Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 29 juin et 26 septembre 2023, la société Boyer, représentée par la Selarl Centaure avocats, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de constater l'invalidité du décompte daté du 21 novembre 2022 et notifié le 19 décembre 2022, ensemble la décision implicite de rejet du mémoire en réclamation contestant ce décompte ;
2°) de réformer le décompte ainsi notifié le 19 décembre 2022 ;
3°) de constater le caractère infondé et irrégulier des pénalités qui lui ont été infligées et l'en décharger ou, à tout le moins, les moduler à hauteur maximale de 1F CFP ;
4°) de fixer le montant du décompte pour le marché de l'achèvement des travaux de réhabilitation des protections en enrochements à la pointe de Matira à la somme totale en prix de base, sauf à parfaire, de 25 695 150 F CFP HT ;
5°) de condamner la Polynésie française à lui verser la somme de 25 695 150 F CFP HT (soit 29 035 520 F CFP TTC) augmentée, à compter du 5 janvier 2023, des intérêts moratoires capitalisés le moment venu ;
6°) de juger que les sommes dues par la Polynésie française porteront intérêts moratoires au taux d'intérêt légal en vigueur, majoré de deux points de pourcentage en application de l'article A. 411-6 du code polynésien des marchés publics avec capitalisation jusqu'au complet paiement ;
7°) de condamner la Polynésie française à lui payer la somme de 600 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- son recours est recevable.
En ce qui concerne la date d'achèvement des travaux :
- contrairement à ce qu'a retenu la Polynésie française les travaux étaient bien achevés au 23 décembre 2020 ; la Polynésie française ne conteste plus la date de réception qu'elle avait retenue ; cette date a pour effet de réduire les pénalités infligées à la Polynésie française à la somme de 8 151 000 F CFP ;
En ce qui concerne l'absence de pénalités :
- la Polynésie française a intégré un montant astronomique de 12 212 371 F CFP de pénalités pour 427 jours de retard ; ainsi qu'il a été dit ce montant a été réduit à 8 110 358 F CFP ;
- le délai d'exécution a été prolongé à plusieurs reprises ; l'ordre de service n°078/19 a fixé la nouvelle fin de délai d'exécution du marché au 30 décembre 2019 ; l'ordre de service n° 337/20 a suspendu le chantier à compter du 20 mars 2020 ; en prononçant cette prolongation et cette suspension, la Polynésie française a nécessairement entendu renoncer à appliquer des pénalités ; de ce chef les pénalités sont infondées ; en accordant une suspension de délai et malgré son OS de reprise du chantier, l'administration doit nécessairement être regardée comme ayant abandonné les pénalités pour l'ensemble de la période allant du 20 mars 2020 à la fin du chantier ;
- la Polynésie française ne justifie pas du bien-fondé des pénalités infligées à la société Boyer ;
- les retards ne sont pas imputables à la société Boyer : ils sont dus aux difficultés d'approvisionnement en enrochements et aux difficultés rencontrées pour obtenir les autorisations d'extraction ; en premier lieu les spécifications du marché ont été fixées sans tenir compte de la disponibilité des enrochements sur Bora Bora alors même que l'article 6 du CCTP précise que les enrochements d'apport proviendront exclusivement d'une carrière de roche massive agréée par le maître d'œuvre ; l'administration ne saurait reprocher et sanctionner le titulaire du marché de ne pas avoir pu répondre à ses exigences si celles-ci se révèlent irréalisables dans les délais du marché ;
- il n'a pas été tenu compte de ce que le code des mines des activités extractives de la Polynésie française n'avait pas été adopté lors de la conclusion du marché ; celui-ci a été notifié à l'exposant en août 2019 alors même que le président de la Polynésie française a soumis le 22 juillet 2019 au comité économique social et environnemental (CESE) un projet de loi du pays instituant un code des mines et des activités extractives en Polynésie française ; ce code a été adopté par la loi du pays n° 2020-5 du 16 janvier 2020 et les textes nécessaires à son application ont été adoptés entre août 2020 et octobre 2020 ; entre la notification du marché et l'adoption complète des textes relatifs aux activités extractives un délai de plus d'une année s'est écoulé ; aucune autorisation d'extraction ne pouvait être instruite par le groupement d'études et de gestion du domaine public ; la société Boyer a lancé le chantier grâce à l'arrêté n° 3438 MET du 25 mars 2019 autorisant l'extraction d'un volume de 500 m³ sur les 1170 m³ prévus au marché et a pu le finir grâce à l'arrêté n° 5712/MGT du 25 mai 2021 sollicité le 12 novembre 2020 ;
