Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Green Bird a demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner le syndicat mixte de traitement des déchets du Nord et de l'Est de La Réunion à lui verser une somme de 138 489,47 euros au titre du règlement du solde de son marché.
Par un jugement n° 1900121 du 25 janvier 2022, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 24 mars 2022, 4 mai 2023 et 16 février 2024, la société Green Bird, représentée par Me Mounier, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de La Réunion n° 1900121 du 25 janvier 2022 ;
2°) de condamner le syndicat mixte de traitement des déchets du Nord et de l'Est de La Réunion à lui verser la somme de 138 489,47 euros au titre du règlement du solde de son marché, avec les intérêts moratoires et les intérêts capitalisés ;
3°) de mettre à la charge du syndicat mixte de traitement des déchets du Nord et de l'Est de La Réunion une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la fin de non-recevoir contractuelle retenue par le tribunal :
- c'est à tort que le tribunal a rejeté sa demande en l'absence de présentation du mémoire en réclamation prévu à l'article 37 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de fournitures courantes et de service (CCAG/FCS) ; dès lors que le syndicat mixte de traitement des déchets du Nord et de l'Est de La Réunion (SYDNE) lui a notifié le décompte de résiliation du marché au-delà du délai de deux mois suivant la résiliation de ce marché, délai prévu à l'article 34.5 du CCAG/FCS, les stipulations de l'article 37 du même cahier, relatives à la naissance d'un différend entre le titulaire du marché et l'acheteur, et au délai pour former une réclamation, ne sauraient lui être opposées ; en conséquence, elle n'était pas tenue d'attendre qu'un différend, résultant d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque du SYDNE, naisse pour présenter un mémoire en réclamation dans les deux mois suivant la naissance d'un tel différend ; il lui appartenait seulement d'adresser un mémoire en réclamation, ce dont elle s'est acquittée par courrier du 16 novembre 2018, rejeté par le SYDNE le 18 décembre 2018 ; sa requête n'était donc pas irrecevable ;
Au fond :
- elle a signé avec le SYDNE un marché de prestations de services consistant en la valorisation des papiers recyclables issus d'un centre de tri exploité, pour le compte du SYDNE, par la société VAL OI ; ce marché prévoit qu'elle verserait au SYDNE une recette d'un montant de 48 euros par tonne de déchets pris en charge et recyclés ; étant confrontée à des difficultés d'exécution du marché, liées à la mauvaise qualité des déchets fournis par le centre de tri, elle a été contrainte de demander au SYDNE de résilier le marché, ce qui a été fait par décision du 28 septembre 2018 ;
- l'article L. 2224-13 du code général des collectivités territoriales attribue aux collectivités territoriales la compétence en matière de gestion des déchets ménagers et assimilés ; l'article L. 541-2 du code de l'environnement prévoit que tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu'à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque ces déchets sont transférés à des fins de traitement à un tiers ; en vertu de ces dispositions, la responsabilité du SYDNE peut être engagée au titre de sa mission de service public de traitement de déchets ménagers ;
- les préjudices subis par la société Green Bird ont pour origine la méconnaissance, par le SYDNE, de ses obligations découlant des articles L. 2224-13 du code général des collectivités territoriales et L. 541-2 du code de l'environnement ; son offre technique avait pris en compte les normes de qualités que devaient respecter les déchets confiés pour leur recyclage ; or ces déchets présentaient un taux d'humidité excessif et comportaient des éléments indésirables au-delà du seuil requis ; ces non-conformités ont pour origine le fait que la société VAL O.I., qui exploite le centre de tri, était astreinte à une norme moins rigoureuse que celle définie dans le marché en litige ; le SYDNE a ainsi commis une faute contractuelle en déterminant des normes contradictoires à respecter par ses prestataires dans deux marchés conclus successivement pour la réalisation de prestations complémentaires ;
- ces défauts ont conduit les clients de la société Green Bird à refuser de réceptionner des containers contenant les déchets recyclés ; la société a ainsi subi un préjudice constitué par une perte de chiffre d'affaires et le coût de l'évacuation des déchets non conformes ;
- la perte de chiffre d'affaires doit être évaluée à 180 238,67 euros tandis que le coût d'évacuation des déchets non conformes doit être évalué à 71 005,33 euros ; à ces préjudices s'ajoute la perte d'image subie par la société, qui peut être évaluée à 10 000 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 28 juin 2022, les 8 février et 1er juin 2023, le syndicat mixte de traitement des déchets du Nord et de l'Est de La Réunion, représenté par la SELAS Lexing Alain Bensoussan Avocats, agissant par Me Bensoussan, conclut, dans le dernier état de ses écritures :
1°) au rejet de la requête de la société Green Bird ;
2°) à la condamnation de la société Green Bird à lui verser la somme de 93 045,84 euros hors taxe au titre du décompte de résiliation ;
3°) à ce qu'elle soit garantie des condamnations éventuellement prononcées à son encontre par la société VAL O.I. ;
3°) à ce qu'il soit mis à la charge de la société Green Bird la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la société VAL O.I. une somme de 3 000 euros au titre de ces mêmes frais.
