TA Martinique, 10/11/2022, n°2200615

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 18 octobre 2022, les sociétés Dauphin télécom et Dauphin télécom infrastructure, représentées par Axone Avocat, agissant par Me Salles, demandent au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'annuler la décision d'attribution à la société Orange SA du marché public de conception-réalisation d'infrastructure de communications électroniques à très haut débit sur le territoire de la Martinique, engagée par la collectivité territoriale de Martinique, ensemble la décision du 3 octobre 2022 par laquelle elle a rejeté leur offre ;

2°) d'annuler l'ensemble de la procédure de passation du marché public de conception-réalisation d'infrastructure de communications électroniques à très haut débit sur le territoire de la Martinique ;

3°) d'enjoindre à la collectivité territoriale de Martinique de communiquer le rapport intégral d'analyse des offres ainsi que les enregistrements audio réalisés lors des réunions de négociations ;

4°) de mettre à la charge de la collectivité territoriale de Martinique la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- elles justifient d'un intérêt lésé dès lors que leur offre a été classée en deuxième position avec 5,17 points de différence avec celle de la société attributaire, à la suite d'une procédure de passation d'un marché public qui a méconnu le principe d'égalité de traitement des candidats et ainsi permis à son concurrent d'élaborer une meilleure offre ;

- le principe d'égalité de traitement des candidats a été méconnu dès lors que la société désignée attributaire a disposé de quatre études qui n'ont pas été communiquées dans le dossier de consultation, et qu'elle a réalisées en sa qualité de titulaire du précédent marché de conception-réalisation, ces études ayant constitué un avantage concurrentiel à leur détriment ;

- les informations qui n'ont pas été communiquées ont eu une influence directe et manifeste sur le critère " conditions de réalisation des études avant-projet " notamment sur le niveau de précision du calendrier prévisionnel et le suivi du conventionnement ;

- les informations qui n'ont pas été communiquées ont eu une influence directe et manifeste sur le critère " conditions de réalisation des études projet " notamment en matière d'obtention des autorisations administratives ;

- les informations qui n'ont pas été communiquées ont eu une influence directe et manifeste sur le critère " conditions de réalisation des travaux " notamment sur le calendrier général des travaux de raccordement ;

- les informations qui n'ont pas été communiquées ont eu une influence directe et manifeste sur le critère " engagement en termes de volumes annuel de prises raccordables " notamment en ce qui concerne l'estimation du volume de prises raccordables ;

- les informations qui n'ont pas été communiquées ont eu une influence directe et manifeste sur le critère " prix des prestations " en ce qui concerne la prévision des effectifs du bureaux d'études ;

- le pouvoir adjudicateur n'a communiqué qu'une seule des cinq études réalisées par la société attributaire dans le cadre du précédent marché, laquelle étant de mauvaise qualité, était inexploitable pour élaborer une offre au regard des standards du marché.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 novembre 2022, la collectivité territoriale de Martinique, représentée par Volta Avocats, agissant par Me de Baecke conclut, à titre principal, au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge des sociétés requérantes, et, à titre subsidiaire, d'ordonner de reprendre, après communication aux soumissionnaires des quatre études manquantes et collecte de nouvelles offres, la procédure d'attribution au stade de l'analyse des offres.

Elle soutient que :

- le défaut de communication des études constitue une erreur matérielle ;

- les études projet réalisées dans le cadre du précédent marché ne portent que sur une part résiduelle des offres et les informations non communiquées n'étaient pas indispensables à l'élaboration des offres ;

- le défaut de communication des études ne peut avoir aucune incidence sur l'élaboration des offres du marché contesté dès lors que les études réalisées dans le cadre du précédent marché étaient relatives aux vagues 1 et 2 du projet et sont différentes des études attendues dans le cadre du marché contesté qui portent sur les vagues 3 et 4 ;

- seules les études projet portant sur la vague 2 réalisées au titre du précédent marché peuvent avoir une incidence marginale sur l'évaluation des offres ;

- la communication des études réalisées lors du précédent marché était inutile pour l'élaboration des études projet du marché litigieux dès lors, d'une part, que les informations présentées dans le programme fonctionnel sont suffisamment détaillées, et, d'autre part, que les attendus de l'acheteur sur les études à réaliser ont évolué ;

