CAA Bordeaux, 02/05/2023, n°21BX02100

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société JSA Technology a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner le centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau à lui verser la somme de 167 137,08 euros au titre de la facture référencée FC 20 130 132, assortie des intérêts de retard au taux légal à compter de l'émission de la facture et de la capitalisation de ces intérêts. Ce centre hospitalier a présenté des conclusions reconventionnelles tendant à la condamnation de cette société à lui verser la somme de 1 273 361,60 euros en réparation du préjudice que lui ont causé les manquements qu'elle aurait commis dans l'exécution du marché relatif à la construction d'un nouvel hôpital.

Par un jugement n° 1900287 du 23 mars 2021, le tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné le centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau à verser à la société JSA Technology la somme de 80 790,04 euros en paiement de ses prestations.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 mai 2021 ainsi que des mémoires enregistrés les 10 et 31 mars 2023, le centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau, représenté par Me Beau, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 23 mars 2021 ;

2°) de condamner la société JSA Technology à lui verser la somme de 1 455 270,40 euros, augmentée des intérêts moratoires à compter du 1er juin 2013, au titre du préjudice que cette société lui a causé en suspendant la réalisation de ses prestations contractuelles ;

3°) de mettre à la charge de la société JSA Technology une somme de 10 000 euros au titre des frais exposés pour l'instance.

Il soutient que :

- la centrale photovoltaïque n'a pas été réceptionnée avec réserve mais sous des réserves qui n'ont jamais été levées ;

- le cahier des clauses techniques particulières confiait à la société JSA l'intégralité des démarches à effectuer auprès d'EDF ;

- la société JSA a illégalement suspendu l'exécution du marché ;

- cette faute, qui faisait obstacle à la réception de l'ouvrage, lui a fait perdre le bénéfice de l'obligation d'achat par EDF ;

- il justifie de la réalité et du montant de son préjudice financier ;

- faute de réception de l'ouvrage, il pouvait pratiquer une réfaction correspondant au montant des frais de gardiennage injustifiés.

Par des mémoires enregistrés les 10 novembre 2022 et 29 mars 2023, la société JSA Technology, représentée par Me Szwarcbart-Hubert, conclut au rejet de la requête, à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il n'a pas condamné le centre hospitalier à lui verser la somme totale de 167 137,08 euros, à la capitalisation des intérêts dus conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil et à ce qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge du centre hospitalier au titre des frais exposés pour l'instance.

Elle soutient que :

- elle a signé l'avenant n°2 au contrat ;

- le centre hospitalier ne lui a adressé aucun paiement correspondant à des frais de gardiennage ;

- le taux contractuel de participation au compte prorata n'est pas de 70% mais de 1% ;

- la créance dont se prévaut le centre hospitalier au titre de son préjudice depuis 2013 est prescrite en application de l'article 2224 du code civil ;

- le centre hospitalier n'est pas fondé à se prévaloir de la prescription décennale prévues par les dispositions de l'article 1792-4 du code civil ;

- elle n'a commis aucune faute faisant obstacle au raccordement de la centrale ;

- le préjudice subi doit être ramené à de plus justes proportions dès lors que le centre hospitalier a considéré, dès janvier 2020, que la revente à EDF n'était pas la meilleure solution pour valoriser l'électricité produite.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 approuvant le cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés publics de travaux ;

- le code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A,

- les conclusions de Mme Le Bris, rapporteure publique,

- et les observations de Me Beau, représentant le centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau, et de Me Morton, représentant la société JSA Technology.

