TA de Toulouse, 27/07/2022, n°2203887

Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 8 juillet 2022 et le 25 juillet 2022, la SAS Majorcom, représentée par Me Michelin, demande au juge des référés sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :
1°) d'annuler l'ensemble des décisions se rapportant à la procédure de passation du marché négocié visant à de la conclusion d'un accord-cadre de fournitures courantes et de services ayant pour objet la fourniture et le déploiement d'un nouveau système de sonorisation du métro ;
2°) d'ordonner à l'établissement public Tisséo Voyageurs (Tisséo) de se conformer à ses obligations en matière de publicité et de mise en concurrence ;
3°) d'enjoindre à Tisséo s'il entend conclure le contrat, de reprendre la procédure de passation au stade l'avis de publicité et de poursuivre une mise en concurrence conforme aux dispositions légales et réglementaires en vigueur ;
4°) de mettre à la charge de Tisséo la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
-Tisséo a, de manière irrégulière, inversé la pondération des critères " technique " et " prix " avant et après la phase de négociation et a ainsi manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en faisant évoluer son appréciation de l'offre économiquement la plus avantageuse ;
-elle a été empêché de présenter sa meilleure offre ;
-il n'est pas établi que Tisséo a réclamé la production, par la société attributaire du marché en cause, de l'intégralité des pièces exigées par les articles R. 2143-6 à R. 2143-10 du code de la commande publique, et particulièrement de celles mentionnées à l'article 7.3 du règlement de la consultation de ce marché.
Par un mémoire en défense et un mémoire distinct, lequel n'a pas été communiqué, enregistrés respectivement le 21 juillet 2022 et le 25 juillet 2022, l'établissement public industriel et commercial Tisséo Voyageurs, représentée par Me Hourcabie, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de la SAS Majorcom la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens de la requête sont inopérants et en tout état de cause non fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :

  • le code de la commande publique,
  • le code de justice administrative.
    La présidente du tribunal a désigné M. Coutier, premier conseiller, pour statuer sur les demandes de référé.
    Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
    Ont été entendus au cours de l'audience publique du 25 juillet 2022 à 14 h 00, en présence de Mme Guérin, greffière d'audience :
    -le rapport de M. A,
    -les observations de Me Michelin, représentant la SAS Majorcom, qui a repris en substance ses écritures ;
    -et les observations de Me Hourcabie, représentant Tisséo Voyageurs, qui a également repris ses écritures.
    La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
    Deux notes en délibéré présentées pour la SAS Majorcom ont été enregistrées le 26 juillet 2022. Une note en délibéré présentées pour Tisséo Voyageurs a été enregistrée le même jour.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " I. - Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. ". L'article L. 551-10 prévoit que : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat ou à entrer au capital de la société d'économie mixte à opération unique et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué, () ".

2. Il appartient au juge des référés, saisi en vertu des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de manière suffisamment vraisemblable de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.

3. L'établissement public industriel et commercial Tisséo Voyageurs (Tisséo) a fait paraître en date du 21 décembre 2021 un avis d'appel public à la concurrence en vue de la conclusion d'un accord-cadre ayant pour objet la fourniture et le déploiement d'un nouveau système de sonorisation des 38 stations du métro toulousain. Le règlement de consultation prévoyait un déroulement de la consultation en deux phases, la première destinée à sélectionner ceux des candidats pouvant être admis à présenter une offre, la seconde consacrée au choix, après négociation, du ou des attributaires du marché. Ce même règlement de consultation prévoyait, en son article 7.2, une pondération différenciée pour les deux phases des trois critères retenus pour l'appréciation des offres. Pour la phase antérieure à la négociation, les critères " prix ", " valeur technique " et " délai d'exécution " étaient ainsi respectivement pondérés à 40%, 55% et 5%, alors que pour la phase de négociation proprement dite, ces mêmes critères étaient respectivement pondérés à 55%, 41% et 4%. A l'issue de la première phase, la SAS Majorcom a été admise, avec deux autres soumissionnaires, à présenter une offre. Après achèvement de la phase de négociation, Tisséo a, par un courrier en date du 1er juillet 2022, informé cette dernière du rejet de son offre et de l'attribution du marché au groupement composé des sociétés Semeru et Archéan.

4. Pour justifier sa demande d'annulation des décisions se rapportant à la procédure de passation du marché négocié en cause, la SAS Majorcom avance que Tisséo ne pouvait modifier en cours de procédure la pondération affectée aux critères d'appréciation des offres, inversant comme il l'a fait la pondération des critères " prix " et " valeur technique " avant et après la négociation alors que le besoin n'a aucunement évolué, cette modification ayant pour effet de dévoyer la notion d'offre économiquement la plus avantageuse et de pervertir la construction, par les soumissionnaires, de leur offre.

5. Il est constant, toutefois, que cette pondération différenciée était expressément mentionnée dans le règlement de consultation afférent au marché objet du litige, règlement dont la SAS Majorcom a pu prendre connaissance avant de déposer sa candidature. Les modalités de mise en œuvre de ce procédé étaient donc fixées antérieurement au dépôt des candidatures et l'ensemble des soumissionnaires disposaient ainsi des mêmes informations pour structurer leurs offres respectives compte tenu de cette particularité procédurale. Au demeurant, Tisséo avait déjà retenu ce procédé dans le règlement de consultation de la procédure par lui antérieurement initiée aux mêmes fins en janvier 2021, procédure à laquelle la SAS Majorcom s'était portée candidate et qui a finalement été déclarée sans suite.