- les sociétés requérantes ne justifient pas d'un intérêt lésé dès lors qu'à supposer que le défaut de communication ait eu une influence sur le sous-critère valeur technique relatif aux " Engagements du candidat en termes de volume annuel de prises raccordables " et sur le critère " prix ", la note totale qu'auraient obtenue les sociétés requérantes aurait été insuffisante pour modifier l'ordre du classement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 novembre 2022, la société Orange SA, représentée par HDLA Avocats, agissant par Me Hasday conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 15 000 euros soit mise à la charge des sociétés requérantes.

Elle fait valoir que :

- les sociétés requérantes ne justifient pas que l'absence de communication de cinq études réalisées par la société Orange dans le cadre du marché n°1 aurait lésé leurs intérêts ;

- elles ne sont pas fondées à se prévaloir de la méconnaissance du principe d'égalité de traitement des candidats dès lors que, d'une part, les attentes de la CTM étaient clairement détaillées dans le programme fonctionnel quant aux prestations en matières d'études et de conception en général et des études PRO en particulier et, d'autre part, les prestations étaient standards pour ce type de prestation de sorte que le défaut de communication des études ne leur a pas conféré d'avantages en termes d'engagements calendaires et de délais d'exécution ;

- les études non communiquées n'ont pas lésé les sociétés requérantes s'agissant des sous-critères relatifs aux études d'avant-projet, aux conditions de réalisation des travaux et aux études projet ;

- à supposer même qu'il y ait eu un impact sur le sous-critère relatif au volume annuel de prises raccordables et sur le critère prix, la neutralisation de cet impact allégué ne serait pas suffisant à établir que les sociétés requérantes auraient pu être classées en première position.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique tenue en présence de M. Minin, greffier d'audience, Mme A a lu son rapport et entendu :

- les observations de Me Fedida, représentant les sociétés Dauphin télécom et Dauphin télécom infrastructure, qui conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que dans sa requête;

- les observations de Me de Baecke, représentant la collectivité territoriale de Martinique, qui maintient ses conclusions par les mêmes moyens ;

- les observations de Me Hasday, représentant la société Orange, qui confirme ses écritures.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Par des avis d'appel à la concurrence publiés au journal officiel de l'Union européenne (JOUE) en date des 4 et 11 février 2022, la collectivité territoriale de Martinique a lancé une consultation, selon une procédure avec négociation, en vue de la conclusion d'un marché public sous la forme d'un accord-cadre ayant pour objet la conception et la réalisation d'une infrastructure de communications électroniques à très haut débit sur le territoire de la Martinique. L'accord-cadre mono-attributaire doit s'exécuter par bons de commande, sans montant minimum ni maximum. Par un courrier électronique en date du 3 octobre 2022, la collectivité territoriale de Martinique a informé le groupement conjoint composé des sociétés Dauphin télécom et Dauphin télécom infrastructure, du rejet de leur offre et, de ce que la société Orange SA a été désignée attributaire. Par la présente requête, les sociétés Dauphin télécom et Dauphin télécom infrastructure demandent au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 551-1 et suivants du code de justice administrative, d'annuler la décision d'attribution du marché public à la société Orange SA, la décision du 3 octobre 2022 rejetant leur offre ainsi que l'ensemble de la procédure de passation du marché public contesté. En outre, elles demandent au juge des référés d'enjoindre à la collectivité territoriale de Martinique de communiquer le rapport intégral d'analyse des offres et les enregistrements audio réalisés lors des réunions de négociations.

Sur les conclusions présentées au titre des articles L. 551-1 et suivants du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : "Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat". Aux termes du I de l'article L. 551-2 du même code : "Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations".

3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquement. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

4. L'article L.3 du code de la commande publique dispose : " Les acheteurs et les autorités concédantes respectent le principe d'égalité de traitement des candidats à l'attribution d'un contrat de la commande publique. Ils mettent en œuvre les principes de liberté d'accès et de transparence des procédures, dans les conditions définies dans le présent code. Ces principes permettent d'assurer l'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics ". Aux termes de l'article R. 2132-1 du même code : " Les documents de la consultation sont l'ensemble des documents fournis par l'acheteur ou auxquels il se réfère afin de définir son besoin et de décrire les modalités de la procédure de passation, y compris l'avis d'appel à la concurrence. Les informations fournies sont suffisamment précises pour permettre aux opérateurs économiques de déterminer la nature et l'étendue du besoin et de décider de demander ou non à participer à la procédure. ".

5. Pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, le pouvoir adjudicateur a l'obligation de tenir à disposition des candidats les informations nécessaires pour leur permettre de formuler, dans des conditions égales, leurs offres respectives. Il lui appartient notamment de veiller, si l'un des candidats, à un titre ou à un autre, a pu disposer d'informations de nature à le favoriser, à mettre ces mêmes informations à disposition des autres candidats.

6. Les sociétés requérantes font valoir que la société attributaire, en sa qualité de titulaire d'un précédent marché conclu en 2017 portant sur le même objet de conception-réalisation d'une infrastructure de communications électroniques à très haut débit (FttH) sur le territoire de la collectivité territoriale de Martinique, a bénéficié d'informations privilégiées qui n'ont pas été communiquées à l'ensemble des soumissionnaires dans les documents de la consultation en méconnaissance du principe d'égalité de traitement des candidats à l'attribution d'un marché public.

7. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le groupement d'entreprises constitué des sociétés Orange SA et Constructel a, dans le cadre d'un premier marché conclu avec la collectivité territoriale de Martinique pour la conception et la réalisation d'une infrastructure de communications électroniques à très haut débit, notamment réalisé des études " projets " lesquelles comprenaient, tel que stipulé dans le programme fonctionnel d'un premier marché , " la réalisation des documents et la gestion des procédures nécessaire à la réalisation des ouvrages () précisant les modalités techniques d'exécution des éléments de mission de maîtrise d'œuvre confiés par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé, et aux dispositions ci-après : / L'obtention des autorisations administratives et privées nécessaires à l'établissement du réseau, dont les conventions d'immeuble ; / l'établissement sur la base des plans d'exécution et des prix du BPU, d'un devis quantitatif estimatif détaillé ; / l'établissement du calendrier prévisionnel d'exécution des travaux objet des études ". Selon les termes mêmes du programme fonctionnel détaillé du second marché, dont la procédure de passation est critiquée dans la présente instance, la collectivité territoriale de Martinique pourra commander des " études projets " sur la base de dossiers " projets " déjà réalisés par le titulaire du premier marché. Ce document mentionne expressément que cinq études réalisées dans le cadre du premier marché, sur le territoire de cinq communes localisées au nord, au centre et au sud du territoire de la Martinique, figurent en annexe 3 bis de ce programme. Si la collectivité territoriale de Martinique fait valoir que le défaut de communication de quatre de ces études est le " fruit d'un oubli " et constitue seulement une erreur matérielle, il n'est toutefois pas contesté que la collectivité n'a pas donné suite à la demande de communication de ces études qui a été formée lors de la phase de négociation par les sociétés requérantes et dont le mémoire technique final après négociation des sociétés requérantes souligne l'absence. Si la collectivité territoriale de Martinique se prévaut de ce que les informations contenues dans les études non communiquées n'étaient pas indispensables à l'élaboration des offres, il résulte toutefois de l'instruction que certains des travaux de la " vague 1 " du projet global sous maîtrise d'ouvrage de la collectivité, découpé en quatre " vagues ", restent à achever dans le cadre du marché en litige. Par ailleurs, au titre du second marché, les " études projets " de la " vague 2 ", réalisées dans le cadre du premier marché sont susceptibles d'être actualisées et les travaux correspondant à cette phase doivent être réalisés. Par suite, les sociétés requérantes sont fondées à soutenir que la société Orange SA, a bénéficié d'informations qui n'ont pas été communiquées à l'ensemble des candidats.