Une note en délibéré présentée par le centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau a été enregistrée le 7 avril 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Le 19 août 2009, le centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau a attribué à la société JSA Technology un marché en vue de la construction d'une centrale photovoltaïque de 2 295 m² pour un prix global et forfaitaire de 1 605 200 euros HT, dans le cadre de la construction du nouvel hôpital de Capesterre Belle-Eau. Cette centrale a été construite mais n'a jamais été raccordée au réseau électrique. Par un jugement du 23 mars 2021, le tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné le centre hospitalier à verser à la société JSA Technology la somme de 80 790,04 euros en paiement, après réfaction, d'une facture référencée FC 20 130 132 et demeurée impayée. Le centre hospitalier relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions reconventionnelles tendant à la condamnation de la société JSA à l'indemniser du préjudice financier que lui a causé le défaut de raccordement de la centrale photovoltaïque au réseau électrique. Par la voie de l'appel incident, la société JSA demande à la cour de réformer le jugement attaqué en tant qu'il n'a pas condamné le centre hospitalier à lui verser la somme totale de 167 137,08 euros en paiement de la facture susmentionnée.

Sur les conclusions indemnitaires du centre hospitalier :

2. D'une part, aux termes de l'article 13.32 du cahier des clauses administratives général applicable au marché concerné (CCAG) : " Le projet de décompte final est remis au maître d'œuvre dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux telle qu'elle est prévue au 3 l'article 41 , " L'article 41-4 du même cahier précise que : " Dans le cas où certaines épreuves doivent, conformément aux stipulations du CCAP, être exécutées après une durée déterminée de service des ouvrages ou certaines périodes de l'année, la réception ne peut être prononcée que sous réserve de l'exécution concluante de ces épreuves. Si de telles épreuves, exécutées pendant le délai de garantie défini au 1 de l'article 44, ne sont pas concluantes, la réception est rapportée. " Enfin, il résulte des stipulations de l'article 3.2.6 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) applicable au marché que " Par dérogation à l'article 13.32 du CCAG-Travaux, s'il est fait application des dispositions du 4, 5 ou 6 de l'article 41 du CCAG-Travaux ou de l'article 12.5 du présent CCAP, la date de décision de levée des réserves est substituée à la date de notification de la décision de réception des travaux comme point de départ des délais prévus au premier alinéa de l'article 13.32 du CCAG-Travaux. "

3. Il résulte de l'instruction que l'ouvrage a été réceptionné à effet du 28 février 2013 sous réserve, notamment, du branchement de la centrale sur le réseau EDF et de la réalisation concluante de l'ensemble des essais prévus au CCTP. Faute de raccordement de la centrale au réseau électrique, ces réserves n'ont jamais été levées. Le centre hospitalier est ainsi fondé à soutenir que les dispositions précitées faisaient obstacle à la réception effective des travaux et au règlement du marché.

4. D'autre part, l'article 3.3 " raccordement au réseau " du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) prévoit que : " Dans le cadre du raccordement de la centrale au réseau, les prestations suivantes sont prévues dans le présent lot : () L'assistance au propriétaire de la centrale pour la demande de raccordement au réseau et l'accompagnement jusqu'à la conclusion du contrat de vente d'électricité avec EDF et la mise en service de la centrale jusqu'à la fin de la facturation de la première année de production. () Le titulaire devra assurer en diligence et en " professionnel sachant " toutes les démarches administratives liées à la procédure de raccordement de la centrale de production d'électricité solaire de plus de 36 kVa selon les textes en vigueur auprès d'EDF concessionnaire du réseau public d'électricité, du Ministère de l'industrie et de la Préfecture de la Guadeloupe. " Il résulte de ces dispositions que la société JSA était tenue d'une obligation de moyens concernant les démarches administratives liées à la procédure de raccordement.

5. Par une lettre du 14 février 2012, la société JSA a informé le maître de l'ouvrage que la centrale avait été déclarée conforme par un consuel du bureau d'étude technique en vue de son raccordement au réseau dès le 13 février 2012. En outre, il n'est ni établi ni même soutenu que la société JSA n'aurait pas demandé à EDF de réaliser les travaux nécessaire à ce raccordement dès le 22 mars suivant ainsi qu'elle le soutient ni, plus généralement, qu'elle aurait manqué à l'obligation de moyens résultant des dispositions précitées de l'article 3.3 du CCTP alors qu'il résulte au contraire de la lettre que la société a adressée à EDF le 19 mai 2014 qu'à cette dernière date, les travaux de raccordement par EDF n'étaient toujours pas achevés et que la société n'avait pas cessé de relancer EDF concernant leur achèvement et le maintien des conditions tarifaires fixées pour le rachat de l'électricité.