- la demande à l'origine de cet arrêté a été formalisée le 3 juillet 2018 et a nécessité neuf mois d'instruction ;
- après l'adoption du code et de ses textes d'application, la seconde demande a été formulée en novembre 2020 ; l'arrêté d'autorisation n'a été adopté que six mois et demi plus tard soit le 25 mai 2021 ;
- la société Boyer a également rencontré au cours de cette période des difficultés en lien avec la pandémie du covid 19 ;
- interrogé, dans le cadre d'une sommation interpellative, le directeur de l'équipement a indiqué qu'entre le 16 janvier 2020 et le 27 octobre 2020, l'administration s'est trouvée dans l'impossibilité de délivrer des autorisations d'extraction en raison de l'adoption tardive des textes d'application du code minier, adopté avec ce même code après la notification du marché ; l'article LP. 4 de la loi du pays adoptant le code minier a abrogé toutes les dispositions reprises ou contraires à la présente " loi du pays ", créant ainsi un vide juridique entre le 16 janvier 2020, date de son entrée en vigueur et le 27 octobre 2020, date d'adoption des textes d'application ; l'article LP. 5 de la loi du pays prévoit expressément que les demandes déposées ou en cours d'instruction sont soumises à la présente loi du pays à compter de son entrée en vigueur dès lors qu'elles n'ont fait l'objet d'aucune prise de position par l'administration, les autres demandes concernent uniquement celles qui n'ont pas fait l'objet de prise de position, celles-ci seront soumises aux dispositions du nouveau code à compter de son entrée en vigueur ;
- l'interprétation donnée est directement contraire à celle qui a été explicitée par le directeur de l'équipement lors de la sommation interpellative précitée ; celui-ci l'a d'ailleurs indiqué lorsqu'il s'est prononcé sur sa demande tendant à obtenir l'autorisation d'extraction de 3000 m³ de tout-venant dans la commune de Teva I Uta ;
- l'application de pénalités de retard est exclue dans la mesure où ces retards ne lui sont pas imputables mais sont liés à des fautes de la maîtrise d'ouvrage ; à supposer que cette situation ne caractérise pas une faute du maître d'ouvrage elle serait à tout le moins susceptible de constituer un cas de force majeure, d'imprévision ou de fait du prince ;
- la seule circonstance que la société Boyer n'ait pas fait état de cette problématique en cours d'exécution ne remet pas en cause la réalité des difficultés rencontrées ; cette affirmation est, au demeurant, inexacte dès lors qu'elle a fait part à la Polynésie des difficultés liées à la crise de la covid 19 et des difficultés d'approvisionnement, notamment dans son courrier du 26 mars 2020 ;
- la Polynésie française indique que la requérante a réalisé et achevé les travaux le 23 décembre 2020 sans déposer la moindre demande d'autorisation d'extraction, et a fortiori en disposer, indépendamment des difficultés qui se seraient posées sur le cadre juridique applicable la société souligne que ce n'est pas elle qui dépose les demandes d'autorisations d'extraction mais classiquement les personnes propriétaires des terrains ou les extracteurs ; l'arrêté précité du 25 mars 2019 accordait une autorisation d'extraction de 500 m³ à son fournisseur ; le délai d'instruction a été de plus de neuf mois pour la seconde demande ; ce délai d'instruction est à rapporter au délai initial d'exécution qui était de quatre mois ;
- si la Polynésie française soutient que l'autorisation accordée concerne l'entreprise Mou Kam Tse et que cette autorisation ne concernait donc pas le chantier de Matira, l'autorisation délivrée visait à libérer une route d'accès ; les matériaux extraits pour libérer cette route devaient être utilisés pour procéder à un enrochement sur le chantier de Matira ;
- la requérante disposait en 2019 d'une autorisation avec l'arrêté n° 3468 du 25 mars 2019 accordant à son fournisseur une autorisation d'extraction de 500 m³ ; le vide juridique, qui a existé entre le 16 janvier 2020 et le 27 octobre 2020, a placé l'administration dans l'impossibilité de délivrer des autorisations d'extraction en raison de l'adoption tardive des textes d'application du code minier, à cela s'est ajouté la crise sanitaire ;
- les retards invoqués sont dus aux modifications des travaux souhaités par la Polynésie ; cette demande a été formulée plus de deux mois après la notification du démarrage du chantier, le 7 août 2019 ;
- le montant des pénalités est manifestement excessif, il y a lieu de le moduler.
