TA Amiens, 21/11/2022, n°2203451
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 31 octobre et 10 novembre 2022, la société "Open!", représentée par Me de Bréon, demande au juge des référés, statuant sur le fondement des articles L. 551-1 et suivants du code de justice administrative :
1°) à titre principal, d'enjoindre au département de l'Oise de lui communiquer les motifs de rejet de son offre ainsi que les caractéristiques de l'offre de l'attributaire du marché de service portant sur la délivrance de titres-restaurant pour les besoins du département de l'Oise au moyen de la fourniture et du rechargement de cartes de paiement ;
2°) d'annuler la décision du 20 octobre 2022 par laquelle la présidente du département de l'Oise a rejeté son offre comme irrégulière ;
3°) et d'enjoindre au département de l'Oise de reprendre la procédure de passation de ce marché, à compter du stade de l'analyse des offres ;
4°) à titre subsidiaire, d'annuler la procédure de passation de ce marché ;
5°) et d'enjoindre au département de l'Oise de reprendre la procédure de passation de ce marché, à compter de l'envoi et de la publication de l'avis de marché ;
6°) en tout état de cause, de condamner le département de l'Oise et la société Edenred France à lui verser une somme de 5 000 euros chacun sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administratif.
Elle soutient que :
- le pouvoir adjudicateur a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, dès lors qu'il ne l'a pas suffisamment informée des motifs de son éviction ;
- il ne peut lui être reproché d'avoir financièrement modifié son offre, dès lors qu'en se limitant à mentionner initialement les coûts pour le prestataire de l'émission d'un titre-restaurant aux termes des documents financiers de son offre, cette dernière était conforme au règlement de la consultation ;
- en modifiant ce prix par l'intégration d'autres coûts à la demande du pouvoir adjudicateur, elle s'est dès lors bornée à rectifier son offre sans méconnaitre le principe d'intangibilité des offres ;
- le pouvoir adjudicateur a commis une erreur manifeste d'appréciation en déclarant son offre comme anormalement basse, dès lors qu'elle a justifié ses prix à raison de la solution innovante qu'elle propose ;
- le pouvoir adjudicateur a déclaré à tort son offre comme irrégulière au motif que le moyen de paiement mis en œuvre est la carte bancaire personnelle de l'agent, alors que cette proposition est conforme aux exigences du cahier des clauses techniques particulières du contrat ;
- en admettant que le cahier des clauses techniques particulières prohibe comme moyen de paiement la carte bancaire personnelle de l'agent, il méconnaitrait, comme les restreignant, les dispositions légales et réglementaires applicables aux titres-restaurant, dès lors que ces dernières ne l'interdisent pas ;
- dans la même hypothèse, le pouvoir adjudicateur a méconnu les dispositions de l'article R. 2111-4 du code de la commande publique, dès lors qu'en imposant la fourniture d'une carte de paiement distincte de la carte de paiement personnelle de l'agent, il a défini une spécification technique disproportionnée à la valeur et aux objectifs du marché ;
- dans la même hypothèse, il a également méconnu les dispositions de l'article R. 2111-7 du code de la commande publique, dès lors qu'il n'a pas envisagé qu'un candidat puisse proposer une solution équivalente à celle exigée par le cahier des clauses techniques particulières ;
- dans la même hypothèse, il a également méconnu les dispositions de l'article R. 2111-11 du code de la commande publique, dès lors que la solution innovante qu'elle propose est de nature à répondre aux besoins qu'il a exprimés ;
- le motif tiré de l'irrégularité de son offre au regard de la législation des titres-restaurant comme ne constituant qu'une solution de remboursement n'a pas été opposé par le pouvoir adjudicateur aux termes du courrier l'informant des motifs de rejet de cette dernière et n'est en tout état de cause pas fondé, dès lors que son offre est fondée sur l'application du 1° de l'article L. 3262-1 du code du travail permettant à l'employeur d'émettre lui-même des titres-restaurant ;
- ces différents manquements l'ont directement lésée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 novembre 2022, le département de l'Oise, représenté par Me Bosquet, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société "Open!" une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 novembre 2022, la société Edenred France, représentée par Me Letellier, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société "Open!" une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'offre de la société requérante était irrégulière comme ne constituant qu'une solution de remboursement de la part de l'employeur et est contraire à la législation relative aux titres-restaurant ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
La présidente du tribunal a désigné M. Thérain, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Thérain, vice-président ;
- les observations de Me De Bréon, représentant la société "Open!", qui conclut aux mêmes fins que ses écritures par les mêmes moyens, en soutenant, en outre, que le pouvoir adjudicateur a déclaré à tort son offre comme irrégulière comme ne reposant pas sur un système de pré-paiement des participations cumulées de l'employeur et de l'agent mais sur un système de post-paiement de la seule part de l'employeur ;
- celles de Me Bosquet, représentant le département de l'Oise, qui conclut aux mêmes fins que ses écritures, par les mêmes moyens ;
- et celles de Me Lebel, représentant la société Edenred,France qui conclut aux mêmes fins que ses écritures, par les mêmes moyens.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
La société "Open!" a présenté une note en délibéré le 12 novembre 2022.
Considérant ce qui suit :
1. Le département de l'Oise a engagé le 22 juillet 2022 une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de l'attribution de l'accord-cadre portant sur la délivrance de titres-restaurant au moyen de la fourniture et du rechargement de cartes de paiement. Par un courrier du 20 octobre 2022, le pouvoir adjudicateur a informé la société "Open!" du rejet de son offre comme étant anormalement basse et irrégulière, ainsi que de l'attribution du marché à la société Edenred France. La société "Open!" demande notamment au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, à titre principal, d'annuler la décision du 20 octobre 2022 et, à titre subsidiaire, d'annuler la procédure de passation de ce marché.
