CAA Paris, 21/05/2024, n°21PA04131


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Nouvelle Carolux a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, de condamner la société SNCF Réseau à lui payer la somme globale, retenue de garantie incluse, de 128 272,47 euros toutes taxes comprises (TTC) majorée de trois fois le taux d'intérêt légal conformément aux dispositions de l'article 13.11 du cahier des clauses et conditions générales applicable aux marchés de travaux de la SNCF (CCCG travaux), depuis le 3 septembre 2018 ou, à défaut, depuis le 12 septembre 2018, avec capitalisation des intérêts à chaque échéance annuelle, d'autre part, de condamner la société SNCF Réseau à lui verser une somme de 20 000 euros en réparation de ses préjudices financiers.

Par un jugement n° 1820834/6-3 du 24 juin 2021, le tribunal administratif de Paris a fixé le solde du marché en faveur de la société SNCF Réseau à la somme de 7 347,32 euros hors taxes (HT), a condamné la société Nouvelle Carolux à verser à la société SNCF Réseau la somme de 7 347 euros HT assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2018 avec capitalisation des intérêts à compter du 5 juillet 2019 et a rejeté le surplus des conclusions de la société Nouvelle Carolux et de la société SNCF Réseau.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 juillet 2021 et 22 septembre 2022, la société Nouvelle Carolux, représentée par Me Guillot, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1820834/6-3 du 24 juin 2021 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de condamner la société SNCF Réseau à lui verser la somme de 296 244,63 euros TTC ou, subsidiairement, la somme de 193 164,63 euros TTC, majorée de trois fois le taux d'intérêt légal, en application des dispositions de l'article 13.11 du CCCG travaux, à compter du 3 septembre 2018 ou, à défaut, du 12 septembre 2018, avec capitalisation des intérêts à chaque échéance annuelle ;

3°) de condamner la société SNCF Réseau à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice financier subi dû au retard de paiement ;

4°) de surseoir à statuer le temps de la médiation confiée au médiateur du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;

5°) d'enjoindre à la société SNCF Réseau de communiquer les dates d'intervention de la société Léon Grosse, et du groupement auquel elle appartenait, ainsi que son décompte définitif ;

6°) de désigner un expert afin qu'il se prononce sur les causes du retard pris par le chantier et sur le montant des pénalités éventuelles pouvant en résulter ;

7°) de mettre à la charge de la société SNCF Réseau une somme minimale de 7 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- les fins de non-recevoir soulevées en défense doivent être écartées ;

- le montant du marché de travaux a été établi à 949 944 euros HT ;

- la société SNCF Réseau a émis un bon de commande de ce montant le 3 avril 2017 ;

- la société SNCF Réseau a émis et notifié l'ordre de service de démarrage des travaux le 12 avril 2017 et a fixé le point de départ du délai contractuel au 24 avril 2017 ;

- les lieux ayant été libérés tardivement, les travaux n'ont pu commencer que le 22 mai 2017 ;

- elle ne peut donc se voir appliquer des pénalités de retard au titre du non-respect du délai particulier d'exécution relatif aux études et travaux " hors quai F et finition " ;

- la maîtrise d'ouvrage et la maîtrise d'œuvre ont sollicité en cours d'exécution de nombreux travaux supplémentaires qui ont retardé le chantier ;

- outre la libération tardive des lieux et les travaux supplémentaires, le retard sur le délai global d'exécution des travaux est également dû à des retards de livraison de matériaux ;

- elle ne peut donc pas davantage se voir appliquer des pénalités de retard sur le délai global d'exécution des travaux ;

- la société SNCF Réseau ne peut retenir de pénalités de retard à son égard, dès lors que celles-ci n'ont pas été évoquées pendant la durée des travaux, sauf à méconnaître le principe de loyauté contractuelle ;

- le montant des pénalités est excessif et doit être modulé à la baisse ;