En ce qui concerne les intérêts moratoires :
- les sommes dues porteront intérêts moratoires au taux légal majoré de deux points de pourcentage en application de l'article A. 411-6 du code polynésien des marchés publics à compter du 5 janvier 2023 et feront l'objet d'une capitalisation annuelle des intérêts à compter de cette date et jusqu'au complet paiement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 septembre 2023, la Polynésie française conclut, à titre principal, à l'irrecevabilité de la requête, subsidiairement à son rejet, à titre reconventionnel à la fixation du montant des pénalités de retard à la somme de 8 110 358 F CFP (actualisation comprise) et à ce que soit arrêté le montant du décompte général et définitif à la somme de 20 779 984 F CFP TTC, à titre infiniment subsidiaire, à la minoration du montant des pénalités de retard et leur fixation à la somme de 8 110 358 F CFP et à ce que le montant du décompte général et définitif soit arrêté en conséquence.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Par une ordonnance du 6 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 27 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- le code polynésien des marchés publics ;
- la loi du pays n° 2020-5 du 16 janvier 2020 instituant un code des mines et des activités extractives de la Polynésie française ;
- la loi du Pays n° 2020-13 du 21 avril 2020 portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des marchés publics, des délégations de service public et des concessions d'aménagement pendant la crise sanitaire née de l'épidémie du covid 19 ;
- la loi du Pays n° 2020-34 du 8 octobre 2020 relatif aux relations entre l'administration de la Polynésie française et ses usagers ;
- l'arrêté n° 2510 CM du 30 décembre 2010 fixant les règles de variation des prix des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Boumendjel,
- les conclusions de Mme Theulier de Saint-Germain, rapporteure publique,
- les observations de Me Ferré représentant la société Boyer et celles de M. B pour la Polynésie française.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence n° 06/19 du 18 janvier 2019, la Polynésie française a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de l'attribution d'un marché public portant sur les travaux d'achèvement des protections en enrochements de la pointe de Matira, sur l'île de Bora Bora. La société Boyer a été déclarée attributaire et le marché d'un montant initial de 28 151 500 F CFP HT (soit 31 811 195 F CFP TTC) a été conclu le 9 juillet 2019. Le délai d'exécution contractuel a été fixé à quatre mois avec une période préparatoire de deux mois. Un ordre de service n° 710/19 du 31 juillet 2019 a été notifié le 7 août 2019 au titulaire, valant ordre de démarrage des travaux et fixant ainsi la fin du délai d'exécution au 7 décembre 2019. Par avenant n° 190273 du 23 octobre 2019, des travaux supplémentaires, consistant en la réalisation d'un chemin piétonnier en béton, ont été contractualisés, pour un montant de 448 900 F CFP HT soit 507 257 F CFP TTC. Le délai d'exécution du chantier a été prolongé, compte tenu de ces travaux supplémentaires, de trois semaines par ordre de service n° 78/19 du 3 décembre 2019. À la demande de la société Boyer, compte tenu du contexte sanitaire, la Polynésie française a suspendu le délai d'exécution du marché à compter du 20 mars 2020. Le 14 mai 2020, l'entreprise a demandé à la Polynésie française de reprendre les travaux et a transmis à cet effet un nouveau planning prévisionnel fixant la date d'achèvement des travaux au 30 juin 2020. Par ordre de service du 2 juin 2020, la Polynésie française a mis fin à la suspension du délai d'exécution à compter du 2 juin 2020. Par ordre de service du 21 novembre 2022, le décompte général du marché, qui arrêtait le montant du marché à la somme de 16 739 033 F CFP TTC intégrant ainsi des pénalités pour retard dans l'exécution du marché d'un montant de 12 212 371 F CFP, a été transmis à l'entreprise. Par ordre de service n° 1382/22 du 8 décembre 2022 la Polynésie française a prononcé la réception des travaux au 14 mai 2021. Par courrier du 4 janvier 2023, la société Boyer a saisi la Polynésie française d'un mémoire en réclamation. Ce recours ayant été implicitement rejeté le 4 février 2023, la société Boyer demande au tribunal, par la présente requête, notamment, de fixer le décompte général de ce marché à la somme de 25 695 150 F CFP HT.
