TA de La Réunion, 20 novembre 2023, n° 2100946

 

 

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 juillet 2021 et 1er avril 2022, la société CK Atelier, représentée par Me Codet, avocat, demande au tribunal :

1°) d'annuler l'avis des sommes à payer émis à son encontre le 14 juin 2021, suite au titre de recette émis par la commune de Saint-André le 25 mai 2021, en vue du recouvrement d'une somme de 106 750 euros ;

2°) de moduler le montant des pénalités de retard mises à sa charge par la commune de Saint-André afin de ramener celui-ci à de plus justes proportions ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-André une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête, introduite dans le délai de deux mois, est recevable ;

- l'avis des sommes à payer est irrégulier pour avoir été signé par une personne dont on ignore la fonction ou si elle disposait d'une délégation ;

- aucune information ne lui a été donnée lui permettant d'apprécier les modalités de calcul des jours de retard ;

- elle n'a pas été en mesure de faire connaitre ses observations avant l'acte litigieux ;

- les manquements qui lui sont reprochés ne sont pas établis ;

- au regard notamment du montant du marché, les pénalités de retard présentent un caractère manifestement excessif.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 mars 2022, la commune de Saint-André, représentée par Me Dugoujon avocat, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société CK Atelier une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la contestation du titre de recette est irrecevable dès lors que la société CK Atelier n'a pas respecté l'article 10-3 du CCAP relatif au marché de maitrise d'œuvre qui lui faisait obligation de présenter une réclamation amiable avant la saisine du tribunal ;

- les pénalités de retard ont été à juste titre mises à la charge de la société CK Atelier ;

- elles ne présentent pas en l'espèce un caractère excessif.

Une ordonnance du 21 février 2023 a porté clôture immédiate de l'instruction en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Un mémoire présenté pour la commune de Saint-André a été enregistré le 7 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des marchés publics ;

- l'arrêté du 16 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Monlaü, premier conseiller,

- les conclusions de M. Ramin, rapporteur public,

- et les observations de Me Dugoujon, avocat de la commune de Saint-André.

Considérant ce qui suit :

1. Par acte d'engagement notifié le 5 juin 2018, la commune de Saint-André a confié à la société CK Atelier le marché de maitrise d'œuvre de l'opération de construction d'un centre socio-culturel au Bras des Chevrettes. Selon l'article 2.2 de l'acte d'engagement, la mission dévolue au maître d'œuvres portait sur les études de projets, l'assistance à la passation des contrats de travaux, les visas des études d'exécution, la direction de l'exécution des travaux, l'assistance pendant les opérations de réception, le suivi de la garantie de parfait achèvement, l'ordonnancement et le pilotage du chantier. Estimant que les délais de remise des documents d'études prévus au point 2.4 de l'acte d'engagement n'avaient pas été respectés, la commune a, par courrier du 24 novembre 2020, mis en demeure la société CK Atelier de procéder à une analyse complète des offres relatives au lot 7 puis lui a notifié par courrier du 3 mars 2021, en raison de différents manquements, un décompte des pénalités de retard dues au 1er mars 2021. Ont ainsi été appliquées pour le lot 5 une pénalité de 28 750 euros correspondant à 115 jours de retard, pour le lot 7 une pénalité de 49 250 euros correspondant à 197 jours de retard et pour le lot 10 une pénalité de 28 750 euros correspondant à 115 jours de retard. Le 25 mai 2021, la commune a émis un titre de recette, notifié à la société sous la forme d'un avis des sommes à payer daté du 14 juin 2021, portant sur un montant total de pénalités fixé à 106 750 euros. Par la présente requête, la société CK Atelier demande au tribunal, d'une part, d'annuler cet avis des sommes à payer et, d'autre part, de lui reconnaître un droit à minoration en raison du caractère manifestement excessif des pénalités en cause.

Sur la recevabilité des conclusions dirigées contre l'avis des sommes à payer :

2. Aux termes de l'article 37 du CCAG-PI dans sa version issue de l'arrêté du 16 septembre 2009 précise que : " Le pouvoir adjudicateur et le titulaire s'efforceront de régler à l'amiable tout différend éventuel relatif à l'interprétation des stipulations du marché ou à l'exécution des prestations objet du marché. Tout différend entre le titulaire et le pouvoir adjudicateur doit faire l'objet, de la part du titulaire, d'une lettre de réclamation exposant les motifs de son désaccord et indiquant, le cas échéant, le montant des sommes réclamées. Cette lettre doit être communiquée au pouvoir adjudicateur dans le délai de deux mois, courant à compter du jour où le différend est apparu, sous peine de forclusion ". Il résulte par ailleurs de l'article 10.3 " Différents et litiges ", du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché de maitrise d'œuvre que, par dérogation à l'article 37 du CCAG-PI précité, " le pouvoir adjudicateur et le titulaire s'engagent à mettre en place une tentative de règlement amiable du litige. La réclamation amiable devra parvenir à l'autre partie dans un délai de 15 jours à compter de la date du fait générateur du différend ou du litige sous peine de forclusion. L'autre partie devra faire connaître ses observations dans un délai de 15 jours. A défaut, la réclamation est réputée rejetée. () ".

