Tribunal Administratif de Caen, 29/07/2022, n°2002376

Vu les procédures suivantes :
I°/ Par un jugement du 30 septembre 2020, le tribunal de commerce de Caen s'est déclaré incompétent pour statuer sur les conclusions de la société A.E.D. Expertises tendant à la condamnation de l'établissement public Inolya, venant aux droits de Calvados Habitat, à lui verser la somme de 13 024,80 euros avec intérêt au taux légal à compter du 2 février 2018 et la somme de 3 000 euros en raison de sa résistance abusive et tendant à ce qu'il soit mis à la charge de l'établissement public Inolya la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers frais et dépens de la procédure. Le greffe du tribunal de commerce de Caen a transmis le dossier de la procédure au tribunal administratif de Caen, par un courrier reçu le 25 novembre 2020 au greffe du présent tribunal. Ce courrier a donné lieu à l'ouverture d'une instance sous le n° 2002376.
Par des mémoires, enregistrés les 24 décembre 2020 et 24 juin 2021, l'établissement public Inolya, venant aux droits de Calvados Habitat et représenté par la SELARL Hellot/Rousselot, conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société A.E.D. Expertises au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :

  • la facture litigieuse porte sur une prestation que la société A.E.D. Expertises n'a pas exécuté conformément à l'ordre de service de Calvados Habitat ;
  • cette prestation a été exécutée sans qu'un devis ait été préalablement présenté, en méconnaissance des stipulations contractuelles.
    Par un mémoire, enregistré le 10 décembre 2021, la société A.E.D. Expertises, représentée par la SELARL Borgia, doit être regardée comme demandant au tribunal :
    1°) de condamner l'établissement public Inolya à lui verser la somme de 13 024,80 euros avec intérêt au taux légal à compter du 2 février 2018 ;
    2°) de condamner l'établissement public Inolya à lui verser la somme de 3 000 euros en raison de sa résistance abusive ;
    3°) de mettre à la charge de l'établissement public Inolya la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers frais et dépens de la procédure.
    Elle soutient que :
  • la juridiction administrative est compétente ;
  • elle est fondée à demander le paiement de la prestation qu'elle a exécutée conformément aux stipulations contractuelles.
    II°/ Par une requête, enregistrée sous le n° 2102911 le 10 décembre 2021, et un mémoire, enregistré le 20 mai 2022, la société A.E.D. Expertises, représentée par la SELARL Borgia, doit être regardée comme demandant au tribunal :
    1°) de condamner l'établissement public Inolya à lui verser la somme de 13 024,80 euros avec intérêt au taux légal à compter du 2 février 2018 ;
    2°) de condamner l'établissement public Inolya à lui verser la somme de 3 000 euros en raison de sa résistance abusive ;
    3°) de mettre à la charge de l'établissement public Inolya la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers frais et dépens de la procédure.
    Elle soutient que :
  • la juridiction administrative est compétente ;
  • elle est fondée à demander le paiement de la prestation qu'elle a exécutée conformément aux stipulations contractuelles.
    Par un mémoire, enregistré le 12 mai 2022, l'établissement public INOLYA, venant aux droits de Calvados Habitat et représenté par la SELARL Hellot/Rousselot, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société A.E.D. Expertises au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
    Il soutient que :
  • la facture litigieuse porte sur une prestation que la société A.E.D. Expertises n'a pas exécutée conformément à l'ordre de service de Calvados Habitat ;
  • cette prestation a été exécutée sans qu'un devis ait été préalablement présenté, en méconnaissance des stipulations contractuelles.
    Vu les autres pièces des dossiers.
    Vu :
  • le code de procédure civile ;
  • le code de la santé publique ;
  • le code de justice administrative.
    Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
    Ont été entendus au cours de l'audience publique :
  • le rapport de M. B ;
  • les conclusions de M. Blondel, rapporteur public ;
  • et les observations de Me Kerglonou, représentant l'établissement public Inolya.

Considérant ce qui suit :

1. Les instances n° 2002376 et n° 2102911 présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement.

Sur l'instance n° 2002376 :

2. Aux termes de l'article 81 du code de procédure civile : " Lorsque le juge estime que l'affaire relève de la compétence d'une juridiction répressive, administrative, arbitrale ou étrangère, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir. / Dans tous les autres cas, le juge qui se déclare incompétent désigne la juridiction qu'il estime compétente. Cette désignation s'impose aux parties et au juge de renvoi ". Aux termes de l'article 82 du même code : " En cas de renvoi devant une juridiction désignée, le dossier de l'affaire lui est transmis par le greffe, avec une copie de la décision de renvoi, à défaut d'appel dans le délai. () ". Il résulte des dispositions précitées de l'article 81 du code de procédure civile que, lorsque le juge civil estime que l'affaire relève de la compétence d'une juridiction administrative, il lui appartient d'inviter les parties à mieux se pourvoir, sans possibilité de faire application des dispositions de l'article 82 du code de procédure civile.