Sur le règlement financier du marché :
En ce qui concerne la date de réception du chantier :
2. Ainsi qu'il a été dit au point 1, la société requérante a été destinataire d'un ordre de service daté du 31 juillet 2019 valant ordre de démarrage des travaux du marché. Cette notification portait, compte tenu du délai d'exécution contractuel de quatre mois, la fin du délai d'exécution au 7 décembre 2019. Ce délai a été prolongé de trois semaines, compte tenu des travaux supplémentaires prévus par l'avenant n° 190273 du 23 octobre 2019, portant ainsi le terme du marché au 30 décembre 2019. À la demande de la société requérante, la Polynésie française a suspendu le délai d'exécution du marché du 20 mars 2020 au 2 juin 2020 soit pendant 75 jours. Dans un premier temps, la Polynésie française a, par ordre de service n° 1382/22 du 8 décembre 2022, fixé la réception des travaux au 14 mai 2021 puis, avant l'enregistrement de la présente requête, par ordre de service n° 458/23 du 4 mai 2023, décidé de prononcer la réception des travaux à la date du 23 décembre 2020. Alors que le décompte général de ce marché retient un retard de 427 jours, la Polynésie française reconnaît dans ses écritures, que compte tenu de la date de réception des travaux fixée le 4 mai 2023 au 23 décembre 2020, le retard doit être évalué à 285 jours. Ainsi, ce retard résulte du délai de 80 jours qui s'est écoulé, entre le 1er janvier 2020 et le 20 mars 2020 (date de suspension) auquel s'ajoutent les 205 jours qui se sont écoulés entre le 2 juin 2020 et le 23 décembre 2020, soit un total de 285 jours
En ce qui concerne les pénalités :
Quant à la motivation
3. La société Boyer fait valoir que dans le décompte général la Polynésie française a intégré un montant " astronomique " de 12 212 371 F CFP de pénalités sans en justifier le bien-fondé. Toutefois, ces pénalités, qui ont été ramenées à 8 110 358 F CFP, pour un retard de 285 jours, ne procèdent pas d'une décision individuelle autonome, mais constituent seulement un élément indissociable du décompte général du marché, qui n'a pas à être motivé. Le moyen à le supposer soulevé en ce sens par la société requérante ne peut, dès lors, qu'être écarté.
Quant au délai d'exécution
4. Aux termes de l'article 19.2.2 du CCAG Travaux : " Une prolongation du délai de réalisation de l'ensemble des travaux ou d'une ou plusieurs tranches de travaux ou le report du début des travaux peut être justifié par : - un changement du montant des travaux ou une modification de l'importance de certaines natures d'ouvrages ; - une substitution d'ouvrages différents aux ouvrages initialement prévus ; - une rencontre de difficultés imprévues au cours du chantier ; - un ajournement de travaux décidé par l'autorité compétente ; - un retard dans l'exécution d'opérations préliminaires qui sont à la charge du maître de l'ouvrage ou de travaux préalables qui font l'objet d'un autre marché. / L'importance de la prolongation ou du report est proposée par le maître d'œuvre après avis du titulaire, et décidée par l'autorité compétente qui la notifie au titulaire. ". L'article 19.2.3 du même CCAG énonce que " dans le cas d'intempéries entraînant un arrêt de travail sur les chantiers, les délais d'exécution des travaux sont prolongés. Les intempéries sont constatées contradictoirement ou par tout moyen de mesure et de contrôle défini par les documents particuliers du marché. Sont considérées comme intempéries, les conditions atmosphériques et les inondations lorsqu'elles rendent dangereux ou impossible l'accomplissement du travail eu égard soit à la santé ou à la sécurité des salariés, soit à la nature ou à la technique du travail à accomplir. () ".