- la société SNCF Réseau n'a pas respecté le délai de trois mois prévu par les dispositions de l'article 13.34 du CCCG travaux pour adresser son décompte général à l'entreprise titulaire, elle doit donc être regardée comme ayant tacitement accepté le projet de décompte final qui lui a été adressé par la société Nouvelle Carolux ;

- le montant total des travaux qu'elle a exécutés s'élève à 1 070 943,15 euros HT, elle a perçu des acomptes pour un montant total de 840 890,43 euros HT, il lui reste due une somme de 230 052,72 euros HT à laquelle il convient d'ajouter le montant de la retenue de garantie de 16 817,81 euros HT, soit un montant total de 246 870,53 HT à la charge de la société SNCF Réseau ;

- les retards de paiement lui ont causé un préjudice financier qui s'élève à la somme de 20 000 euros.

Par deux mémoires en défense enregistrés les 22 août 2021 et 13 octobre 2022, la société SNCF Réseau, représentée par Me Memlouk, demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête de la société Nouvelle Carolux ;

2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement et de condamner la société Nouvelle Carolux à lui verser la somme de 69 497,32 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2018 et capitalisation des intérêts à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

3°) de mettre à la charge de la société Nouvelle Carolux la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la société Nouvelle Carolux ne peut prétendre qu'aux sommes présentées dans son projet de décompte final, par conséquent la majoration des demandes initiales, outre qu'elle est nouvelle en appel, est en tout état de cause irrecevable sur le fondement de l'article 13-32 du CCCG-Travaux ;

- le non-respect des délais prévus par l'article 13-34 du CCCG-Travaux est sans effet sur la procédure d'établissement du décompte général, et n'a pas pour conséquence de conférer au projet de décompte final un caractère définitif ;

- la société Nouvelle Carolux intègre une rémunération relative à la réalisation de travaux supplémentaires " hors marché " sans justifier du bien-fondé de ces demandes ; la rémunération de ces travaux est en tout état de cause intégrée dans le décompte général, ceux-ci étant payés selon un prix global et forfaitaire ;

- c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu un retard de 133 jours sur le délai global d'exécution, et mis au passif du décompte général la somme de 39 900 euros ;

- c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande de versement de la retenue de garantie qui ne figurait ni dans le décompte final, ni dans le mémoire en réclamation de la société Nouvelle Carolux dans la mesure où elle l'avait déduite du calcul du montant total des travaux exécutés ;

- c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande d'indemnisation à hauteur de 20 000 euros du préjudice financier subi par la société Nouvelle Carolux du fait des retards de paiement, dès lors qu'elle ne figurait ni dans son décompte final, ni dans son mémoire en réclamation ;

- à titre incident, c'est à tort que les premiers juges n'ont pas retenu les fins de non-recevoir des demandes de première instance soulevées en défense ;

- c'est à tort que les premiers juges ont déchargé la société Nouvelle Carolux de 28 jours de retard au titre du délai particulier de réalisation des études et des travaux, dans la mesure où il ne résulte pas de l'instruction que l'entreprise aurait été empêchée de débuter les travaux avant le 22 mai 2017 du fait de l'occupation des lieux ;

- c'est à tort que les premiers juges ont déchargé la société Nouvelle Carolux de 41 jours au titre du délai de remise du dossier des ouvrages exécutés (DOE) ;

- les premiers juges ont inversé la charge de la preuve en jugeant que la société SNCF Réseau n'établissait pas la date de remise du DOE, alors que la société Nouvelle Carolux ne conteste pas le retard dans la remise de ce document ;

- il résulte de ce qui précède que le décompte général fait ressortir un solde débiteur pour la société Nouvelle Carolux de 69 497,32 euros TTC.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;

- la loi n° 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire ;

- l'ordonnance n° 2015-855 du 15 juillet 2015 prise en application de l'article 38 de la loi n° 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire ;

