TA Strasbourg, 12/04/2023, n°2003326

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 5 juin 2020, et des mémoires des 30 avril et 13 octobre 2021, la société SUEZ RV Nord Est, représentées par Me Leport (Selarl Awen Avocats), demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler la décision implicite de rejet du 22 avril 2020 par laquelle le Pôle d'équilibre territorial et rural (PETR) du Pays de Sarrebourg a rejeté sa demande tendant au paiement de la somme de 125 256,09 euros hors taxe ;

2°) de condamner le PETR du Pays de Sarrebourg à lui verser la somme de 125 256,09 euros hors taxe, augmentée des intérêts à compter du 21 février 2020 ;

3°) de mettre à la charge du PETR du Pays de Sarrebourg la somme de 3 000 euros au titre des frais de l'instance.

La société SUEZ RV Nord Est soutient que :

- les conclusions qu'elle présente ne portent pas sur l'annulation d'une mesure d'exécution du contrat ;

- il s'agit de conclusions indemnitaires dont la nature ne saurait être modifiée par la légalité ou l'illégalité de la clause initiale de révision ;

- sa requête est recevable ;

- l'existence d'un différend au sens de l'article 37.2 du CCAG ne saurait être datée de la signature des avenants du 8 juillet 2019 ; la demande adressée au PETR le 21 février 2020 constitue un mémoire en réclamation, lequel a été rejeté par le silence conservé par le PETR au 22 avril 2020 ; ainsi la société SUEZ RV Nord Est n'est pas forclose ;

- la clause de révision initiale figurant au CCAP commun méconnaissait les dispositions de l'article 18 du décret du 25 mars 2016, en ce qu'elle prenait en compte dans l'évolution des coûts non seulement les prix de l'offre mais également les prix issus de la précédente révision ; c'est pour ce motif que cette clause a été modifiée par les avenants du 8 juillet 2019 ; mais cette illégalité a produit des effets sur les révisions de prix intervenues depuis la conclusion des contrats initiaux en septembre et octobre 2016 jusqu'au 1er mars 2019, date d'entrée en application des avenants ;

- la société requérante est dès lors fondée à solliciter auprès du PETR le paiement du différentiel issu de la révision des prix selon la formule initiale illégale ;

- la décision implicite du PETR refusant le paiement de ce différentiel est ainsi entachée de la même illégalité que la clause initiale figurant au CCAP ;

Par des mémoires en défense, enregistrés les 15 février et 4 octobre 2021, le pôle d'équilibre territorial et rural (PETR) du Pays de Sarrebourg, représenté par Me Llorens (Selarl Leonem), conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société SUEZ RV Nord Est la somme de 5 000 euros au titre des frais de l'instance.

Le PETR du Pays de Sarrebourg soutient que :

- la requête est irrecevable, d'une part car les parties à un contrat ne peuvent solliciter l'annulation d'une mesure d'exécution du contrat ; d'autre part en ce que les conclusions indemnitaires ne sont que l'accessoire des conclusions en annulation ;

- à titre subsidiaire, la société SUEZ RV Nord Est est forclose à solliciter la condamnation du PETR, faute d'avoir transmis, dans les deux mois suivant l'apparition de ce différend, un mémoire en réclamation ainsi que l'exige l'article 37.2 du CCAG - FCS ; les avenants conclus le 8 juillet 2019 ont expressément indiqué la date d'effet de la clause de révision modifiée et matérialisent le refus du PETR d'étendre l'application de cette clause modifiée sur la période antérieure ; dans l'hypothèse où la lettre reçue le 21 février 2020 serait regardée comme un mémoire en réclamation, celui-ci a été communiqué tardivement compte tenu de la signature des avenants le 8 juillet 2019 ;

- les dispositions de l'article 18 du décret du 25 mars 2016 n'imposent pas de prendre en compte les prix initiaux à chaque révision ; ainsi la clause de révision initiale n'était pas illégale ;

- le refus de verser la somme réclamée par la société SUEZ RV Nord Est au titre du différentiel de révision des prix n'est pas fautif et n'engage pas la responsabilité contractuelle du pouvoir adjudicateur ;

- la société SUEZ RV Nord Est ne justifie pas du montant demandé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le décret n°2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics ;

- l'arrêté du 19 janvier 2009 portant approbation du cahier des charges administratives générales des marchés publics de travaux applicables aux marchés de fournitures courantes et de services ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 22 mars 2023 :

- le rapport de Mme Merri, première conseillère ;

- les conclusions de M. Boutot, rapporteur public,

- et les observations de :

* Me Leport, représentant la société SUEZ RV Nord Est,

* Me Llorens, représentant le pôle d'équilibre territorial et rural du Pays de Sarrebourg.