5. Selon l'article 19.1 du CCAP Travaux applicable stipule que " le délai d'exécution du marché comprend la période de préparation définie à l'article 28.1 - et le délai d'exécution des travaux défini ci-dessous. Un ordre de service de l'autorité compétente précise la date à partir de laquelle démarre la période de préparation et un ordre de service précise la date de la fin de la période de préparation. / Le délai d'exécution des travaux est celui imparti pour la réalisation des travaux incombant au titulaire, y compris le repliement des installations de chantier et la remise en état des terrains et des lieux. Un ordre de service de l'autorité compétente précise la date à partir de laquelle démarre le délai d'exécution des travaux. ". L'article 19.2 de ce CCAP précise que : " en dehors des cas prévus aux articles 19.2.2 et 19.2.3 du CCAG Travaux, la prolongation du délai d'exécution ne peut résulter que d'un avenant. / En vue de l'application éventuelle de l'article 19.2.3 du CCAG Travaux, le délai d'exécution des travaux sera prolongé d'un nombre de jours égal à celui pendant lequel un au moins des phénomènes naturels (vent, pluie ou houle) aura engendré un arrêt de chantier. Cet arrêt de chantier pour intempéries sera consigné dans le compte rendu de chantier et les jours d'intempéries seront notifiés par ordre de service. / Les samedis, dimanches et jours fériés ou chômés compris dans la période d'intempéries sont ajoutés pour le calcul de la prolongation du délai d'exécution. ".
6. Enfin l'article 20.1 du CCAG précité prévoit : " En cas de retard imputable au titulaire dans l'exécution des travaux, qu'il s'agisse de l'ensemble du marché ou d'une tranche pour laquelle un délai d'exécution partielle ou une date limite a été fixée, il est appliqué une pénalité journalière de 1/3000 du montant HT de l'ensemble du marché, de la tranche considérée ou du bon de commande. Ce montant est celui qui résulte des prévisions du marché, c'est-à-dire du marché initial éventuellement modifié ou complété par les avenants intervenus ; il est évalué à partir des prix initiaux du marché hors TVA définie à l'article 13. 1. 1. ". Selon l'article 20.1.1 de ce même document : " Les pénalités sont encourues du simple fait de la constatation du retard par le maître d'œuvre. ".
7. Aux termes de l'article 04.03 du CCAP applicable au marché : " Les pénalités journalières pour retard sur l'exécution des travaux sont fixées à un trois millièmes (1/3000ème) du montant hors taxes du marché éventuellement augmenté des avenants avec, par dérogation au paragraphe 20.1 du CCAG-T, un minimum journalier de 20 000 F CFP. / Ces pénalités sont encourues d'office, sans mise en demeure préalable à la simple constatation du retard par rapport au délai d'exécution du marché tel que défini à l'article 04.01 ci-dessus. / La répartition de ces dépenses étant à l'appréciation du maître d'œuvre. ".
8. En premier lieu, il est toujours loisible aux parties de s'accorder, même sans formaliser cet accord par un avenant, pour déroger aux stipulations du contrat initial, y compris en ce qui concerne les pénalités de retard. En accordant à son cocontractant des reports successifs de délais, une administration peut ainsi être réputée avoir renoncé à lui infliger des pénalités de retard. Contrairement à ce que soutient la société Boyer, il ne peut être déduit ni de la prolongation de trois semaines, qui lui a été accordée pour prendre en compte les travaux supplémentaires demandés, ni de la suspension du délai d'exécution du 20 mars 2020 au 1er juin 2020, que la Polynésie française a entendu renoncer à lui appliquer les pénalités prévues par les stipulations contractuelles applicables au marché et rappelées aux points précédents. De même, la circonstance que la société précédemment attributaire ne se soit pas vue infliger des pénalités, à supposer même qu'elle soit avérée, ne faisait pas obstacle à ce que la Polynésie française décide de faire application des stipulations contractuelles citées aux points 5, 6 et 7 et inflige des pénalités à la société Boyer.
9. En deuxième lieu, si la société requérante soutient que l'allongement du délai d'exécution est lié aux travaux supplémentaires qui lui ont été demandés, il résulte néanmoins de l'instruction que la Polynésie française a prolongé, ainsi qu'il a été dit au point précédent, ce délai de trois semaines pour prendre en compte lesdits travaux, au demeurant contractualisés par avenant n° 180273 du 23 octobre 2009. La société Boyer ne démontre pas plus que la pandémie du covid-19 est à l'origine du retard dans l'exécution des travaux dès lors que, ainsi qu'il a été dit, ce délai d'exécution a été suspendu à sa demande du 20 mars 2020 au 1er juin 2020 et a recommencé à courir, également à sa demande, le 2 juin 2020. Par suite, la société Boyer n'établit pas que la Polynésie française n'a pris en compte ni les travaux supplémentaires demandés ni le contexte sanitaire auquel elle a été confrontée.
10. En troisième lieu, la société Boyer soutient également qu'elle a rencontré des difficultés d'approvisionnement, en particulier s'agissant des enrochements. Toutefois, il résulte de l'instruction que son fournisseur disposait d'une autorisation d'extraction de 500 m³, délivrée le 25 mars 2019, donc avant même qu'elle soit déclarée attributaire du présent marché, et qu'elle a pu également utiliser le stock présent sur le site. En outre, contrairement à ce que soutient la société requérante, aucune stipulation du marché ne lui imposait de s'approvisionner à Bora-Bora. Par suite, alors qu'elle ne produit aucun élément témoignant du fait qu'elle a recherché des solutions d'approvisionnement alternatives, les difficultés alléguées ne peuvent être tenues pour établies.
11. En quatrième lieu, le moyen tiré de ce que l'application de pénalités de retard procède d'une situation caractérisant une force majeure, le fait du prince ou l'imprévision, n'est pas assorti de précisions suffisantes pour permettre au tribunal d'en apprécier le bien-fondé.
12. En cinquième lieu, d'une part, aux termes de l'article LP. 4 de la loi du pays n° 2020-5 du 16 janvier 2020 instituant un code des mines et des activités extractives en Polynésie française : " I- sont abrogées toutes dispositions reprises ou contraires à la présente loi du pays notamment : () ". Selon l'article LP. 5 de cette même loi (disposition transitoire et modalités d'entrée en vigueur) : " I les demandes déposées ou en cours d'instruction sont soumises aux dispositions de la présente loi du pays à compter de son entrée en vigueur si elles n'ont fait l'objet d'aucune prise de position par l'administration. Les autres demandes demeurent régies par la réglementation antérieure qui, par exception à l'article LP. 4, subsiste pour le seul besoin de leur traitement. / (). ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la loi du pays n° 2020-5 du 16 janvier 2020 s'applique aux demandes déposées ou en cours d'instruction lors de son entrée en vigueur dès lors que ces demandes n'ont fait l'objet d'aucune prise de position par l'administration.
13. D'autre part, aux termes de l'article LP. 2221-1 du code des mines et des activités extractives de la Polynésie française : " Il est institué une commission des extractions de matériaux. Sa composition et ses modalités de fonctionnement sont fixées par arrêté pris en conseil des ministres. / La commission se prononce à titre consultatif sur les demandes d'autorisations d'extraction prévues aux sections II et III du présent chapitre, lorsque celles-ci excèdent un volume déterminé par un arrêté pris en conseil des ministres. / La commission des extractions de matériaux fixe chaque année en tant que de besoin la liste des zones où les extractions peuvent être réalisées ainsi que les modalités de ces extractions. " Selon l'article A. 2221-1 de ce code : " La commission des extractions de matériaux est composée comme suit : 1° Le ministre en charge des grands travaux ou son représentant, président ; 2° Le ministre en charge des affaires foncières ou son représentant ; 3° Le ministre en charge de l'environnement ou son représentant ; 4° Le ministre en charge de l'aménagement ou son représentant ; La commission est saisie pour avis lorsque l'autorisation demandée excède un volume de 5000 mètres cubes. Elle se réunit sur convocation de la direction de l'équipement qui en assure le secrétariat ". Selon l'article A. 2221-3 de ce même code : " Lorsqu'elle est saisie pour avis, la commission se prononce dans un délai de trente jours à compter de la date de sa saisine. A défaut de réponse dans ce délai l'avis est réputé favorable. ".