6. En revanche, il résulte de l'instruction que, par une lettre adressée à la société JSA le 20 mars 2018 concernant la mise en route de la centrale, le centre hospitalier a demandé, pour la première fois, à la société de procéder à la mise en service de la centrale en raison de l'achèvement " des opérations d'emménagement de l'ensemble de nos services sur le site du nouvel hôpital " mais que la société JSA n'a pas donné suite à cette lettre en dépit de la relance qui lui a été adressée le 14 avril suivant. Enfin, par une lettre adressée au centre hospitalier le 7 février 2019, EDF a indiqué que les travaux de raccordement étaient achevés à cette date " depuis plus de deux ans " mais qu'aucune demande de raccordement n'avait été effectuée.

7. Il résulte de ce qui précède qu'en s'abstenant de se rapprocher d'EDF puis, après confirmation de l'achèvement des travaux, de procéder à la mise en service de la centrale photovoltaïque conformément à la demande qui lui a été adressée le 20 mars 2018 et qu'elle ne conteste pas avoir reçu, la société doit être regardée comme ayant méconnu ses obligations contractuelles à compter, au plus tard, du 1er avril suivant compte tenu des délais prévisibles de traitement de cette demande de raccordement. Par suite, le centre hospitalier est fondé à demander, à compter de cette date, la réparation, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, du préjudice en résultant.

8. Enfin, si la société JSA soutient que le centre hospitalier subit un préjudice financier à raison de l'absence de raccordement au réseau depuis le 1er janvier 2013, le fait générateur de la créance de cet établissement à son égard ne correspond pas à cette date mais à celle à compter de laquelle sa responsabilité est engagée à raison de sa méconnaissance de ses obligations contractuelles, soit à compter du 1er avril 2018 ainsi qu'il a été dit précédemment. Dans ces conditions, la société JSA n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que cette créance était prescrite le 13 mai 2019, date d'enregistrement des conclusions indemnitaires du centre hospitalier devant le tribunal administratif.

9. Par ailleurs, le centre hospitalier fait valoir, sans être contesté, que la production annuelle d'électricité contractuellement prévue est de 423 043,8 KWh par an correspondant à un coût de rachat par EDF de 181 908,80 euros. En outre, il ressort des pièces qu'il a lui-même produites que le centre hospitalier a décidé, à compter de janvier 2020, de ne pas revendre son électricité à EDF mais de la consommer lui-même pour des raisons qui ne sont pas directement liées à l'absence de raccordement de la centrale au réseau électrique et à la faute commise par la société JSA mais à l'évolution du contexte énergétique et financier. Par suite, ce centre hospitalier est seulement fondé à demander l'indemnisation du manque à gagner que lui a causé la faute de la société JSA entre le 1er avril 2018 et le 1er janvier 2020, soit une somme de 318 340,40 euros assortie des intérêts légaux à compter le 13 mai 2019, date d'enregistrement de ses conclusions indemnitaires devant le tribunal administratif.

Sur le règlement de la facture référencée FC 20 130 132 :

10. Aux termes de l'article 10.1 du CCAG : " Contenu des prix : 10.11. Les prix sont réputés comprendre toutes les dépenses résultant de l'exécution des travaux, y compris les frais généraux, impôts et taxes et assurer à l'entrepreneur une marge pour risques et bénéfice. Sauf stipulation contraire, ils sont indiqués dans le marché hors taxe à la valeur ajoutée (T.V.A.). A l'exception des seules sujétions mentionnées dans le marché comme n'étant pas couvertes par le prix ceux-ci sont réputés tenir compte de toutes les sujétions d'exécution des travaux qui sont normalement prévisibles dans les conditions de temps et de lieu où s'exécutent ces travaux, que ces travaux, que ces sujétions résultent : - de phénomènes naturels ; - de l'utilisation du domaine public et du fonctionnement des services publics ; - de la présence de canalisations, conduites et câbles de toute nature ainsi que des chantiers nécessaires au déplacement ou à la transformation de ces installations ; - de la réalisation simultanée d'autres ouvrages, ou de toute autre cause. Sauf stipulation différente du CCAP, les prix sont réputés avoir été établis en considérant qu'aucune prestation n'est à fournir par le maître de l'ouvrage. " En outre, il résulte de l'annexe à l'acte d'engagement que le centre hospitalier versera à la société JSA une somme forfaitaire de 125 000 euros au titre de l'" installation de chantier (participation au compte prorata) ". Enfin, l'article 10.3.1 du CCAP prévoit que : " Lors de son intervention sur le chantier, le titulaire bénéficiera des installations déjà existantes (baraquement de chantier, locaux du personnel, eau, électricité ) et devra donc participer au compte prorata à hauteur de 1%. "

