TA Lyon, 19/01/2023, n°2008926

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 décembre 2020 et le 15 février 2022, ainsi qu'un mémoire enregistré le 6 décembre 2022 qui n'a pas été communiqué, l'association de la Maison d'Izieu mémorial des enfants juifs exterminés (Maison d'Izieu) représentée par Me Lefort, demande au tribunal :

1°) de condamner, au titre de désordres affectant le site après la réalisation de travaux d'extension, la société Jouve Espace Vérandas à lui verser la somme de 500 euros TTC assortie des intérêts moratoires et de leur capitalisation en réparation du désordre apparu sur les menuiseries extérieures, la société Lagrange à lui verser la somme de 11 000 euros TTC assortie des intérêts moratoires et de leur capitalisation en réparation du désordre résultant du dysfonctionnement du système de chauffage et de ventilation, la société Dominique Lyon Architectes à lui verser la somme de 99 300 euros TTC en remboursement des travaux d'installation de la climatisation, la société Comptoir des revêtements à lui verser la somme de 2 600 euros assortie des intérêts moratoires et de leur capitalisation en réparation du désordre résultant des défauts du revêtement de sol et la société Avel acoustique à lui verser la somme de 23 000 euros TTC assortie des intérêts moratoires et de leur capitalisation, d'une part, et l'opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture et la société Dominique Lyon Architectes à lui verser la somme de 33 600 euros TTC assortie des intérêts moratoires et de leur capitalisation, d'autre part, en réparation du préjudice résultant du désordre acoustique ;

2°) de condamner in solidum les mêmes à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation du trouble de jouissance ;

3°) de mettre à la charge in solidum des mêmes la somme de 22 884 euros au titre des frais d'expertise ;

4°) de mettre à la charge in solidum des mêmes la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la société Jouve Espace Vérandas a commis une faute de nature contractuelle, à l'origine d'un désordre sur les stores ;

- la société Lagrange a commis des fautes de nature contractuelle, à l'origine de désordres affectant le système de ventilation et de chauffage ;

- la responsabilité contractuelle de la société Comptoir des revêtements est engagée en raison de la mauvaise exécution de ses prestations ayant fait l'objet de réserves qui n'ont pas été levées ;

- la responsabilité contractuelle du bureau d'études Avel acoustique est engagée en raison de la mauvaise exécution de ses prestations ayant fait l'objet de réserves qui n'ont pas été levées ;

- l'OPPIC et la société Dominique Lyon Architectes ont commis des fautes de nature contractuelle en ne définissant pas des exigences claires et précises en termes de luminosité au sein du programme fonctionnel et en ce qui concerne la conception de l'ouvrage ;

- la société Dominique Lyon Architectes doit être condamnée à prendre en charge la somme de 99 300 euros TTC en remboursement du coût des travaux de climatisation.

Par des mémoires en défense enregistrés les 26 janvier 2021, 24 mars et 30 septembre 2022, la société Comptoir des revêtements, représentée par Me Vanhaecke, conclut au rejet de la requête, au rejet des appels en garantie dirigés à son encontre et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la Maison d'Izieu au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les désordres invoqués par l'association relèvent d'un défaut d'entretien ;

- l'ensemble des réserves concernant ses prestations ont été levées ;

- les choix de matériaux relevaient de la maîtrise d'œuvre.

Par des mémoires en défense enregistrés le 26 février 2021 et le 3 octobre 2022, la société Dominique Lyon Architectes, représentée par Me Prudon, conclut au rejet de la requête, à titre subsidiaire au rejet des appels en garantie dirigés à son encontre et à la condamnation des sociétés Jouve Espace Vérandas, Comptoir des revêtements, Lagrange et Avel acoustique à la relever et garantir de toute condamnation et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la Maison d'Izieu au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- l'ouvrage a été réceptionné et les honoraires de maîtrise d'œuvre ont été entièrement réglés ;

- les désordres relatifs à la luminosité ne rendent pas l'ouvrage impropre à sa destination ; au demeurant les éléments relatifs à la luminosité n'ont pas fait l'objet de stipulations contractuelles et l'expert n'a pas retenu de défaut de conception ;

- l'installation d'une climatisation ne faisant pas partie du programme de l'ouvrage, aucune faute du maître d'œuvre ne peut être retenue à ce titre ;

- les autres chefs de demande ne sont pas fondés ;

- les conditions d'une condamnation in solidum ne sont pas remplies ;

- elle est fondée à être intégralement relevée et garantie des éventuelles condamnations prononcées à son encontre par les autres constructeurs.

