Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 30 mars 2023, le 8 août 2023, le 5 octobre 2023, le 6 octobre 2023 et le 10 novembre 2023, la commune du Plessis-Robinson (Hauts-de-Seine), représentée par Me David, demande à la juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 541-1 du code de justice administrative, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de prolonger l'instruction du dossier jusqu'au 6 décembre 2023 en vue d'une bonne administration de la justice ;
2°) de condamner la société par actions simplifiée (SAS) SPIE Building Solutions, anciennement SPIE Industrie Tertiaire, venant aux droits et obligations de la société SPIE Ile-de-France Nord-Ouest, à lui verser une provision de 12 549 464,58 euros toutes taxes comprises (TTC) au titre du solde du lot n° 4 et 4 bis " chauffage, ventilation, climatisation, traitement de l'air et gestion technique du bâtiment " du marché public de travaux portant sur la construction d'un pôle culturel et d'une médiathèque, à assortir des intérêts moratoires ;
3°) de mettre à la charge de la SAS SPIE Building Solutions la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable, dès lors que le titre de recette n° 2023-47-225 émis en cours d'instance a été annulé ;
- elle dispose sur la SAS SPIE Building Solutions d'une créance non sérieusement contestable dans son principe, correspondant au solde du décompte général du marché, devenu définitif le 20 septembre 2022 en application des stipulations des articles 13.4.4 et 13.4.5 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux dans sa version issue de l'arrêté du 8 septembre 2009, qui ne lui a pas été réglé ;
- contrairement à ce que soutient la SAS SPIE Building Solutions, ce document a été correctement notifié 4 avenue Jean Jaurès à Feyzin (Rhône) au siège de la nouvelle entité ayant absorbé la société SPIE Ile-de-France Nord-Ouest, la société SPIE Industrie et Tertiaire, par un pli recommandé qui lui a été distribué le 3 août 2022, conformément aux préconisations du courrier qui lui a été adressé le 1er juin 2018, auquel était joint un projet d'avenant de transfert mentionnant également que l'adresse du nouveau titulaire du marché était à Feyzin ;
- cette créance n'est pas davantage contestable dans son montant en vertu du principe d'intangibilité du décompte général et définitif ;
- en tout état de cause, il n'appartient pas au juge des référés de fixer le solde d'un décompte qui ne serait pas devenu définitif ;
- en toute hypothèse, contrairement à ce que soutient la SAS SPIE Building Solutions, son décompte général n'est entaché ni d'irrégularités, ni d'erreurs matérielles ; notamment, elle est maître d'ouvrage unique dans le cadre de l'exécution des différents lots du marché, de sorte que sa créance n'a pas à être partagée avec son co-maître d'ouvrage ; le solde du marché a été correctement fixé à 12 549 464,58 euros TTC ; la SAS SPIE Building Solutions n'est pas fondée à contester les pénalités qui lui ont été infligées ni à solliciter des rémunérations complémentaires ou l'indemnisation d'éventuels préjudices.