8. En second lieu, il résulte du règlement de la consultation que, dans le cadre de l'évaluation des offres, le critère relatif à la valeur technique a été pondéré à 65%, le critère relatif aux des prestations a été pondéré à 30% et le critère relatif à la part d'exécution du marché confiée à des petites et moyennes entreprises, a été pondéré à 5%. Les sociétés requérantes ont obtenu les meilleures notes pour le critère relatif au prix des prestations (27,30 points) et le critère relatif à la part d'exécution du marché confiée à des petites et moyennes entreprises (4,95 points). Elles ont obtenu une note inférieure à celle de la société Orange SA pour le critère relatif à la valeur technique (51,89 points).

En ce qui concerne le critère " valeur technique " :

9. Le groupement des sociétés Dauphin télécom et Dauphin télécom infrastructure soutient que le défaut d'information résultant de l'absence de transmission des études l'a lésé dans l'appréciation du sous-critère n°1 " conditions de réalisation des études avant-projet " noté sur 20 points, en raison de son impact sur le niveau de précision du calendrier prévisionnel et les conditions de conventionnement de façades d'immeubles avec les tiers. Toutefois, et alors même que le règlement de la consultation indique en des termes au demeurant très généraux qu'il est attendu des candidats une attention particulière concernant les études déjà réalisées, dès lors que selon les dispositions du programme fonctionnel détaillé les commandes des études avant-projets seront effectuées par la collectivité avant la réalisation des études projets, l'absence de communication des quatre études projets réalisées par la société Orange SA et les lacunes alléguées de la cinquième n'ont pu avoir d'incidence sur l'élaboration de l'offre des sociétés requérantes au regard de ce premier sous-critère. Elles ne sont donc pas fondées à soutenir que le manquement du pouvoir adjudicateur est susceptible de les avoir lésées à ce titre.

10. Les sociétés requérantes font également valoir que, s'agissant du sous-critère relatif aux " conditions de réalisation des études projet " noté sur 25 points, l'absence de transmission des études et la mauvaise qualité de la cinquième étude les ont lésées en raison de leur impact sur le niveau de précision du calendrier prévisionnel et les conditions de conventionnement de façades d'immeubles avec les tiers ainsi qu'en raison du manque d'information sur les modalités d'obtention de certaines autorisations administratives et certains choix techniques. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'article 7.3 du programme fonctionnel détaillé que les exemples constitués par les cinq études projets déjà réalisées avaient pour seul objet de permettre d'évaluer le prix " 1.5 mise à jour d'études pro ". Si de nouvelles études projets pourront, dans le cadre du second marché, être commandées par la collectivité, celles-ci ne concernent que des segments de réseaux n'ayant pas encore fait l'objet de telles études. Par suite, et alors que l'article 7.3 du programme fonctionnel détaillé mentionne très précisément le contenu des études projets devant être réalisées, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le défaut de communication en cause a pu avoir une incidence sur l'élaboration de leur offre au regard de ce deuxième sous-critère.

11. Le groupement Dauphin estime également qu'il a été désavantagé au regard du sous-critère relatif à l'" engagement en termes de volumes annuel de prises raccordables " noté sur 20 points, dès lors qu'il ne disposait pas des mêmes informations que la société Orange SA, laquelle a pu anticiper l'obtention d'autorisations administratives pour ajuster les prévisions de calendrier de raccordement et disposait ainsi selon elle d'un avantage considérable quant à l'estimation du volume de prises raccordables. Cette analyse n'est pas sérieusement contestée en défense et le manquement invoqué est dès lors susceptible d'avoir lésé le groupement requérant dans l'évaluation de son offre au regard de ce critère. Si la collectivité territoriale et la société Orange SA soulignent que l'impact du défaut d'information des sociétés requérantes ne concernerait que la réalisation des prises de la " vague 2 " et donc une partie seulement de l'engagement du groupement sur le volume total de prises, elles font valoir que même si la note de ce sous-critère était portée à 20/20 pour le groupement Dauphin, il en résulterait une augmentation de la note du critère technique après pondération de 3,44 points. Les sociétés requérantes n'ont pas contesté dans leurs écritures, ni lors de l'audience, l'impact ainsi chiffré du manquement susceptible de les avoir lésées à ce titre.

