TA Besançon, 01/02/2024, n°2300170


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 27 janvier 2023, la société Perrin, représentée par Me Perrey, demande au tribunal :

1°) de condamner le département du Jura à lui verser la somme de 113 681,36 euros au titre de divers travaux et indemnités dans le cadre de l'exécution du marché public " travaux d'étanchéité et de rénovation thermique du collège Cazeaux à Morez ", assortie des intérêts moratoires à compter du 2 novembre 2022 ;

2°) de condamner le département du Jura à lui verser la TVA sur l'indemnité allouée " au taux applicable au jour du versement effectif des sommes dues ou à défaut à celui applicable au jour du jugement à intervenir " ;

3°) " de condamner le département du Jura à payer le solde du marché " ;

4°) de " déclarer qu'il ne peut être fait application de pénalités de retard " ;

5°) de mettre à la charge du département du Jura la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Perrin soutient que :

- elle est fondée à obtenir le paiement des travaux de renforcement de la structure et les travaux de reprise des ouvrages dégradés qu'elle a réalisés et qui n'étaient pas prévus par les pièces du marché ;

- elle est fondée à obtenir le paiement de la prestation d'installation d'échafaudages qui n'était pas prévue par les pièces du marché ;

- le département du Jura n'a pas respecté les conditions de déclenchement de la phase de préparation de chantier et il n'a pas respecté la durée d'exécution des travaux prévue par les stipulations du marché ;

- les jours d'intempéries constatés lors de l'exécution du marché ont généré des sujétions imprévues qui doivent être indemnisées ;

- les jours d'intempéries constatés lors de l'exécution du marché et la crise sanitaire justifient une indemnisation pour imprévision ;

- les préjudices qu'elle a subis doivent être évalués et indemnisés à hauteur de 113 681,36 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 novembre 2023, le département du Jura, conclut :

1°) au rejet des conclusions de la requête ;

2°) " à déclarer recevable " l'application des pénalités de retard qui ont été infligées à la société Perrin ;

3°) à ce que soit mise à la charge de la société Perrin la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le département du Jura fait valoir que :

- les travaux réalisés par la société Perrin de renforcement de la structure et les travaux de reprise des ouvrages dégradés ont été nécessaires à la réalisation des travaux ;

- l'indemnité réclamée au titre des travaux de reprise des ouvrages dégradés doit être ramenée à de plus justes proportions ;

- l'installation d'échafaudages supplémentaires dont la société Perrin demande le paiement n'était pas nécessaire à l'exécution des travaux ;

- le déclenchement de la phase de préparation du chantier s'est fait dans les conditions prévues par les stipulations du marché et la société Perrin ne peut se prévaloir d'aucune indemnité au titre d'un démarrage " précipité " des travaux ou de l'allongement de la durée du chantier ;

- la société Perrin n'a été contrainte par aucune sujétion imprévue ;

- la société Perrin ne peut pas se prévaloir de l'application de la théorie de l'imprévision.

Un mémoire a été enregistré le 8 janvier 2024 pour la société Perrin, qui n'a pas été communiqué.

En application des dispositions de l'article R. 222-17 du code de justice administrative, la présidente du tribunal a désigné M. Pernot, premier conseiller, pour présider la deuxième chambre du tribunal, en cas de vacance ou d'empêchement.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- l'ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Seytel,

- les conclusions de M. A,

- les observations de Me Mekki pour la SAS Perrin et de M. B pour le département du Jura.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre de l'opération de travaux d'étanchéité et de rénovation thermique du collège Pierre Hyacinthe Cazeaux à Morez, le département du Jura a attribué, le 15 juin 2020, le lot n°3 " bardage de façade - échafaudage " à la société Perrin. Par un courrier du 28 octobre 2022, reçu le 2 novembre suivant, la société Perrin a présenté un mémoire en réclamation, rejeté par une décision prise le 10 janvier 2023 par le président du département du Jura. La société Perrin demande la condamnation du département du Jura à lui verser la somme de 113 681,36 euros.

Sur la demande indemnitaire :

2. Saisi de demandes indemnitaires en raison de prestations supplémentaires réalisées par le titulaire d'un marché, il appartient au juge de déterminer l'étendue du préjudice subi par cette société, qui présente un caractère indemnisable.

En ce qui concerne les travaux de renforcement de la structure :

3. Il est constant que la société Perrin a réalisé des prestations de renforcement des échafaudages qui n'étaient pas prévues par les pièces du marché et étaient indispensables à l'exécution des travaux. Le montant de ces travaux n'étant pas contesté, il sera fait une exacte appréciation de ce préjudice en le fixant à 3 192, 24 euros.