Il soutient que :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :
- c'est à bon droit que le tribunal a rejeté la demande de la société Green Bird comme irrecevable en l'absence de présentation du mémoire en réclamation prévu à l'article 37.2 du CCAG/FCS ; la décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, n° 422600 du 27 novembre 2019, écartant les stipulations de l'article 37.2 du CCAG/FCS, ne trouve à s'appliquer qu'en cas de résiliation unilatérale du marché par l'acheteur ; en l'espèce, la résiliation du 28 septembre 2018 ne revêt pas un caractère unilatéral dès lors qu'elle a été prise à la demande de la société Green Bird ; le courrier que la société a adressé au SYDNE le 16 novembre 2018 est antérieur à la notification du décompte de résiliation et donc à la naissance d'un différend au sens de l'article 37 du CCAG/FCS ; en tout état de cause, ce courrier du 16 novembre 2018 ne constituait pas un mémoire en réclamation ;
Au fond :
- tous les moyens soulevés par la société doivent être écartés comme infondés ;
- par ailleurs, en cas de résiliation amiable, ce qui a été le cas en l'espèce, le titulaire du marché est seulement fondé à demander le paiement des prestations déjà effectuées ; ainsi, la société Green Bird ne peut demander l'indemnisation de la perte de son chiffre d'affaires, du coût supporté pour l'évacuation des déchets et de sa perte d'image.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 5 août 2022, les 9 mars et 5 juin 2023 et le 25 janvier 2024, la société VAL O.I., représentée par l'AARPI DAC Beachcrotf France agissant par Me Rostan d'Ancezune, conclut, dans le dernier état de ses écritures :
1°) au rejet de la requête de la société Green Bird ;
2°) à titre subsidiaire, au rejet des conclusions présentées à son encontre par la société Green Bird et le SYDNE ;
3°) à ce qu'il soit mis à la charge de tout succombant une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la demande de première instance de la société Green Bird est irrecevable en l'absence de présentation du mémoire en réclamation prévu par l'article 37 du CCAG/FCS. Au fond, elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Par ordonnance du 5 février 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 19 février 2024 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services approuvé par l'arrêté du 19 janvier 2009 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Faïck,
- les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public,
- et les observations de Me Mounier, représentant la société Green Bird et de Me Jouanneau, représentant le syndicat mixte de traitement des déchets du Nord et de l'Est de La Réunion.
