TA de Bordeaux, 06 décembre 2023, n° 2200378
Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 24 janvier 2022, la société Ginger CEBTP, représentée par Me Allaire, demande au tribunal :
1°) à titre principal, d'annuler le titre exécutoire n° 2467, émis à son encontre, le 2 juillet 2021, par le président de Bordeaux Métropole pour un montant de 740 euros correspondant aux pénalités de retard qui lui ont été infligées ainsi que la décision du 2 décembre 2021 en tant qu'elle porte rejet de son recours gracieux ;
2°) de prononcer la décharge de l'obligation de payer cette somme ;
3°) à titre subsidiaire, de moduler le montant de ces pénalités en les fixant à une somme qui ne saurait être supérieure à 63,12 euros ;
5°) de mettre à la charge de Bordeaux Métropole la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le titre exécutoire contesté est irrégulier en la forme, dès lors qu'il ne précise pas le nom, le prénom et la qualité de son émetteur et qu'il n'est pas établi que le bordereau auquel il est rattaché soit signé ;
- le montant des pénalités qui lui ont été infligées est excessif dès lors qu'il représente 117 % du montant du bon de commande dont l'exécution a fait l'objet du retard ; le retard de 37 jours, qui lui est reproché, est faible et doit être porté à 35 jours ;
- les pratiques observées pour des marchés comparables au marché en litige révèlent que, lorsque le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de fournitures et de services (CCAG-FCS) est appliqué, le montant de la pénalité journalière est fixé à 0,01 % du montant de la prestation en cause, étant précisé que ce CCAG prévoit que le montant total des pénalités de retard ne peut excéder 10% du montant total hors taxe du marché, de la tranche considérée ou du bon de commande ; compte tenu du montant des prestations en cause, de 631,16 euros hors taxes, le montant des pénalités infligées ne saurait excéder 63,16 euros ;
- le seul marché comparable au marché en cause, publié sur une plateforme d'achat public à la date du dépôt de la requête, qui prévoit un régime de pénalité forfaitaire, fixe cette pénalité à 50 euros par prestation manquante ou incomplète, indifféremment du nombre de jour de retard ;
- les autres marchés comparables prévoient un régime de pénalités de retard dont le taux est généralement inférieur à 0,5 % du montant du bon de commande par jour de retard, de sorte qu'à supposer que le régime du CCAG-FCS ne constitue pas une norme de référence pour déterminer la mesure dans laquelle le montant des pénalités infligées présente un caractère excessif, il convient d'appliquer ce taux et de fixer à 110,45 euros le montant que les pénalités infligées ne sauraient excéder.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juin 2023, Bordeaux Métropole conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- le titre exécutoire en cause comporte le nom, le prénom et la qualité de la personne qui l'a émis ;
- le bordereau de titre de recettes a été signé électroniquement par l'adjointe à la directrice générale finances et commande publique de Bordeaux Métropole, en charge de la territorialisation ;
- le caractère excessif des pénalités infligées doit s'apprécier par référence au montant global du marché, et non par référence au montant du bon de commande en cause, alors même que le régime de pénalité de l'accord cadre à bon de commande en cause est forfaitaire, dépend du bon de commande dont l'exécution fait l'objet du retard et est sévère compte tenu des répercussions que représente le retard sanctionné sur l'exécution des travaux subséquents ;
- le montant des pénalités qui ont été appliquées sur l'ensemble du marché, qui correspondent à des retards allant de plus d'un mois à trois mois et demi de retard par bon de commande, ne saurait être regardé comme présentant un caractère excessif au seul motif qu'il représente 3 % du montant global de l'accord-cadre qui représente la somme de 250 000 euros HT.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Denys, rapporteure ;
- les conclusions de M. Bongrain, rapporteur public ;
- les observations de Me Allaire, représentant la société Ginger CEBTP.
