par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la requête en référé-suspension formée par la commune de Prévocourt, M. B et M. A aux fins de suspension de l'exécution du contrat du 31 août 2021.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dobry,

- les conclusions de M. Boutot, rapporteur public,

- et les observations de Me Grascoeur substituant Me Ponseele, représentant le syndicat scolaire intercommunal de la Nied.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Prévocourt est membre du syndicat scolaire intercommunal (SSI) de la Nied, M. B et M. A étant délégués de la commune auprès du SSI. La gestion des activités périscolaires des communes membres du SSI de la Nied a été transférée à ce dernier par une modification de ses statuts, validée par arrêté du préfet de la Moselle du 28 juillet 2021. Par une convention du 31 août 2021, objet de la présente requête, l'organisation d'accueils collectifs de mineurs a été confiée par le SSI de la Nied à la fédération départementale des foyers ruraux de Moselle (FDFR57) pour une période de quatre mois, jusqu'au 31 décembre 2021.

2. Aux termes de l'article R. 612-5-2 du code de justice administrative : " En cas de rejet d'une demande de suspension présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 au motif qu'il n'est pas fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision, il appartient au requérant, sauf lorsqu'un pourvoi en cassation est exercé contre l'ordonnance rendue par le juge des référés, de confirmer le maintien de sa requête à fin d'annulation ou de réformation dans un délai d'un mois à compter de la notification de ce rejet. A défaut, le requérant est réputé s'être désisté ". Par ordonnance du 23 septembre 2021, le juge des référés du tribunal administratif a rejeté la requête en référé-suspension des requérants en raison du défaut d'urgence, sans se prononcer sur l'existence d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. Par conséquent, les dispositions précitées ne peuvent être utilement invoquées pour soutenir que, faute de confirmation du maintien de leur requête, les requérants s'en seraient implicitement désistés.

Sur les conclusions à fin d'annulation ou, à titre subsidiaire, de résiliation du contrat :

3. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif ne peut ainsi, à l'appui d'un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

4. En premier lieu, l'article L. 1121-1 du code de la commande publique définit le contrat de concession, dont relèvent les délégations de service public en application de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales, comme le " contrat par lequel une ou plusieurs autorités concédantes soumises au présent code confient l'exécution de travaux ou la gestion d'un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l'exploitation de l'ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d'exploiter l'ouvrage ou le service qui fait l'objet du contrat, soit de ce droit assorti d'un prix. / La part de risque transférée au concessionnaire implique une réelle exposition aux aléas du marché, de sorte que toute perte potentielle supportée par le concessionnaire ne doit pas être purement théorique ou négligeable. Le concessionnaire assume le risque d'exploitation lorsque, dans des conditions d'exploitation normales, il n'est pas assuré d'amortir les investissements ou les coûts, liés à l'exploitation de l'ouvrage ou du service, qu'il a supportés ". L'article L. 1111-1 du code de la commande publique définit le marché comme " un contrat conclu par un ou plusieurs acheteurs soumis au présent code avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, en contrepartie d'un prix ou de tout équivalent ".

5. Au cas présent, il résulte de l'instruction, notamment de l'article VI du contrat litigieux ainsi que des budgets estimatifs qui avaient été communiqués par le SSI de la Nied aux communes membres, que si une partie des recettes provient des familles qui effectuent leur règlement directement auprès de la FDFR57, le SSI de la Nied est tenu de verser à la FDFR57 le solde restant pour atteindre l'équilibre budgétaire. Le SSI de la Nied assume donc seul le risque d'exploitation du service d'accueil périscolaire, de sorte que le contrat doit être qualifié de marché public de services.

6. En deuxième lieu, l'article R. 2122-8 du code de la commande publique dispose que : "L'acheteur peut passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables pour répondre à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 40 000 euros hors taxes () ". Aux termes de l'article R. 2121-1 du code de la commande publique : " L'acheteur procède au calcul de la valeur estimée du besoin sur la base du montant total hors taxes du ou des marchés envisagés. / Il tient compte des options, des reconductions ainsi que de l'ensemble des lots et, le cas échéant, des primes prévues au profit des candidats ou soumissionnaires ". Aux termes de l'article R. 2121-3 du même code : " La valeur du besoin à prendre en compte est celle estimée au moment de l'envoi de l'avis d'appel à la concurrence ou, en l'absence d'un tel avis, au moment où l'acheteur lance la consultation ". L'article R. 2121-4 du code de la commande publique dispose enfin que : " L'acheteur ne peut se soustraire à l'application du présent livre en scindant ses achats ou en utilisant des modalités de calcul de la valeur estimée du besoin autres que celles qui y sont prévues ".

7. Au cas présent, le marché litigieux a été conclu pour une période de quatre mois. Les budgets estimatifs réalisés par le SSI de la Nied en amont de la passation du marché font apparaître, en tant qu'hypothèse de budget annuel le plus élevé, un montant total de 75 676 euros, qui doit servir de valeur de référence pour le calcul de la valeur estimée du marché. Les requérants soutiennent que la durée du contrat à prendre en compte est de quatre ans et non de quatre mois dès lors que la durée globale de la prestation aurait été artificiellement scindée en deux contrats distincts, l'un d'une durée de quatre mois et l'autre pour la durée restant à courir sur quatre ans. Il résulte toutefois de l'instruction que le contrat qui a succédé à celui contesté a été conclu à l'issue d'une procédure de publicité et de mise en concurrence et a reposé sur des documents contractuels distincts, de sorte qu'il ne peut être considéré que le SSI de la Nied a artificiellement scindé en deux contrats des prestations qui auraient dû relever d'un contrat unique. La durée à prendre en compte pour l'estimation de la valeur du contrat est ainsi de quatre mois, ce qui fixe à 18 919 euros la valeur estimée du marché. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le marché litigieux, dont la valeur estimée était inférieure à 40 000 euros, aurait été conclu en méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence.

8. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation ou, à titre subsidiaire, de résiliation du contrat conclu le 31 août 2021 entre le SSI de la Nied et la FDFR57 doivent être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le SSI de la Nied et la FDFR57, qui ne sont pas dans la présente instance les parties perdantes, versent à la commune de Prévocourt, M. B et M. A les sommes que ceux-ci réclament au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge solidairement de la commune de Prévocourt, de M. B et de M. A une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le SSI de la Nied et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la commune de Prévocourt, de M. B et de M. A est rejetée.

Article 2 : La commune de Prévocourt, M. B et M. A verseront solidairement au syndicat scolaire intercommunal de la Nied la somme de 1 500 (mille-cinq-cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions en défense est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la commune de Prévocourt, à M. B, à M. A, au syndicat scolaire intercommunal de la Nied et à la fédération départementale des foyers ruraux de Moselle.

Délibéré après l'audience du 17 mai 2023, à laquelle siégeaient :

M. Faessel, président,

Mme Merri, première conseillère,

Mme Dobry, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juin 2023.

La rapporteure,

S. DOBRY

Le président,

X. FAESSEL La greffière,

V. IMMELÉ

La République mande et ordonne au préfet de la Moselle en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.