Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 10 septembre 2021 et le 15 novembre 2022, la société par actions simplifiée Corinthe Ingénierie, la société par actions simplifiée Agence Guillermin et la société à responsabilité limitée TransMobilités, représentées par
Me Martinez, demandent au tribunal :
1°) d'annuler l'ordre de service n°6 du 5 mai 2021 ordonnant l'arrêt de prestations afférentes audit marché ;
2°) d'annuler les décisions implicites de rejet des mémoires en réclamation formés par le groupement le 30 juin 2021 et le 19 juillet 2021 ;
3°) de condamner la commune à payer au groupement de maîtrise d'œuvre et à la société Corinthe Ingénierie la somme de 932 305 euros toutes taxes comprises, sauf à parfaire, avec intérêts à compter de la date de résiliation du marché ;
4° subsidiairement, sur le fondement de l'enrichissement sans cause, de condamner la commune à payer au groupement de maîtrise d'œuvre et à la société Corinthe Ingénierie la somme de 932 305 euros toutes taxes comprises, sauf à parfaire, avec intérêts à compter de la date de résiliation du marché ;
5°) d'enjoindre la commune de Cavalaire-sur-Mer de notifier au groupement de maîtrise d'œuvre et à la société Corinthe Ingénierie le décompte de résiliation du marché sur le fondement des articles L 911-1 et suivants du code de justice administrative et 34.5 du CCAG-PI, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de huit jours à compter de la notification du jugement à intervenir.
6°) en tout état de cause, de mettre à la charge de la commune la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Le groupement soutient que :
- la société Corinthe Ingénierie avait qualité pour représenter les autres entreprises du groupement ;
- l'ordre de service n°6 du 5 mai 2021, ordonnant l'arrêt des prestations, constitue une décision de résiliation du marché conclu avec le groupement ;
- l'ordre de service n°6 est entaché d'une insuffisance de motivation ;
- la commune a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation dès lors que le groupement n'a commis aucune faute, aucun manquement, ni retard ou inexécution ;
- sa demande indemnitaire est recevable ;
- il a droit au paiement de travaux supplémentaires ;
- la commune qui n'a pas su définir le périmètre de la mission du maître d'œuvre, et a méconnu les stipulations de l'article 6.5 du cahier des clauses particulières ;
- la commune a commis des fautes qui engagent sa responsabilité, dès lors qu'elle n'a pas notifié un décompte de résiliation dans le délai fixé à l'article 34.5 du CCAG-PI ;
- il a droit au paiement du préjudice subi, des factures et des intérêts moratoires au titre des factures émises, ainsi qu'au remboursement des frais avancés dans l'exécution de l'avenant n° 4 et de l'ordre de service n° 4 et à la révision des prix ;
- il a droit à être indemnisé du préjudice résultant du report du projet ;
- subsidiairement, il a droit à être indemnisé sur le fondement de l'enrichissement sans cause.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 septembre 2022, la commune de Cavalaire-sur-Mer, représentée par Me Lanzarone, conclut :
1°) à titre principal, à l'irrecevabilité de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, au rejet au fond de la requête ;
3°) à ce qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge de la société Corinthe Ingénierie en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la société Corinthe Ingénierie n'a pas qualité pour agir pour représenter le groupement ;
- la décision de retrait de l'ordre de service n° 4 est devenue définitive ;
- le groupement titulaire, qui n'a pas formulé d'observations sur ce retrait dans le délai de quarante-cinq jours prévu par l'article 37 du cahier des clauses administratives générales, est réputé l'avoir tacitement accepté ;
- la société Corinthe Ingénierie n'a pas respecté le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision en litige pour présenter toutes les justifications nécessaires à la fixation de son indemnité au titre des frais et investissements engagés ;
- les moyens sont infondés.
Un courrier du 15 septembre 2022 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Une ordonnance du 20 mars 2023 a prononcé la clôture de l'instruction à la date de son émission, en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Le 26 avril 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré du non-lieu à statuer sur les conclusions indemnitaires qui ont été satisfaites à la suite de l'arrêt n°21MA03852 rendu par la cour administrative d'appel de Marseille le 22 mai 2023.
Par un mémoire, enregistré le 29 avril 2024, la société Corinthe Ingénierie a présenté des observations en réponse au moyen d'ordre public.
Le 3 juin 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité de la requête, dès lors que la décision contestée du 5 mai 2021 ne constitue pas une décision de résiliation au regard des stipulations du CCP.
Le 5 juin 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à l'annulation de la décision du 5 mai 2021 par laquelle le maire de la commune de Cavalaire-sur-Mer a décidé l'arrêt des prestations du marché dès lors que cette décision constitue un acte d'exécution du contrat dont il ne peut être demandé l'annulation.
Vu :
- l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Marseille n°21MA03852 du 22 mai 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;
- le décret n°78-1306 du 26 décembre 1978 approuvant le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles et la modification du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés industriels ;
- l'arrêté du 16 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles ;
- le décret n° 93-1268 du 29 décembre 1993 ;
- le décret n° 2013-269 du 29 mars 2013 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Karbal, conseiller,
- les conclusions de M. Kiecken, rapporteur public,
- et les observations de Me Martinez pour les requérantes et de Me Lanzarone pour la commune.