2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix () ". Il appartient au juge du référé précontractuel de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte, en avantageant une entreprise concurrente.
3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2181-3 du code de la commande publique : " La notification prévue à l'article R. 2181-1 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. / Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : / 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre () ". Selon l'article R. 2181-4 du même code : " A la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : () / 2° Lorsque le marché a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue ".
4. Il résulte de l'instruction que, par un courrier du 20 octobre 2022, le pouvoir adjudicateur a informé la société "Open!" de l'irrégularité de son offre aux motifs qu'elle était anormalement basse, qu'elle a fait l'objet d'une modification financière substantielle en cours de procédure et qu'elle était contraire aux exigences du cahier des clauses techniques particulières, comme, d'une part, ne reposant pas sur un système de pré-paiement des participations cumulées de l'employeur et de l'agent mais sur un système de post-paiement de la seule part de l'employeur, et comme, d'autre part, ne prévoyant pas la mise à disposition d'une carte de paiement spécifique mais l'usage de la carte bancaire personnelle des agents. Dès lors que l'offre de la société requérante a été écartée comme irrégulière, le pouvoir adjudicateur n'avait pas, en application des dispositions précitées, à préciser, après avoir mentionné le nom de la société attributaire, les caractéristiques et les avantages de l'offre de cette dernière. Il s'ensuit que la société requérante a été suffisamment informée des motifs de rejet de son offre.
5. En deuxième lieu, aux termes, d'une part, de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées ". Selon l'article L. 2152-2 du même code : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ".
6. Aux termes, d'autre part, de l'article L. 3262-1 du code du travail : " Le titre-restaurant est un titre spécial de paiement remis par l'employeur aux salariés pour leur permettre d'acquitter en tout ou en partie le prix du repas consommé au restaurant ou acheté auprès d'une personne ou d'un organisme mentionné aux deuxième alinéa de l'article L. 3262-3. Ce repas peut être composé de fruits et légumes, qu'ils soient ou non directement consommables. / Ces titres sont émis : / 1° Soit par l'employeur au profit des salariés directement ou par l'intermédiaire du comité social et économique ; / 2° Soit par une entreprise spécialisée qui les cède à l'employeur contre paiement de leur valeur libératoire et, le cas échéant, d'une commission. / Un décret détermine les conditions d'application du présent article ". Selon l'article R. 3262-1 du même code : " Les titres-restaurant peuvent être émis sur un support papier ou sous forme dématérialisée ". Enfin, aux termes de l'article R. 3262-1-2 de ce code : " Lorsque les titres-restaurant sont émis sous forme dématérialisée, les dispositions suivantes sont applicables : () 2° L'émetteur assure à chaque salarié l'accès permanent et gratuit, par message textuel, par voie téléphonique ou directement sur l'équipement terminal mentionné au 1°, aux informations suivantes : / () c) Le montant de la valeur libératoire du titre, toute modification de cette valeur libératoire faisant en outre l'objet d'une information préalable du salarié sur un support durable () ".
7. Il résulte de l'instruction et est au demeurant constant qu'en vue de l'attribution du marché litigieux, qui porte sur un service de délivrance de titres-restaurants au sens des dispositions précitées aux agents du pouvoir adjudicateur, la société "Open!" a remis une offre dont le principe repose sur l'avance par l'agent du montant total des denrées alimentaires qu'il souhaite acheter ou consommer au restaurant, puis sur son remboursement, au moyen de l'application électronique mise à disposition par le prestataire, de la part de ce montant prise en charge par l'employeur. Il s'ensuit que cette offre ne prévoit pas la remise par l'employeur à ses agents, que ce soit sur un support matériel ou dématérialisé, d'un titre spécial de paiement pour leur permettre d'acquitter le prix de ces denrées, ni par suite d'un titre-restaurant au sens du premier alinéa de l'article L. 3262-1 du code du travail, sans qu'ait d'incidence la circonstance que de tels titres puissent être émis, en application des alinéas suivants du même article, soit par l'employeur, soit par une entreprise spécialisée.
8. Dans ces conditions et à raison de cette seule considération, l'offre de la société "Open!" ne respectait ni les exigences formulées dans les documents de la consultation, ni la législation applicable à cette dernière. Le pouvoir adjudicateur était dès lors fondé à l'écarter comme étant irrégulière pour ce motif, lequel lui a d'ailleurs été opposé, contrairement à ce qui est soutenu, dès le courrier du 20 octobre 2022 évoqué ci-dessus au point 4 l'informant du rejet de son offre.
9. Enfin, les autres manquements invoqués par la société requérante, relatifs à des motifs distincts de rejet de son offre, n'ont pas été, fût-ce indirectement, susceptibles de la léser, dès lors que cette offre devait en tout état de cause être rejetée par le pouvoir adjudicateur comme étant irrégulière pour le motif relevé ci-dessus.
10. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la requête de la société "Open!" doivent être rejetées, y compris ses conclusions aux fins d'injonction, ainsi que celles qu'elle présente sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à sa charge sur ce dernier fondement une somme de 1 500 euros à verser, d'une part, au département de l'Oise et, d'autre part, à la société Edenred France.
O R D O N N E :
Article 1er : La requête présentée par la société "Open!" est rejetée.
Article 2 : La société "Open!" versera une somme de 1 500 euros au département de l'Oise sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi qu'une somme identique à la société Edenred France.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société "Open!", au département de l'Oise et à la société Edenred France.
Fait à Amiens, le 21 novembre 2022.
Le président de la 3ème chambre,
Juge des référés
Signé :
S. ThérainLa greffière,
Signé :
N. Wrobel La République mande et ordonne à la préfète de l'Oise en ce qui la concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.