- le cahier des clauses et conditions générales applicables aux marchés de travaux de la RFF et/ou SNCF (CCCG travaux), dans sa version n°2 du 24 novembre 2008 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme d'Argenlieu,

- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Bourdeau pour la société SNCF Réseau.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre de la réfection intégrale du souterrain de la gare ferroviaire de Rennes, la société SNCF Réseau a conclu avec la société Nouvelle Carolux un marché de travaux d'un montant global et forfaitaire de 949 944 euros HT, suivant commande du 3 avril 2017. Les études et les travaux devaient être réalisés dans un délai global de cent-soixante-quatre jours à partir de la date fixée par le premier ordre de service. Afin de permettre la remise en exploitation rapide du souterrain, un délai particulier relatif à l'étude et aux travaux " hors quai F et finitions " était fixé au 25 août 2017. La réception des travaux a été prononcée le 11 avril 2018, avec une date d'achèvement arrêtée au 15 février 2018. Le 28 février 2018, la société Nouvelle Carolux a transmis à la société SNCF Réseau un projet de décompte final d'un montant de 1 070 943,15 euros HT dont il a été accusé réception par un courrier électronique du 3 avril 2018. Par un ordre de service n° 10 du 3 juillet 2018, notifié le 5 juillet 2018, la société SNCF Réseau a adressé à la société Nouvelle Carolux son décompte général pour un montant de 782 976 euros HT, après application des pénalités de retard d'un montant de 150 050 euros, soit un solde créditeur au bénéfice de la société SNCF Réseau de 69 497,32 euros TTC, après déduction des acomptes payés. Le 6 juillet 2018, la société Nouvelle Carolux a transmis à la société SNCF Réseau une " facture définitive conforme aux travaux exécutés " d'un montant total de 122 751,21 euros TTC. Par une lettre du 24 juillet 2018, la société a confirmé ce montant et contesté le montant des pénalités infligées. Par une lettre du 5 septembre 2018, la société SNCF Réseau a constaté le caractère définitif du décompte général et demandé à l'intéressée le remboursement du trop-perçu de 69 497,32 euros TTC. Par une lettre du 12 septembre 2018, la société Nouvelle Carolux a adressé à la société SNCF Réseau une mise en demeure de régler la somme déjà réclamée de 122 751,21 euros TTC. Elle a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à ce que la société SNCF Réseau soit condamnée à lui verser les sommes de 128 272,47 euros TTC, retenue de garantie d'un montant de 5 521,26 euros incluse, outre 20 000 euros en réparation du préjudice financier subi, assorties des intérêts eux-mêmes capitalisés. Par un jugement du 24 juin 2021, le tribunal administratif de Paris a condamné la société Nouvelle Carolux à verser à la société SNCF Réseau la somme de 7 347 euros HT assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2018, avec capitalisation des intérêts à compter du 5 juillet 2019 et rejeté le surplus. La société Nouvelle Carolux, et la société SNCF Réseau par la voie de l'appel incident, relèvent appel de ce jugement.

Sur l'augmentation en appel des prétentions financières de la société Nouvelle Carolux :

2. Aux termes de l'article 85-3 du CCCG-travaux : " () L'entrepreneur ne peut porter devant le tribunal que les chefs et motifs de réclamation énoncés dans le mémoire en réclamation remis au maître d'œuvre ".

3. La société Nouvelle Carolux a augmenté ses prétentions financières en appel, en majorant la retenue de garantie déjà réclamée en première instance et en ajoutant les créances dues aux sous-traitants. Or, dans son mémoire en réclamation, elle avait déduit ces deux sommes du solde demandé. Ces prétentions n'ont dès lors pas été liées par ce mémoire. Elles sont par conséquent irrecevables et doivent par suite être rejetées.