Par des mémoires en défense, enregistrés 15 juin 2023, le 4 septembre 2023, le 24 octobre 2023 et le 11 janvier 2024, la SAS SPIE Building Solutions, représentée par Me Simonnet, conclut, dans le dernier état de ses écritures :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à la mise à la charge de la commune du Plessis-Robinson de la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- à titre principal, la requête de la commune du Plessis-Robinson est irrecevable, dès lors qu'en cours d'instance, elle a émis un titre de recettes n° 2023-47-925 du montant de 12 557 441,61 euros correspondant à la provision sollicitée ; l'annulation ultérieure de ce titre, qui s'apparente à un retrait au sens du 2° de l'article L. 240-1 du code des relations entre le public et l'administration, est à cet égard sans incidence, dès lors qu'elle n'a pas acquis un caractère définitif ;
- à titre subsidiaire, la commune du Plessis-Robinson ne dispose d'aucune créance non sérieusement contestable dans son principe, faute de lui avoir notifié son décompte général signé à l'adresse exigée par les documents contractuels applicables, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) ; en tout état de cause, la commune n'est pas en mesure de justifier qu'elle a adressé ce document au siège social de la société SPIE Industrie et Tertiaire, qui a absorbé la société SPIE Ile-de-France Nord-Ouest, 4 avenue Jean Jaurès à Feyzin (Rhône), où trois autres sociétés dont la dénomination commence par SPIE étaient domiciliées ; dans le doute, la commune du Plessis-Robinson aurait dû être vigilante et notifier son décompte général aux deux adresses, comme elle l'a fait ultérieurement pour le titre de recettes ; le décompte général proposé par la commune du Plessis-Robinson n'a donc pas acquis de caractère définitif qui lui soit opposable ;
- la créance dont se prévaut la commune du Plessis-Robinson est également sérieusement contestable dans son montant, dès lors, d'une part, qu'elle est partagée avec l'établissement public territorial n° 2 Vallée Sud Grand Paris, co-maître de l'ouvrage, et, d'autre part, que le décompte général dont elle se prévaut, qui fait à plusieurs reprises apparaître un solde de 8 850 113,77 euros hors taxes (HT) après compensation, est entaché d'erreurs tenant :
. à l'application irrégulière d'une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 20 % sur le solde réclamé au titre du décompte général et de l'omission d'appliquer cette même taxe au montant des prestations exécutées au titre du marché ;
. à l'infliction de pénalités mal calculées et présentant un caractère excessif ;
. au refus de la commune du Plessis-Robinson d'indemniser ses préjudices nés de l'allongement du délai d'exécution du marché et de rémunérer les travaux supplémentaires qu'elle a été tenue de réaliser pour exécuter le marché dans les règles de l'art ;
. à la mise à sa charge des frais liés au compte prorata ;
. à la mise à sa charge de frais de nettoyage et de calfeutrement imputés en doublon ;
. à la mise à sa charge de frais liés à la valorisation des réserves ;
- le montant figurant sur le titre de recettes et les avis de somme à payer mentionne des montants différents de celui de la provision réclamée, ce qui atteste également de son caractère sérieusement contestable.
Par ordonnance du 18 janvier 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 2 février 2024 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné Mme Oriol, vice-présidente, en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. En 2013, la commune du Plessis-Robinson (Hauts-de-Seine) et la communauté d'agglomération des Hauts-de-Bièvres, devenue depuis l'établissement public territorial n° 2 Vallée Sud Grand Paris, ont lancé en qualité de co-maîtres d'ouvrage un appel d'offres ouvert pour l'attribution d'un marché de travaux portant sur la construction d'un pôle culturel et d'une médiathèque. Par acte d'engagement du 5 septembre 2013, le lot n° 4 et 4 bis " chauffage, ventilation, climatisation, traitement de l'air et gestion technique du bâtiment " a été attribué à la société par actions simplifiée (SAS) SPIE Ile-de-France Nord-Ouest, absorbée avec effet au 30 juin 2018 par la société SPIE Industrie et Tertiaire, pour un montant global et forfaitaire de 3 303 000 euros hors taxes (HT). Par la présente requête, la commune du Plessis-Robinson, se prévalant d'un décompte général et définitif, demande à la juge des référés, en application de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la SAS SPIE Building Solutions, anciennement SPIE Industrie Tertiaire, venant aux droits et obligations de la société SPIE Ile-de-France Nord-Ouest, à lui verser une provision de 12 549 464,58 euros toutes taxes comprises (TTC) au titre du solde du marché, à assortir des intérêts moratoires.
Sur la demande de provision de la commune du Plessis-Robinson :
2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ".
3. Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état.