14. Par ailleurs, aux termes de l'article LP. 4 e la loi du pays n° 2020-34 du 8 octobre 2020 relative aux relations entre l'administration de la Polynésie française et ses usagers : " Toute demande adressée à l'administration fait l'objet d'un accusé de réception.
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux demandes abusives, notamment par leur nombre, leur caractère répétitif ou systématique. ". Selon l'article LP. 10 de cette même loi : " Lorsqu'une demande est incomplète, l'administration indique au demandeur les pièces et informations manquantes, ainsi que les dispositions réglementaires qui les prévoient ". L'article LP. 11 de ce texte indique : " Lorsqu'une demande est affectée par un vice de forme ou de procédure faisant obstacle à son examen et que ce vice est susceptible d'être couvert dans les délais prévus par la présente loi du pays, l'administration invite le demandeur à la régulariser. ".
15. Il résulte de l'instruction et n'est pas contesté que le fournisseur des enrochements de la société Boyer a sollicité des services de l'équipement de la Polynésie française une autorisation d'extraction le 12 novembre 2020 et qu'il a obtenu ladite autorisation le 25 mai 2021. Cette demande intervenue postérieurement à l'entrée en vigueur du code des mines et des activités extractives était soumise, en application des dispositions citées au point 12, auxdites dispositions. Si la société requérante soutient que l'entrée en vigueur de ce code des mines et des activités extractives a, notamment, nécessité l'édiction de l'arrêté n° 1683 CM du 27 octobre 2020 relatif à la partie arrêté du code des mines et des activités extractives de la Polynésie française, cet arrêté est antérieur au 12 novembre 2020, date à laquelle le fournisseur de la société Boyer a présenté sa demande. Ainsi, contrairement à ce que soutient la société Boyer, la circonstance que la demande d'extraction de son fournisseur n'ait pas été traitée rapidement est sans lien avec l'entrée en vigueur différée du code des mines et des activités extractives de la Polynésie française. La société requérante soutient également que le délai de traitement de la demande de son fournisseur a été anormalement long. Il résulte de l'instruction que la demande a été présentée le 12 novembre 2020 et l'autorisation délivrée, par arrêté n° 5712/MGT, le 25 mai 2021, soit 195 jours après. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 2, la Polynésie française reconnaît dans le dernier état de ses écritures que le marché doit être regardé comme achevé au 23 décembre 2020. Ainsi, la circonstance que la demande du fournisseur d'enrochements de la société Boyer, enregistrée ainsi qu'il a été dit le 12 novembre 2020, ait fait l'objet d'une instruction particulièrement longue, n'a pas eu, dans les circonstances de l'espèce, d'incidence dès lors que le marché était terminé le 23 décembre 2020, avant l'obtention d'une autorisation d'extraction. Par suite, la société Boyer ne démontre pas la réalité des difficultés d'approvisionnement en enrochements alléguée.
16. Lorsqu'il est saisi d'un litige entre les parties à un marché public, le juge du contrat doit, en principe, appliquer les clauses relatives aux pénalités dont sont convenues les parties en signant le contrat, il peut, à titre exceptionnel, saisi de conclusions en ce sens par une partie, modérer ou augmenter les pénalités de retard résultant du contrat si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché et compte tenu de l'ampleur du retard constaté dans l'exécution des prestations. Lorsque le titulaire du marché saisit le juge de conclusions tendant à ce qu'il modère les pénalités mises à sa charge, il ne saurait utilement soutenir que le pouvoir adjudicateur n'a subi aucun préjudice ou que le préjudice qu'il a subi est inférieur au montant des pénalités mises à sa charge. Il lui appartient de fournir aux juges tous éléments, relatifs notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige, de nature à établir dans quelle mesure ces pénalités présentent selon lui un caractère manifestement excessif. Au vu de l'argumentation des parties, il incombe au juge soit de rejeter les conclusions dont il est saisi en faisant application des clauses du contrat relatives aux pénalités, soit de rectifier le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché dans la seule mesure qu'impose la correction de leur caractère manifestement excessif.
