CAA Nantes, 17/11/2022, n°22NT01598
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Charles Lapous a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes de condamner le département du Finistère à lui verser une provision de 86 471,96 euros, assortie des intérêts à compter du dépôt de sa requête.
Par une ordonnance n° 2101657 du 6 mai 2022, le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 mai 2022, la SAS Charles Lapous, représentée par Me Héritier, demande au juge d'appel des référés de la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du 6 mai 2022 ;
2°) de condamner le département du Finistère à lui verser une provision de 86 471,96 euros, assortie des intérêts de droit à compter du dépôt de sa requête ;
3°) de mettre à la charge du département du Finistère la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient :
- qu'elle est recevable à contester la décision du 13 octobre 2020 ;
- que la décision du département du Finistère du 13 octobre 2020 s'est substituée à celle prise avant l'avis du comité consultatif interrégional de règlement amiable des différends ou litiges relatifs aux marchés publics (CCIRA), en application des stipulations de l'article 50 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) des marchés publics de travaux applicable en l'espèce ;
- qu'elle justifie d'une créance non sérieusement contestable en raison de l'illégalité du rejet de sa demande ;
- que la décision de rejet de sa réclamation est insuffisamment motivée, en méconnaissance des dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;
- qu'aucun ordre de service de démarrage des travaux ne lui a jamais été notifié en bonne et due forme, de sorte qu'il est impossible de calculer une quelconque pénalité de retard en application de l'article 19.1.1. du CCAG ;
- que les parties peuvent être regardées, au regard des circonstances, comme ayant entendu renoncer à l'application de telles pénalités ;
- que les pénalités ne pouvaient pas être grevées de taxe sur la valeur ajoutée dès lors qu'elles ne constituent pas la contrepartie d'une livraison de biens ou d'une prestation de service ;
- qu'elle a droit au remboursement des sommes indument retenues par le département du Finistère pour 58 650,56 euros, de ses pertes de trésorerie à hauteur de 10 401,40 euros, de la masse salariale dépensée pour assurer sa défense à hauteur de 8 400 euros et des frais de procédure engagés pour 9 020 euros.
Par un mémoire enregistré le 23 août 2022, le département du Finistère, représenté par Me Josselin, conclut au rejet de la requête et demande 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la demande de la SAS Charles Lapous devant le tribunal administratif était irrecevable ;
- ses moyens ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier
Vu :
- le code des marchés publics ;
- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative.
Vu la décision du président de la cour administrative d'appel de Nantes du 1er septembre 2022 désignant M. Derlange, président assesseur, en application de l'article L. 555-1 du code de justice administrative, pour statuer en appel sur les décisions des juges des référés.
Considérant ce qui suit :
1. Par un acte d'engagement du 24 février 2016, le département du Finistère a confié à la SAS Charles Lapous le lot n° 10 d'un marché public de travaux de reconstruction du collège des Monts d'Arrée à Plounéour-Menez (Finistère). Du fait de retards dans leur exécution, la date contractuelle d'achèvement des travaux a été reportée à plusieurs reprises. Le 24 janvier 2019, le décompte général du marché a été notifié à la SAS Charles Lapous, faisant état d'un solde créditeur de 222 061,08 euros après déduction de pénalités de retard d'un montant de 58 652,56 euros. La société Charles Lapous a contesté l'application de ces pénalités par un mémoire en réclamation du 21 février 2019, qui a été rejeté par la société d'aménagement du Finistère (SAFI), mandataire du département du Finistère, par courrier du 4 avril 2019, notifié le 9 avril 2019. La SAS Charles Lapous a saisi le comité interrégional de règlement amiable des différents ou litiges relatifs aux marchés publics (CCIRA) le 6 août 2019. Le CCIRA, dans sa séance du 18 février 2020, a proposé l'abandon pur et simple par le département du Finistère des pénalités de retard infligées à la société. Par un courrier du 13 octobre 2020, le département du Finistère a informé la SAS Charles Lapous qu'il ne souscrivait pas à l'analyse du CCIRA mais qu'il était disposé à réduire les pénalités en cause de moitié pour les ramener à la somme de 29 325 euros. Par un courrier du 3 novembre 2020, la SAS Charles Lapous a formé un recours gracieux contre cette décision et une demande indemnitaire puis a saisi le juge des référés aux fins de condamner le département du Finistère à lui verser une provision de 86 471,96 euros, correspondant au montant des pénalités de retard appliquées et à l'indemnisation de ses préjudices, assortie des intérêts à compter du dépôt de sa demande. Elle relève appel de l'ordonnance du 6 mai 2022 par laquelle le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa requête.