3. Le courrier du 25 novembre 2020 reçu du greffe du tribunal de commerce de Caen, ayant donné lieu à l'ouverture d'une instance sous le n° 2002376, n'a pu valablement saisir le tribunal administratif de Caen, dès lors qu'il revenait aux seules parties du litige soumis à tort au tribunal de commerce de Caen de mieux se pourvoir devant le tribunal administratif. Par suite, les pièces afférentes à l'instance n° 2002376 doivent être rayées du registre du greffe du tribunal.

Sur l'instance n° 2102911 :

4. Par un acte d'engagement du 15 décembre 2016, l'établissement public Calvados Habitat et la société A.E.D. Expertises ont conclu un marché public relatif à des repérages et diagnostics de présence d'amiante dans les immeubles de Calvados Habitat. Ce marché a fait l'objet d'un avenant, accepté le 13 mars 2017 par Calvados Habitat et le 28 février 2017 par la société A.E.D. Expertises. Par ordre de service du 19 octobre 2017, Calvados Habitat a sollicité la réalisation de " dossier technique amiante " dans certains de ses immeubles. Par une facture du 30 novembre 2017, la société A.E.D. Expertises a réclamé à Calvados Habitat le paiement de prestations réalisées le 31 octobre 2017, qui a refusé d'en acquitter le prix au motif que les prestations exécutées n'étaient pas conformes à l'ordre de service. La société A.E.D. Expertises a émis une nouvelle facture, en date du 2 février 2018, remplaçant la facture du 31 octobre 2017 et faisant état d'un montant de 13 024,80 euros pour ces mêmes prestations. Calvados Habitat a refusé de s'acquitter de ce montant, pour le même motif.

En ce qui concerne le paiement de la facture du 2 février 2018 :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1334-12-1 du code de la santé publique : " Les propriétaires, ou à défaut les exploitants, des immeubles bâtis y font rechercher la présence d'amiante ; en cas de présence d'amiante, ils font établir un diagnostic de l'état de conservation de l'amiante dans les matériaux et produits repérés et mettent en œuvre, le cas échéant, les mesures nécessaires pour contrôler et réduire l'exposition ". Aux termes de l'article R. 1334-17 du même code : " Les propriétaires des parties communes d'immeubles collectifs d'habitation y font réaliser un repérage des matériaux et produits des listes A et B contenant de l'amiante. ". Aux termes de l'article R. 1334-19 du même code, applicable aux immeubles litigieux : " Les propriétaires des immeubles bâtis mentionnés à l'article R. 1334-14 font réaliser, préalablement à la démolition de ces immeubles, un repérage des matériaux et produits de la liste C contenant de l'amiante ".

6. L'article R. 1334-20 du code de la santé publique dispose : " I.-On entend par " repérage des matériaux et produits de la liste A contenant de l'amiante " la mission qui consiste à : / 1° Rechercher la présence des matériaux et produits de la liste A accessibles sans travaux destructifs () ". Aux termes de l'article R. 1334-21 de ce code : " I.-On entend par " repérage des matériaux et produits de la liste B contenant de l'amiante " la mission qui consiste à : / 1° Rechercher la présence des matériaux et produits de la liste B accessibles sans travaux destructifs () ". Enfin, aux termes de l'article R. 1334-22 du même code : " I.-On entend par " repérage des matériaux et produits de la liste C contenant de l'amiante " la mission qui consiste à : 1° Rechercher la présence des matériaux et produits de la liste C () ". L'annexe 13-9 du code de la santé publique précise les composants à vérifier ou sonder qui constituent les listes A, B et C au sens de ces articles.

7. Par ailleurs, l'article R. 1334-29-5 du code de la santé publique prévoit : " I. ' Les propriétaires mentionnés aux articles R. 1334-17 et R. 1334-18 constituent et conservent un dossier intitulé " dossier technique amiante " comprenant les informations et documents suivants : / 1° Les rapports de repérage des matériaux et produits des listes A et B contenant de l'amiante () ".

8. En l'espèce, l'établissement public Inolya , venant aux droits de Calvados Habitat, soutient que la plus large part des prélèvements opérés dans le cadre de l'exécution de la prestation demandée par ordre de service du 19 octobre 2017 concerne des matériaux et produits de la liste C au sens de l'article R. 1334-22 précité. Elle fait valoir que les opérations menées correspondent à un repérage, préalable à des travaux de démolition, des matériaux et produits relevant de la liste C, tel que prévu par l'article R. 1334-19 précité, et non à la réalisation d'un " dossier technique amiante " au sens de l'article R. 1334-29-5 du code de la santé publique, ainsi que Calvados Habitat l'avait pourtant sollicité.