4. D'une part, aux termes de l'article 13.3.1 du cahier des clauses administratives générales approuvé par l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG-Travaux), applicable au marché en litige : " Après l'achèvement des travaux, un projet de décompte final est établi concurremment avec le projet de décompte mensuel afférent au dernier mois d'exécution des prestations ou à la place de ce dernier. / () ". Selon l'article 13.4.1 du même cahier : " Le maître d'œuvre établit le projet de décompte général qui comprend : / - le décompte final ; / - l'état du solde, établi à partir du décompte final et du dernier décompte mensuel, dans les mêmes conditions que celles qui sont définies à l'article 13. 2. 1 pour les acomptes mensuels ; / - la récapitulation des acomptes mensuels et du solde. ". L'article 13.4.2 du même cahier stipule que : " Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. / () ". Aux termes de l'article 13.4.4 du même cahier : " Dans un délai de quarante-cinq jours compté à partir de la notification du décompte général, le titulaire renvoie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, le décompte général revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou fait connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer. ". Selon l'article 13.4.5 du même cahier : " Dans le cas où le titulaire n'a pas renvoyé le décompte général signé au représentant du pouvoir adjudicateur, dans le délai de quarante-cinq jours fixé à l'article 13. 4. 4, ou encore, dans le cas où, l'ayant renvoyé dans ce délai, il n'a pas motivé son refus ou n'a pas exposé en détail les motifs de ses réserves, en précisant le montant de ses réclamations comme indiqué à l'article 50. 1. 1, ce décompte général est réputé être accepté par lui ; il devient alors le décompte général et définitif du marché. ". Enfin, aux termes de l'article 50.1.1 du même cahier : " Si un différend survient entre le titulaire et le maître d'œuvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service, ou sous toute autre forme, entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. / Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants. Il transmet son mémoire au représentant du pouvoir adjudicateur et en adresse copie au maître d'œuvre. / Si la réclamation porte sur le décompte général du marché, ce mémoire est transmis dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du décompte général. / Le mémoire reprend, sous peine de forclusion, les réclamations formulées antérieurement et qui n'ont pas fait l'objet d'un règlement définitif. ".
5. Il résulte de ces stipulations que l'entrepreneur dispose d'un délai de quarante-cinq jours à compter de la date à laquelle il a reçu notification du décompte général pour faire parvenir au représentant du pouvoir adjudicateur un mémoire de réclamation. Si, avant l'expiration de ce délai, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas reçu le mémoire contestant le décompte général, celui-ci devient définitif et ne peut plus être contesté.
6. D'autre part, aux termes de l'article 41.3 du CCAG-Travaux : " Au vu du procès-verbal des opérations préalables à la réception et des propositions du maître d'œuvre, le maître de l'ouvrage décide si la réception est ou non prononcée ou si elle est prononcée avec réserves. S'il prononce la réception, il fixe la date qu'il retient pour l'achèvement des travaux. La décision ainsi prise est notifiée au titulaire dans les trente jours suivant la date du procès-verbal. / La réception prend effet à la date fixée pour l'achèvement des travaux. / Sauf le cas prévu à l'article 41. 1. 3, à défaut de décision du maître de l'ouvrage notifiée dans le délai précisé ci-dessus, les propositions du maître d'œuvre s'imposent au maître de l'ouvrage et au titulaire. ".