11. Le décompte n°2 du 5 juillet 2012, d'un montant fixé à 713.353,75 euros, a été réglé à la société JSA par mandat émis le 5 février 2013 après, notamment, la rectification, de 125 000 euros à 108 948 euros, du montant de la somme réclamée par cette société au titre de l'installation de chantier (participation au compte prorata). Le 13 décembre 2013, la société JSA a adressé au centre hospitalier une facture référencée FC 20 130 132 d'un montant total de 167 137,08 euros TTC correspondant à la situation n°5 et à l'avenant n°2 au marché, dont il n'est pas contesté par le centre hospitalier qu'elle était due à la société JSA. Le centre hospitalier a néanmoins opéré une retenue de 86 347,03 euros TTC correspondant aux frais de gardiennage du chantier incombant à la société au titre du compte prorata.

12. La société JSA fait valoir qu'au terme de l'annexe à l'acte d'engagement, le paiement, à son profit, d'une somme de 125 000 euros, lui était du au titre de sa participation au compte prorata et non au titre de ses prestations de gardiennage du chantier. Par ailleurs, les frais de gardiennage sont au nombre des dépenses communes nécessaires aux différentes entreprises intervenant sur le chantier et qui ont vocation à être regroupées dans un compte appelé compte prorata au même titre que les dépenses d'eau et d'électricité, et les stipulations précitées de l'article 10.3.1 du CCAP n'ont ni pour objet ni pour effet d'exclure ces frais de gardiennage de ce compte prorata ainsi qu'en convient le centre hospitalier. Par suite, la société JSA est fondée à soutenir que ces mêmes stipulations faisaient obstacle à ce que le centre hospitalier mette à la charge de la société, sur le fondement du contrat les liant, le paiement d'une somme quelconque au titre, non de sa participation au compte prorata, mais des seuls frais de gardiennage directement exposées par le maître de l'ouvrage, dont le montant et l'imputabilité ne sont, au demeurant, pas justifiés.

13. Il résulte de ce qui précède que la société JSA est fondée à soutenir que c'est à tort que le centre hospitalier a pratiqué une réfaction de 86 347,03 euros TTC sur la somme due de 167 137,08 euros et, par suite, à demander que le centre hospitalier soit condamné à lui verser cette dernière somme, assortie des intérêts légaux à compter de la réception, le 10 décembre 2013, par la société en charge d'une mission d'assistance technique à la maîtrise d'ouvrage, de la facture FC 20 130 132. Ces intérêts seront capitalisés à compter de la première date anniversaire de cette réception.

Sur les frais exposés pour l'instance :

14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La société JSA Technology est condamnée à verser au centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau la somme de 318 340,40 euros assortie des intérêts légaux à compter du 13 mai 2019.

Article 2 : Le centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau est condamné à verser à la société JSA Technology la somme de 167 137,08 euros assortie des intérêts légaux à compter du 10 décembre 2013. Ces intérêts seront capitalisés à compter du 11 décembre 2014.

Article 3 : Le jugement attaqué du 23 mars 2021 est réformé en tant qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau et à la société JSA Technology.

Délibéré après l'audience du 4 avril 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller,

Mme Agnès Bourjol, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 mai 2023.

Le rapporteur,

Manuel A

La présidente,

Marie-Pierre Beuve Dupuy

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au préfet de la Guadeloupe en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°21BX02100