En ce qui concerne les travaux de reprise :

4. Il est constant que la société Perrin a réalisé des travaux de reprise au niveau du pignon entre les bâtiments C et D et celui situé entre les bâtiments D et E. Ces travaux, qui portaient sur une surface de 70 mètres carrés, n'étaient pas prévus par les pièces du marché et étaient indispensables à l'exécution des travaux. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que ces travaux ont nécessité la pose d'échafaudages sur une surface de 140 mètres carrés permettant d'atteindre toutes les parties de l'ouvrage concernées par les travaux de reprise. Eu égard aux prix unitaires prévus par les pièces du marché, et notamment les prix unitaires au mètre carré de 16,40 euros HT pour l'installation " d'échafaudages sur pied ", de 9,8 euros HT pour les prestations de dépose de bardage et de 109 euros HT pour les travaux d'isolation extérieure sur support brique ou support béton, il sera fait une exacte appréciation de ce préjudice en le fixant à 10 612 euros (140 x 16,4 + 70 x 9,8 + 70 x 109).

En ce qui concerne la surface supplémentaire d'échafaudages :

5. Il est constant que les pièces du marché en litige stipulaient que le titulaire du lot n°3 devait installer des échafaudages sur une surface de 2 432 mètres carrés. Ce métrage n'a jamais été contesté par la société requérante. Dès lors, la seule circonstance que la société Kapp échafaudages, fournisseur de la société Perrin, ait facturé une quantité d'échafaudages qui permet d'intervenir sur une surface de 2 580 mètres carrés ne suffit pas à établir que l'exécution du marché ait nécessité une telle surface d'échafaudages. Par suite, la société Perrin n'est pas fondée à demander au département du Jura l'indemnisation d'une surface supplémentaire d'échafaudages.

En ce qui concerne la modification des conditions d'exécution du marché :

6. La société Perrin soutient qu'en raison des conditions de notification de l'ordre de service n°1, elle n'a pas pu bénéficier d'une phase de préparation du chantier dans les conditions prévues par les pièces du marché, ce qui l'aurait conduite à démarrer le chantier " de manière précipitée " et obligée à recourir en urgence à des fournisseurs d'échafaudages sans pouvoir négocier les prix.

7. Toutefois, le cahier des clauses administratives particulières du contrat en litige stipule, à son article 10.1, que la phase de préparation est de 30 jours à compter de la date indiquée par l'ordre de service et, à son article 1.9, que les ordres de services sont préparés, datés et signés par le maître d'œuvre. Il résulte de l'instruction que le représentant de la société Perrin a certifié avoir reçu le 25 juin 2020 l'ordre de service n°1 qui indiquait que les travaux de la tranche ferme du lot n°3 débutaient le 29 juillet 2020 et ainsi qu'un délai de préparation de chantier de 30 jours débutait à compter du 29 juin 2020. La signature de l'ordre de service par le maître d'ouvrage étant superfétatoire, la société Perrin ne saurait se prévaloir de la circonstance que l'ordre de service ayant été signé par le seul maitre d'œuvre, cet ordre de service n'était pas exécutoire à la date de sa notification le 25 juin 2020. Par ailleurs, si la société Perrin soutient que le département du Jura n'a validé la teinte des matériaux à mettre en œuvre que le 15 septembre 2020, n'a validé le dossier technique que le 9 novembre 2021 et qu'à compter de cette date les conditions météorologiques ont rendu impossible l'exécution des prestations d'isolation extérieure dans les règles de l'art, ces circonstances sont sans incidence sur l'installation d'échafaudages durant la période de préparation du chantier. Enfin, la société Perrin n'apporte aucun élément qui permette d'établir que la crise sanitaire liée à la propagation du virus covid-19 puisse expliquer ses difficultés dans le démarrage des travaux. Dans ces conditions, la société Perrin n'est pas fondée à soutenir que le département du Jura a méconnu les stipulations contractuelles précédemment rappelées en la privant du délai de 30 jours de préparation des travaux et en l'obligeant à débuter le chantier " de manière précipitée " au mois d'août 2020. Par suite, la demande tendant à la réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison des conditions dans lesquelles le département du Jura a déclenché la phase de préparation du chantier du lot n°3 ne peut être accueillie.

En ce qui concerne les sujétions imprévues :

8. Le titulaire d'un marché public est fondé à demander le paiement d'une indemnité pour sujétions exceptionnelles et imprévisibles rencontrées dans l'exécution des travaux dont la cause est extérieure aux parties.

9. En l'espèce, il résulte de l'instruction que les intempéries constatées à Morez ont notamment conduit le département du Jura et la société Perrin à conclure le 17 mai 2021 un avenant au marché qui a reporté la date limite du délai d'exécution de la tranche ferme et de la tranche optionnelle du marché au 22 septembre 2021. Pour autant, la seule production par la société Perrin de devis datés des 7 août 2020 et 4 octobre 2022 ne permet pas de démontrer que ces intempéries ont généré des difficultés exceptionnelles dans l'exécution du marché. Par suite, la société Perrin n'est pas fondée à demander la réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison des dépenses auxquelles elle a été exposée en raison de sujétions imprévues.