Considérant ce qui suit :
1. Par un marché signé en novembre 2017, le syndicat mixte de traitement des déchets du Nord et de l'Est de La Réunion (SYDNE) a confié à la société Green Bird la mission de récupérer et d'acheminer vers les filières adaptées les papiers recyclables provenant du centre de tri intercommunal, dont le tri et le conditionnement préalables sont assurés par la société VAL O.I. En application de son marché, dont la durée d'exécution a été fixée à un an renouvelable une fois, la société Green Bird versait au SYDNE une recette d'un montant de 48 euros hors taxe par tonne traitée et se rémunérait en exportant les papiers recyclés. En août 2018, les partenaires locaux de la société Green Bird lui ont fait savoir que les déchets exportés ne respectaient pas la norme EN 643 définie par l'organisme ECO-FOLIO, ce qui avait conduit plusieurs acheteurs à ne pas réceptionner la marchandise exportée. Estimant qu'elle n'était plus en mesure de poursuivre l'exécution de son contrat dans des conditions économiques normales, la société Green Bird a demandé au SYDNE d'en prononcer la résiliation. Par une décision du 28 septembre 2018, le président du SYDNE a fait droit à cette demande. Par un courrier du 16 novembre 2018, la société Green Bird a sollicité du président du SYDNE l'établissement du décompte de résiliation de son marché avec un solde de 138 489,47 euros en sa faveur. Ce décompte de résiliation, établi le 27 novembre 2018, a fait apparaître au contraire, au bénéfice du SYDNE, un solde créditeur d'un montant de 93 045,84 euros hors taxe. Quant au courrier précité de la société Green Bird du 16 novembre 2018, il a été rejeté par une décision du président du SYDNE du 18 décembre 2018. La société Green Bird a saisi le tribunal administratif de La Réunion d'une demande tendant à la condamnation du SYDNE à lui verser la somme de 138 489,47 euros au titre du solde de son marché. Elle relève appel du jugement rendu le 25 janvier 2022 par lequel le tribunal a rejeté sa demande comme irrecevable. Le SYDNE demande à la cour de condamner la société Green Bird à lui verser la somme de 93 045,84 euros hors taxe au titre du solde du marché et, à titre subsidiaire, de condamner la société VAL O.I. à la garantir des condamnations éventuellement prononcées à son encontre.
Sur les conclusions présentées par la société Green Bird :
2. Aux termes de l'article 29 du cahier des clauses administratives générales applicable aux fournitures courantes et de services (CCAG/FCS), dans sa rédaction issue de l'arrêté interministériel du 19 janvier 2009, applicable au marché en litige : " Principe généraux. Le pouvoir adjudicateur peut mettre fin à l'exécution des prestations faisant l'objet du marché avant l'achèvement de celles-ci () à la demande du titulaire dans les conditions prévues à l'article 31, () ". Aux termes de l'article 31 du même cahier : " Résiliation pour événements liés au marché. 31. 1. Difficulté d'exécution du marché : Lorsque le titulaire rencontre, au cours de l'exécution des prestations, des difficultés techniques particulières dont la solution nécessiterait la mise en œuvre de moyens hors de proportion avec le montant du marché, le pouvoir adjudicateur peut résilier le marché, de sa propre initiative ou à la demande du titulaire. () ".
3. La société Green Bird, s'estimant dans l'incapacité de poursuivre ses prestations dans des conditions économiques normales, compte tenu de la mauvaise qualité des papiers provenant du centre de tri, a demandé au SYDNE de résilier le contrat. La décision du président du SYDNE du 28 septembre 2018 a fait droit à cette demande en faisant application des stipulations précitées de l'article 31 du CCAG/FCS relatives à la résiliation du contrat à la demande du titulaire confronté à des difficultés techniques particulières rendant impossible la poursuite des prestations.
4. Aux termes de l'article 34 du même CCAG/FCS : " 34.1. La résiliation fait l'objet d'un décompte de résiliation qui est arrêté par le pouvoir adjudicateur et notifié au titulaire / () 34.5. La notification du décompte par le pouvoir adjudicateur au titulaire doit être faite au plus tard deux mois après la date d'effet de la résiliation du marché () ". Aux termes de l'article 37 de ce cahier : " 37.1. Le pouvoir adjudicateur et le titulaire s'efforceront de régler à l'amiable tout différend éventuel relatif à l'interprétation des stipulations du marché ou à l'exécution des prestations objet du marché. / 37.2. Tout différend entre le titulaire et le pouvoir adjudicateur doit faire l'objet, de la part du titulaire, d'un mémoire de réclamation exposant les motifs et indiquant, le cas échéant, le montant des sommes réclamées. Ce mémoire doit être communiqué au pouvoir adjudicateur dans le délai de deux mois, courant à compter du jour où le différend est apparu, sous peine de forclusion. / 37.3. Le pouvoir adjudicateur dispose d'un délai de deux mois, courant à compter de la réception du mémoire de réclamation, pour notifier sa décision. L'absence de décision dans ce délai vaut rejet de la réclamation ".