Par un mémoire enregistré le 29 septembre 2022, les sociétés Avel acoustique et Lloyd's Insurance Company SA, représentées par Me Balas, concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la Maison d'Izieu au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles font valoir que :

- la Maison d'Izieu n'a pas d'intérêt à agir à l'encontre de la société Lloyd's Insurance Company SA, qui doit être mise hors de cause ;

- la responsabilité contractuelle de la société Avel acoustique ne peut plus être engagée, dès lors que le désordre acoustique n'a fait l'objet d'aucune réserve à la réception ;

- aucune faute de conception n'est établie ;

- le trouble de jouissance allégué n'est pas justifié.

Des observations ont été enregistrées le 26 mars 2021 pour la compagnie Groupama Rhône-Alpes, représentée par Me Barre.

Des observations ont été enregistrées le 31 août 2021 et le 27 septembre 2022 pour la société Axa France IARD, représentée par Me Bourbonneux.

Par une lettre du 6 décembre 2022, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que le tribunal était susceptible de relever d'office l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître des conclusions de la Maison d'Izieu à fin de condamnation sur un fondement contractuel des sociétés Jouve Espace Vérandas, Lagrange, Comptoir des revêtements, Avel acoustique, Dominique Lyon Architectes et de l'OPPIC, dès lors que les contrats liant les parties ne revêtent pas une nature administrative.

Un mémoire en réponse au moyen relevé d'office a été enregistré le 15 décembre 2022 pour la Maison d'Izieu.

Elle soutient que :

- elle est reconnue d'intérêt général et son conseil d'administration est composé notamment de personnes publiques membres de droit ;

- les marchés en cause revêtent une nature administrative, dans la mesure où elle a décidé de les soumettre au code des marchés publics, ils sont intitulés " marchés publics de travaux " et l'article 10.1 du CCAP comporte une clause exorbitante du droit commun ;

- l'opération a été réalisée sous la maîtrise d'ouvrage déléguée de l'OPPIC avec des financements importants de l'État.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code du patrimoine ;

- la loi n° 2011-1168 du 11 décembre 2001 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Bertolo, rapporteur,

- les conclusions de M. Reymond-Kellal, rapporteur public,

- et les observations de Me Ho-Tieng pour la Maison d'Izieu, de Me Iturbide pour la société Dominique Lyon Architectes, de Me Battier pour la société Avel acoustique et la société Lloyd's Insurance Company SA et de Me Bentz pour la société Comptoir des revêtements.

Considérant ce qui suit :

1. L'association de la Maison d'Izieu mémorial des enfants juifs exterminés (Maison d'Izieu) a décidé en 2008 d'entreprendre des travaux d'extension du site, inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques au titre de lieu de mémoire. Une convention d'assistance technique à maîtrise d'ouvrage a été passée le 6 mars 2008 sur le fondement de l'article L. 321-29-2 du code du patrimoine entre la Maison d'Yzieu, l'Établissement public de maîtrise d'ouvrage des travaux culturels, aux droits duquel est venu en 2010 l'opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (OPPIC), et la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) de Rhône-Alpes. La Maison d'Izieu a conclu des marchés de travaux avec un groupement chargé de la maîtrise d'œuvre composé notamment de la société Dominique Lyon Architectes, mandataire, et de la société Avel acoustique, bureau d'études techniques acoustique, et avec des entreprises pour l'exécution des lots de travaux. La Maison d'Izieu demande la condamnation des sociétés Dominique Lyon Architectes et Avel acoustique et des sociétés Jouve Espace Vérandas, Comptoir des revêtements et Lagrange, auxquelles elle avait confié la réalisation, respectivement, des lots " menuiseries extérieures-métallerie ", " revêtements du sol du bâtiment existant " et " chauffage-ventilation-plomberie-sanitaires ", et de l'OPPIC à réparer des désordres affectant l'ouvrage et le trouble de jouissance en résultant.

2. Aux termes de l'article 2 de la loi du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier : " Les marchés passés en application du code des marchés publics ont le caractère de contrats administratifs. ". Les contrats ainsi visés sont ceux qui entrent dans le champ d'application du code des marchés publics, alors en vigueur, tel qu'il est notamment défini par ses articles 1er à 3. Aux termes de l'article 1er de ce code, dans sa version applicable au litige, les marchés publics sont les contrats conclus à titre onéreux avec des personnes publiques ou privées par les personnes morales de droit public mentionnées à l'article 2, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services. Il résulte de l'article 2 du même code que ces dispositions sont applicables aux marchés conclus par l'État et ses établissements publics autres que ceux ayant un caractère industriel et commercial, les collectivités territoriales et les établissements publics locaux. Par ailleurs, un contrat conclu entre deux personnes privées revêt, en principe, un caractère de contrat de droit privé.

Sur la nature des contrats conclus avec le groupement de maîtrise d'œuvre et les entrepreneurs de travaux :

3. En premier lieu, la circonstance que la Maison d'Izieu ait choisi d'appliquer les règles de passation posées par le code des marchés publics et qu'elle ait confié à des entreprises la réalisation des travaux par des actes intitulés " marché public de travaux " est sans incidence sur la nature de ces contrats, seuls les marchés passés en exécution du code des marchés publics, c'est-à-dire entrant dans son champ d'application dont sont exclues les personnes morales de droit privé, pouvant être qualifiés de marchés publics en vertu de l'article 2 de la loi du 11 décembre 2001 précité.