9. En l'espèce, les rapports de mission de repérage établis à la suite de la prestation litigieuse indiquent que seuls les matériaux et produits de la liste A et B ont été recherchés et que la mission n'a porté que sur l'établissement d'un " dossier technique amiante ". Si l'établissement public Inolya fait valoir que 158 prélèvements réalisés dans ce cadre correspondent à des matériaux et produits relevant de la liste C, ces prélèvements sont relatifs soit à des " enduits plâtres ", soit à des " enduits ciments ". Ces composants, dès lors qu'ils ne donnent pas lieu à des travaux destructifs, relèvent de la liste B précisée à l'annexe 13-9 du code de la santé publique. Dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que les prélèvements en cause ont été réalisés à la suite de travaux destructifs, l'établissement public Inolya n'est pas fondé à soutenir que ces prélèvements relèvent de la liste C. Ainsi, alors même que la facture du 31 octobre 2017 comportait par erreur l'intitulé " réalisation d'un repérage amiante avant travaux " au sujet des prestations litigieuses, ces prestations doivent être regardées comme conformes à l'ordre de service du 19 octobre 2017.

10. En second lieu, il résulte du bordereau de prix annexé à l'acte d'engagement du marché litigieux que " les diagnostics techniques amiante seront commandés sur devis chiffré sur le coût horaire de main d'œuvre ", lequel est précisé par ailleurs dans ce bordereau. Il résulte des motifs retenus au point précédent que les frais de main d'œuvre mentionnés sur la facture du 2 février 2018 portent sur la réalisation de " dossier technique amiante ", alors même que la facture du 30 novembre 2017 faisait état par erreur de " réalisation d'un repérage amiante avant travaux ", qui correspond à une prestation différente prévue dans le bordereau des prix. Si la société fait valoir qu'un devis a été émis en l'espèce, la pièce dont elle se prévaut, datée du 31 janvier 2018, est postérieure à l'exécution de la prestation litigieuse et, au surplus, au courrier de Calvados Habitat du 29 janvier 2018 relevant que cette prestation a été mise en œuvre sans devis préalable. Par suite, c'est à bon droit qu'Inolya soutient que les " dossiers techniques amiante " litigieux, faute d'avoir été commandés dans les formes prévues par les stipulations contractuelles, ne peuvent donner lieu à paiement. Seul le surplus des prestations figurant sur la facture du 2 février 2018, relatif aux prélèvements dits A, qui font l'objet d'une spécification sur le bordereau de prix distincte de celle relative à la réalisation de " dossiers techniques amiante ", doit dès lors donner lieu à paiement par Inolya . Il résulte de la facture du 2 février 2018 que le prix de ces prélèvements s'élève à 8 214 euros hors taxe, soit un montant de 9 856,80 euros taxe comprise.

11. Il y a lieu de condamner l'établissement public Inolya à verser la somme de 9 856,80 euros à la société A.E.D. Expertises.

En ce qui concerne l'indemnisation au titre de la résistance abusive :

12. La société requérante ne fait état d'aucun préjudice dû à la circonstance que l'établissement public Inolya s'est abstenu de déférer à ses demandes de paiement de la facture du 2 février 2018. Par suite, il y a lieu de rejeter ses conclusions tendant à ce que Inolya soit condamné à lui verser une somme sur ce fondement.

En ce qui concerne les intérêts :

13. La société requérante a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de 9 856,80 euros à compter du 21 février 2018, date à laquelle le courrier du même jour émis par Inolya révèle que cet établissement avait reçu communication de la facture du 2 février 2018. Pour les années suivantes, les intérêts afférents à l'indemnité de 9 856,80 euros doivent courir à compter du 31 décembre de l'année à laquelle cette indemnité se rapporte.

En ce qui concerne les frais liés au litige :

14. S'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'établissement public Inolya , partie perdante, la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, cette disposition fait obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par ce dernier sur le même fondement. En l'absence de dépens dans la présente instance, les conclusions de la société A.E.D. Expertises relatives aux dépens sont sans objet.

D E C I D E :

Article 1er : Les pièces afférentes à l'instance n° 2002376 seront rayées du registre du greffe du tribunal.
Article 2 : L'établissement public Inolya est condamné à verser à la société A.E.D. Expertises la somme de 9 856,80 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 février 2018.
Article 3 : L'établissement public Inolya versera à la société A.E.D. Expertises une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de l'établissement public Inolya présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête n° 2102911 est rejeté.
Article 6 : Le présent jugement sera notifié à la société A.E.D. Expertises et à l'établissement public Inolya.
Délibéré après l'audience du 23 juin 2022, à laquelle siégeaient :
M. Guillou, président,
Mme Saint-Macary, première conseillère,
M. Blanchard, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 juillet 2022.
Le rapporteur,
SIGNÉ
A. B
Le président,
SIGNÉ
H. GUILLOU
La greffière,
SIGNÉ
A. LAPERSONNE
La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne ou tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
la greffière,
A. Lapersonne
Nos 2002376, 2102911

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