Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 30 juillet 2021, la société SecurAccès, représentée par Me Cottet-Emard, demande au tribunal :
1°) de condamner la commune de Bourgoin-Jallieu à l'indemniser du préjudice subi du fait de la résiliation abusive de son marché le 11 mars 2021, pour un montant total de 17 628 euros TTC ;
2°) de mettre à la charge de commune de Bourgoin-Jallieu une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- son mémoire en réclamation a été notifié selon les termes prévus par l'article 50.1 du CCAG Travaux et sa requête est recevable ;
- le motif d'intérêt général retenu par la commune pour résilier le marché n'est pas fondé : les difficultés rencontrées étaient prévisibles et relèvent d'une faute du maître d'ouvrage compte tenu du caractère lacunaire du CCTP s'agissant des normes parasismiques et des normes anti-incendie, alors que ces risques étaient connus ;
- la perte de marge nette s'élève à 11 030 euros HT, soit 13 236 euros TTC et les frais engagés à ce jour compte tenu de la résiliation du marché s'élèvent à 6 320 euros TTC, soit, après déduction des 1 928 euros versés par la commune le 30 mars 2021, un total de 17 628 euros TTC.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 novembre 2023, la commune de Bourgoin-Jallieu conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- elle n'a commis aucune faute dans la définition de son besoin : le CCTP détermine dans son article 3 les prestations attendues conformément aux articles L. 2111-1 et L. 2111-2 du code de la commande publique et notamment le respect des normes applicables en matière de sécurité, contre les incendies et prévoit dans son préambule que les candidats signalent tout oubli ou erreur ;
- le titulaire du marché avait une obligation de conseil sur les risques et le respect de la réglementation relève de sa seule responsabilité, tant au stade de l'offre que de la réalisation ;
- le risque sismique fait l'objet d'un zonage et d'une réglementation nationale, qui étaient disponibles et ne pouvaient être ignorés d'un professionnel averti ;
- la réglementation relative au risque incendie ne pouvait être méconnue par la requérante et l'intervention d'un contrôleur technique était prévue par le dossier de consultation ; il n'appartenait pas à la commune d'en faire état dans les pièces du marché du règlement de sécurité applicable aux installation demandées ;
- le surcoût estimé par la requérante excédant les capacités budgétaires allouées au projet, soit 40 000 euros, elle a pu sans commettre de faute résilier le marché pour un motif d'intérêt général ;
- le taux de marge nette retenu pour estimer le préjudice, notamment s'agissant des frais généraux, n'a pas été jugé conforme par l'expert-comptable, n'est pas justifié par des éléments comptables et apparait largement supérieur à celui des autres entreprises candidates lors de la consultation ;
- les autres frais ne sont pas justifiés : les frais d'avocats font déjà l'objet d'une demande sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; les frais de présentation de l'offre font partie des frais nécessairement engagés dans le cadre d'une consultation au titre des frais généraux et ne donnent pas droit à indemnisation spécifique ;
- par suite, l'indemnisation forfaitaire contractuelle de 1 928 euros suffit à couvrir le préjudice subi.
Par ordonnance du 8 février 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 8 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de l'environnement ;
- le décret n° 2010-1254 du 22 octobre 2010 relatif à la prévention du risque sismique ;
- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Callot, rapporteur,
- les conclusions de M. Villard, rapporteur public,
- et les observations de Me Cottet-Emard représentant la société SecurAccès.
Une note en délibéré présentée pour la société SecurAccès a été enregistrée le 6 juin 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Par un acte d'engagement signé le 27 octobre 2020, la commune de Bourgoin-Jallieu (Isère) a attribué à la société SecurAccès un marché public de travaux ayant pour objet l'installation d'élévateurs PMR dans les écoles élémentaires Claude Chary et Pré-Bénit. Par une décision du 11 mars 2021, elle a résilié ce marché sur le fondement de l'article 45 du cahier des clauses administratives particulières applicables aux marchés publics de travaux (CCAG-Travaux) du 8 septembre 2009 au motif suivant : " nécessité d'intégrer des contraintes techniques (sismicité et résistance au feu), non prévues dans le marché initial, qui engendrent des coûts supplémentaires importants. Une remise en concurrence des offres, techniques et financières, s'impose. " Elle a versé le 30 mars 2021 à l'attributaire une indemnité d'un montant de 1 928 euros, correspondant à 5 % du montant du marché sur le fondement de l'article 15.1 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché. A la suite du rejet le 10 juin 2021 de son mémoire en réclamation du 6 mai 2021, la société SecurAccès demande la condamnation de la commune de Bourgoin-Jallieu à l'indemniser du préjudice subi du fait de cette résiliation qu'elle estime fautive, pour un montant total de 17 628 euros TTC.