Considérant ce qui suit :
1. Par un acte d'engagement signé en 2019, le président de Bordeaux Métropole a confié à la société Ginger CEBTP l'exécution de l'accord-cadre portant sur la réalisation de carottages de chaussées, de diagnostics amiante et hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Le président de Bordeaux Métropole a émis, le 20 avril 2021, un bon de commande pour un montant de 907,53 euros HT soit 1 089,04 euros TTC. Le terme du délai d'exécution de ce bon de commande a été fixé au 19 mai 2021. Par un ordre de service du 30 juin 2021, la société Ginger CEBTP a été informée de la décision du président de Bordeaux Métropole de lui appliquer des pénalités de retard pour un montant de 740 euros correspondant aux 37 jours de retard, qu'il estime être imputable à la société requérante, dans l'exécution du bon de commande en cause. Le 2 juillet 2021 a été émis, à l'encontre de l'intéressée, un titre exécutoire, référencé sous le n° 2467, pour un montant de 740 euros correspondant au montant des pénalités en cause. La société Ginger, a formé recours gracieux à l'encontre de ce titre, qui a été rejeté par une décision du 2 décembre 2021. Cette société demande l'annulation du titre exécutoire en cause, ainsi de la décision du 2 décembre2021 en tant qu'elle porte rejet de son recours gracieux, et la décharge de la somme dont ce titre fait mention.
Sur la régularité du titre exécutoire :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales : " () / 4° Quelle que soit sa forme, une ampliation du titre de recettes individuel ou de l'extrait du titre de recettes collectif est adressée au redevable. L'envoi sous pli simple ou par voie électronique au redevable de cette ampliation à l'adresse qu'il a lui-même fait connaître à la collectivité territoriale, à l'établissement public local ou au comptable public compétent vaut notification de ladite ampliation. Lorsque le redevable n'a pas effectué le versement qui lui était demandé à la date limite de paiement, le comptable public compétent lui adresse une mise en demeure de payer avant la notification du premier acte d'exécution forcée devant donner lieu à des frais. / En application de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration, le titre de recettes individuel ou l'extrait du titre de recettes collectif mentionne les nom, prénoms et qualité de la personne qui l'a émis ainsi que les voies et délais de recours. Seul le bordereau de titres de recettes est signé pour être produit en cas de contestation () ". Il résulte de ces dispositions, d'une part, que le titre de recettes individuel ou l'extrait du titre de recettes collectif adressé au redevable doit mentionner les nom, prénoms et qualité de la personne qu'il l'a émis et, d'autre part, qu'il appartient à l'autorité administrative de justifier, en cas de contestation, que le bordereau de titre de recettes comporte la signature de l'émetteur.
3. Il résulte de l'instruction que le titre contesté indique qu'il a été émis par Karine Bonneau, adjointe à la directrice générale finances et commande publique (DGFCP) de Bordeaux Métropole en charge des finances. Par ailleurs, le bordereau de titre de recettes n° 606, afférent au titre exécutoire attaqué n° 2467, revêt la signature électronique de cet agent. Dès lors, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le titre exécutoire en litige ne mentionnerait pas les noms, prénoms et qualité de la personne qui l'a émis et ne serait pas signé.
Sur la modulation des pénalités de retard appliquées :
4. Aux termes du point 12.1, portant sur les pénalités de retard, du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) de l'accord-cadre en litige : " Lorsque le délai contractuel d'exécution ou de livraison est dépassé, par le fait du titulaire, celui-ci encourt, par jour de retard et sans mise en demeure préalable, une pénalité fixée à, par dérogation à l'article 14.1 du CCAG-FCS : / - 20,00 € lorsque le délai " normal " est dépassé, / -50,00 € lorsque le délai " urgent " est dépassé. () ".