Sur la recevabilité des demandes de première instance :

En ce qui concerne les fins de non-recevoir soulevées par la société SNCF Réseau :

4. D'une part, aux termes de l'article 13.34 du CCCG-Travaux : " Le décompte général est signé par la personne responsable du marché et notifié à l'entrepreneur par ordre de service avant la plus tardive des deux dates ci-après : / - quatre-vingt-dix jours après la date de réception, par le maître d'œuvre, du projet de décompte final ; (). / Au vu du décompte général qui lui est notifié, l'entrepreneur émet la facture pour solde du montant résultant du calcul établi par le maître d'œuvre et la transmet à celui-ci qui l'adresse, à son tour, à la personne responsable du marché. ". Aux termes de l'article 13.35 du même CCCG-Travaux : " L'entrepreneur dispose d'un délai de quarante-cinq jours pour signer et renvoyer au maître d'œuvre ce décompte général, sans ou avec réserves. / Si la signature est donnée sans réserve, cette acceptation lie définitivement les parties, sauf en ce qui concerne les intérêts moratoires ; ce décompte devient ainsi le décompte général et définitif du marché. / Si la signature est donnée avec réserves, l'entrepreneur doit motiver ces réserves dans un mémoire de réclamation joint au renvoi du décompte qui précise le montant des sommes dont il revendique le paiement et qui fournit les justifications nécessaires, en reprenant, sous peine de forclusion, les réclamations déjà formulées antérieurement et n'ayant pas fait l'objet de paiement définitif. Le règlement du différend intervient alors selon les modalités indiquées à l'article 85 () ". Et aux termes de l'article 13.36 du CCCG-Travaux : " Si le décompte général n'est pas retourné dans le délai fixé au paragraphe 35 du présent article, il est censé être accepté par l'entrepreneur. Ce décompte devient ainsi le décompte général et définitif du marché. ".

5. D'autre part, aux termes de l'article 19.2 du cahier des prescriptions spéciales (CPS) du marché : " Le présent marché est conclu et exécuté de bonne foi par les Parties qui s'engagent à examiner ensemble dans le plus grand esprit de concertation les éventuelles difficultés qui peuvent survenir lors de son exécution. En cas de litige entre les parties, celles-ci mettent tous leurs efforts en commun afin de résoudre ce litige à l'amiable. Dans le cas où les Parties n'arrivent pas à trouver un accord, elles ont la possibilité d'avoir recours à la médiation. ".

S'agissant du défaut de signature par l'entrepreneur du décompte général et l'absence de tentative de règlement amiable :

6. Il y a lieu par adoption des motifs retenus par le tribunal aux points 5 et 9 de son jugement, d'écarter l'argumentation de la société SNCF Réseau tirée de ce que les demandes de la société Nouvelle Carolux seraient irrecevables faute pour l'entreprise, d'une part, d'avoir signé le décompte général, d'autre part, d'avoir entamé une procédure amiable avant son recours contentieux.

S'agissant de l'insuffisante motivation du mémoire du titulaire du marché :

7. Un mémoire du titulaire du marché ne peut être regardé comme une réclamation au sens des stipulations précitées que s'il expose, de façon précise et détaillée, les chefs de la contestation en indiquant, d'une part, les montants des sommes dont le paiement est demandé et, d'autre part, les motifs de ces demandes, notamment les bases de calcul des sommes réclamées. Si ces éléments ainsi que les justifications nécessaires peuvent figurer dans un document joint au mémoire, celui-ci ne peut pas être regardé comme une réclamation lorsque le titulaire se borne à se référer à un document antérieurement transmis au représentant du pouvoir adjudicateur ou au maître d'œuvre sans le joindre à son mémoire.

8. Il résulte de l'instruction que dans sa lettre du 24 juillet 2018, intitulée " mémoire en contestation ", la société Nouvelle Carolux conteste les pénalités de retard qui lui ont été appliquées par la société SNCF Réseau en détaillant les motifs pour lesquelles celles-ci ne lui sont, selon elle, pas applicables. La société Nouvelle Carolux doit donc être regardée comme ayant présenté sur cette partie du décompte un mémoire en réclamation, au sens de l'article 13-35 précité du CCCG-Travaux et les demandes s'y rapportant, contrairement à ce que soutient la société SNCF Réseau, ne sont, par suite, pas forcloses.

