CAA Marseille, 02/05/2023, n°23MA00723

Vu les procédures suivantes :

Procédures contentieuses antérieures :

Par deux requêtes, la société Artelia et la société Systra France ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille de prescrire une expertise sur les difficultés qu'elles ont rencontrées dans l'exécution du marché de maîtrise d'œuvre conclu avec la Métropole Aix-Marseille Provence pour l'exécution des travaux d'extension de la ligne 2 du métro entre la station Bougainville et la nouvelle station Capitaine A et de création d'un pôle d'échanges multimodal.

Par une ordonnance n° 2204853 - 2204906 du 8 mars 2023, il a été fait droit à ces demandes.

Procédures devant la Cour :

Par deux requêtes et un mémoire, enregistrés les 24 mars et 25 avril 2023, la Métropole Aix-Marseille Provence représentée par Me Charrel, demande à la Cour :

1°) de suspendre, à titre provisoire, l'exécution de l'ordonnance du 8 mars 2023 ;

2°) d'annuler l'ordonnance du 8 mars 2023 ;

3°) statuant en référé, de rejeter les demandes de première instance de la société Artelia et de la société Systra France ;

4°) de mettre à la charge de la société Artelia et de la société Systra France respectivement la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que l'exécution de l'ordonnance est de nature à préjudicier gravement à ses intérêts et donc à un intérêt public, eu égard aux frais et moyens non négligeables qu'elle devrait engager pour assurer le suivi de l'expertise ; que l'ordonnance attaquée est entachée d'un défaut de motivation, le juge des référés ne s'étant pas prononcé sur le moyen qu'elle avait opposé tenant à l'absence d'utilité de la mesure aux motifs, d'une part, que les demandes des sociétés requérantes n'étaient pas fondées et, d'autre part, qu'elles disposaient des éléments pour établir, le cas échéant, la réalité de leurs préjudices ; que le juge des référés a commis des erreurs de droit et de fait en estimant que les demandes des sociétés requérantes étaient recevables au regard de l'article 37 du CCAG, le mémoire joint à la correspondance du 11 mai 2022 ne pouvant être regardé comme un mémoire de réclamation comportant l'énoncé d'un différend, au sens de ces stipulations, et le différend n'étant pas né le 14 mars 2022 ; que, s'agissant des demandes afférentes aux travaux supplémentaires pour un montant de 265 150,17 euros, le groupement de maîtrise d'œuvre n'a jamais justifié avoir transmis un mémoire de réclamation dans le délai de deux mois suivant les refus de la maîtrise d'ouvrage de valider ses fiches de travaux modificatifs hormis pour la somme de 78 650 euros HT ; qu'il existe plusieurs motifs pour remettre en cause l'impartialité de l'expert désigné ou à tout le moins de la mettre sérieusement en doute dès lors qu'il partage ses locaux avec la société Artelia et qu'il est chargé de mission chez Vinci, groupe auquel appartient l'entreprise mandataire du groupement ayant assuré la réalisation des travaux du lot le plus important ; que les demandes des sociétés requérantes sont entachées de forclusion dès lors que le groupement de maîtrise d'œuvre ne justifie pas avoir adressé de mémoire de réclamation en bonne et due forme, conformément aux stipulations de l'article 37 du CCAG, et avoir contesté en temps utile les refus opposés à ses demandes afférentes à des travaux supplémentaires ; que l'expertise ne présente, en tout état de cause, aucune utilité dès lors que les réclamations de la maîtrise d'œuvre sont dépourvues de tout bien-fondé ; que les sujétions techniques imprévues alléguées qui n'ont pas bouleversé l'économie du marché ne sauraient engager sa responsabilité ; que les sociétés requérantes n'établissent pas avoir fait face à de réelles modifications de programme excédant leur périmètre d'intervention ; qu'elles n'établissent pas davantage avoir réalisé des prestations supplémentaires ; que l'allongement des délais d'exécution des travaux est insusceptible d'ouvrir droit à une indemnisation ; qu'une expertise ne présente aucune utilité pour les demandes portant sur la révision des prix et les frais financiers ; qu'un calcul abstrait des pertes au titre des frais généraux ne saurait, en tout état de cause, être admis ; que, si tant est que l'on puisse considérer qu'une personne morale soit susceptible de subir un préjudice moral, les sociétés requérantes n'apportent pas le moindre élément de nature à démontrer l'existence d'une faute imputable à la maîtrise d'ouvrage, d'un préjudice certain dans son quantum et d'un lien de causalité ; que la prise en charge du coût d'établissement d'un mémoire de réclamation ne saurait être admise ; que les sociétés requérantes sont en mesure, le cas échéant, d'évaluer leurs préjudices ; que la société Systra France n'a pas rapporté la preuve qu'elle pourrait être sa cocontractante, dès lors que c'est la société Systra SA qui était membre du groupement de maîtrise d'œuvre.