12. Si les sociétés requérantes développent la même analyse s'agissant du sous-critère " conditions de réalisation des travaux ", elles se bornent à indiquer que " le calendrier général des travaux de raccordement de prises " FttH " sur lequel la notation de ce sous-critère est notamment fondée s'en est trouvé très largement affecté ". Dans ces conditions, alors que le volume annuel de prises raccordables fait l'objet du sous-critère distinct mentionné au point précédent, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le manquement de la collectivité a été susceptible de les léser dans l'appréciation de leur offre au regard du sous-critère relatif aux conditions de réalisation des travaux.

En ce qui concerne le critère " prix " :

13. Les sociétés Dauphin télécom et Dauphin télécom infrastructures font valoir que l'absence de communication des quatre études projets et la mauvaise qualité de la cinquième les ont contraintes à ajuster à la hausse le prix de leurs prestations, en raison de la nécessité de doubler les prévisions d'effectifs des bureaux d'études pendant les deux premières années pour assurer le travail anticipé de reprise des études produites par Orange SA dans le cadre du premier marché. Ainsi qu'il a été mentionné au point 9, la communication des cinq études projets était destinée à permettre aux soumissionnaires d'évaluer le prix de mise à jour éventuelle des études projets, au nombre de 85, réalisées au titre du premier marché conclu avec la société Orange SA et Constructel. La collectivité doit être regardée comme admettant en défense que l'absence de communication des études projets a pu exercer une influence sur le prix proposé. Au terme d'un calcul prenant en compte, pour le groupement requérant, un prix égal à zéro pour le nombre de prises relevant des études à mettre à jour, elle estime que la note des sociétés requérantes aurait pu être de 27,63 au lieu de 27,30. Les modalités de détermination de ce prix et de la note en résultant n'ont pas été contestées par les sociétés requérantes, ni dans leurs écritures, ni lors des débats de l'audience.

14. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le défaut de communication des quatre études projets et la mauvaise qualité alléguée de la cinquième ont pu avoir un impact sur la note globale du groupement requérant de 3,77 points. Toutefois, l'écart des notes initialement retenues par le pouvoir adjudicateur entre les sociétés requérantes et la société Orange SA était, à l'issue de l'analyse des offres, de 5,17 points. Dans ces conditions, les sociétés Dauphin télécom et Dauphin télécom infrastructure ne sont pas fondées à soutenir que la méconnaissance par le pouvoir adjudicateur du principe d'égalité de traitement des candidats est caractérisé. Par suite, les conclusions de leur requête tendant à l'annulation de la décision d'attribution à la société Orange SA du marché public de conception-réalisation d'infrastructure de communications électroniques à très haut débit sur le territoire de la Martinique, engagée par la collectivité territoriale de Martinique, ensemble la décision du 3 octobre 2022 par laquelle elle a rejeté leur offre et à l'annulation de la procédure de passation de ce marché doivent être rejetées.

Sur l'injonction :

15. Les sociétés requérantes demandent que le juge des référés ordonne à la collectivité territoriale de Martinique de produire le rapport d'analyse des offres et les enregistrements des échanges avec les soumissionnaires réalisés par lors des réunions de négociations. Il n'entre toutefois pas dans l'office du juge des référés précontractuels, tel que défini par l'article L. 551-1 cité précédemment du code de justice administrative, d'ordonner la communication de ces documents et enregistrements. Les conclusions présentées sur ce point sont donc en tout état de cause irrecevables et doivent, par suite, être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des sociétés Dauphin télécom et Dauphin télécom infrastructure la somme de 1 500 euros, à verser à la collectivité territoriale de Martinique et la somme de 1 500 euros à verser à la société Orange SA en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à la demande des sociétés requérantes présentées sur le même fondement.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête des sociétés Dauphin télécom et Dauphin télécom infrastructure est rejetée.

Article 2 : Les sociétés Dauphin télécom et Dauphin télécom infrastructure verseront la somme de 1 500 euros à la collectivité territoriale de Martinique et la somme de 1 500 euros à la société Orange SA, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la collectivité territoriale de Martinique et de la société Orange SA est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée aux sociétés Dauphin télécom et Dauphin télécom infrastructure, à la collectivité territoriale de Martinique et à la société Orange SA.

Fait à Schœlcher, le 10 novembre 2022.

La juge des référés,

H. A

Le greffier,

J-H. Minin

La République mande et ordonne au préfet de la Martinique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Le greffier,

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