5. Les pénalités de retard prévues par les clauses d'un marché public ont pour objet de réparer forfaitairement le préjudice qu'est susceptible de causer au pouvoir adjudicateur le non-respect, par le titulaire du marché, des délais d'exécution contractuellement prévus. Elles sont applicables au seul motif qu'un retard dans l'exécution du marché est constaté et alors même que le pouvoir adjudicateur n'aurait subi aucun préjudice ou que le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché qui résulte de leur application serait supérieur au préjudice subi.
6. Si, lorsqu'il est saisi d'un litige entre les parties à un marché public, le juge du contrat doit, en principe, appliquer les clauses relatives aux pénalités dont sont convenues les parties en signant le contrat, il peut, à titre exceptionnel, saisi de conclusions en ce sens par une partie, modérer ou augmenter les pénalités de retard résultant du contrat si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché et compte tenu de l'ampleur du retard constaté dans l'exécution des prestations.
7. Lorsque le titulaire du marché saisit le juge de conclusions tendant à ce qu'il modère les pénalités mises à sa charge, il ne saurait utilement soutenir que le pouvoir adjudicateur n'a subi aucun préjudice ou que le préjudice qu'il a subi est inférieur au montant des pénalités mises à sa charge. Il lui appartient de fournir aux juges tous éléments, relatifs notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige, de nature à établir dans quelle mesure ces pénalités présentent selon lui un caractère manifestement excessif. Au vu de l'argumentation des parties, il incombe au juge soit de rejeter les conclusions dont il est saisi en faisant application des clauses du contrat relatives aux pénalités, soit de rectifier le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché dans la seule mesure qu'impose la correction de leur caractère manifestement excessif.
8. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment des CCAP d'accord-cadre comparables produits par la société requérante, que la clause relative aux pénalités de retard mise en œuvre dans le présent litige, qui prévoit une pénalité fixée à 20 euros par jour de retard, n'est pas habituelle dans les marchés de fournitures courantes ou de services comparables.
9. D'autre part, contrairement à ce que soutient Bordeaux Métropole, le caractère manifestement excessif du montant des pénalités de retard assignées à la société Ginger CEBTP doit être apprécié non pas au regard du montant total des prestations objet de l'accord-cadre en litige, mais en tenant compte des seules prestations dont l'exécution est requise par le bon de commande en litige.
10. Enfin, le retard imputable à la société Ginger CEBTP constaté par Bordeaux Métropole dans l'exécution du bon de commande en litige, dont le montant correspond à la somme de 907,53 euros HT, soit 1 089,04 euros TTC, s'est limité à 37 jours.
11. Compte tenu des éléments non sérieusement contestés dont fait état la société requérante, les pénalités qui lui ont été infligées, qui s'élèvent à la somme de 740 euros, présentent un caractère manifestement excessif en tant qu'elles excèdent 25% du montant hors taxes du bon de commande en litige. Dès lors, il y a lieu de ramener le montant de ces pénalités à la somme de 226,88 euros.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Ginger CEBTP doit être déchargée de l'obligation de payer la somme de 513,12 euros.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Bordeaux Métropole la somme de 1 000 euros à verser à la société Ginger CEBTP au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E:
Article 1er : Le titre exécutoire n° 2467 est annulé en tant qu'il excède la somme de 226,88 euros et la décision du 2 décembre 2021 est annulée, dans la même mesure, en tant qu'elle rejette le recours gracieux formé à l'encontre de ce titre.
Article 2 : La société Ginger CEBTP est déchargée de l'obligation de payer la somme de 513,12 euros mise à sa charge par le titre exécutoire n° 2467.
Article 3 : Bordeaux Métropole versera à la société Ginger CEBTP la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par la société Ginger CEBTP est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à la société Ginger CEBTP et à Bordeaux Métropole.
Délibéré après l'audience du 15 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Zuccarello, présidente,
- Mme Caste, conseillère,
- Mme Denys, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2023.
La rapporteure,
A. DENYS La présidente,
F. ZUCCARELLO La greffière,
I. MONTANGON
La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière