Tribunal Administratif de Grenoble, 10/08/2022, n°2003500

Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er juillet 2020 et le 14 mars 2022, la communauté d'agglomération Porte de l'Isère (CAPI), représentée par Me ... , demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de condamner solidairement la SMACL et la société MJS Etanchéité à lui verser la somme de 444 073,28 euros ;
2°) de mettre à la charge solidairement de la SMACL et de la société MJS Etanchéité les dépens ainsi que la somme de 27 996,85 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La CAPI soutient que :

  • les désordres d'infiltration ayant affecté les toits terrasse du théâtre du Vellein étaient de nature décennale ;
  • le coût total des travaux de reprise et de remplacement du mobilier dégradé s'est élevé à 444 073,28 euros ;
  • la responsabilité de la SMACL est engagée sur le fondement du contrat de dommage ouvrage ;
    -son action à l'encontre de la SMACL n'est pas prescrite ;
  • la responsabilité de la société MJS Etanchéité est engagée sur le fondement de la garantie décennale en sa qualité de constructeur.
    Par un mémoire enregistré le 13 août 2020, la société Chanut, représentée par Me... conclut à la mise à la charge de la CAPI de la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
    Par un mémoire enregistré le 15 octobre 2020, la société MJS Etanchéité, représentée par Me Ch... conclut à titre principal au rejet de la requête, à titre subsidiaire à limiter le préjudice de la CAPI à la somme de 1 794 euros, et à titre infiniment subsidiaire à limiter les préjudices de la CAPI à la somme de 108 896,41 euros avec la répartition de la dette suivante : 10% pour la CAPI, 75 % pour la société les asphalteurs réunis, 10 % pour la société Atelier Architecte Developpement, 5% pour la société MJS Etanchéité, et en tout état de cause à la mise à la charge de la CAPI de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
    Par des mémoires en défense, enregistrés le 5 janvier 2022 et le 17 mars 2022, la SMACL conclut à titre principal au rejet de la requête, à titre subsidiaire à un complément d'expertise judiciaire, et à titre infiniment subsidiaire à la condamnation solidaire des sociétés Khephren Ingénierie et Atelier Architecte Developpement à la garantir intégralement des condamnations qui pourraient être mises à sa charge, et en tout état de cause à la mise à la charge de la CAPI de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
    Elle soutient que :
  • l'action intentée par la CAPI à son encontre est prescrite ;
  • les conditions pour intenter une action sur le fondement du contrat d'assurance dommage ouvrage ne sont pas remplies ;
  • les préjudices sollicités par la CAPI ne sont pas justifiés ;
  • elle devra être garantie par les sociétés Khephren Ingénierie et Atelier Architecte Developpement, qui sont responsables des dommages en qualité de maître d'œuvre et bureau d'études structure.
    Par un mémoire enregistré le 9 février 2022, les sociétés Alto Ingénierie, Khephren Ingénierie, représentées par Me R..., concluent à la mise à la charge de la CAPI de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et au rejet des demandes de la SMACL à son encontre, et à la mise à la charge de cette société de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à titre subsidiaire à limiter le montant des travaux de reprise à la somme de 85 600 euros, outre 4,98 % de frais de maîtrise d'œuvre et à condamner la société MJS Etanchéité à la garantir des condamnations qui pourraient être mises à sa charge.
    Elles soutiennent que :
  • la SMACL ne justifie pas d'une subrogation dans les droits du maître d'ouvrage ;
  • l'action de la SMACL à l'égard de la société Khephren Ingénierie est prescrite ;
  • les travaux de reprise doivent être limités aux travaux préconisés par l'expert judiciaire ;
  • la répartition de la dette doit être fixée entre 95 et 100 % pour la société les asphalteurs réunis et entre 0 et 5 % pour la société Atelier Architecte Developpement.
    La procédure a été communiquée aux sociétés Avel Acoustique et Socotec qui n'ont pas produit de mémoire en défense.
    Vu :
  • les autres pièces du dossier ;
  • les ordonnances du 13 janvier 2016 et du 1er juin 2017, par lesquelles le président du tribunal administratif de Grenoble a respectivement taxé et liquidé les frais des expertises réalisés par M. B aux sommes de 14 852,57 et 2 010,36 euros ;
    Vu :
  • le code civil ;
  • le code des assurances ;
  • le code des marchés publics ;
  • le code de justice administrative.
    Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
    Ont été entendus au cours de l'audience publique :
  • le rapport de Mme D,
  • les conclusions de M. Heintz, rapporteur public,
  • et les observations de Me Vincent-Hytier, représentant la CAPI, de Me D, représentant la SMACL, de Me Ch, représentant la société MJS Etanchéité et Me D représentant les sociétés Alto Ingénierie et Khephren Ingénierie.

Considérant ce qui suit :

1. En 2003, le syndicat d'agglomération nouvelle de l'Isle-d'Abeau dont les droits ont été repris par la communauté d'agglomération Porte de l'Isère (CAPI) a entrepris la création d'un théâtre sur la commune de Villefontaine. La maîtrise d'œuvre a été confiée à un groupement dont le mandataire était la société Atelier Architecte Développement, et composé notamment des sociétés Avel acoustique en qualité d'acousticien, Alto Ingénierie en qualité de bureau d'études fluides et Khephren Ingénierie en qualité de bureau d'études structure. La société Chanut s'est vue confier le lot n°2 " fondations et gros-œuvre " et la société Les Asphalteurs Réunis le lot n°6 " étanchéité de la toiture terrasse ". Les travaux de construction se sont déroulés du 20 février 2003 au 9 février 2005. La réception des travaux a été prononcée le 9 février 2005 avec levée des réserves le 18 octobre 2005 pour le lot n°6. Par ailleurs, le maître d'ouvrage a contracté une assurance dommage ouvrage le 31 janvier 2005 avec la SMACL. Après la réception de l'ouvrage, diverses infiltrations d'eau sont apparues dans les toits-terrasses. La CAPI a sollicité du juge des référés de ce tribunal l'organisation d'une expertise judiciaire. M. A a été désigné par ordonnance du 26 avril 2012, puis remplacé par M. B par une ordonnance du 10 février 2014. Le rapport d'expertise définitif a été déposé le 28 décembre 2015. Par une requête enregistrée le 1er juillet 2020, la CAPI demande au tribunal de condamner solidairement la SMACL et la société MJS Etanchéité à lui verser la somme de 444 073,28 euros en réparation de ses préjudices.

Sur la responsabilité décennale des constructeurs :

2. Il résulte des principes qui régissent la responsabilité décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables. Toutefois, La garantie décennale ne s'applique pas à des désordres qui étaient apparents lors de la réception de l'ouvrage.

3. Après la réception des travaux de construction du théâtre Le Vellein en février 2005 et la levée des réserves en octobre 2005, diverses infiltrations d'eau sont apparues. Il résulte de l'instruction et notamment des différents rapports d'expertises, que les toits terrasse du théâtre présentaient de nombreuses malfaçons à l'origine des infiltrations. La société MJS Etanchéité soutient que les désordres constatés n'étaient pas de nature à rendre le théâtre impropre à sa destination et ne relevaient donc pas de la responsabilité décennale des constructeurs. Toutefois, il résulte de l'instruction que les infiltrations ont impacté la salle de spectacle en condamnant certains fauteuils et qu'elles sont de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage et rendent impropre l'ouvrage à sa destination, qui est de recevoir du public dans de bonnes conditions. Par conséquent, la CAPI est fondée à soutenir que les infiltrations sont de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs.

4. La CAPI sollicite la condamnation de la société MJS Etanchéité à l'indemniser des préjudices liés aux infiltrations des terrasses. Toutefois, il résulte de l'instruction que la société MJS Etanchéité n'est intervenue qu'à quatre reprises après la réception des travaux, dans le cadre des sinistres déclarés auprès de l'assureur dommage ouvrage, pour la recherche des fuites et la reprise d'étanchéité sur des surfaces très limitées. Plus précisément, elle est intervenue en février, mars et octobre 2011, ainsi que février 2012 pour un montant total facturé de 4 841,80 euros, alors que le prix du lot n°6 " étanchéité de la toiture terrasse " était de 178 761 euros.

5. Etant intervenue après la réception des travaux, hors du marché public de construction du théâtre passé en 2001 et pour de menues réparations, la société MJS Etanchéité ne peut pas être considérée comme un constructeur dans le cadre de la garantie décennale des travaux passés dans le cadre de ce marché. Les conclusions indemnitaires formées à son encontre par la CAPI sur ce fondement sont donc mal fondées et doivent être rejetées.

6. Dans la présente instance, bien que la CAPI ne sollicite que la condamnation de la société MJS Etanchéité à l'indemniser de ses préjudices, elle demande également au tribunal de déterminer la part imputable à chacun des co-responsables, notamment au regard d'éventuelles actions à l'encontre des assureurs des entreprises radiées. Toutefois, la CAPI ne présentant que des conclusions à l'encontre de la société MJS Etanchéité et de la SMACL, la procédure n'est pas contradictoire à l'encontre de tous les constructeurs et la demande de déterminer la part imputable à chacun des co-responsables, non parties à l'instance, est irrecevable.

Sur la responsabilité de la SMACL :

7. Aux termes de l'article L. 114-1 du code des assurances, alors en vigueur : " Toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance. "

8. Aux termes de l'article R. 112-1 du même code, alors en vigueur : " Les polices d'assurance doivent indiquer : les dispositions des titres 1er et II du livre 1er de la partie législative du présent code concernant [] la prescription des actions dérivant du contrat d'assurance. " Aux termes de l'article L. 114-2 du même code, alors en vigueur : " La prescription est interrompue par une des causes ordinaires d'interruption de la prescription "

9. Aux termes de l'article 18.1 du contrat d'assurance conclu le 31 janvier 2005 entre la SMACL et la CAPI : " Toute action dérivant du présent contrat est prescrite pour deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance, dans les conditions déterminées par les articles L. 114-1 et L. 114-2 du Code. " Aux termes de l'article 18.2 du même contrat : " La prescription peut être interrompue par une des causes ordinaires d'interruption, ainsi que dans les cas ci-après : désignation d'expert à la suite d'un sinistre, envoie d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception. "

10. La SMACL soutient que l'action de la CAPI sur le fondement du contrat d'assurance dommage ouvrage est prescrite. La CAPI soutient d'une part que le délai de prescription biennale ne lui est pas opposable et d'autre part que la prescription a été interrompue par les deux mesures d'expertise ordonnées par le tribunal.

11. Il résulte de l'instruction que les travaux ont été réceptionnés en 2005. A partir de 2008, la CAPI a déclaré à la SMACL dans le cadre de contrat d'assurance dommages ouvrage plusieurs sinistres. Par une requête enregistrée le 18 septembre 2012, la CAPI a demandé une expertise portant sur les phénomènes d'infiltration et de stagnation d'eau affectant les toitures du théâtre. Le rapport définitif a été rendu le 28 décembre 2015. Dans le cadre des travaux de réparation des toitures, par une requête enregistrée le 14 décembre 2016, la CAPI a demandé une nouvelle expertise sur l'état de la dalle des toitures après enlèvement de l'étanchéité et l'état de fixation des poteaux métallique soutenant la coursive technique. Le rapport définitif a été rendu le 1er mars 2017.

12. D'une part, si la CAPI soutient que le délai de l'article L. 114-1 du code des assurances ne lui est pas opposable à défaut pour le contrat d'assurance d'avoir listé toutes les causes ordinaires d'interruption, il ne résulte pas des dispositions des articles L. 114-2 et R. 112-1 du code des assurances, que toutes les causes ordinaires d'interruption de prescription telles que prévues par le code civil doivent être intégralement et littéralement indiquées dans le contrat d'assurance. Par conséquent, les articles 18.1 et 18.2 du contrat d'assurance ne méconnaissent pas les dispositions de l'article R. 112-1 du code des assurances et la CAPI n'est pas fondée à soutenir que le délai de prescription biennale ne lui pas opposable.

13. D'autre part, il résulte de l'instruction que l'étendue du sinistre lié aux infiltrations était connue au 28 décembre 2015 à la remise du rapport d'expertise sur ce point, le deuxième rapport du 1er mars 2017 n'ayant pas eu pour objet de constater de nouveaux sinistres liés aux infiltrations.  Par conséquent, la SMACL est fondée à soutenir que l'action indemnitaire introduite le 1er juillet 2020 par la CAPI en réparation des infiltrations est tardive.

14. Il résulte de ce qui précède que les conclusions indemnitaires présentées par la CAPI doivent être rejetées.

Sur les dépens et les frais liés au litige :

15. Selon l'article R. 761-1 du code de justice administrative, les dépens sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. En l'espèce, les dépens de l'instance constitués des frais d'expertise d'un montant de 16 862,93 euros mis à la charge de la CAPI par deux ordonnances du président de ce tribunal du 13 janvier 2016 et du 1er juin 2017 resteront à la charge de la CAPI.

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SMACL et de la société MJS Etanchéité, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que la CAPI demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche il y a lieu de mettre à la charge de la CAPI la somme de 1 500 euros pour chacune des sociétés au titre des frais de même nature exposés par les sociétés Chanut, MJS Etanchéité, SMACL, Alto Ingénierie et Khephren Ingénierie.

D E C I D E :

Article 1 : La requête de la CAPI est rejetée.
Article 2 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 16 862,93 euros restent à la charge de la CAPI.
Article 3 : La CAPI versera à chacune des sociétés Chanut, MJS Etanchéité, SMACL, Alto Ingénierie et Khephren Ingénierie une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la communauté d'agglomération Porte de l'Isère, à la société Alto ingénierie, à la société Khephren ingénierie, à la société Socotec, à la société Chanut, à la SMACL, à la société MJS Etanchéité et à la société Avel acoustique.
Il sera adressé pour information à M. B, expert.
Délibéré après l'audience du 7 juillet 2022, à laquelle siégeaient :
M. Wyss, président,
M. C et Mme D, premiers conseillers.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 août 2022.
.
La rapporteure,
AS. D
Le président,
J-P. WYSS Le greffier,
G. MORAND
La République mande et ordonne au préfet de l'Isère en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun entre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.

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