2. D'une part, aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : "Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie.". Aux termes de l'article R. 541-3 du même code : " Sous réserve des dispositions du douzième alinéa de l'article R. 811-1, l'ordonnance rendue par le président du tribunal administratif ou par son délégué est susceptible d'appel devant la cour administrative d'appel dans la quinzaine de sa notification.". Aux termes de l'article L. 555-1 du code de justice administrative : "Sans préjudice des dispositions du titre II du livre V du présent code, le président de la cour administrative d'appel ou le magistrat qu'il désigne à cet effet est compétent pour statuer sur les appels formés devant les cours administratives d'appel contre les décisions rendues par le juge des référés.".
3. D'autre part, aux termes de l'article 50 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables au marché : "50.1. Mémoire en réclamation : 50.1.1. Si un différend survient entre le titulaire et le maître d'œuvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants. Il transmet son mémoire au représentant du pouvoir adjudicateur et en adresse copie au maître d'œuvre. / Si la réclamation porte sur le décompte général du marché, ce mémoire est transmis dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du décompte général. / Le mémoire reprend, sous peine de forclusion, les réclamations formulées antérieurement à la notification du décompte général et qui n'ont pas fait l'objet d'un règlement définitif. / 50.1.2. Après avis du maître d'œuvre, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire sa décision motivée dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la date de réception du mémoire en réclamation. / 50.1.3. L'absence de notification d'une décision dans ce délai équivaut à un rejet de la demande du titulaire. / 50.2. Lorsque le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas donné suite ou n'a pas donné une suite favorable à une demande du titulaire, le règlement définitif du différend relève des procédures fixées aux articles 50.3 à 50.6. / 50.3. Procédure contentieuse : / 50.3.1. A l'issue de la procédure décrite à l'article 50.1, si le titulaire saisit le tribunal administratif compétent, il ne peut porter devant cette juridiction que les chefs et motifs énoncés dans les mémoires en réclamation. / 50.3.2. Pour les réclamations auxquelles a donné lieu le décompte général du marché, le titulaire dispose d'un délai de six mois, à compter de la notification de la décision prise par le représentant du pouvoir adjudicateur en application de l'article 50.1.2, ou de la décision implicite de rejet conformément à l'article 50.1.3, pour porter ses réclamations devant le tribunal administratif compétent. / 50.3.3. Passé ce délai, il est considéré comme ayant accepté cette décision et toute réclamation est irrecevable. / 50.4. Intervention d'un comité consultatif de règlement amiable : / 50.4.1. La saisine d'un comité consultatif de règlement amiable suspend les délais de recours prévus par le présent CCAG jusqu'à la décision du représentant du pouvoir adjudicateur après avis du comité. / Le délai de recours suspendu repart ensuite pour la durée restant à courir au moment de la saisine du comité.".
4. Il résulte de l'instruction que la SAFI a notifié à la SAS Charles Lapous sa décision motivée de rejet de sa réclamation du 21 février 2019 par un courrier du 4 avril 2019, reçu le 9 avril 2019. En application de l'article 50.3.2. du CCAG, la SAS Charles Lapous disposait d'un délai de six mois à compter de cette date pour saisir le juge des référés du tribunal administratif de Rennes, la saisine du CCIRA, conformément à l'article 50.4.1. du CCAG, suspendant toutefois ce délai de recours jusqu'à la décision du représentant du pouvoir adjudicateur après avis du comité. 119 jours, soit 3 mois et 27 jours, s'étant écoulés entre le 9 avril 2019 et le 6 août 2019, date de saisine du CCIRA puis 147 jours, soit 4 mois et 27 jours entre la date du 3 novembre 2020 du recours gracieux de la SAS Charles Lapous, dont il ressort qu'elle avait nécessairement connaissance au plus tard à cette date de l'avis du comité et la date d'enregistrement de sa requête au greffe du tribunal administratif de Rennes, cette demande n'a manifestement pas été présentée dans le délai de six mois prévu à l'article 50.3.2. du CCAG et était ainsi irrecevable en application de l'article 50.3.3. du CCAG. L'ensemble des moyens soulevés par la SAS Charles Lapous doit, par suite et pour ce seul motif, être écarté.
5. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Charles Lapous n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions indemnitaires ainsi que celles présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
ORDONNE :
Article 1er : La requête de la SAS Charles Lapous est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la SAS Charles Lapous et au département du Finistère.
Fait à Nantes, le 17 novembre 2022.
Le magistrat désigné,
S. Derlange
La République mande et ordonne au préfet du Finistère et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.