9. Cette lettre, en revanche, qui se borne à fournir le calcul du montant des travaux exécutés, sans l'assortir, par chef de contestation, d'une motivation expresse et détaillée, ni y joindre le cas échéant les pièces utiles, ne peut sur cette autre partie du décompte, constituer un mémoire en réclamation au sens de ce même article. Les demandes de la société Nouvelle Carolux s'y rapportant sont donc irrecevables.

En ce qui concerne la fin de non-recevoir soulevée par la société Nouvelle Carolux :

10. Il ne résulte d'aucune stipulation du CCCG-Travaux, que l'envoi tardif par le maître d'ouvrage de son décompte général puisse donner lieu à l'établissement d'un décompte général tacite sur la base du projet de décompte final établi par le titulaire du marché, au surplus sans aucune mise en demeure préalable. Par suite, la fin de non-recevoir soulevée à ce titre par la société Nouvelle Carolux doit être écartée.

Sur les pénalités :

En ce qui concerne les pénalités de retard liées au délai global d'exécution :

11. Il ressort des termes de l'article 3.2 " délai global d'exécution " du CPS que : " Les études et les travaux objets du présent marché doivent être réalisés dans un délai global de 164 jours de calendrier à partir de la date fixée par le premier ordre de service prescrivant de les commencer et conformément au planning prévision joint à la consultation () ". L'article 10.2 " Pénalités de retard dans le délai global d'exécution " : " Si les études et travaux ne sont pas terminés dans le délai contractuel fixé à l'article 3 du CPS, il est appliqué au titulaire d'office et sans mise en demeure préalable, une pénalité. Cette pénalité est appliquée par jour de calendrier, dès le premier jour de retard, et s'élève à 300 euros ".

12. Il est constant que l'ordre de service n° 1 fixait au 24 avril 2017, le point de départ du délai global issu de l'article 3.2 précité du CPS. La société Nouvelle Carolux avait donc jusqu'au 5 octobre 2017 pour réaliser les études et les travaux objets du marché. Or, la réception de ces travaux a eu lieu le 15 février 2018, soit avec un retard de cent-trente-trois jours. L'appelante soutient que ce retard ne lui est pas imputable mais résulte des travaux supplémentaires demandés par la société SNCF Réseau en cours d'exécution du marché. Cependant, l'intéressée, pas plus dans ses écritures que dans son mémoire en réclamation, n'établit en quoi ces travaux supplémentaires auraient eu pour effet d'engendrer un allongement de la durée du chantier. Du reste, aucun ordre de service décalant de leur fait le délai global d'exécution n'a été émis. Etant précisé au surplus que les huit ordres de service se rapportant à ces travaux ont tous été signés sans réserve par l'entreprise titulaire du marché. Dans ces conditions, la société SNCF Réseau était fondée à appliquer à la société Nouvelle Carolux des pénalités de retard d'un montant de 39 900 euros HT (133 jours x 300 euros), pour avoir dépassé le délai global d'exécution des travaux.

En ce qui concerne les pénalités de retard liées aux délais particuliers d'exécution :

13. Aux termes de l'article 3.3 " Délais particuliers d'études et d'exécution " du CPS : " A l'intérieur du délai global d'exécution, le titulaire devra respecter le jalon et le délai partiel suivant : Délai particulier 1 : Etudes et travaux hors quai F et finitions doivent être terminés au plus tard le 25/08/2017 afin de permettre la remise en exploitation du souterrain à cette échéance ". Aux termes de l'article 10.3 du même cahier " () Si les travaux hors quai F et finition(s) ne sont pas achevé(s) dans le délai particulier 1 défini à l'article 3 du CPS, il est appliqué au Titulaire d'office et sans mise en demeure préalable une pénalité forfaitaire de 2 000 euros par jour de retard et ce dès le premier jour de retard ".