7. Il résulte de l'instruction que le maître d'œuvre du marché a proposé de réceptionner les travaux le 10 juin 2016, avec réserves, ce qu'a tacitement accepté la commune du Plessis-Robinson. Le 10 septembre 2016, la société SPIE Ile-de-France Nord-Ouest a donc adressé à la commune son projet de décompte final, conformément aux stipulations précitées de l'article 13.3.1 du CCAG-Travaux. Au vu des retards pris dans l'exécution du marché, qui ont nécessité la conclusion de plusieurs avenants, la commune du Plessis-Robinson a levé les réserves tardivement et notifié le décompte général du marché à la société SPIE Industrie et Tertiaire, venant aux droits et obligations de la société SPIE Ile-de-France Nord-Ouest après la fusion absorption intervenue avec effet au 30 juin 2018, à son adresse sise 4, avenue Jean Jaurès à Feyzin (Rhône), par courrier du 27 juillet 2022. Estimant que ce décompte avait été notifié par voie postale le 3 août 2022 et que la société SPIE Industrie et Tertiaire ne l'avait pas contesté dans le délai de 45 jours imparti par les stipulations précitées des articles 13.4.4 et 13.4.5 du CCAG-Travaux, qui expirait le 20 septembre 2022, la commune du Plessis-Robinson en a déduit qu'un décompte général et définitif était né à cette date et qu'elle dispose subséquemment sur la SAS SPIE Building Solutions d'une créance non sérieusement contestable correspondant au solde de 12 549 464,58 euros toutes taxes comprises (TTC) mentionné dans ce décompte. Il résulte toutefois de l'instruction que si, par courrier du 1er juin 2018, la société SPIE Industrie et Tertiaire a effectivement informé la commune du Plessis-Robinson qu'à compter de cette date il convenait de ne plus utiliser les mentions propres à SPIE Ile-de-France Nord-Ouest et d'intégrer à la place les informations de SPIE Industrie et Tertiaire, notamment l'adresse de son siège social à Feyzin, elle lui a également demandé de lui retourner le projet d'avenant de transfert du marché par courriel ou par voie postale à l'adresse sise 1/3 place de la Berline à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), en lui précisant par ailleurs que la fusion était sans incidence sur ses interlocuteurs habituels, appelés à rester les mêmes à l'avenir, et sur le compte bancaire utilisé jusqu'à présent. Au vu des mentions de ce courrier, qui pouvaient faire naître une ambiguïté sur l'adresse à laquelle il fallait dorénavant adresser les pièces du marché, la commune du Plessis-Robinson aurait pu, par mesure de vigilance, adresser son décompte général et définitif aux deux adresses indiquées dans le courrier du 1er juin 2018, comme elle l'a fait ultérieurement pour le titre de recettes qu'elle a émis à fin d'obtenir la provision sollicitée, avant de l'annuler. Au surplus, en supposant même qu'elle ait eu raison de l'adresser au siège de la société SPIE Industrie et Tertiaire à Feyzin, il résulte de l'instruction que la commune du Plessis-Robinson n'est pas en mesure de produire l'accusé de réception du pli contenant ce décompte. S'il est certes remédié à cette lacune par une attestation postale faisant état de ce que le pli en cause a été notifié à la société SPIE le 3 août 2022, la SAS SPIE Building Solutions fait remarquer à juste titre que trois autres sociétés appartenant au groupe SPIE étaient domiciliées à la même adresse, SPIE Citynetworks, SPIE Thepault et SPIE Support Services, de sorte qu'il n'est pas certain que la notification du pli en litige ait été faite entre les mains d'un représentant habilité de la société SPIE Industrie et Tertiaire. Par suite, la commune du Plessis-Robinson ne peut se prévaloir de l'intervention d'un décompte général et définitif qui serait opposable à la SAS SPIE Building Solutions, ni, par voie de conséquence, d'une créance non sérieusement contestable.
8. Sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir soulevée en défense, il y a donc lieu de rejeter la demande de provision de la commune du Plessis-Robinson, y compris en ce qu'elle tend à l'octroi d'intérêts moratoires, sans qu'il soit en tout état de cause besoin de faire droit à sa demande de prolongation d'instruction.
Sur les frais liés à l'instance :
9. La SAS SPIE Building Solutions n'étant pas la partie perdante à l'instance, les conclusions de la commune du Plessis-Robinson présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il y a également lieu de rejeter les conclusions de la SAS SPIE Building Solutions présentées sur le même fondement.
Par ces motifs, le tribunal ordonne :
Article 1er : La requête de la commune du Plessis-Robinson est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la SAS SPIE Building Solutions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune du Plessis-Robinson et à la SAS SPIE Building Solutions.
Fait à Cergy, le 15 février 2024.
La juge des référés,
signé
C. Oriol
La République mande et ordonne au préfet des Hauts-de-Seine en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.