Par un mémoire, enregistré le 14 avril 2023, la société Artelia, représentée par Me Roger, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la Métropole Aix-Marseille Provence, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 20 avril 2023, la société Systra France, représentée par Me Lepron, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la Métropole Aix-Marseille Provence, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés et fait valoir, en outre, que depuis le 1er juin 2021, elle a bénéficié de la part de sa société mère, la société Systra SA, d'un apport partiel d'actifs, portant sur la branche d'activité autonome relative notamment aux activités de prestations d'ingénierie pour les projets situés en France et qu'elle a donc vocation à se voir transférer le marché de maîtrise d'œuvre, objet de la présente affaire, la formalisation d'un avenant de transfert étant actuellement en cours d'élaboration.

Par un mémoire, enregistré le 21 avril 2023, la société Artelia, représentée par Me Roger, fait savoir à la Cour que l'expert a demandé au tribunal son remplacement.

Les requêtes ont également été communiquées à la société Carta et Associés, à la société Atelier Barani et à la société Stoa Architecture, qui n'ont pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;

- le décret n° 93-1268 du 29 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes présentées par la Métropole Aix-Marseille Provence sous les n° 23MA00723 et 23MA00724 sont dirigées contre la même ordonnance et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par une même ordonnance.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête () prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction ". En vertu de l'article L. 555-1 du même code, le président de la cour administrative d'appel est compétent pour statuer sur les appels formés contre les décisions rendues par le juge des référés.

3. Par l'ordonnance attaquée du 8 mars 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Marseille a, à la demande des sociétés Artelia et Systra France, confié à M. D B une expertise portant sur l'exécution du marché de maîtrise d'œuvre conclu entre la Métropole Aix-Marseille Provence et un groupement composé notamment des sociétés Artelia et Systra SA, pour l'exécution des travaux d'extension de la ligne 2 du métro de Marseille entre la station Bougainville et la nouvelle station Capitaine A et de création d'un pôle d'échanges multimodal. Cette mission est, à titre principal, rédigée en ces termes : " donner un avis motivé sur les difficultés invoquées par les sociétés Artélia et Systra dans l'exécution de leur mission, leur réalité, leur étendue, leurs conséquences, tant en termes de délais que de coûts, leurs causes et leur imputabilité " et " donner tous éléments utiles d'appréciation sur les préjudices financiers subis par les sociétés Artélia et Systra et les responsabilités encourues ". La Métropole Aix-Marseille Provence relève appel de cette ordonnance.

4. L'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher (cf. CE, 14.02.2017, n° 401514).

5. Il résulte des dispositions des articles 9 de la loi du 12 juillet 1985 et 30 du décret du 29 décembre 1993, en vigueur à la date de conclusion du marché, que le titulaire d'un contrat de maîtrise d'œuvre est rémunéré par un prix forfaitaire couvrant l'ensemble de ses charges et missions, ainsi que le bénéfice qu'il en escompte, et que seule une modification de programme ou une modification de prestations décidées par le maître de l'ouvrage peut donner lieu à une adaptation et, le cas échéant, à une augmentation de sa rémunération. Ainsi, la prolongation de sa mission n'est de nature à justifier une rémunération supplémentaire du maître d'œuvre que si elle a donné lieu à des modifications de programme ou de prestations décidées par le maître d'ouvrage. En outre, le maître d'œuvre ayant effectué des missions ou prestations non prévues au marché de maîtrise d'œuvre et qui n'ont pas été décidées par le maître d'ouvrage a droit à être rémunéré de ces missions ou prestations, nonobstant le caractère forfaitaire du prix fixé par le marché si elles ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art, ou si le maître d'œuvre a été confronté dans l'exécution du marché à des sujétions imprévues présentant un caractère exceptionnel et imprévisible, dont la cause est extérieure aux parties et qui ont pour effet de bouleverser l'économie du contrat (cf. CE, 29.09.2010, Sté Babel, n° 319481).