Considérant ce qui suit :
1. Par contrat du 3 août 2015, la commune de Cavalaire-sur-Mer a confié à un groupement solidaire composé de la société Corinthe Ingénierie, de l'agence Guillermin, et de la société Transmobilités le marché ayant pour objet un audit, une étude d'opportunité et la maîtrise d'œuvre du redéploiement des infrastructures portuaires et des espaces sur le domaine public maritime, ainsi qu'une étude d'avant-projet pour la protection des plages. Ce marché comportait une tranche ferme et une tranche conditionnelle, composées de prix forfaitaires et de prix rémunérés au pourcentage. Une délibération du conseil municipal de Cavalaire-sur-Mer du
7 mars 2017 a approuvé l'avant-projet détaillé du projet et estimé le montant des travaux à la somme de 29 680 669,70 euros hors taxes. Cinq avenants ont été signés lors de l'exécution du marché. Par ailleurs, plusieurs fiches de travaux modificatives (FTM) ont ensuite été signées par la commune de Cavalaire-sur-Mer. Le groupement a sollicité le paiement de la rémunération correspondant selon lui à ces travaux supplémentaires. Le 5 mai 2021, le maire de Cavalaire-sur-Mer a adressé un ordre de service n° 6 au groupement, décidant l'arrêt des prestations du marché en application de l'article 6.19 du cahier des clauses particulières.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Le juge du contrat n'a pas le pouvoir de prononcer, à la demande de l'une des parties, l'annulation de mesures prises par l'autre partie et qu'il lui appartient seulement de rechercher si ces mesures sont intervenues dans des conditions de nature à ouvrir un droit à indemnité.
3. Il résulte de l'instruction, que la société requérante a formé des conclusions à fin d'annulation de l'ordre de service n°6 décidant l'arrêt des prestations afférentes audit marché. De telles conclusions, qui tendent seulement à l'annulation d'une mesure d'exécution du contrat, sont irrecevables.
Sur les conclusions indemnitaires :
S'agissant de la demande de rémunération des travaux supplémentaires :
S'agissant du cadre juridique :
4. Il résulte des dispositions des articles 9 de la loi du 12 juillet 1985 et 30 du décret du 29 décembre 1993, susvisés, que le titulaire d'un contrat de maîtrise d'œuvre est rémunéré par un prix forfaitaire couvrant l'ensemble de ses charges et missions, ainsi que le bénéfice qu'il en escompte, et que seule, une modification de programme ou une modification de prestations décidées par le maître de l'ouvrage peut donner lieu à une adaptation et, le cas échéant, à une augmentation de sa rémunération. Ainsi, la prolongation de sa mission n'est de nature à justifier une rémunération supplémentaire du maître d'œuvre que si elle a donné lieu à des modifications de programme ou de prestations décidées par le maître d'ouvrage.
5. En outre, le maître d'œuvre ayant effectué des missions ou prestations non prévues au marché de maîtrise d'œuvre et qui n'ont pas été décidées par le maître d'ouvrage a droit à être rémunéré de ces missions ou prestations, nonobstant le caractère forfaitaire du prix fixé par le marché si elles ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art, ou si le maître d'œuvre a été confronté dans l'exécution du marché à des sujétions imprévues présentant un caractère exceptionnel et imprévisible, dont la cause est extérieure aux parties et qui ont pour effet de bouleverser l'économie du contrat.
6. Il résulte de l'instruction que, à la demande de la commune, le groupement a établi neuf fiches de travaux modificatifs (FTM) destinées à prendre en compte les modifications du programme décidé par la délibération du conseil municipal du 7 mars 2017. Cette modification des prestations décidée par le maître de l'ouvrage justifiait une rémunération supplémentaire du maître d'œuvre.
7. Si la société Corinthe Ingénierie demande la condamnation de la commune à lui verser la somme de 203 528 euros hors taxes, au titre des prestations supplémentaires réalisées, il résulte toutefois de l'instruction que, par un arrêt n° 21MA03852 du 23 mai 2023, la cour administrative d'appel de Marseille a condamné la commune de Cavalaire-sur-Mer à lui verser cette somme totale de 203 528 euros hors taxes correspondant à la rémunération de ces prestations. Dès lors, les conclusions du groupement tendant au paiement de la somme de 203 528 euros hors taxes au titre des prestations supplémentaires réalisées doivent être rejetées.
S'agissant des frais avancés :
8. La société Corinthe Ingénierie, ayant obtenu la rémunération des prestations supplémentaires réalisées, comme évoqué au point 7, n'a pas droit, en outre, au remboursement des frais qu'elle a avancés pour la réalisation de ces prestations, ces frais, d'un montant allégué de 86 624 euros hors taxes étant nécessairement couverts par sa rémunération supplémentaire.