6. Tisséo affirme, sans être démenti, qu'aucune contestation ni aucune question susceptibles de faire naître un doute quant à la légalité de la procédure de passation telle qu'elle a été définie dans le règlement de consultation de cette procédure ne lui ont jamais été signifiées. L'article 8.3 du règlement de la consultation de la procédure en cause précisait d'ailleurs que " les candidats qui estimeraient que les documents de la consultation comportent des prescriptions ou des carences qui seraient susceptibles de les léser, fût-ce de façon indirecte, sont tenus d'en informer sans délai Tisséo ". Pour sa part, la SAS Majorcom n'allègue pas même que ce procédé de pondération différenciée des critères serait obscur ou difficilement compréhensible.

7. Si la possibilité de fixer une pondération des critères différenciée avant et après la négociation n'est pas explicitement prévue par le code de la commande publique, elle n'est pour autant pas prohibée par ce même code, ni par aucun principe ou autre disposition législative ou réglementaire. Le seul fait qu'à l'article R. 2152-12 du code de la commande publique, qui dispose que pour les marchés passés selon une procédure formalisée, les critères d'attribution font l'objet d'une pondération, ce mot " pondération " figure au nombre grammatical du singulier, ne permet pas d'en inférer que ne serait autorisée, tout au long d'une procédure de mise en concurrence, la mise en œuvre que d'une unique pondération. De même, la circonstance selon laquelle seul l'article R. 3124-5 du même code, qui concerne spécifiquement les procédures de passation des contrats de concession, prévoit la possibilité de modifier l'ordre des critères, au surplus à titre exceptionnel, ne saurait exclure, par principe, la faculté pour un acheteur de recourir à un tel procédé dans le cadre d'une procédure de passation d'un marché public ordinaire, ce alors même que l'encadrement réglementaire des procédures applicables en matière de contrats de concession est réputé être plus souple.

8. Il n'apparaît pas que le procédé critiqué, qui est expressément et exclusivement ciblé sur deux phases distinctes et successives de la procédure de passation et qui ne peut être regardé comme une évolution intempestive en cours de procédure, serait, de manière théorique, incompatible avec les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Au cas particulier, il ne résulte pas de l'instruction que la mise en œuvre par Tisséo dudit procédé aurait affecté ces principes et aurait en conséquence méconnu les exigences posées à l'article L. 3 du code de la commande publique. En particulier, la fourchette dans laquelle s'est inscrite l'inversion de la pondération des critères " prix " et " valeur technique " entre les deux phases de la consultation en litige apparaît raisonnablement étroite et ne semble donc pas avoir été de nature à avantager l'un ou l'autre des soumissionnaires, lesquels disposait d'une entière liberté pour proposer, au tout début de la procédure, l'offre commerciale la plus adaptée au mode opératoire prévu et clairement exposé par Tisséo pour retenir, au terme de cette consultation, l'offre économiquement la plus avantageuse susceptible de répondre à ses besoins.

9. Enfin, la SAS Majorcom ne précise aucunement en quoi le mode opératoire retenu par Tisséo pour cette consultation a pu la léser par rapport à ses deux concurrents. Pour sa part, Tisséo affirme avoir réalisé l'exercice théorique consistant à appliquer aux offres remises par les soumissionnaires à l'issue des négociations les critères de choix affectés des pondérations qui étaient prévues au stade de la sélection des candidats pouvant être admis à négocier, exercice dont il résulte que l'offre du groupement dont était membre la société Majorcom se place de manière identique en deuxième position, derrière celle du groupement attributaire.

10. Dans ces conditions, à supposer même qu'elle puisse valablement se prévaloir d'une lésion qui résulterait de la mise en œuvre par Tisséo, dans le cadre de la procédure en litige, d'une pondération des critères différenciée avant et après la négociation, et alors qu'est inopérant le moyen tiré de la prétendue méconnaissance des dispositions de l'article 7.3 du règlement de la consultation du marché en question dès lors que, en tout état de cause, un tel manquement ne pourrait aucunement la léser, la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'ensemble des décisions se rapportant à la procédure de passation de ce marché.

11. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter tant les conclusions à fin d'annulation présentées par la SAS Majorcom que celles aux fins d'injonction.

Sur les frais liés au litige :

12. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Tisséo voyageurs, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SAS Majorcom demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la SAS Majorcom une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Tisséo voyageurs et non compris dans les dépens.

O R D O N N E :


Article 1er : La requête de la SAS Majorcom est rejetée.
Article 2 : La SAS Majorcom versera à Tisséo voyageurs une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la SAS Majorcom, à Tisséo Voyageurs, au groupement composé des sociétés Archéan technologies et Semeru.
Fait à Toulouse, le 27 juillet 2022.
Le juge des référés,
B. A

La greffière,
S. GUERIN
La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Ou par délégation la greffière.

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