6. Il résulte de l'instruction que le prix forfaitaire convenu pour la rémunération de la maîtrise d'œuvre a été fixée par le marché initial tel que modifié par quatre avenants, à la somme totale de 7 373 261,89 euros. Les sociétés requérantes font valoir qu'au terme de la période de garantie de parfaitement achèvement, la société Artelia, en sa qualité de mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre, a demandé à la Métropole Aix-Marseille Provence, par courrier du 25 janvier 2021, le versement d'une rémunération complémentaire évaluée à un montant de 10 184 044,79 euros correspondant, selon les termes du mémoire alors adressé à la métropole, aux conséquences financières de sujétions techniques imprévues, de modifications de programme, d'autres prestations supplémentaires, de la désorganisation et de l'allongement de divers délais d'exécution des travaux, de l'évolution du niveau de complexité de la mission et de la désorganisation globale des études d'exécution, à l'application des clauses de révision de prix ainsi qu'à l'indemnisation de frais financiers, de la perte d'industrie et du préjudice moral affectant l'image ou la réputation de la maîtrise d'œuvre, outre le coût d'établissement dudit mémoire, chacun de ces chefs d'indemnisation étant précisément chiffrés. La mesure d'expertise demandée par les sociétés requérantes à laquelle l'ordonnance attaquée a fait droit s'inscrit dans le cadre de ce litige, la métropole ayant considéré que cette demande était " intégralement infondée " et s'étant même refusé à donner suite à la procédure de conciliation introduite par la société Artelia devant le comité consultatif de règlement amiable des différends en matière de marchés publics de Marseille.

7. La mission confiée à l'expert par l'ordonnance attaquée, dans les termes rappelés au point 1, conformes à ceux des demandes dont la juge des référés était saisie, ne saurait présenter un caractère d'utilité, au sens de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, au regard de ce litige, dès lors que la seule analyse, sans autre précision, de la réalité, de l'étendue et de l'imputabilité des " difficultés " rencontrées par le groupement de maîtrise d'œuvre dans l'exécution du marché ne saurait être propre à éclairer le juge ni sur les qualifications juridiques qu'il lui appartiendrait de porter, dans les conditions rappelées au point 5, s'il était saisi du litige au fond, ni sur la commission d'éventuelles fautes contractuelles de la part du maître d'ouvrage. Il en va de même s'agissant de l'évaluation des éventuels chefs de préjudice dont tant le principe que le quantum dépendent de ces qualifications juridiques, alors, en tout état de cause, que les sociétés requérantes les ont elles-mêmes très précisément chiffrés, aux termes de leur mémoire de réclamation.

8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la Métropole Aix-Marseille Provence est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, la juge des référés du tribunal administratif de Marseille a fait droit à la demande des sociétés Artelia et Systra France tendant au prononcé d'une expertise. Il y a lieu, en conséquence, de prononcer l'annulation de l'ordonnance attaquée et de rejeter la demande en référé présentée par les sociétés Artelia et Systra France devant le juge des référés du tribunal administratif de Marseille.

9. Dès lors qu'aux termes de la présente ordonnance, il est fait droit aux conclusions de la Métropole Aix-Marseille Provence tendant à l'annulation de l'ordonnance attaquée, il n'y a pas lieu de statuer sur ses conclusions tendant à ce que l'exécution de cette ordonnance soit suspendue, en application de l'article R. 533-2 du code de justice administrative.

10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des sociétés Artelia et Systra France la somme que la Métropole Aix-Marseille Provence demande, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Et les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la métropole qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

O R D O N N E :

Article 1er : L'ordonnance n° 2204853-2204906 du 8 mars 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille est annulée.

Article 2 : Les demandes des sociétés Artelia et Systra France présentées au juge des référés du tribunal administratif de Marseille et leurs conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la Métropole Aix-Marseille Provence est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la Métropole Aix-Marseille Provence, à la société Artelia, à la société Systra France, à la société Carta et Associés, à la société Atelier Barani, à la société Stoa Architecture et à M. B, expert.

Fait à Marseille, le 2 mai 2023 - 23MA00724LH