En ce qui concerne l'application de la théorie de l'imprévision :

10. Une indemnité d'imprévision suppose un déficit d'exploitation qui soit la conséquence directe d'un évènement imprévisible, indépendant de l'action du cocontractant de l'administration et ayant entraîné un bouleversement de l'économie du contrat. Le concessionnaire est alors en droit de réclamer au concédant une indemnité représentant la part de la charge extracontractuelle que l'interprétation raisonnable du contrat permet de lui faire supporter. Cette indemnité est calculée en tenant compte, le cas échéant, des autres facteurs qui ont contribué au bouleversement de l'économie du contrat, l'indemnité d'imprévision ne pouvant venir qu'en compensation de la part de déficit liée aux circonstances imprévisibles.

11. En l'espèce, la société Perrin se borne à soutenir qu'elle " ne pouvait pas prévoir " les difficultés qu'elle a rencontrées, causées par des conditions météorologiques défavorables au cours de l'exécution du marché et par la crise sanitaire liée à la propagation du virus covid-19. Ce faisant, la société Perrin n'apporte aucun élément qui permette d'établir que, dans le cadre de l'exécution du marché, les intempéries constatées et la crise sanitaire ont entraîné un bouleversement de l'économie du contrat. A cet égard, la circonstance que l'indemnité d'imprévision réclamée par la société Perrin corresponde à " une augmentation des coûts de 10, 9 % " ne saurait constituer un bouleversement de l'économie du contrat. Par suite, la société Perrin n'est pas fondée à demander au département du Jura le paiement d'une indemnité d'imprévision.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Perrin est seulement fondée à demander le paiement d'une indemnité de 13 804,24 euros.

Sur le paiement de la TVA :

13. Le présent jugement fixe l'indemnité allouée à la société Perrin au montant de 13 804,24 euros hors taxes. L'intégralité de cette indemnité correspond au coût des prestations supplémentaires réalisées par ladite société. Les indemnités au titre de prestations supplémentaires devant être calculées toutes taxes comprises, la société Perrin a droit au paiement de la TVA sur chacune des prestations supplémentaires réalisées au taux en vigueur à la date à laquelle elle a exécuté les prestations.

Sur les intérêts de retard :

14. Aux termes de l'article L. 2192-10 du code de la commande publique : " Les pouvoirs adjudicateurs () paient les sommes dues en principal en exécution d'un marché dans un délai prévu par le marché ou, à défaut, dans un délai fixé par voie réglementaire et qui peut être différent selon les catégories de pouvoirs adjudicateurs () " et aux termes de l'article R. 2192-12 de ce code : " Sous réserve des dispositions prévues aux articles R. 2192-13, R. 2192-17 et R. 2192-18, le délai de paiement court à compter de la date de réception de la demande de paiement par le pouvoir adjudicateur ou, si le marché le prévoit, par le maître d'œuvre ou toute autre personne habilitée à cet effet ". L'article R. 2192-10 du même code précise : " Le délai de paiement prévu à l'article L. 2192-10 est fixé à trente jours pour les pouvoirs adjudicateurs () ".

15. Il résulte de l'instruction que le 2 novembre 2022 la société Perrin a notifié au département du Jura son mémoire en réclamation. Dès lors, la société Perrin a droit aux intérêts moratoires correspondant à l'indemnité fixée dans les conditions exposées aux points 12 et 13 à compter du 2 décembre 2022.

Sur le solde du marché :

16. La société Perrin n'apporte aucun élément chiffré ni argumentation permettant d'établir le solde du marché en litige. Dès lors, ses conclusions tendant à ce que le département du Jura soit condamné à payer le solde du marché ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les pénalités de retard :

17. La société Perrin ne produit aucune décision par laquelle le département du Jura aurait mis à sa charge des pénalités de retard dans le cadre de l'exécution du marché en litige. Dès lors, ses conclusions tendant à ce qu'il soit déclaré qu'il ne peut être fait application de pénalités de retard ne peuvent qu'être rejetées.

18. Compte tenu de ce qui vient d'être indiqué au point précédent, les conclusions du département du Jura tendant à ce que le tribunal " déclare recevable " l'application de pénalités de retard à la société Perrin doivent également être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

19. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre une somme de 1 500 euros à la charge du département du Jura au titre des frais liés au litige.

20. En revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme demandée par le département du Jura soit mise à la charge de la société Perrin qui n'est pas la partie perdante.

D E C I D E :

Article 1er : Le département du Jura est condamné à verser à la société Perrin la somme de 13 804,24 euros HT augmentée de la TVA au taux applicable et assortie des intérêts moratoires à compter du 2 décembre 2022.

Article 2 : Le département du Jura versera la somme de 1 500 euros à la société Perrin au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Perrin et au département du Jura.

Délibéré après l'audience du 12 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Pernot, premier conseiller faisant fonction de président,

- M. Seytel, conseiller,

- Mme Marquesuzaa, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er février 2024.

Le rapporteur,

J. SeytelLe premier conseiller faisant fonction de président,

A. Pernot

La greffière,

C. Quelos

La République mande et ordonne au préfet du Jura, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière

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