14. Ainsi que cela résulte du compte-rendu de la réunion de travaux du 26 octobre 2017, et n'est pas utilement contesté, les études et travaux " hors quai F et finitions " ont été achevés le 16 octobre 2017, soit avec un retard de cinquante-deux jours. Les premiers juges ont cependant considéré que les lieux du chantier n'avaient été libérés que le 23 mai 2017 et que, dans ces conditions, la société SNCF Réseau n'était pas fondée à appliquer à la société Nouvelle Carolux des pénalités de retard pour la période comprise entre le 24 avril, point de départ des travaux, et le 22 mai 2017, soit vingt-huit jours calendaires. Ils ont par suite déchargé l'appelante du paiement de la somme de 56 000 euros (28 jours x 2 000 euros). Il résulte toutefois de l'instruction que le mémoire en réclamation du 24 juillet 2018 ne fait pas état de la mise à disposition tardive des lieux. Il se borne à indiquer que les ouvertures " ont été contrariées par des problèmes indépendants de notre volonté, notamment liés à l'erreur survenue lors de la livraison du granit (cf courrier AR du 9 juillet 2017) ". Certes, le premier compte-rendu de chantier est daté du 23 mai 2017, mais il demeure silencieux sur la libération tardive des lieux, se bornant à mentionner que " L'entreprise Carolux n'a pas de remarque particulière concernant le marché ", et qu'elle prévoit " la diffusion du planning et de la liste des documents d'exécution pour le début de la semaine S22 ". Enfin, et alors que la société Nouvelle Carolux devait dans ce délai particulier réaliser des études avant de débuter les travaux, elle ne justifie pas des motifs pour lesquels ceux-ci n'ont pas débuté avant le 23 mai 2017. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que le non-respect du délai particulier serait dû à la société SNCF Réseau. Cette dernière était donc fondée à appliquer à la société Nouvelle Carolux des pénalités de retard d'un montant de 104 000 euros HT (52 jours x 2 000 euros).

En ce qui concerne les pénalités de retard liées à la remise tardive du dossier des ouvrages exécutés :

15. Aux termes de l'article 6.4.5 " Documents à fournir après exécution des travaux " du CPS : " () La non remise par le titulaire du DOE au plus tard le jour des opérations préalables à la Réception fera l'objet d'une réserve portée sur le PV des opérations préalables à la réception et assortie d'une date butoir de remise du document ". L'article 10.4 " Pénalités pour retard dans la remise du DOE " du CPS dispose que : " () Pour tout retard dans la remise du Dossier des Ouvrages Exécutés dû par le titulaire, il est appliqué une pénalité de 150 euros par jour de retard au-delà du délai précisé à l'article 6.4.5. () ".

16. Il résulte du procès-verbal de réception de travaux, qu'au jour de cette réception, la société Nouvelle Carolux n'avait pas remis les documents de récolement, les dessins et les notes de calculs mis conformes à l'exécution, ce qui a fait l'objet d'une réserve. La société SNCF Réseau fait valoir que ces documents lui ont été remis avec un retard de quarante-et-un jours, sans pour autant l'établir. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont déchargé l'appelante des pénalités de 6 150 euros HT (41 jours x 150 euros) qui lui ont été infligées en application des dispositions citées au point 14.

En ce qui concerne l'attitude déloyale de la société SNCF Réseau dans l'application des pénalités :

17. Aux termes de l'article 13.12 du CCCG-Travaux : " Le maître de l'ouvrage se réserve le droit de retenir d'office, sur les paiements de l'entrepreneur, le montant des sommes dont celui-ci serait débiteur à son égard à l'occasion de l'exécution de son marché, notamment le montant des pénalités de retard ".