5. Il résulte des stipulations précitées de l'article 37 du CCAG/FCS que, lorsqu'intervient, au cours de l'exécution d'un marché, un différend entre le titulaire et l'acheteur, résultant d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de ce dernier et faisant apparaître le désaccord, le titulaire doit présenter, dans un délai de deux mois, un mémoire de réclamation, à peine d'irrecevabilité de la saisine du juge du contrat. En revanche, dans l'hypothèse où l'acheteur a résilié unilatéralement le marché, puis s'est abstenu d'arrêter le décompte de liquidation dans le délai qui lui était imparti, si le titulaire ne peut saisir le juge qu'à la condition d'avoir présenté au préalable un mémoire de réclamation et s'être heurté à une décision de rejet, les stipulations de l'article 37 relatives à la naissance du différend et au délai pour former une réclamation ne sauraient lui être opposées.
6. En application de l'article 34.5 du CCAG/FCS, cité au point 4, il appartenait au SYDNE d'établir et de notifier à la société Green Bird le décompte du marché dans le délai de deux mois à compter du 28 septembre 2018, date non contestée à laquelle la résiliation de ce marché a pris effet. S'il est constant que le décompte de résiliation établi par le SYDNE porte la date du 27 novembre 2018, il ne résulte pas de l'instruction que la notification de ce décompte, au sujet de laquelle le SYDNE produit un accusé de réception illisible, serait intervenue le 28 novembre 2018 au plus tard. Dans ces conditions, les affirmations de la société Green Bird selon lesquelles le décompte de résiliation lui a été notifié le 6 décembre 2018 seulement, soit postérieurement au délai de deux mois prévu à l'article 34.5 du CCAG-FCS, ne peuvent être regardées comme contredites par le SYDNE. Il s'ensuit que les stipulations de l'article 37.2 du CCAG/FCS ne sont pas opposables à la société Green Bird.
7. Pour autant, le titulaire du marché reste tenu, pour que son recours soit recevable, d'attendre que le délai laissé au pouvoir adjudicateur pour notifier le décompte soit expiré avant de lui communiquer un mémoire en réclamation. En l'espèce, dès lors que le SYDNE disposait, en vertu de l'article 34.5 du CCAG/FCS, d'un délai de deux mois à compter du 28 septembre 2018 pour notifier le décompte de résiliation du marché, il incombait à la société Green Bird d'attendre l'expiration de ce délai avant de présenter le mémoire en réclamation préalable à la saisine du juge. Dans ces conditions, le courrier que la société Green Bird a adressé au SYDNE le 16 novembre 2018, antérieurement à l'expiration de ce délai, et qui se présentait comme une demande d'établissement du décompte, ne saurait tenir lieu du mémoire en réclamation exigé préalablement à la saisine du juge. Il s'ensuit qu'en l'absence d'un tel mémoire, la société Green Bird n'était pas recevable à demander au tribunal administratif de La Réunion la condamnation du SYDNE à lui verser une somme au titre du règlement de son marché.
8. Il résulte de ce qui précède que la société Green Bird n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande comme irrecevable.
Sur les conclusions présentées par le SYDNE :
9. L'appel principal de la société Green Bird étant irrecevable, les conclusions incidentes du SYDNE tendant à ce que le solde du marché soit fixé à la somme de 93 045,84 euros hors taxes, à mettre à la charge de la société, sont également irrecevables.
Sur les frais d'instance :
10. Dans les circonstances de l'espèce, les conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE
Article 1er : La requête de la société Green Bird est rejetée.
Article 2 : Les conclusions incidentes présentés par la SYDNE sont rejetées.
Article 3: Les conclusions présentées par le SYDNE et la société VAL O.I. au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Green Bird, au syndicat mixte de traitement des déchets du Nord et de l'Est de La Réunion et à la société VAL O.I.
Délibéré après l'audience du 11 mars 2024 à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président,
Mme Ghislaine Markarian, présidente de chambre,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 avril 2024.
Le rapporteur,
Frédéric Faïck
Le président,
Luc Derepas
La greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au préfet de La Réunion ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.