17. La société Boyer à l'appui de ses conclusions tendant à ce que le juge module les pénalités soutient que le montant des pénalités appliquées, soit 25 695 150 F CFP représentant 47,53 % du montant total du marché, est manifestement excessif. Elle se prévaut également du contexte de crise sanitaire dans lequel il a été exécuté et des lenteurs auxquelles elle a été confrontée pour obtenir des autorisations d'extraction. Toutefois, le montant total des pénalités appliquées par la Polynésie française a, ainsi qu'il a été dit au point 3 ramené à la somme de 8 110 358 F CFP, représentant ainsi - 28.35 % du montant initial du marché hors TVA, évalué à 28 600 400 F CFP, avenant compris. En outre, il ne résulte pas de l'instruction, ainsi qu'il résulte de ce qui précède, que le retard soit imputable aux difficultés à obtenir des autorisations d'extraction ou à la crise sanitaire. Dans ces circonstances, il n'y a pas lieu de moduler les pénalités infligées à la société Boyer.
18. Il résulte de tout ce qui précède que les pénalités incluses dans le décompte doivent être ramenées à la somme de 8 110 358 F CFP. Le décompte du marché doit être arrêté à la somme de 17 584 792 F CFP HT après pénalités soit 19 870 814.96 F CFP TTC. Une somme de 3 231 848 F CFP ayant été versée à la société Boyer à titre d'acompte, il y a lieu par suite, de fixer le solde du marché à 16 639 568,96 F CFP TTC.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
19. D'une part, aux termes de l'article LP. 411-16 du code polynésien des marchés publics : " L'acheteur public est tenu de procéder au mandatement des acomptes et du solde dans un délai qui ne peut dépasser trente jours en précisant toutefois que pour certains marchés, un délai plus long peut être fixé par arrêté pris en conseil des ministres, en raison du contexte géographique d'application. Ce délai ne peut être supérieur à soixante jours. / () Pour le paiement du solde du marché, le délai de mandatement court à compter de la date de réception par l'autorité compétente ou par toute autre personne désignée par le marché du décompte général et définitif établi dans les conditions fixées par le cahier des clauses administratives générales applicable ou le cas échéant à compter de la date à laquelle le décompte général est devenu définitif dans les conditions fixées par le cahier des clauses administratives générales applicable. / () ". Lorsque le décompte général fait l'objet d'une réclamation, le délai de paiement du solde doit être regardé comme ne commençant à courir qu'à compter de la réception de cette réclamation par le maître d'ouvrage.
20. D'autre part, selon l'article A. 411-6 de ce code : " Conformément au dernier alinéa de l'article LP 411-16 et aux dispositions de l'article LP 411-18, le défaut de mandatement des acomptes et du solde dans le délai précisé au marché fait courir au bénéfice du titulaire ou du sous-traitant des intérêts moratoires dont le taux est égal au taux d'intérêt légal en vigueur à la date à laquelle les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de deux points de pourcentage. ".
21. En l'espèce, la Polynésie française a reçu le 5 janvier 2023 la réclamation formulée par la société Boyer. Par suite, la société requérante est fondée à demander que la présente condamnation porte intérêts au taux légal, majoré de deux points en application de l'article A. 441-6 du code polynésien des marchés publics, à compter du 4 février 2023, soit 30 jours après la réception de sa réclamation préalable et la capitalisation de ces intérêts à compter du 4 février 2024 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
22. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 150 000 F CFP au titre des frais exposés par la société Boyer et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le décompte général du marché est arrêté aux sommes de 17 584 792 F CFP HT après pénalités et 19 870 814.96 F CFP TTC.
Article 2 : La Polynésie française versera à la société Boyer la somme de 16 639 568,96 F CFP TTC représentant le solde de ce marché. Cette somme portera intérêts au taux légal majoré de deux points à compter du 4 février 2023 avec capitalisation à compter du 4 février 2024.
Article 3 : La Polynésie française versera la somme de 150 000 F CFP à la société Boyer au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à société Boyer et à la Polynésie française.
Délibéré après l'audience du 25 juin 2024, à laquelle siégeaient :
M. Devillers, président,
M. Graboy-Grobesco, premier conseiller,
M. Boumendjel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juillet 2024.
Le rapporteur,
M. Boumendjel
Le président,
P. Devillers
Le greffier,
M. A
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Un greffier,
N°2300282