S'agissant du préjudice lié aux reports du projet :
9. La société Corinthe Ingénierie sollicite, pour un montant de 80 480,49 euros hors taxes, l'indemnisation de la perte de marge brute sur le chiffre d'affaires reporté. Toutefois, la perte de marge brute sur un chiffre d'affaires qui est simplement reporté ne constitue pas un préjudice indemnisable. Au demeurant, la société n'établit pas que le report du projet résulterait d'une faute contractuelle de la commune de Cavalaire-sur-Mer. Elle n'a pas plus droit aux intérêts moratoires sur cette somme de 80 480,49 euros, dès lors que le délai de paiement court à compter de la demande de paiement et non de la date à laquelle la prestation aurait dû intervenir suivant le planning initial.
S'agissant des conséquences de l'allongement de la durée des travaux :
10. L'allongement de la durée de réalisation des travaux afférents à la mission DET de la tranche conditionnelle 2, n'ouvre pas par lui-même droit à indemnisation du maître d'œuvre. Le groupement n'a donc pas droit à la somme de 345 486 euros hors taxes à laquelle il prétend à ce titre.
S'agissant de la révision des prix :
11. Ni le cahier des clauses particulières, ni le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestation intellectuelles, ne prévoient de clause de révision des prix. La demande de 32 728 euros hors taxes présentée par le groupement à ce titre ne peut donc être accueillie.
S'agissant des intérêts moratoires :
Quant aux intérêts moratoires afférents aux factures payées avec retard :
12. Aux termes de l'article 2 du décret du 29 mars 2013 susvisé relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de marché public : " Le délai de paiement court à compter de la date de réception de la demande de paiement par le pouvoir adjudicateur ou, si le contrat le prévoit, par le maître d'œuvre ou toute autre personne habilitée à cet effet. ". Aux termes de l'article 8 de ce décret : " I. ' Le taux des intérêts moratoires est égal au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations principales de refinancement les plus récentes, en vigueur au premier jour du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de huit points de pourcentage. ". Aux termes de l'article 7 du même décret : " Lorsque les sommes dues en principal ne sont pas mises en paiement à l'échéance prévue au contrat ou à l'expiration du délai de paiement, le créancier a droit, sans qu'il ait à les demander, au versement des intérêts moratoires et de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement prévus aux articles 39 et 40 de la loi du 28 janvier 2013 susvisée ". Aux termes de son article 9 : " Le montant de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement est fixé à 40 euros. ".
13. Conformément à ces dispositions, les membres du groupement ont droit au paiement des intérêts sur les factures payées en retard, sans avoir à le demander. Il résulte cependant de l'instruction, et notamment de l'arrêt de la cour précité, que la commune a déjà été condamnée au paiement des intérêts moratoires dus sur les paiements en retard pour un montant de 5 837,19 euros, et 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement. Dès lors, les conclusions présentées à ce titre doivent être rejetées.
Quant aux intérêts moratoires sur les sommes impayées à ce jour :
14. Il résulte de l'instruction, comme rappelé précédemment, que, par l'arrêt précité, la cour administrative d'appel de Marseille a condamné la commune de Cavalaire-sur-Mer à payer au groupement d'une part, deux sommes de 5 837,19 euros et 40 euros au titre des intérêts moratoires contractuels sur les sommes payées avec retard et de l'indemnité forfaitaire de recouvrement et, d'autre part, une somme de 203 528 euros, assortie des intérêts moratoires contractuels courant à compter du 31 juillet 2021 et majorée de la taxe sur la valeur ajoutée afférente, soit 40 705,60 euros (20 % de 203 528 euros). Dès lors, le groupement ne peut demander la condamnation de la commune de Cavalaire-sur-Mer à lui verser une somme qu'elle a déjà perçue sur ce fondement.
Sur le bien-fondé de la demande subsidiaire présentée par les sociétés membres du groupement sur un fondement quasi-contractuel :
15. Les prestations réalisées par les membres du groupement l'ayant été dans le cadre du contrat, l'enrichissement qui en a résulté pour la commune n'est pas dépourvu de cause.
16. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par la commune, que les conclusions indemnitaires doivent être rejetées.
Sur les frais de justice :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Cavalaire-sur-Mer, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la société Corinthe Ingénierie, agissant en qualité de mandataire du groupement constitué, outre cette société, des sociétés Agence Guillermin et TransMobilités, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du groupement une somme de 2 500 euros au titre de ces mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Corinthe ingénierie est rejetée.
Article 2 : La société Corinthe Ingénierie, agissant en qualité de mandataire du groupement constitué, outre cette société, des sociétés Agence Guillermin et TransMobilités, versera à la commune de Cavalaire-sur-Mer une somme globale de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Corinthe ingénierie et à la commune de Cavalaire-sur-Mer.
Délibéré après l'audience du 20 juin 2024, à laquelle siégeaient :
M. Philippe Harang, président,
M. Zouhaïr Karbal, conseiller,
M. David Helayel, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juillet 2024.
Le rapporteur,
Signé
Z. KARBAL
Le président,
Signé
Ph. HARANGLa greffière,
Signé
A.CAILLEAUX
La République mande et ordonne au préfet du Var en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,