18. La société Nouvelle Carolux ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance par la société SNCF Réseau du principe de loyauté des relations contractuelles, au motif qu'elle aurait mis tardivement à sa charge des pénalités, dès lors que ces pénalités résultent de la mise en œuvre de stipulations convenues entre les parties, lesquelles, en l'espèce, n'imposaient pas, ainsi que cela ressort de l'article 13.12 ci-dessus du CCCG Travaux, que les pénalités soient incluses dans les décomptes mensuels sous peine de forclusion.

En ce qui concerne le caractère excessif des pénalités :

19. Si, lorsqu'il est saisi d'un litige entre les parties à un marché public, le juge du contrat doit, en principe, appliquer les clauses relatives aux pénalités dont sont convenues les parties en signant le contrat, il peut, à titre exceptionnel, saisi de conclusions en ce sens par une partie, modérer ou augmenter les pénalités de retard résultant du contrat si elles atteignent un montant excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché et compte tenu de l'ampleur du retard constaté dans l'exécution des prestations.

20. En l'espèce, le montant total des pénalités correspond à environ 15 % du montant global du marché, ce qui n'est pas manifestement excessif compte tenu, notamment, de l'ampleur du retard constaté. Dans ces conditions, la société Nouvelle Carolux n'est pas fondée à soutenir que les premiers juges auraient commis une erreur de droit en ne modérant pas à la baisse le montant des pénalités qui lui ont été infligées par la société SNCF Réseau.

Sur les dommages et intérêts :

21. Il y a lieu par adoption des motifs retenus par le tribunal au point 18 de son jugement, d'écarter la demande présentée par la société Nouvelle Carolux tendant à ce qu'elle soit indemnisée à hauteur de 20 000 euros du préjudice financier résultant pour elle du retard de paiement du solde du marché.

Sur la retenue de garantie :

22. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 3, il y a lieu de rejeter la demande de la société Nouvelle Carolux tendant à ce que lui soit restituée la retenue de garantie qui lui a été appliquée par la société SNCF Réseau.

Sur le solde du décompte :

23. Il résulte de ce qui précède que le décompte général s'élève à la somme de 933 026 euros HT, et fait apparaître au final, après déduction des pénalités d'un montant de 143 900 euros HT (39 900 + 104 000) et compte tenu des acomptes déjà versés (840 890,43 euros HT) un solde en défaveur de la société Nouvelle Carolux de 51 764,43 euros HT.

24. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de procéder aux mesures d'instruction sollicitées par la société Nouvelle Carolux, que cette dernière n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris n'a pas fait droit à ses demandes. La société SNCF Réseau est, en revanche, fondée à demander que le montant de la condamnation que le tribunal a mis à la charge de la société Nouvelle Carolux soit porté à la somme de 51 764,43 euros HT, avec intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2018, eux-mêmes capitalisés à chaque échéance annuelle, et que son jugement soit réformé en conséquence.

Sur les frais liés à l'instance :

25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société SNCF Réseau qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société Nouvelle Carolux demande au titre des frais de l'instance. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Nouvelle Carolux le versement à la société SNCF Réseau de la somme de 1 500 euros en application de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Nouvelle Carolux est rejetée.

Article 2 : La somme de 7 347 euros HT que l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Paris du 24 juin 2021 a condamné la société Nouvelle Carolux à verser à la société SNCF Réseau, est portée à la somme de 51 764,43 euros HT.

Article 3 : Le jugement n° 1820834/6-3 du 24 juin 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2.

Article 4 : La société Nouvelle Carolux versera à la société SNCF Réseau la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la société SNCF Réseau est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Nouvelle Carolux et à la société SNCF Réseau.

Délibéré après l'audience du 7 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Bonifacj, présidente,

- M. Niollet, président-assesseur,

- Mme d'Argenlieu, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mai 2024.

La rapporteure,

L. d'ARGENLIEULa présidente,

J. BONIFACJ

La greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.