Sur la responsabilité de la commune de Bourgoin-Jallieu :
2. Aux termes des dispositions de l'article L. 2111-1 du code de la commande publique : " La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale. "
3. Aux termes des dispositions de l'article 45 du CCAG-Travaux du 8 septembre 2009 : " Article 45 : Principes généraux / () Le pouvoir adjudicateur peut également mettre fin, à tout moment, à l'exécution des prestations pour un motif d'intérêt général. Dans ce cas, le titulaire a droit à être indemnisé du préjudice qu'il subit du fait de cette décision, selon les modalités prévues à l'article 46.4. " Aux termes du CCAP du maché en litige : " 15.1 - Conditions de résiliation / Les conditions de résiliation du marché sont définies aux articles 45 à 49 du CCAG-Travaux. / En cas de résiliation du marché pour motif d'intérêt général par le pouvoir adjudicateur, le titulaire percevra à titre d'indemnisation une somme forfaitaire calculée en appliquant au montant initial hors TVA, diminué du montant hors TVA non révisé des prestations admises, un pourcentage égal à 5,0 %. () " Aux termes du préambule du cahier des clauses techniques particulière (CCTP) du marché : " L'entrepreneur devra, avant la remise de son offre, effectuer une visite des lieux (conformément à l'article 6.3 du Règlement de Consultation), afin d'inclure dans son offre toutes les prestations nécessaires à la parfaite exécution des travaux lui incombant. Dans le cas où à travers les documents établis par les concepteurs certaines stipulations particulières sembleraient avoir été omises ou paraîtraient inadaptées ; l'entrepreneur devra le signaler au cours de l'appel d'offre et effectuer une variante chiffrée remise avec sa proposition. "
4. Aux termes des dispositions de l'article D. 536-8-1 du code de l'environnement " Les communes sont réparties entre les cinq zones de sismicité définies à l'article R. 563-4 conformément à la liste ci-après, arrêtée par référence aux délimitations administratives, issues du code officiel géographique de l'Institut national de la statistique et des études économiques, en vigueur à la date du 1er janvier 2008. () / Isère : tout le département zone de sismicité modérée, sauf : () " Il résulte de ces dispositions que la sismicité de la commune de Bourgoin-Jallieu, de niveau " modéré ", relève d'une réglementation nationale.
5. Si la résiliation du marché a été rendue nécessaire à la suite de l'alerte du contrôleur technique sur les risques sismiques, dont l'intégration aurait conduit à une augmentation du coût du marché, conclu pour un montant forfaitaire, de plus de 45 %, l'absence de prise en compte de ce risque dans l'offre de la requérante est due à un défaut d'évaluation précise de ses propres besoins par le pouvoir adjudicateur. Ce dernier en effet ne pouvait ignorer la sismicité de la commune et aurait dû, d'une part mentionner dans le cahier des clauses techniques particulières ou toute autre pièce du marché l'obligation pour les candidats de la prendre en compte et, d'autre part, s'abstenir de retenir une offre ne prévoyant pas les mesures permettant de s'en prémunir. La commune a ainsi commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
6. Toutefois, en sa qualité de professionnel, l'entreprise SecurAccès aurait également dû adapter son offre et prévoir que l'élévateur objet du marché réponde aux préconisations relatives à la protection contre le risque sismique en vigueur dans la commune de Bourgoin-Jallieu, dès lors qu'au surplus, aux termes du préambule du CCTP du marché, il appartenait à l'entreprise de signaler lors de la consultation toute stipulation particulière qui lui semblerait avoir été omise ou paraîtrait inadaptée. Par suite, elle également commis une faute de nature à exonérer de moitié la commune de sa responsabilité.
Sur l'indemnisation du préjudice :
7. Compte tenu de ce qui précède, la société SecurAccès a droit à l'indemnisation de la moitié du manque à gagner résultant pour elle de l'inexécution du marché litigieux, incluant nécessairement, en l'absence de stipulation contraire du contrat, les frais de présentation de l'offre intégrés dans ses charges, mais excluant le remboursement des frais généraux de l'entreprise qui seraient affectés à ce marché, déterminé en fonction du bénéfice net que lui aurait procuré le marché s'il n'avait pas été résilié de manière anticipée.
8. Pour déterminer son manque à gagner, la société SecurAccès produit un tableau détaillant le calcul de sa marge nette dans différents marchés, dont celui en litige et plusieurs marchés similaires, dont les données ont été jugées concordantes avec les comptes annuels de la société par un expert-comptable, qui retient un taux de marge nette de 28,6 %. Pour leur part, les taux de marge nette de 1,17 % et 3 % avancés par la commune de Bourgoin-Jallieu pour les sociétés concurrentes reposent non sur une analyse du marché en litige mais sur le bénéfice global de ces sociétés et ne peuvent dès lors être opposés à la requérante. Dans ces conditions, le manque à gagner subi par la requérante peut être évalué à 11 030 euros pour les deux élévateurs.
9. Si la requérante sollicite également l'indemnisation des frais de réalisation du dossier technique et du travail de ses équipes engagés à l'occasion de ses échanges avec le contrôleur technique à propos des normes sismiques et de la prise en compte de la sécurité-incendie, ces frais sont liés à l'exécution du marché et ne sont pas distincts des frais généraux inhérents à la conduite de toute opération. Ils étaient dès lors nécessairement déjà intégrés aux charges de l'opération.
10. Si la requérante sollicite l'indemnisation des honoraires d'avocat engagés à l'occasion de la procédure de résiliation, ces derniers font déjà l'objet d'une demande sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
11. Il résulte de tout ce qui précède, compte tenu du partage défini au point 6, qu'il y a lieu de condamner la commune de Bourgoin-Jallieu à verser à la société SecurAccès la somme de 5 515 euros, dont il convient de déduire l'indemnité de résiliation de 1 928 euros déjà perçue, soit un total de 3 587 euros.
Sur les frais du litige :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la commune de Bourgoin-Jallieu une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés en cours d'instance et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La commune de Bourgoin-Jallieu est condamnée à verser à la société SecurAccès la somme de 3 587 euros.
Article 2 : La commune de Bourgoin-Jallieu versera à la société SecurAccès la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société SecurAccès et à la commune de Bourgoin-Jallieu.
Délibéré après l'audience du 6 juin 2024, à laquelle siégeaient :
M. Wyss, président,
M. Callot et M. A, premiers conseillers.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juin 2024.
Le rapporteur,
A. Callot
Le président,
J.P. Wyss
La greffière,
J. Bonino
La République mande et ordonne au préfet de l'Isère en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.