4. En deuxième lieu, la Maison d'Izieu est une association régie par la loi du 1er juillet 1901, reconnue d'intérêt général par un arrêté préfectoral du 8 juin 1998. À supposer qu'elle exerce une mission de service public, il ne résulte pas de l'instruction que son organisation et son fonctionnement soient contrôlés par les personnes publiques membres de son conseil d'administration ni qu'elles lui procureraient l'essentiel de ses ressources. Par ailleurs, l'association n'a pas agi au nom et pour le compte de ces dernières.

5. En troisième lieu, les travaux d'extension du mémorial ont été réalisés pour le compte de la Maison d'Izieu qui est propriétaire des bâtiments, et en son nom, sous la direction de la société Dominique Lyon Architectes et par des entreprises avec lesquelles elle avait conclu directement les marchés de travaux, ainsi qu'il résulte de stipulations de la convention d'assistance technique à maîtrise d'ouvrage du 6 mars 2008. Ils n'ont pas le caractère de travaux publics, alors même que le site est inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques au titre de lieu de mémoire.

6. En dernier lieu, si les marchés de travaux étaient régis par un cahier des clauses administratives particulières dont l'article 10.1 comportait, par renvoi au cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, une clause de résiliation pour motif d'intérêt général, la prérogative en cause n'est pas de nature à faire regarder les marchés passés comme des contrats administratifs, dès lors qu'elle était reconnue à la Maison d'Izieu, personne privée contractante.

7. Il résulte de ce qui précède que les contrats conclus entre la Maison d'Izieu et les sociétés Dominique Lyon Architectes, Jouve Espace Vérandas, Lagrange, Comptoir des revêtements et Avel acoustique présentent le caractère de contrats de droit privé. Il appartient, par suite, à la juridiction judiciaire de connaître des litiges relatifs à leur exécution.

Sur la nature de convention conclue avec l'OPPIC et la DRAC de Rhône-Alpes :

8. Aux termes de l'article L. 621-29-2 du code du patrimoine : " Le maître d'ouvrage des travaux sur l'immeuble classé ou inscrit est le propriétaire ou l'affectataire domanial si les conditions de la remise en dotation le prévoient. / Les services de l'Etat chargés des monuments historiques peuvent apporter une assistance gratuite au propriétaire ou à l'affectataire domanial d'un immeuble classé ou inscrit qui ne dispose pas, du fait de l'insuffisance de ses ressources ou de la complexité du projet de travaux, des moyens nécessaires à l'exercice de la maîtrise d'ouvrage de l'opération. () / Une convention signée avec le propriétaire ou l'affectataire domanial définit les modalités particulières de l'assistance à la maîtrise d'ouvrage assurée par les services de l'Etat. ".

9. La convention d'assistance technique du 6 mars 2008 n'ayant pas été conclue à titre onéreux, elle ne peut être qualifiée de marché public. Cette convention n'a pas pour objet de faire participer la Maison d'Izieu à l'exécution d'un service public, ni à l'exécution même d'un service public. Par ailleurs, son article 5 confère à toutes les parties le pouvoir de la résilier unilatéralement pour motifs d'intérêt général. Il s'ensuit qu'elle a le caractère d'un contrat de droit privé. Dès lors, il appartient à la juridiction judiciaire de connaître des litiges relatifs à son exécution.

10. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître les conclusions de la requête de la Maison d'Izieu tendant à la condamnation des sociétés Dominique Lyon Architectes, Avel Acoustique, Jouve Espace Vérandas, Comptoir des revêtements et Lagrange et de l'OPPIC à réparer les désordres affectant l'ouvrage et le trouble de jouissance en résultant.

Sur les frais liés du litige :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à la charge des parties les frais qu'elles ont exposés au titre du litige.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la Maison d'Izieu est rejetée comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 2 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par les sociétés Comptoir des revêtements, Dominique Lyon Architectes, Avel acoustique et Lloyd's Insurance Company SA sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à l'association de la Maison d'Izieu mémorial des enfants juifs exterminés, aux sociétés Jouve Espace Vérandas, Lagrange, Comptoir des revêtements, Dominique Lyon Architectes, Avel acoustique, Lloyd's Insurance Company SA, compagnie Groupama Rhône-Alpes et Axa France IARD et à l'OPPIC.

Délibéré après l'audience du 5 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Michel, présidente,

M. Bertolo, premier conseiller,

Mme Conte, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2023.

Le rapporteur,La présidente,

C. BertoloC. Michel

La greffière,

S. Hosni

La République mande et ordonne à la préfète de l'Ain en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Un greffier,

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