Considérant ce qui suit :

1. Par des actes d'engagement des 28 septembre et 3 octobre 2016, le Pôle d'équilibre territorial et rural du pays de Sarrebourg (PETR) a attribué à la société Suez RV Nord Est les lots n° 1 et n° 2 d'un marché public de services relatif à la collecte des déchets des ménages, tri des recyclables secs et gestion des déchetteries et du centre transfert. Par un avenant du 8 juillet 2019, les parties ont modifié la clause de révision des prix et décidé que la clause modifiée s'appliquerait à compter du 1er mars 2019. Par courrier du 20 février 2020, la société Suez RV Nord Est a demandé le versement d'une somme de 125 256,09 euros HT, correspondant à l'application de la clause modifiée de la formule de révision des prix pour la période antérieure au 1er mars 2019. Cette demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet, née le 22 avril 2020. La société Suez RV Nord Est, dont les conclusions doivent être regardées comme ayant un objet exclusivement indemnitaire, sollicite la condamnation du Pôle d'équilibre territorial et rural du pays de Sarrebourg à lui verser la somme de 125 256,09 euros HT.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

2. Lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.

3. Aux termes de l'article 18 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics : "V. - Un prix révisable est un prix qui peut être modifié pour tenir compte des variations économiques dans les conditions fixées ci-dessous. / Un marché public est conclu à prix révisable dans le cas où les parties sont exposées à des aléas majeurs du fait de l'évolution raisonnablement prévisible des conditions économiques pendant la période d'exécution des prestations. Tel est notamment le cas des marchés publics ayant pour objet l'achat de matières premières agricoles et alimentaires. / Lorsque le prix est révisable, le marché public fixe la date d'établissement du prix initial, les modalités de calcul de la révision ainsi que la périodicité de sa mise en œuvre. Les modalités de calcul de la révision du prix sont fixées : / 1° Soit en fonction d'une référence à partir de laquelle on procède à l'ajustement du prix de la prestation ; / 2° Soit par application d'une formule représentative de l'évolution du coût de la prestation. Dans ce cas, la formule de révision ne prend en compte que les différents éléments du coût de la prestation et peut inclure un terme fixe ; / 3° Soit en combinant les modalités mentionnées aux 1° et 2°".

4. La société Suez RV Nord Est soutient que la clause initiale de révision des prix, dans sa rédaction applicable jusqu'au 28 février 2019, méconnaît ces dispositions en ce qu'elle prévoit que la révision des prix ne se réfère pas au prix initial, mais aux prix successivement révisés, et a ainsi pour effet de neutraliser l'objectif d'une clause de révision des prix, qui est d'adapter le prix initial aux évolutions des réalités économiques.

5. Toutefois, il résulte de l'instruction que la formule initiale de révision des prix calculait le prix révisé en appliquant, au prix initial de l'acte d'engagement P0, un coefficient de révision calculé à partir de l'évolution d'indices sur une période allant de la date de la précédente révision à celle de la révision en cours. La clause de révision des prix, telle que modifiée par l'avenant du 8 juillet 2019, prévoit désormais que le prix initial est révisé en appliquant, au prix initial de l'acte d'engagement P0, un coefficient de révision calculé à partir de l'évolution d'indices sur une période allant de la date de l'acte d'engagement à celle de la révision en cours. Il en résulte que tant la clause initiale de révision de prix que la clause modifiée par les avenants du 8 juillet 2019 se réfèrent, contrairement à ce que soutient la société Suez, au prix P0 établi à la date de l'acte d'engagement, seule étant en cause la formule de calcul appliquée à ce prix initial. Le moyen soulevé par la requérante manque ainsi en fait.

6. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir du PETR, les conclusions à fin d'indemnisation de la société Suez RV Nord Est doivent être rejetées.

Sur les frais d'instance :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du PETR, qui n'est pas la partie perdante à la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Suez RV Nord Est une somme de 1 500 euros à verser au PETR au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1 : La requête de la société Suez RV Nord Est est rejetée.

Article 2 : La société Suez RV Nord Est versera au Pôle d'équilibre territorial et rural du pays de Sarrebourg une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Suez RV Nord Est et au Pôle d'équilibre territorial et rural du pays de Sarrebourg.

Délibéré après l'audience du 22 mars 2023, à laquelle siégeaient :

M. Rees, président,

Mme Merri, première conseillère,

Mme Dobry, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 avril 2023.

La rapporteure,

D. MERRI

Le président,

P. REES

La greffière,

V. IMMELÉ

La République mande et ordonne au préfet de la Moselle en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,