3. Il résulte de l'instruction que la commune a notifié à la société CK Atelier le 3 mars 2021 un décompte de pénalités s'appuyant sur différents manquements contractuels tels que l'absence d'intégration du rapport initial de contrôle technique (RICT) depuis 2019, l'absence de traitement des analyses des lots 5, 7 et 10, la transmission directe d'un ordre de service pour le lot 7 alors que celui-ci n'avait pas été attribué, un retard de deux mois dans la transmission des ordres de services de démarrage relatifs aux lots notifiés, et le retard de l'analyse du traitement de l'ANC combiné à celui de l'école située en amont. Ce décompte retient, en vertu de l'article 14-1 du CCAG-PI, l'application d'une pénalité de 250 euros par jour calendaire de retard, pour 115 jours de retard s'agissant des lots 5 et 10, et pour 197 jours de retard en ce qui concerne le lot 7, soit un total de 427 jours de retard et un montant de pénalité représentant au total 106 750 euros. Il est constant que le maître d'œuvre a pris connaissance de ce décompte le 4 mars 2021, date à laquelle il en a accusé réception numériquement, et qu'il n'a effectué aucune réclamation à ce sujet dans le délai de 15 jours dont il disposait en vertu de l'article 10.3 du CCAP. Par suite et ainsi que l'oppose la commune de Saint-André en défense, la société CK Atelier n'est pas recevable à contester, à travers sa demande d'annulation de l'avis des sommes à payer du 14 juin 2021, la fixation des pénalités de retard mises à sa charge en application des stipulations du contrat.

Sur les conclusions à fin de minoration des pénalités en raison de leur caractère manifestement excessif :

4. Lorsque le titulaire du contrat saisit le juge de conclusions tendant à ce qu'il modère les pénalités mises à sa charge, il ne saurait utilement soutenir que le pouvoir adjudicateur n'a subi aucun préjudice ou que le préjudice qu'il a subi est inférieur au montant des pénalités mises à sa charge. Il lui appartient de fournir aux juges tous éléments, relatifs notamment aux pratiques observées pour des contrats comparables ou aux caractéristiques particulières du contrat en litige, de nature à établir dans quelle mesure ces pénalités présentent selon lui un caractère manifestement excessif. Au vu de l'argumentation des parties, il incombe au juge soit de rejeter les conclusions dont il est saisi en faisant application des clauses du contrat relatives aux pénalités, soit de rectifier le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du contrat dans la seule mesure qu'impose la correction de leur caractère manifestement excessif.

5. En l'espèce, il résulte de l'instruction que la commune a fixé les pénalités de retard réclamées à la société CK Atelier à la somme de 106 750 euros. Un tel montant revêt, dans les circonstances de l'espèce, un caractère disproportionné et manifestement excessif, eu égard au montant total du marché de maitrise d'œuvre passé pour l'opération en cause, qui s'élève à 97 500 euros. Il sera fait une juste appréciation de la minoration à laquelle peut prétendre la société CK Atelier en réduisant des deux tiers le montant de pénalités fixé par la commune, la somme due à la commune se limitant ainsi à 35 583 euros.

6. Il résulte de ce qui précède que la société CK Atelier est fondée à demander que les pénalités de retard dues à la commune de Saint-André soient ramenées à la somme de 35 583 euros.

Sur les frais liés au litige :

7. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative au profit de l'une ou l'autre des parties en présence.

D E C I D E :

Article 1 : Les conclusions tendant à l'annulation de l'avis des sommes à payer du 14 juin 2021 sont rejetées.

Article 2 : Les pénalités de retard mises à la charge de la société CK Atelier au titre de l'exécution du marché de maîtrise d'œuvre concernant l'opération centre socio-culturel Bras des Chevrettes sont ramenées à la somme de 35 583 euros.

Article 3 : Les conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société CK Atelier, à la commune de Saint-André et à la direction régionale des finances publiques de La Réunion.

Délibéré après l'audience du 6 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Aebischer, président,

- M. Monlaü, premier conseiller,

- Mme Tomi, première conseillère,

Lu en audience publique le 20 novembre 2023.

Le rapporteur,

X. MONLAÜ

Le président,

M-A. AEBISCHER La greffière,

S. BALOUKJY

La République mande et ordonne au préfet de La Réunion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.